
par Christine Orsini
La dernière livraison du MAUSS contient les Actes d’une journée d’étude, le 16 mars 2019, sur le thème « Mauss, Girard et la violence », organisée par le MAUSS et l’ARM. Il n’est pas si fréquent que des chercheurs en sciences sociales et des anthropologues se réunissent pour présenter et discuter les thèses de Girard. Ils l’ont fait sérieusement (en connaissant tous à fond la théorie mimétique) et courtoisement (la plupart trouvent le système girardien « très séduisant »). La rencontre entre les girardiens et les chercheurs du MAUSS ne s’est pas déroulée sous le signe de la rivalité mais de la convivialité.
Pour pouvoir discuter, il faut un fonds commun : les girardiens partagent l’anti-utilitarisme qui caractérise le MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales). Dans le paysage actuel des sciences sociales, dominées par l’économie, qui met au centre l’intérêt, les deux écoles de pensée sont fraternellement marginales. Le titre choisi par la revue du MAUSS « La Violence et le mal », a un accent girardien. Mauss ne thématise pas la violence mais, comme le dit Bernard Perret, « le caractère obligatoire du don s’inscrit sur un arrière-fond de violence ». Et pour Mauss comme pour Girard, l’énigme anthropologique du social ne peut être résolue qu’en allant chercher, dans le plus lointain passé, des faits, des « invariants » qui transcendent la diversité des cultures, tels le don et le sacrifice. Ce sont des réponses au problème de la violence assez universelles pour permettre de penser le présent et même l’avenir à partir d’elles.
Le très fin historien de l’anthropologie qu’est Lucien Scubla navigue entre les deux « écoles » et ne voit pas les œuvres de Mauss et de Girard comme deux théories anthropologiques concurrentes. Seul Girard est un penseur systématique, un théoricien. Marcel Mauss s’est consacré à l’ethnographie. Dans le texte produit pour la revue, Scubla montre à partir d’exemples, que toute tentative pour éradiquer la violence en ouvre le déchaînement. Il faut combattre le mal et il ne peut l’être que par des institutions appropriées. Il est en cela plus proche du MAUSS que de la pensée apocalyptique de Girard.
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