La justice contre la paix ?

par Benoît Hamot

La conférence de Jean-Pierre Dupuy intitulée « La guerre nucléaire qui vient », se concluait sur une idée qui mérite d’être discutée : « L’arme nucléaire a enfoncé un coin entre la paix et la justice ». Cela s’applique en particulier à la guerre qui sévit en Ukraine, où le choix de défendre ce pays injustement agressé conduirait à une montée aux extrêmes, ouvrant à l’éventualité d’une guerre nucléaire, c’est-à-dire à l’anéantissement de toute vie sur la Terre. Dupuy conclut que c’est Volodymyr Zelensky qui pourra alors être tenu pour le déclencheur de cet enchainement catastrophique, et non Vladimir Poutine, puisque le président ukrainien en appelle à la justice contre la « paix russe ». En précisant implicitement que, de son point de vue, l’Ukraine et la Russie sont un seul et même pays, Dupuy renvoie la responsabilité de cette guerre à l’OTAN, ou plus précisément, à sa volonté supposée de s’étendre sur le territoire de l’ex-URSS. Cette organisation étant dirigée de fait par les USA, la guerre en cours reprendrait en fin de compte l’affrontement « classique » entre les deux superpuissances nucléaires.

En outre, l’enchainement mortifère engagé par la simple existence de l’arme nucléaire, et des armes en général, relèverait d’une logique d’auto-extériorisation, ou auto-engendrement, ou auto-transcendance quasiment indépendante de notre volonté : Dupuy rejoint ici Girard au plus près, qui écrit : « Le sacrifice n’est pas, dans son principe, une invention humaine [1]. ». Quelle phrase extraordinaire ! Dupuy emploie plusieurs termes pour décrire ce phénomène, central pour la théorie mimétique, ce qui lui permet d’étendre son emploi au-delà du phénomène religieux, principal dans la théorisation girardienne. Toujours en suivant Dupuy, on peut déduire qu’il n’y a pas de rapport entre un processus auto-transcendantal engendrant, par exemple, le premier dieu à travers une polarisation sur un individu tué puis adoré, et la question de la justice.

On peut alors se demander si la justice est, de son coté,« une invention humaine ». Mais de quelle justice s’agit-il ? De quoi parlons-nous ? En effet, la justice s’est exercée pendant des siècles exclusivement à travers le sacrifice (l’ordalie), et il a fallu attendre le retournement opéré par le jugement de Salomon pour que la justice s’accorde, enfin, avec la recherche de la vérité des faits. Désir de justice et désir de vérité sont désormais indissociables.

Reprenons la question posée par Dupuy : en nous entraînant à choisir la justice au détriment de la paix, Zelensky peut-il être tenu pour responsable d’une montée aux extrêmes menant à la catastrophe nucléaire ? Remplaçons maintenant « justice » par « recherche de la vérité », et nous voyons que la paix qui nous est proposée repose sur l’abandon de la vérité, c’est-à-dire sur le mensonge. Une paix mensongère, nous savons très bien, grâce à René Girard, ce qu’il en est : c’est le système sacrificiel qui préside à toutes les religions. Je suis en effet d’avis, avec Muray, que le judaïsme prophétique et le christianisme ne sont pas des religions, mais constituent une anthropologie, dans le sens d’une recherche de la vérité sur l’homme.

Le choix qui se présente à nous, imposé par ce qui me semble, depuis le début, constituer une troisième guerre mondiale déclenchée par Poutine, dépasse donc très largement la question de savoir si les Ukrainiens sont des Russes ou pas. L’ontologie n’a pas sa place ici, et de toute façon, la violence et l’injustice touchent à peu près également Russes et Ukrainiens, tous ceux qui, dans ce contexte, ont soif de vérité. Ceux qui défendent la paix font alors nécessairement le choix du mensonge. En désignant le président Zelensky comme responsable du désordre, ou du pire, on ne fait que reproduire un mécanisme bien connu. Ce qui est nouveau et assez extraordinaire, c’est que des personnes bien intentionnées puissent être à la manœuvre en s’aidant de la théorie mimétique. Les références au duel, à l’indifférenciation des partenaires, au mimétisme des coups et des intentions (s’emparer du territoire, etc.) se soutiennent en effet notamment du livre « Achever Clausewitz », qui malgré ses grandes qualités, ne suffit pas à rendre compte de la guerre actuelle. Une critique précise et argumentée, a été formulée par Dupuy : la doctrine de la dissuasion nucléaire change la donne en répondant immédiatement à l’attaque par la contre-attaque. Réagir par la défensive est désormais impraticable.

Une critique complémentaire peut être avancée. La volonté d’indifférencier les adversaires, afin de coller au plus près d’une certaine appréhension de l’hypothèse mimétique, suit la logique de la contagion mimétique développée par Clausewitz à partir du duel. Logique que René Girard et Benoît Chantre annoncent vouloir « achever ». L’hypothèse du duel et de la contagion est féconde, mais elle ne tient pas compte de la différence relevée par Carl Schmitt entre l’ennemi intime et l’ennemi politique (inimicus-hostis). L’hypothèse de Clausewitz postule en effet une inimitié première entre des personnes physiques, débouchant à terme sur une guerre totale, ce qui est manifestement inexact dans le cas qui nous occupe. Le déclenchement de la guerre par Poutine relève d’emblée d’un projet totalitaire, englobant des aspects économiques, politiques, religieux. Le projet est en réalité inédit en raison de sa dimension mafieuse, englobant jusqu’au chef de l’Église orthodoxe.

Tout totalitarisme n’a d’autre justification que celle de la pacification, et toute recherche de la paix à tout prix débouche sur la solution sacrificielle ; mais c’est une illusion de paix, fondée sur une résolution victimaire sans cesse à réitérer par la violence de la guerre ou du rituel : cercles vicieux bien connus.

La bifurcation tragique postulée par Dupuy entre la voie de la justice et celle de la paix, peut néanmoins être abordée dans une perspective d’avenir différente. Si la paix était vraiment assurée en renonçant à la justice – que ce choix s’impose à nous sous l’effet du « coin » nucléaire ou pas est somme toute secondaire – on pourrait considérer cette option comme raisonnable. On pense à ceux qui ont subi la guerre dans leur chair, et qui ne veulent pour rien au monde se retrouver confrontés à cette violence. Nous pouvons bien les comprendre, mais rien ne nous dit que Poutine compte s’arrêter là, et que les mouvements de résistance, qui couvent toujours sous la cendre des totalitarismes, ne relanceront pas indéfiniment la guerre.

Toute guerre est une guerre civile si nous sommes tous frères, et lorsqu’il n’est pas permis de se confronter aux autres dans l’arène démocratique, la guerre devient la seule issue. Le totalitarisme ne peut pas subsister sans la présence de l’ennemi, et de la guerre. Ils constituent son carburant, sa raison d’être. Le choix de la justice en tant que recherche de la vérité, c’est-à-dire le choix de l’état de droit, de la démocratie, est en réalité le plus judicieux pour parvenir à une paix durable. Que serait-il advenu si Barack Obama n’avait pas renoncé à intervenir militairement en Syrie, malgré la transgression de cette « ligne rouge » qu’il avait précédemment tracée ? Nous ne le saurons jamais, mais il est probable que Poutine n’aurait pas osé s’engager dans cette funeste aventure. Nous, membres de l’OTAN, américains et européens, avons fait le choix de la lâcheté jusqu’à présent, les Syriens et les Kurdes en savent quelque chose, mais le moment est venu de réagir, parce que la guerre frappe à notre porte.

Bien sûr, retenons tout ce que Dupuy développe brillamment sur le mensonge d’État concernant la prétendue sûreté de la dissuasion nucléaire. Le risque est grand que Poutine fasse usage de ses armes nucléaires si le territoire russe est attaqué. C’est pour cela qu’il ne faut pas entrer dans une spirale mimétique et renvoyer à l’adversaire ce qu’il fait subir aux ukrainiens – aux tchéchènes, aux syriens, aux géorgiens… et aux russes – mais faire valoir ce en quoi nous croyons : en la justice. Et je salue la décision de la Cour Pénale Internationale, officialisée le lendemain de cette conférence, et qui, à la suite d’une enquête minutieuse, lance un mandat d’arrêt à l’encontre de Poutine. Il serait temps que les USA reconnaissent enfin cette juridiction, s’ils veulent rester, ou devenir crédibles aux yeux du monde… On ne peut pas justifier ses actes au nom de la justice tout en cherchant à y échapper soi-même.


[1] Le sacrifice, p.24)

Auteur : blogemissaire

Le Blog émissaire est le blog de l'Association Recherches Mimétiques www.rene-girard.fr

33 réflexions sur « La justice contre la paix ? »

  1. “Certes, la justice doit être rendue jusqu’au bout. Il y a trop de tyrannie absurde et obtuse, trop d’oppression de malheureux sans défenses, trop de grands et petits écorcheurs pour que l’abîme puisse se refermer avant que la pleine mesure du châtiment n’ait été atteinte.
    Mais il importe que ces crimes soient dénoncés jusqu’à la fin des siècles : il y faut la justice et non point la vengeance. Le droit tient de la lumière son pouvoir de faire ressortir les ombres. Moins les passions se refléteront dans sa source, et plus le crime apparaîtra dans toute sa laideur.”
    LA PAIX Ernst Jünger

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    1. Bizarrement de nombreux pays attendent que la justice internationale fasse son travail sur le moyen orient et l’Irak.
      800 000 morts estimation basse.
      Jean Pierre Dupuy est réaliste.
      Vous êtes farfelus.
      Bientôt une exclusion de l’esprit équilibré de Dupuy au nom du sacré et de l’idolatrie atlantiste.

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  2. Encore une fois Dupuy est brillant.
    Et les commentaires de cette conférence idéologiquement orientés.
    L’Ukraine dans ses frontières actuelles est une émanation de l’URSS.
    Nous savons tous qu’elle ne représente pas ce peuple dans sa réalité. Nous nous en accomodions. Certains Russophones Ukrainiens et ce dès 2014 abolument non.
    Les accords de Minsk ont ils été respéctés par les Ukrainiens? Non. De même pour les séparatistes.
    Encore une des nombreuses simplification de ce conflit voulu par les atlantistes idôlatres qui sévissent.
    Je rappel qu’il est parfaitement concevable d’aimer les USA mais les idôlatrer me paraît absolument dangereux.
    A quand du coup une exclusion de Dupuy car pas assez vas t’en guerre?

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  3. Très juste !
    Ajoutons au plaidoyer de Benoît la liberté, sans laquelle le choix proposé par la divinité qui nous a parlé de ce qui était avant Abraham, Verbe tout puissant qui ne peut compter que sur nous pour nous inviter à l’incarner, donne tout son sens à la démocratie, même si nombre de concitoyens en usent pour décider de s’en passer, préfèrent l’esclavage du mensonge et de la force sans justice, l’aveuglement et la surdité de ces armes absurdes qui nous vouent à l’extinction, ne promettent la liberté que dans le meurtre, sinistre Satan.
    Tout est désormais clairement formulé, reste aux démocrates à savoir défendre ce qui n’est pas la fin, cet hubris américain qui nous voue aujourd’hui aux pires recommencements, mais le début de l’histoire humaine éclairée sur son propre phénomène, que l’identité des hommes ne saura se fonder que sur cette réalité qu’elle ne se définit qu’en l’équilibre d’une relation, apocalypse de nos petits moi.
    Ce ber, Benoît, dont vous parliez si bien, et qui ne trouve sa résolution que dans le pardon à autrui, qui détruit cette illusion que nous serions autre chose qu’une entité ne sachant trouver sa consistance qu’en le désignant comme ennemi, alors que nous n’existons réellement que dans la réconciliation avec lui.
    L’Europe saura-t-elle enfin être à la hauteur des enseignements de ses échecs, et se donner les moyens de défendre la vérité, dont l’expression suffit à la survie de l’humanité ?
    Weil alors plus jamais ne sera confondue avec les miliciens wagnériens sur le chemin d’Emmaüs, où la juste interprétation propose à notre liberté de savoir pleinement l’incarner, ne jamais admirer la force, ne jamais haïr l’ennemi, ne jamais mépriser les malheureux, sans jamais rien croire à l’abri du sort.
    Benoit XVI, encore, disait je ne sais plus où, que nous en étions encore à l’absence du samedi saint, réjouissons-nous, nous qui avons la chance de savoir mesurer notre chance, de la Pâques qui vient, et qu’importe si les montagnes aplanies remplissent les vallées, nous savons avec la plus exacte certitude que, avec ou sans nous, l’esprit d’Amour règnera toujours, et qu’il nous appartient de choisir la liberté de l’incarner, même au prix de la mort désacralisée, qui ne saura alors qu’en sanctifier la si simple proclamation de son éternité.

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  4. Paradoxe mimétique : faire de Zelenski le coupable du désordre, en étant responsable, in fine, de l’apocalypse nucléaire, c’est un peu fort de Girard ! La justification des violents, depuis la fondation du monde, a toujours été la même : les victimes sont toujours coupables…
    Appliquer ce schéma mimétique ancestral (voire archaïque) à la guerre en Ukraine est imparable, S’IL S’AGIT BIEN D’UNE GUERRE CONVENTIONNELLE SEMBLABLE À TOUTES LES GUERRES JUSQU’À LA FIN DU XXe SIECLE. Puisque nous savons, depuis 1990 ans (ou devrions savoir) que LA VICTIME N’EST JAMAIS COUPABLE, il est furieusement temps de sortir du schéma rivalitaire, vicieux et désespérant, pour dénouer les doubles (dire, par exemple, que les Ukrainiens sont des russes comme les autres !), défaire les symétries, concevoir des plans de paix qui ne soient pas des marchandages don-contre-don. Bref, il est urgent de concevoir un monde « post-mimétique » ― ce qui est, finalement, le DEVOIR de tout chrétien. Ou alors, la « montée aux extrêmes » étant la Loi suprême, il ne reste plus qu’à se suicider avant de recevoir le coup fatal !
    Quel est le contre-poison à la rivalité mimétique ?

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  5. Merci Benoît pour cet article qui me frappe par son intelligence de la situation de guerre actuelle, de la pensée de Jean-Pierre Dupuy, et surtout de celle de Girard. Le seul point de divergence se ramène à la fin du texte : le choix que tu fais, tout honorable soit-il, de la justice et de la démocratie :
    « Le choix de la justice en tant que recherche de la vérité, c’est-à-dire le choix de l’état de droit, de la démocratie, est en réalité le plus judicieux pour parvenir à une paix durable. »
    C’est là, je crois que nous en sommes bien conscients tous les deux, notre point de divergence. Non que l’autre choix soit meilleur, évidemment. Mais la pensée girardienne nous conduit à l’impossibilité de choisir, justement ; parce que le choix de la justice, comme tu le démontre d’ailleurs brillamment dans la première partie du texte, se fait nécessairement au détriment de la paix, et inversément. Le dilemme peut se ramener à : paix totalitaire, injuste et violente ; ou justice génératrice de chaos et de violence sans borne. C’est là la conclusion apocalyptique d’Achever Clausewitz, qui est bien plus qu’un livre sur la guerre. Il n’y a que la dimension eschatologique des textes, que tu rejettes viscéralement, qui permette de sortir de cette impasse.

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    1. En réponse à Hervé, je retiens pour ma part « la dimension eschatologique des textes », c’est-à-dire les apocalypses dont les auteurs sont les prophètes, Jésus ou Jean de Patmos. Ils annoncent la fin d’un monde régi par le sacrifice, et donc la destruction du temple, avec toutes les conséquences violentes qui en découlent (« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive », etc.), mais aussi l’advenue imminente (selon Jésus) du Royaume de Dieu.
      Je pense, avec Alison, que le fameux septième jour, le sabbat, n’est pas un jour chômé, mais celui où « le fils de l’homme » et nous-mêmes avons à œuvrer pour parachever la création, dans la liberté qui nous a été donnée, c’est-à-dire sans programme établi (c’est un point de vue également défendu par plusieurs théologiens juifs). C’est pour cette raison que je crois en la démocratie, c’est-à-dire en un système politique ouvert.
      Bien que la guerre actuelle ait des composantes classiques (conquête du territoire), comme le souligne fort justement Joël Hillion, je suis frappé par sa dimension globale et de désinformation, notamment à travers les réseaux dits « sociaux ». Cette guerre n’a d’autre but que de renverser toutes les démocraties, et elle fait beaucoup de dégâts, comme actuellement en France. La guerre mondialisée est avant tout une lutte entre les démocraties et les totalitarismes, et nous sommes obligés de reconnaitre que les totalitarismes incluent toujours une dimension religieuse, que les démocraties ne reconnaissent pas explicitement.
      Enfin, tu écris : « paix totalitaire, injuste et violente ; ou justice génératrice de chaos et de violence sans borne ». À mon avis, la paix n’est possible que dans la poursuite de la justice, mais d’une justice qui se confond avec la recherche de la vérité. Cette recherche engendre nécessairement des débats, des confrontations : il est dans la nature de la démocratie de susciter des débats et des confrontations, notamment lors des « campagnes » électorales. Si le terme de « campagne » est emprunté au vocabulaire guerrier, les élections se substituent précisément à la guerre. C’est une violence contenue, tout le contraire de cette « violence sans borne » qui est la caractéristique de la guerre totale, idéologique ou religieuse. Je suis donc en désaccord sur ce point précis, et c’est même l’idée directrice de mon article que de contester cette vision des choses.

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  6. Je n’ai pas écouté la conférence de JP Dupuy. Mon commentaire ci-dessous fait donc référence à l’article de B Hamot et aux commentaires qu’il a déjà suscités.
    Une remarque générale :
    Dans La Violence et le Sacré, p. 39 (Grasset, 1972) : « Le point de rupture se situe au moment où l’intervention d’une autorité judiciaire indépendante devient CONTRAIGNANTE (c’est Girard qui souligne). Alors seulement les hommes sont libérés du devoir terrible de la vengeance. » Tout est dit, je crois, sur justice, vérité, violence et paix.
    Une remarque spécifique :
    L’Ukraine n’est pas une « émanation » de l’URSS. Au fil des siècles, des différences culturelles profondes s’étaient installées entre les Russes et les Ukrainiens. Par exemple, elle a résisté comme elle a pu à la volonté d’acculturation de son grand voisin tout au long de leur histoire soviétique commune. Emmanuel Todd (historien et démographe) propose une interprétation, issue de ses recherches sur les structures familiales, pour expliquer la résistance à la collectivisation des terres voulue par Staline, résistance qui a conduit à l’Holodomor (1932-33) qui a fait entre 3 et 5 millions de morts par famine. Il propose que c’est la structure familiale nucléaire qui prévalait en Ukraine et qui était incompatible avec le collectivisme, contrairement à la structure familiale communautaire prédominante en Russie, beaucoup mieux adaptée à ce nouveau mode de production.

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  7. Cette réflexion de Benoît Hamot, je la trouve remarquable. Ce que je trouve remarquable, c’est qu’à sa compréhension en profondeur du propos de Dupuy, fondée me semble-t-il sur une compréhension en profondeur de la pensée de Girard interprétant Clausewitz , il associe une prise de position raisonnable : le seul moyen d’échapper au pire est en effet de refuser l’escalade, de refuser la spirale mimétique, de rester attaché à cette idée de justice au nom de laquelle il existe des « crimes de guerre ».

    J’ai retenu de la conférence de JP Dupuy que le « brouillard de la guerre », c’est-à-dire tous les imprévus inhérents à ce genre d’événement, peut ralentir, voire empêcher la montée aux extrêmes quand il s’agit d’une guerre réelle (conventionnelle); mais avec l’armement nucléaire, c’est le contraire : même si aucune décision n’est prise et ne peut raisonnablement être prise pour déclencher la catastrophe, qui serait un suicide collectif, cela peut arriver et a déjà failli arriver…par hasard. La dissuasion est un leurre: nous voici au bord du gouffre, sans recours. Hervé van Baren a le recours des textes apocalyptiques de la Bible. Ce qui lui permet, non seulement de de ne pas désespérer mais d’être dans l’espérance.

    N’empêche que dans l’immédiat, je souscris complètement à ce constat que le totalitarisme a besoin d’ennemis et donc de la guerre et qu’une paix sans justice, telle qu’il veut toujours l’imposer, c’est-à-dire non la paix mais l’ordre totalitaire, est inacceptable. Et je souscris aussi au constat que notre idée de la justice est inséparable de la recherche de la vérité : « c’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité ».

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  8. « Qu’on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même.  »

    http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons4-approfondir.php

    Ainsi, rejoignons l’espérance d’Hervé, car le triomphe est à la vérité, et que le miracle humain tient au simple fait qu’il suffit d’y croire pour le réaliser.

    « Quand il s’agit d’écrire, on est scrupuleux, on regarde de très près, on rejette tout ce qui n’est pas vérité. Mais tant qu’il ne s’agit que de la vie, on se ruine, on se rend malade, on se tue pour des mensonges. Il est vrai que c’est de la gangue de ces mensonges-là que (si l’âge est passé d’être poète) on peut seulement extraire un peu de vérité. Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort. Heureux ceux qui ont rencontré la première avant la seconde, et pour qui, si proches qu’elles doivent être l’une de l’autre, l’heure de la vérité a sonné avant l’heure de la mort.  »

    https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Le_Temps_retrouv%C3%A9,_tome_2.djvu/72

    la vie ainsi est éternelle.

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    1. Heureux hommes qui croient que Dieu a le pouvoir de stopper la violence des hommes, arrêter en vol une attaque nucléaire en cours par exemple ? Je suis d’avis que le Saint-Esprit agit à travers nous, mais que nous sommes libres, y compris de tout détruire, et que cette option est donc possible. C’est pour cette raison que je ne comprends pas très bien en quoi consiste « l’espérance d’Hervé », pour qui la justice est  » génératrice de chaos et de violence sans borne ». Je ne vois là que désespérance au contraire. Mais il y a surement quelque chose qui m’échappe…

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      1. À Hervé : l’apocalypse comme principe intemporel, anhistorique… fort bien. Mais alors, quelle est la différence entre crise et apocalypse ? Apocalypse signifie révélation. Dans ton exposé, par ailleurs brillant, on ne sait plus de quoi on parle, les mots n’ont plus de sens. Pire : on ne voit plus la différence entre la résolution sacrificielle (c’est-à-dire la krisis) et la révélation. C’est d’ailleurs une confusion très intéressante, puisqu’elle met sur le même plan le sacrifice archaïque (la krisis) et le sacrifice chrétien : elle unit des contraires. Tu dis à un moment : « la crise est la solution », ce que tout prêtre antique répétait à l’envi… Or ce qui est particulièrement précieux dans l’anthropologie girardienne, c’est précisément de séparer ces deux principes fondateurs, archaïques et chrétiens. Nous savons à quel point c’est difficile, puisque Girard lui-même est revenu sur sa première appréhension anti sacrificielle du christianisme, pour reconnaitre la pertinence de la version traditionnelle, sacrificielle : mais c’est un sacrifice ultime, qui met fin à l’institution. D’où l’ancrage historique de la Révélation, car l’Incarnation, la Passion et la Résurrection sont des évènements historiques et non reproductibles, tout à l’inverse du rituel religieux, qui utilise des substituts pour reproduire l’évènement fondateur au plus près (en ce sens, l’Eucharistie établit un écart suffisamment grand et signifiant pour ne plus être considéré comme le sacrifice d’un substitut : on est passé à tout autre chose..). La révélation chrétienne est concomitante de la Passion, le voile du temple qui se déchire annonce ce que les prophètes et Jésus ont annoncé et révélé (sens de « apocalypse ») : la fin des sacrifices, pratiqués dans le temple. Le voile qui se déchire fait lien avec le temple détruit, au cours de la guerre civile et de libération qui interviendra quelques années plus tard, en 70. Et ce lien est particulièrement signifiant. Bien entendu, l’histoire humaine n’aura de cesse de rebâtir de nouveaux temples, de nouvelles idéologies en vue de reproduire la formule sacrificielle, mais ces tentatives sont mort-nées, immédiatement identifiées comme l’œuvre du père du mensonge, c’est-à-dire de Satan. Parce que tout est révélé.

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      2. À Hervé : l’apocalypse comme principe intemporel, anhistorique… fort bien. Mais à condition de ne pas confondre crise et apocalypse. Apocalypse signifie révélation. Crise vient de krisis, qui signifie la résolution sacrificielle d’une situation chaotique, de contagion mimétique, spontanée ou artificiellement provoquée par le rite (par exemple : les grèves françaises…) Dans ton exposé, par ailleurs brillant, dans quel sens ces termes sont-ils employés ? Ce n’est pas très clair, si bien que la différence entre la résolution sacrificielle et la révélation s’efface.
        C’est d’ailleurs une confusion très intéressante, puisqu’elle met sur le même plan le sacrifice archaïque (la krisis) et le sacrifice chrétien (la Révélation), le second mettant un terme définitif au premier. Tu dis à un moment, dans ta vidéo : « la crise est la solution », mais c’est ce que tout prêtre antique répétait à l’envi… Or ce qui est particulièrement précieux dans l’anthropologie girardienne, c’est précisément de séparer les deux principes fondateurs, archaïques et chrétiens. Nous savons à quel point c’est difficile, puisque Girard lui-même est revenu sur sa première appréhension anti-sacrificielle du christianisme, pour reconnaitre la pertinence de la version traditionnelle, sacrificielle : mais c’est un sacrifice ultime, qui met fin à l’institution. D’où l’ancrage historique indéniable de la Révélation, car l’Incarnation, la Passion et la Résurrection sont des évènements historiques et non reproductibles, inversement encore au rituel religieux, qui utilise des substituts pour reproduire ad nauseam l’évènement fondateur. En ce sens, l’Eucharistie établit un écart suffisamment grand et signifiant pour ne plus être considéré comme le sacrifice d’un substitut : on est passé à tout autre chose.
        Il est vrai que krisis a changé de sens entretemps, ce qui révèle le désir toujours vivace de revenir à l’antique solution. On aimerait tant pouvoir mettre un terme à la tragédie interminable qui se joue désormais, mais ce n’est justement plus possible : une tragédie, c’est une situation chaotique qui ne trouve pas sa résolution sacrificielle, ce n’est donc pas une krisis. Mes contemporains préfèrent donc employer le mot crise en le vidant de son sens initial. Pour ma part, je préfère la tragédie démocratique, qui contient la violence, dans les deux sens du terme, mais sans avoir besoin de sacrifier des victimes.
        La révélation chrétienne est inséparable de la Passion, le voile du temple qui se déchire annonce l’apocalypse, ce que les prophètes et Jésus ont annoncé et révélé : c’est le sens des apocalypses, qui annoncent la fin des sacrifices pratiqués dans le temple. Le voile qui se déchire fait lien avec le temple détruit, au cours de la guerre civile et de libération qui interviendra quelques années plus tard, en 70. Ce lien est particulièrement signifiant. Bien entendu, l’histoire humaine n’aura de cesse de rebâtir de nouveaux temples, de nouvelles idéologies en vue de reproduire la formule sacrificielle, mais ces tentatives sont mort-nées, immédiatement identifiées comme l’œuvre du père du mensonge, c’est-à-dire de Satan. Parce que tout est révélé.

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      3. Cher Benoît,
        C’est vrai, tu mets le doigt sur des contradictions, en particulier le sens des mots crise et révélation. Mais c’est cette contradiction qui est au cœur de ma vision « apocalyptique ». Je l’assume pleinement.
        D’une part c’est enfoncer une porte ouverte que de dire que les crises dans nos vies sont des lieux/instants de transformation. Bien des personnes en ont témoigné. Il en va de même pour les collectivités humaines.
        D’autre part, il est une crise particulière : la révélation de notre violence. Elle nous est invisible, inconnue. Elle est au centre du message biblique. Tous les prophètes de la Bible témoignent de leur « transformation », conversion en langage religieux, à l’occasion d’une traversée du désert, d’une crise spirituelle, qu’ils présentent dans le même temps comme une rencontre avec Dieu. Isaïe, que je cite souvent, est le plus explicite quant à la nature de cette crise : « Malheur ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, je vis au milieux d’un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ». (Isaïe 6, 5)
        Se reconnaître impur, c’est la manière (discrète) pour Isaïe de dire qu’il se reconnait, lui et sa communauté, comme persécuteur. On pense aussi à St Paul sur le chemin de Damas. Nous pensons tout savoir de la violence, on ne peut pas dire que ce soit un phénomène invisible. Ce qui nous est invisible, c’est notre tendance à l’expulser, à la faire porter par d’autres parce que nous sommes incapables de la porter nous-mêmes. C’est en ce sens que la révélation à tout à voir avec le mécanisme victimaire.
        Quand je parle de crise apocalyptique, c’est de ce moment ou nous réalisons notre participation active ou passive à ce phénomène d’expulsion. Nous réalisons simultanément à quel point toutes nos constructions humaines reposent dessus. Destruction simultanée de notre égo et de notre monde ! Il n’y a pas de pire crise que celle-là ! C’est, nous dit Jésus, celle qui cause des « détresses telles qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu’à maintenant et qu’il n’y en aura jamais plus. » (Mt 24, 21)
        Cette révélation est en soi une crise. Les deux phénomènes sont tellement imbriqués que je me garde bien de distinguer les deux mots.
        C’est ce phénomène, certes pas nouveau mais inédit par son ampleur et sa dynamique, que je tente de repérer dans l’histoire récente.

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  9. Dieu a le pouvoir de stopper en nous-même la violence humaine, là est notre unique pouvoir.
    S’il a ce pouvoir sur nous, pourquoi ne l’aurait-il pas sur vous ?
    Car tout se joue entre nous, qui avons individuellement l’occasion d’en développer la toute justice.
    Pour le reste, ne reste que l’espérance d’une réciprocité positive.
    Dieu n’existe qu’au cœur de ceux qui y croient, cette toute simplicité est le miracle de l’incarnation qu’il nous est offert de partager.

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  10. Je viens d’écouter la vidéo « Révélation et crise » dont fait mention Hervé Van Baren dans son dernier échange avec Benoît Hamot.
    J’ai trouvé cet exposé remarquable, clair et concis. Sauf la chute, très abrupte, à laquelle je ne m’attendais pas. Que signifie cette phrase « Encore 40 jours et le monde sera sens dessus dessous », qui conclut cette analyse ? Est-ce une façon de parler de la période de carême que traversent les chrétiens en ce moment et qui aboutit à Pâques ? De dire que la seule solution pour résoudre la crise, c’est de se convertir à l’évangile ?

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      1. Hervé, la citation de Matthieu fait clairement référence à la destruction de Jérusalem, c’est-à-dire à la fin du système sacrificiel organisé par le temple ; plus loin il est écrit : « En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé » (Mt 24, 34).
        Mais je reconnais la pertinence de tes observations sur les similarités entre conversion et apocalypse : cela ne se produit pas sans détruire nos « temples », c’est-à-dire l’emploi habituel de la violence et de la dénonciation : ce mot tellement à la mode, qui agite le wokisme et la cancel-culture, comme tu le signales fort justement. Dénoncer: pour résoudre nos conflits, et notre propension à détourner les yeux, à masquer ce mécanisme d’expulsion, à accuser systématiquement les autres, comme les enfants : « c’est pas moi, c’est lui qui a commencé… ». On entend ça tous les jours à propos des violences qui secouent notre pays… Je n’ai pas entendu un seul « intellectuel » évoquer le mimétisme des acteurs!
        Par contre, confondre le plan collectif, historique, et les multiples expériences individuelles de conversion, je trouve cela non seulement inexact, facteur de confusion, et surtout dangereux. Attendre la krisis sous la forme de ce « jugement dernier » confondu avec les prophéties bibliques, les apocalypses, cela ressemble furieusement au système sacrificiel que l’on prétend dépasser. Cela consiste surtout à nier la Révélation qui a déjà eu lieu, à travers la Passion et les évènements décrits dans les apocalypses. En reconnaissant au contraire que nous vivons désormais dans le Royaume, que tout est révélé, même si la plupart ne le savent pas, nous coupons l’herbe sous les pieds des armées vengeresses qui sont en train de nous détruire, et qui agissent poussées par un projet eschatologique, de nature religieuse, sous l’impulsion de Khomeiny ou autres islamistes, de Kyrill ou autre chrétien épris de croisade, de Lénine, Pol Pot ou autre illuminé du « Grand soir » marxiste…
        Alors bien sûr, je ne porte aucune accusation envers ceux qui pensent que les apocalypses décrivent des évènements à venir. Je veux simplement mettre le doigt sur la similitude entre toutes les eschatologies, et les confusions qui s’ensuivent. J’ai été frappé dernièrement par le témoignage d’une catholique Lithuanienne, écœurée d’avoir entendu le prêche d’un curé déclamant son soutien à Poutine, sous le motif que « tuer les corps n’a pas d’importance lorsqu’il s’agit de sauver les âmes », sous-entendu : les âmes des occidentaux perverties par la pédophilie, etc. Mais tout cela, je l’ai déjà dit…

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  11. Quel Royaume, Benoît !
    Des milliards d’individus qui fonctionnent sacrificiellement alors que nous savons sur quel mensonge meurtrier est fondée l’institution, c’est la simple observation du phénomène qui en dénonce le vice, l’erreur, l’injuste au sens de faux, observation immédiatement expulsée par les déchainements ataviques.
    l’apocalypse a commencé dès la mort du Christ sur la croix, il nous reste à chacun de vivre cette réalité intimement et d’en témoigner, tout altérés d’amour, vie et patience protégée par le souverain bien, qui est la paix.
    Les chameaux couleur fauve sont les aspirations spirituelles :

    Désir ardent

    Le désir ardent s’élève, serein,
    Et ma résignation parcourt la plaine.
    Je me trouve alors entre le plateau de Najd
    Et la basse et torride Tihama.

    Voilà deux contraires
    Qui ne peuvent se rencontrer!
    Jamais, ma dispersion ne trouvera
    Un temps pour les épousailles!

    Comment faut-il faire? Quelle ruse inventer?
    Ô, conduis-moi doucement,
    Toi, mon censeur sévère.
    Par tes reproches,
    Ne m’afflige point!

    De profonds soupirs s’exhalent,
    Par degrés ils s’élèvent.
    Sur mes joues,
    Des pleurs abondants se répandent.

    Les chameaux couleur fauve
    Aspirent à leur terre natale.
    Les sabots usés par la marche,
    Ils geignent, tout altérés d’amour.

    Après leur passage,
    Ma vie n’est qu’extinction.
    Que la paix protège
    Ma vie et la patience!

    Ibn’Arabi,
    L’interprète des désirs.

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    1. Lc.16, 16 : « Jusqu’à Jean ce furent la loi et les prophètes ; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé …et tout homme est forcé d’y entrer (Tresmontant) …et tout homme déploie sa force pour y entrer (T.O.B.) …et tous s’efforcent d’y entrer par violence (E.B.J) »
      Mt.11, 12 : « Depuis les jours de Iohanân l’Immergeur [Jean-Baptiste], jusqu’à maintenant, le royaume des ciels se force, et les forts s’en emparent. (Chouraqui) »
      Les différentes traductions donnent des sens différents à ces affirmations récurrentes dans les évangiles, mais je pense que toutes sont valables, dans des contextes différents. Ce qui est important, c’est qu’il est évident pour les rédacteurs des évangiles, et pour les premiers chrétiens que le Royaume de Dieu commence avec l’incarnation du fils de l’Homme, ou du fils de Dieu (les deux formules étant employées indifféremment, semble-il).
      Cette tessère à l’effigie de Jésus-Christ, de type « du Campo dei Fiori » est le plus ancien portrait de Jésus connu (je n’ai pas réussi à la placer dans le texte, mais on trouve des images sur le net). Sur le revers figure en lettres hébraïques : « Le Messie a régné. Il vint pacifiquement, et, devenu la lumière de l’homme, il vit. » Sans doute les chrétiens persécutés mêlaient-ils cette tessère avec la menue monnaie – à l’effigie de César ou de tel autre dieu païen – afin de passer inaperçus en cas de fouille. Plus tard, les tessères seront percées et transformées en médailles, manifestant ainsi la fin de la clandestinité.
      À notre époque, où le pape a pris la place de l’Empereur romain, où on trouve une église dans chaque village, on en est venu à croire que le Royaume est à venir… Et je n’insisterai pas davantage sur l’apocalypse… La foi, c’est-à-dire la certitude de la vérité annoncée par Jésus, a disparu du cœur des enfants gâtés de la chrétienté. Ils voudraient sans doute que ce Royaume ressemble au jardin d’Éden ? Quelle régression ! Ou bien à une sorte de sinécure pour retraités méritants, fatigués par 2000 ans de génuflexions ?
      Pourtant, il est évident que l’advenue d’un nouveau Royaume, et qui se prétend universel, ouvert à tous les hommes, ne peut qu’irriter considérablement les royaumes établis depuis la fondation du monde, et qui se croient forcément légitimes par ce simple fait (j’ai proposé un article sur Job qui dégage une problématique similaire, nous aurons à y revenir…). Les puissances et les principautés ont fait, font et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour annihiler le Royaume, dont la venue est annoncée par les prophètes et Jean Baptiste, puis établi par « le Christ Pantocrator », c’est-à-dire ressuscité, dans la gloire. Mt. 10, 35 : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée ». Et vous voudriez que cela tombe tout cuit, du ciel ?

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      1. Rien ne tombera tout cuit du ciel, car tout est au cœur de l’homme.
        Tant que chaque individu n’aura pas fait l’apprentissage de la résurrection en lui-même, les traductions emploieront toujours les langages de la force pour établir la justice.
        Je ne vous contredis pas, Benoît, je partage un sentiment.
        La sensation qu’effectivement, nous en sommes encore au Baptiste, encore indignes de dénouer la sandale, à ne savoir répondre au scandale que par le scandale, justifiant la force par incapacité à être justes, refusant finalement le royaume par incapacité à l’établir en nous-mêmes, à l’image des Gadaréniens :

        « 34Alors toute la ville sortit à la rencontre de Jésus; et, dès qu’ils le virent, ils le supplièrent de quitter leur territoire. »

        https://saintebible.com/lsg/matthew/8.htm

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      2. J’ai la même vision, Aliocha. C’est vrai que tout s’accomplit sur la croix ; mais pas dans le monde, ça se saurait. Il y a quelque chose d’inachevé, non dans la Passion et la Résurrection, mais dans la façon dont nous concevons ces événements.
        « Et comme le sort des hommes est de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, ainsi le Christ fut offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude et il apparaîtra une seconde fois, sans plus de rapport avec le péché, à ceux qui l’attendent pour le salut. » (Hébreux 9, 27-28)
        Tout est résumé dans ces versets : la conception sacrificielle de la Croix nous barre l’entrée du Royaume, mais un jour nous serons capables de reconnaître la victime innocente, de « faire l’apprentissage de la résurrection en nous-même », ou, comme le dit si bien St Paul, « il apparaîtra une seconde fois, sans plus de rapport avec le péché ». Tout a déjà eu lieu, tout reste à faire.

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      3. Ce qui brouille un peu le débat à mon avis, c’est la confusion entre la conversion individuelle et le collectif (le politique, l’économique, le religieux). Il est bien évident que tout le monde n’est pas converti au christianisme, il est tout aussi évident que nous ne vivons plus dans un système politico-économico-religieux sacrificiel. C’est la démocratie qui nous a permis d’en sortir, et ce depuis que les grecs ont abandonné l’institution de l’ostracisme (selon Louis Gernet). Ce que je trouve particulièrement grave à notre époque, c’est ce retour du religieux justifiant la guerre ou le terrorisme au nom d’un but défini à atteindre, d’une vision de l’avenir, d’une eschatologie, et en ce sens, une forme d’écologie radicale a pris la place du marxisme : ce sont deux religions séculières. Il semble que mes contemporains reprochent à la démocratie de ne pas indiquer de but, d’idéal, de Parousie, de Grand soir, de soumission à Gaïa… La démocratie étant structurellement conflictuelle (les élections, le parlement…) elle ne peut en effet faire figure d’idéal à atteindre. Sauf pour ceux qui ont subi les conséquences de son absence, ils en sont les plus ardents défenseurs.
        Résister à la tentation totalitaire qui promet un idéal de paix et de réconciliation, cela demande de la force. Nous en avons trop longtemps manqué, parce que nous l’avons dénigré en la confondant avec la violence. Nous ne cessons de nous accuser et d’accuser nos pères, et tant de chrétiens jouissent de se sentir coupables, y compris lorsque l’ennemi les agresse (tendre l’autre joue… ou tout au moins refuser de voir ce qui a lieu). Je pense, comme il est écrit dans les évangiles, qu’il faut effectivement déployer sa force pour entrer dans le Royaume, au lieu de faire de sa faiblesse, une vertu. Une force qui tire son énergie de la certitude de la vérité qui nous a été révélée par Jésus : c’est le sens du mot « foi ».

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      4. Le libéralisme sous sa forme actuelle et ancienne est un système sacrificiel.
        Cela a été démontré avec la réforme récente des retraites par de brillants économistes.
        Au vu du sang versé lors de la crise des gilets jaunes mais également pour défendre des mega bassines qui pompent dans le sous sol commun cela devrait être une évidence.
        Ici beaucoup de gens pensent avec le logiciel des années 80 ou 2 systèmes s’affrontaient et ou le capitalisme avait su se réformer suite au scandale de 29 et de la guerre de 39 45.
        Nous ne vivons plus la même époque.
        Pardon.
        Le Far West américain, le plus rétrograde de qui s’est fait dans ce pays est en train de s’imposer aux autre nations démocratiques.
        Et ce n’est pas de l’anti américanisme primaire. Mon USA est celle de Roosvelt d’Eishenower de Kennedy pas la ploutocratie Texane qu’a imposé Reagan et ses successeurs qu’ils soient démocrates ou Republicains.

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      5. Rien compris.
        Les idéologies ‘écologistes de même et socialistes qu’elles soient marxistes ou pas peuvent être éminement chrétienne (c’est l’athéisme marxiste qui est condamné).
        Je rappel à Monsieur Hamot éminent rétrograde que le libéralisme a été mis à l’index par le Pape Benoît XV.
        Soyons un peu sérieux aujourd’hui le libéralisme triomphe et cette idéologie est hautement sacrificielle.
        Sacrifice des petits au profit des plus riches.
        La réforme des retraites actuelle en est la plus belle preuve.
        Quoi de plus banal?
        L’Amérique que j’admire a savoir celle des années 30 puis des années d’après guerre n’était plus libérale.
        Ce sont les Etats Unis qu’a connu René Girard et dans lesquels il s’est épanoui.
        Aujourd’hui il n’en est plus du tout question. Pire !!! Sont considérés comme de dangereux socialistes athée anti dieu des gens qui veulent faire machine arrière.

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      6. Vous nous expliquerez tout de même en quoi ce n’est pas sacrificiel de retirer deux ans de vie de travailleurs humbles ou les services publics (hôpitaux écoles transports) pour rembourser une dette faramineuse et au passage enrichir des organismes financiers.
        Pour moi ça c’est du sacrifice on est en plein dedans.
        Pourquoi l’espérance de vie des pays occidentaux baisse alors que le P.I.B de ces pays ne cesse de croître?
        Une réponse monsieur Hamot?
        Aucune puisque vous êtes fanatisé par votre idéologie.
        Sous Saint Augustin l’esprit se déployait également pourtant le monde s’éffondrait.

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  12. Nous voilà donc à l’instant où Jupiter s’aperçoit qu’il ne doit son pouvoir qu’à la croix qui attend son deuxième corps, et les gardiens du temple bientôt détruit à nouveau érigent encore les guillotines, brioche de la race pure des identités définitivement perdues aux extrêmes de toutes les vengeances, espérant en la force pour détruire la force.
    S’affolent les démoniaques, s’effraient les pastoureaux quand le troupeau des pourceaux au vide se précipite pour périr dans les eaux violentes.
    La cité, voyant les revenus injustes de son commerce sombrer au plus profond, supplie le Juste de passer son chemin et de quitter son territoire.

    https://saintebible.com/lsg/matthew/8.htm

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  13. « La tragédie attique, du moins celle d’Eschyle et de
    Sophocle, est la vraie continuation de l’épopée. La pensée
    de la justice l’éclaire sans jamais y intervenir ; la force y
    apparaît dans sa froide dureté, toujours accompagnée des
    effets funestes auxquels n’échappe ni celui qui en use ni
    celui qui la souffre ; l’humiliation de l’âme sous la
    contrainte n’y est ni déguisée, ni enveloppée de pitié
    facile, ni proposée au mépris ; plus d’un être blessé par la
    dégradation du malheur y est, offert à l’admiration.
    L’Évangile est la dernière et merveilleuse expression du
    génie grec, comme l’Iliade en est la première ; l’esprit de
    la Grèce s’y laisse voir non seulement en ce qu’il y est
    ordonné de rechercher à l’exclusion de tout autre bien « le
    royaume et la justice de notre Père céleste », mais aussi
    en ce que la misère humaine y est exposée, et cela chez un
    être divin en même temps qu’humain. Les récits de la
    Passion montrent qu’un esprit divin, uni à la chair, est
    altéré par le malheur, tremble devant la souffrance et la
    mort, se sent, au fond de la détresse, séparé des hommes
    et de Dieu. Le sentiment de la misère humaine leur donne
    cet accent de simplicité qui est la marque du génie grec, et
    qui fait tout le prix de la tragédie attique et de l’Iliade.
    Certaines paroles rendent un son étrangement voisin de
    celui de l’épopée, et l’adolescent troyen envoyé chez
    Hadès, quoiqu’il ne voulût pas partir, vient à la mémoire
    quand le Christ dit à Pierre : « Un autre te ceindra et te
    mènera où tu ne veux pas aller. » Cet accent n’est pas
    séparable de la pensée qui inspire l’Évangile ; car le
    sentiment de la misère humaine est une condition de la
    justice et de l’amour. Celui qui ignore à quel point la
    fortune variable et la nécessité tiennent toute âme
    humaine sous leur dépendance ne peut pas regarder
    comme des semblables ni aimer comme soi-même ceux
    que le hasard a séparés de lui par un abîme. La diversité
    des contraintes qui pèsent sur les hommes fait naître
    l’illusion qu’il y a parmi eux des espèces distinctes qui ne
    peuvent communiquer. Il n’est possible d’aimer et d’être
    juste que si l’on connaît l’empire de la force et si l’on sait
    ne pas le respecter.
    ….
    De plus l’esprit de l’Évangile ne s’est pas transmis pur
    aux générations successives de chrétiens. Dès les
    premiers temps on a cru voir un signe de la grâce, chez les
    martyrs, dans le fait de subir les souffrances et la mort
    avec joie ; comme si les effets de la grâce pouvaient aller
    plus loin chez les hommes que chez le Christ. Ceux qui
    pensent que Dieu lui-même, une fois devenu homme, n’a
    pu avoir devant les yeux la rigueur du destin sans en
    trembler d’angoisse, auraient dû comprendre que seuls
    peuvent s’élever en apparence au-dessus de la misère
    humaine les hommes qui déguisent la rigueur du destin à
    leurs propres yeux, par le secours de l’illusion, de l’ivresse
    ou du fanatisme. L’homme qui n’est pas protégé par
    l’armure d’un mensonge ne peut souffrir la force sans en
    être atteint jusqu’à l’âme. La grâce peut empêcher que
    cette atteinte le corrompe, mais elle ne peut pas
    empêcher la blessure. Pour l’avoir trop oublié, la tradition
    chrétienne n’a su retrouver que très rarement la
    simplicité qui rend poignante chaque phrase des récits de
    la Passion. D’autre part, la coutume de convertir par
    contrainte a voilé les effets de la force sur l’âme de ceux
    qui la manient. »

    Cliquer pour accéder à Weil-L_Iliade_ou_le_poeme_de_la_force.pdf

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