Au cœur de Salammbô, le chapitre décrivant le siège de Carthage m’avait profondément saisi, voici plusieurs années. Il y a une guerre. Un monstre divin. Et des enfants qu’on lui offre. Je me propose de relire ce chapitre à la lumière de Girard.
Voici la troisième intervention, celle de Benoît Chantre, au colloque du 6 mai « Faut-il avoir peur, René Girard penseur de la violence », organisé pas l’Institut catholique de Paris et l’ARM.
« Face à la violence du djihadisme, il devient urgent de s’interroger sur le devenir de nos démocraties, notamment dans leur rapport à la religion. On repart ici de la genèse du sacré proposée par René Girard, à qui l’on doit la découverte du rôle structurant d’un certain type de violence à la racine du politique. Si le religieux archaïque était de la violence contenue par des rituels et des prohibitions, la violence djihadiste est, elle, un mixte de nihilisme et de religieux décomposé. Relisant Clausewitz, Girard a proposé d’appeler « montée aux extrêmes » ce processus aveugle, qui rend plus complexe et plus précaire le fonctionnement de nos démocraties. Comprendre ce phénomène, avec toutes les ressources de l’anthropologie religieuse, et de l’anthropologie mimétique en particulier, permettrait de donner une réponse politique – et non une réponse religieuse – aux désordres politico-religieux qui nous menacent. »
Benoît Chantre est éditeur et écrivain, fellow de la fondation Imitatio et président de l’Association Recherches Mimétiques. Auteur de plusieurs livres d’entretiens et d’un essai sur Charles Péguy (Péguy point final, Editions du Félin, 2014), il a publié, en octobre 2016, Les Derniers Jours de René Girard (Grasset).
La société française est menacée par la violence djihadiste, dont l’origine semble exogène, mais qui trouve des relais opérationnels chez de jeunes Français, de plus en plus nombreux. Les services de police en surveillent un certain nombre. Mais comment prévenir de nouvelles violences ? Faut-il arrêter des jeunes gens qui n’ont (encore) rien fait, sur base de leur pratique religieuse ?
Dans le petit théâtre mimétique où les hommes qui se veulent fermes se donnent de beaux rôles virils, une intervention m’avait frappé, voici bientôt deux ans. Celle de l’avocat Arno Klarsfeld, fils des célèbres « chasseurs de nazis » : il fut celui qui proposa l’enfermement préventif des islamistes radicaux classés S, au mépris de toutes les procédures en vigueur dans un état de droit (rappelons que ce fichage ne relève en aucun cas d’un jugement mais d’une simple décision administrative de police)[1]. Il franchissait là un important seuil symbolique : demander l’enfermement préventif de l’ennemi intérieur, sur base de ce qu’il pourrait faire, et en l’absence de tout jugement, c’est oser un geste d’exclusion d’autant plus transgressif qu’il est sans modèle. À la suite de Klarsfeld, bien d’autres ont embrayé, et cette proposition est devenue récurrente[2] ; mais ces suiveurs ont moins de mérite, si l’on peut dire : il a fallu, pour qu’ils assument cette position, qu’elle fut d’abord émise par un autre, qui servit ensuite de modèle. Et je me suis demandé si c’était un hasard qu’Arno Klarsfled, précisément lui, ait lancé cette première pierre…
Farid Benyettou, dit « l’émir des Buttes-Chaumont », vient de publier en janvier 2017 avec l’anthropologue Dounia Bouzar un témoignage intitulé Mon djihad. Itinéraire d’un repenti aux éditions Autrement.
Son récit part d’une insuffisance d’être et d’un désir idéaliste de le combler en prenant des modèles toujours plus radicaux à chaque fois qu’il éprouve une déception et doute de son utilité, jusques à devenir lui-même un propagandiste du djihad. Son cheminement suit celui d’une pathologie du désir mimétique le conduisant à promouvoir le djihadisme puis à s’en détourner. Se présentant comme fortement suggestible, il semble être récemment parvenu à une auto-élucidation pour orienter désormais ses désirs vers la réparation et le soin. Je veux croire en sa sincérité en raison de la pertinence de son récit repérant les médiateurs auxquels il a soumis ses désirs. Même si, comme il le dit lui-même, son appartenance à des groupes djihadistes est comparable à l’addiction d’un toxicomane, lequel risque toujours la rechute.