Conflit Russie-Ukraine : un éclairage sacrificiel par l’Evangile selon St Jean

par Hervé van Baren

La Russie, la Chine, l’Iran, la Syrie, l’Inde : des nations, des peuples, des cultures en crise qui n’ont pas appris à se passer des structures sacrificielles, des mythes fondateurs. On pourrait y ajouter la France, l’Allemagne, les Etats-Unis ; nous ne sommes pas si différents. Lorsqu’une crise interne vient ébranler la confiance du peuple en sa culture, en son identité, menacer la cohésion sociale, brouiller l’avenir, apparaît toujours le phénomène dont nous allons parler dans cet article : la régression sacrificielle.

L’article que Le Monde du 24 février dernier consacre aux relations entre (nombreux) proches de part et d’autre de la ligne de front en Ukraine1 est à cet égard très éclairant. Il témoigne d’un déni tellement fort, de la part des Russes, de la réalité de l’agression que subit l’Ukraine, que l’adhésion sans faille à l’absurde propagande du Kremlin l’emporte largement sur les liens affectifs, amicaux et familiaux, conduisant en retour à la haine envers « les Russes », devenus masse indifférenciée. Le crédit donné à des ridicules tentatives de faire revivre les anciens mythes remplace la foi en la relation. Ce divorce brutal sera sans doute la conséquence la plus durable du conflit, qu’elle qu’en soit l’issue.

C’est le même phénomène que décrit Emmanuel Dubois de Prisque dans son livre : La Chine et ses démons2, terrifiant ouvrage qui nous montre à l’œuvre le phénomène collectif de régression sacrificielle. Aucune analyse des conflits contemporains par la pensée occidentale classique ne permet de découvrir cette dimension invisible, la seule pourtant capable d’expliquer la dérive nationaliste et militariste de grandes nations, de grandes cultures. St Jean nous en donne une description elle aussi terrifiante, quand on veut bien mettre de côté l’interprétation sacrée, au chapitre 6 de son évangile.

Résumons le chapitre. Une foule nombreuse assiste au miracle de la multiplication des pains (v. 1-15). Le parallèle est fait avec la manne céleste donnée au peuple hébreu dans le désert (v. 31-33). Progressivement, le pain donné à profusion cède la place à la chair prise « pour avoir la vie éternelle ». L’interprétation symbolique centrée sur la notion de sacrifice remplace les images de l’Eucharistie par une description sans concession de la tendance humaine à résoudre les crises par le sacrifice d’innocents. On peut lire le chapitre comme une énième annonce de la Passion, mais je pense que Jésus va plus loin dans la révélation de notre violence, sa prophétie est plus universelle encore. Le don gratuit de l’amour, qui prend sa source au ciel et descend sur l’humanité, dérive lentement vers le sacrifice le plus archaïque, le cannibalisme, la volonté de gagner l’immortalité par l’appropriation de la vie même de l’adversaire. Ce que Jean nous montre, ce sont les deux extrêmes de l’échelle sacrificielle, de la fausse transcendance construite sur la violence la plus extrême, jusqu’au don gratuit de l’amour qui en est l’exacte antithèse. Seulement, il ne nous montre pas la lente progression dans l’histoire qui nous éloigne de la première pour nous rapprocher du second ; il nous montre la brutale régression sacrificielle d’une communauté en crise. Jésus nous dit, en substance, qu’aucun verni civilisationnel ne nous protège d’une telle régression, que tout dépend de la gravité de la crise qui met en danger notre survie.

La parabole de Jésus est loin d’être explicite ; le sens sacrificiel se cache derrière des formules ambigües, telles que « vie éternelle », qui apparaît au verset 27, pour revenir à partir du verset 47 en une litanie qui coïncide avec un profond changement de sens, jusqu’à devenir la récompense du massacre d’un innocent. Comme souvent chez Jean, c’est la dynamique du texte qui nous donne la clé d’interprétation, dynamique qui part du miracle d’une résolution par le don de l’amour, pour sombrer lentement vers la solution sacrificielle, avant d’accélérer jusqu’à la finale sanglante et déshumanisante de l’anthropophagie (v. 54-58).

Cette révélation est insupportable aux Juifs (v. 60), d’autant qu’ils se voient, à juste titre, comme les mieux équipés par leur culture pour résister à la tentation de la résolution sacrificielle. En prophétisant la Croix, et pire que la Croix, Jésus prophétise aussi l’effondrement de leur système légal et religieux, de tous les systèmes politiques, légaux et religieux. Folie et scandale que cette prophétie ! On retrouve une des caractéristiques de la Bible : en dévoilant le mécanisme victimaire elle en précipite le déclenchement dans ses formes les plus extrêmes. C’est la définition même de l’Apocalypse, à la fois révélation et catastrophe incommensurable que cette révélation déclenche.

Jean nous éclaire aussi sur la conscience ambiguë que nous avons du phénomène. Les témoins du miracle de la multiplication des pains voient la résolution anti-sacrificielle de la crise à l’œuvre, ils reçoivent un signe (v. 14). Ils sont informés de la possibilité de sortir de la crise par le renoncement aux idoles de ce monde et la confiance inconditionnelle dans l’amour. Seulement, nous dit le texte à plusieurs reprises, ils n’y croient pas. Ce n’est pas de raison qu’il est question, mais de foi. La proposition de Jésus est parfaitement raisonnable et on ne peut plus concrète, elle est même démontrée. « Vous m’avez vu et pourtant vous ne croyez pas » (v. 36). Nous savons tout de l’amour et de son pouvoir de guérison, mais nous ne croyons pas ; voilà résumée la tragédie de notre espèce. A ce manque de foi répond le cri du cœur de Pierre : « Tu as des paroles de vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu. » (v. 68, 69). C’est le Logos divin qui donne vie ; le sacrifice n’apporte que la mort.

Voilà le véritable enjeu de la guerre en Ukraine, et d’autres à venir, s’il y en a d’autres. Il n’y a pas d’autre sortie possible du conflit que cette conversion radicale à l’amour, au Logos de l’amour, parce que toutes les recettes sacrificielles sont épuisées, à part peut-être le sacrifice total par l’holocauste nucléaire. Alors même que nous connaissons comme jamais les dangers d’une escalade, nous y cédons, comme poussés par une force tragique et incoercible. Nous sommes entraînés malgré nous vers la montée aux extrêmes théorisée par Girard. La raison en est que toutes nos tentatives d’échapper au sacrifice sont sacrificielles. Elles postulent toutes que la seule façon de mettre fin au conflit est de punir le méchant qui en est à l’origine. Le problème n’est pas la régression sacrificielle de la Russie, contre celle-là nous sommes impuissants. Le problème, c’est la nôtre.

Girard l’avait prédit, nous nous dirigeons rapidement vers l’épuisement des solutions sacrificielles, jusqu’à nous retrouver devant le choix ultime : y renoncer ou périr.

1Le Monde, Pour les Ukrainiens, il n’existe plus de « bons Russes ». Par Faustine Vincent, le 24/2/2023

2Emmanuel Dubois de Prisque, La Chine et ses démons, Aux sources du sino-totalitarisme, Odile Jacob, 2022. Voir la recension de ce livre dans  l’article de l’Emissaire : L’histoire et l’actualité de la Chine éclairées par la théorie mimétique, par Jean-Marc Bourdin.

36 réflexions sur « Conflit Russie-Ukraine : un éclairage sacrificiel par l’Evangile selon St Jean »

  1. Sacré dilemme : si l’occident cesse d’armer l’Ukraine pour se défendre, l’ours russe sacrifiera cruellement la population ukrainienne. Si nous poursuivons et intensifions notre aide, ns contribuons à nourrir la violence du conflit. Comment sortir du conflit par l’amour? Je ne vois qu’une issue = l’auto sacrifice du peuple ukrainien! C’est tout de même beaucoup leur demander non?

    Aimé par 4 personnes

    1. J’en conviens volontiers. Presque personne ne prend Girard au sérieux. Une exception notable cependant : Achever Clausewitz a été bien reçu dans les milieux militaires, et les rares voix qui mettent en garde contre la montée aux extrêmes viennent de ce milieu, ce qui est tout de même assez paradoxal.

      J’aime

      1. Hervé: Je ne vois pas de paradoxe ici … ceux qui pratiquent un métier sont mieux à même de savoir de quoi il s’agit me semble-il. Quand à demander aux ukrainiens d se sacrifier pour nous, ce serait un mauvais calcul (un calcul cynique, cela va sans dire), et les militaires le savent bien aussi: Poutine et Kirill ont bien précisé qu’ils n’avaient pas l’intention de s’arrêter là… Nous sommes hélas revenus aux temps des guerres saintes. Pour les agresseurs, la mort ne compte pas, puisque le paradis des « martyrs » les attend.

        Aimé par 1 personne

      2. Cher Hervé,

        Mon père était officier. Comme beaucoup de ceux qui ont fait la guerre, il n’était pas du tout belliciste. Les politiques et les peuples le sont souvent plus que les militaires.

        Aimé par 2 personnes

  2. Le déni du sacrifice humain en cours est parlant. Chaque jour, des centaines de jeunes hommes meurent de part et d’autre de la ligne de front et les médias relèvent un mort civil ici, deux morts civils là. Ces vies sacrifiées n’existent que dans l’affrontement des nombres : 100 000 vs 80 000 (ou l’inverse) dans la bataille de la propagande.

    « Alors même que nous connaissons comme jamais les dangers d’une escalade, nous y cédons, comme poussés par une force tragique et incoercible. »
    Nous n’est pas nous. Nous sont les dirigeants et ce n’est pas une accusation gratuite. Nous n’a pas été consulté. En France, le président a décidé seul, sans consultation de l’assemblée, du sénat, du gouvernement, du peuple par référendum, de quiconque. Comment réclamer du président qu’il envoie des diplomates aguerris plutôt que des armes ?

    Girard le dit bien, quand deux rivaux (ici le camp occidental et le camp russe) se disputent le tiers convoité, la destruction du tiers n’a pas d’importance du moment que l’autre ne le gagne pas. Les dirigeants mus par le mimétisme montent aux extrêmes sauf que nous ne sommes pas derrière eux. Ce sont eux seuls, sans leur peuple. Pour enrayer le mécanisme, il faudrait briser l’illusion, présenter que la foule n’est pas unanime, rappeler que la paix passe par la diplomatie. Manifester notre désaccord. Mais comment ?

    Aimé par 1 personne

    1. C’est la Russie qui convoite, nous nous portons, bien modestement et sans nous engager physiquement, au secours de sa proie, conscients de l’appétit immodéré du prédateur. Nous ne convoitons rien. Il n’y a donc pas de rivalité mimétique dans ce conflit, mais une solidarité entre démocraties, contre le totalitarisme des empires.

      J’aime

      1. Et le camp d’en face ripostera que faire entrer le territoire de l’Ukraine dans l’Otan est un signe fort de convoitise etc etc. Dans la bataille des mots qui double la bataille du sang, le coupable est l’autre et l’accusation est commune. Voilà pourquoi il faut des diplomates aguerris, capables de négocier la paix au nom de l’humanité et ce, avant que chaque nation soit sommée de choisir son camp puis de livrer son quota de chair humaine à la dévoration commune.

        Donner une chance à la paix, c’est dépasser la haine de l’ennemi. Malheureusement la régression sacrificielle est très plaisante puisqu’elle permet de noyer nos rancunes particulières dans la grande haine justifiée. Et tout la justifie, le droit, l’économie, la culture, le culte etc puisque toute institution repose sur le sacrifice.

        À défaut de diplomates bâtisseurs de paix, l’alternative des girardiens pourrait être d’unir les deux camps en se constituant leur ennemi commun : ceux qui osent proposer la paix. Ainsi ouvrir à chaque humain la possibilité de rallier la paix ou de plonger dans les joies du sacrifice. Le pape semble la seule personne et institution capable d’ouvrir cette voie. Un appel à toute personne de bonne volonté de se manifester publiquement comme partisan de la paix (du prince de la paix pour les chrétiens) et moi j’irai.

        Aimé par 1 personne

  3. La question que se pose le « girardien », celui ou celle qui adhère de tout son cœur et de tout son esprit à la « démythification » de la violence, à l’explication de sa genèse dans le mimétisme humain, au constat que cette violence (réciproque, donc) se déchaîne sous nos yeux, c’est : « Y a-t-il une violence légitime ? » Plus précisément, « une guerre peut-elle être juste? »
    En se fondant sur l’existence d’un droit international et sur le fait que la Russie et non l’Ukraine l’a délibérément violé, foulé aux pieds, agissant comme si seul un rapport de forces pouvait régler les conflits entre nations, on peut penser comme Benoît Hamot que notre solidarité avec l’Ukraine doit nécessairement prendre le chemin de vouloir cette guerre défensive et de la soutenir de notre mieux. Comment ne pas voir aujourd’hui qu’il s’agit là pourtant d’une guerre selon la définition qu’en donne Clausewitz : « un acte de violence et il n’y a pas de limites à la manifestation de cette violence. Chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes. » ?
    Je retiens cette expression d’Hervé : « le piège sacrificiel », nous sommes en effet piégés. Si nous ne voulons pas « sacrifier » le droit international et sacrifier l’Ukraine, il nous faut accepter le sacrifice de milliers de vies, de millions de vie en réalité, car les victimes d’une guerre ne sont pas seulement les morts mais les survivants. C’est une lancinante question : y a-t-il un impératif de justice qui puisse justifier une guerre et si oui, lequel ? N’y a-t-il aucune autre alternative que celle-ci : tuer ou être tué ?

    Aimé par 3 personnes

    1. Je suis bien entendu d’accord avec Christine pour soutenir les ukrainiens, et leur fournir ce qu’ils nous demandent, c’est à dire des armes. Par contre, je pense que le premier chapitre de « De la guerre », de Clausewitz, ne permet pas d’analyser ce qui se passe réellement. Nous pas que je donne tort à cet auteur, il s’agit d’un ouvrage fondamental, mais il est évident que la formule : « Chacun des adversaires fait la loi de l’autre » ne s’applique plus, puisque nous ne suivons pas la loi suivie par Poutine (la loi du plus fort), et il ne suit pas la notre (le droit international). Je suis donc d’avis que la pensée de Clausewitz correspond à un état d’esprit qui avait effectivement cours au XIXe siècle, et qui est dépassé dans les démocraties, et particulièrement en Europe. Bien sur, Poutine est resté dans cet état d’esprit, et il veut accréditer une logique mimétique qui est la sienne propre (faire accroitre que la Russie est agressée pour justifier l’agression) et il se soutient même de doctrines guerrières antérieures (guerre de religion) pour donner un sens à cette folie. Mais considérer, comme Clausewitz le pose, que « la guerre est un duel à une plus vaste échelle », ce serait donner raison à Poutine, c’est à dire participer à son opération de propagande et de désinformation. Car nous ne répondons justement pas de façon mimétique: personne n’envisage de détruire la Russie.

      J’aime

      1. Mais si, Benoît, la guerre en cours, comme toutes les guerres, justes ou pas, est soumise à la « loi du plus fort » et c’est bien pour que les Ukrainiens finissent par l’emporter, par la force bien entendu, (il n’existe apparemment pas d’autre moyen) que nous leur fournissons des armes. Et, pour ma part, je ne vois aucune raison de se réjouir en entendant dire qu’à Bakhmout, les soldats russes tués au combat sont quatre ou cinq fois plus nombreux que les soldats ukrainiens.

        Aimé par 2 personnes

      2. Personne ne se réjouit devant ces cadavres, pas même les soldats ukrainiens qui sont en face… Ce serait les insulter que de le croire. On peut défendre sa vie et son pays sans haine (toujours cette confusion entre hostis et inimicus…. erreur fondamentale à l’origine du pacifisme chrétien). Je ne saisis donc pas le sous-entendu sur le fait de « se réjouir », si c’en est un. Quand à la loi du plus fort, elle est imposée par l’agresseur. Il y a donc bien une forme d’entrainement mimétique dans tout conflit, et c’est précisément contre cette pente dangereuse qu’il faut résister, en girardiens avertis, tout en relevant le défi puisqu’on n’a pas le choix . Je regrette de constater que ce n’est pas le cas à la lecture de certains commentaire, qui suivent cette pente glissante. Je ne cesserai jamais de protester contre cet aveuglement. Les hommes qui se battent de part et d’autre sont tous dignes de respect, mais les causes sont différentes: c’est cela qu’il s’agit de discerner, or ces commentaires montrent le contraire sous le couvert d’une bonne conscience pacifiste, surplombante et méprisante: comme si les résistants n’aspiraient pas à la paix… Encore une fois, confondre agresseurs et agressés est une option qui me stupéfie. Je ne pourrai jamais le comprendre, ni l’excuser.

        Aimé par 1 personne

    2. Une guerre peut-elle être juste ? Il y a qq temps, j’écoutai sur YouTube la chanson de Brassens « les deux oncles » (1964). Je posai précisément cette question au milieu du concert de louanges habituel des forums YouTube. Et à la fin des commentaires, je découvris celui-ci : « Une chanson ignoble qui déshonore son auteur », suivi de dizaines de réponses. Je savais que cette chanson avait brouillé durablement Pierre Louki (dont le père, résistant, était mort en déportation) et Brassens. Non, mettre sur le même plan un résistant et un collabo, ce n’était pas juste, et ça ne l’est tjrs pas. Dans cette chanson, il ne s’agissait pas de « querelles d’Allemand » (Brassens), mais bien de s’opposer à la barbarie. Comme aujourd’hui, avec la guerre déclenchée par Poutine pour annexer l’Ukraine (et plus) afin de reconstituer l’Empire Russe.

      Aimé par 1 personne

  4. La question de la guerre juste hante le christianisme depuis St Augustin. Elle se heurte à l’apparente incompatibilité entre les opinions exprimés ici, le droit, et même le devoir de lutter contre la barbarie, et les préceptes du sermon sur la montagne.

    « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »

    Nous n’en sortirons pas par la morale. Il me semble que la lecture sacrificielle pourrait proposer une ébauche de solution. Ce que le texte de Jean nous montre, je pense, c’est que la foule sacrificielle, qui bientôt réclamera la peine de mort pour Jésus, n’a rien à voir avec la barbarie. Ce sont des Juifs rassemblés pour la Pâques, ce sont les représentants de la culture la plus avancée dans la connaissance du mécanisme sacrificiel, les moins disposés, a priori, d’avoir recours à la résolution sacrificielle de la crise. Et pourtant, ils le font.
    Nous utilisons, au sujet des Russes, le terme barbares, or c’est un non-sens. C’est un pays de très grande culture, une grande civilisation, avec un passé violent certes, mais de ce côté-là nous n’avons pas de leçons à donner. C’est le pays de Dostoïevski et de Tchaïkovski. Nous avons utilisé les mêmes termes pour désigner l’Allemagne nazie, or l’Allemagne est le pays de Bach et de Goethe. Le contraire de barbares.
    Voilà bien la preuve des thèses girardiennes, de la réciprocité violente. La Russie a sombré dans la crise et a basculé dans la régression sacrificielle. Le défi pour nous est de ne pas nous laisser entraîner dans cette spirale descendante, mais le discours dominant montre que c’est précisément ce que nous faisons. Je propose donc l’interprétation suivante : Les Évangiles ne nous disent pas de nous laisser massacrer, ou de regarder l’Ukraine se faire massacrer sans réagir. Ils nous disent de ne pas céder à la réciprocité violente, de ne pas imiter la haine des Russes pour l’Occident. De toujours garder à l’esprit la grande nation, l’âme russe si bien chantée par ses écrivains géniaux. Il n’est pas nécessaire de haïr pour se défendre. C’est spirituellement que nous devons résister, c’est comme cela que j’entends : ne pas suivre la loi de l’autre.
    Pensez-vous que ce soit possible ? Séparer le discours des actes ? Dire aux Russes : nous vous aimons et nous sommes navrés de ce qui vous arrive, nous sommes prêts à vous aider à en sortir ; dans le même temps, bien entendu, rester ferme sur la défense de nos valeurs… et de nos territoires.
    Je repensais l’autre jour au contraste entre les issues politiques des deux guerres mondiales. L’humiliation du traité de Versailles, honte et châtiment pour le perdant, avec les conséquences que l’on sait ; et le plan Marshall, l’aide à la reconstruction de l’Allemagne, avec pour conséquence la poignée de main entre Mitterrand et Kohl 40 ans plus tard, et des décennies de paix pour nous, du jamais vu.
    On va encore me le reprocher, mais je trouve que le discours que Macron et Scholz essayent timidement de tenir, ne pas humilier la Russie, garder une porte ouverte pour le futur, me semble aller dans le bon sens. Simplement, il faudrait être plus audacieux encore.
    Je suis désolé Nathalie, mais dans ce processus je pense que les politiciens, aussi éclairés soient-il, sont obligés de suivre leur opinion public. Nous, c’est bien nous. Le sacrifice est réalisé par les prêtres, mais derrière il y a toujours une foule.

    Aimé par 1 personne

    1. Nous nageons me semble-il, en pleine confusion.
      D’abord, en réponse à Hervé : le sermon sur la montagne n’est pas un discours politique. « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » est notoirement une mauvaise traduction, il faut lire « face » et non « joue », ce qui donne, en français moderne : « montre-lui un autre visage ». Un conflit mimétique voit les visages des protagonistes se ressembler, se rejoindre dans une même expression crispée. Il s’agit de changer l’expression de son visage, de rompre la réciprocité mimétique, de ne pas imiter le visage de l’autre. De lui sourire par exemple… Jésus parle ici d’ennemis intimes (inimicus). Si le sermon sur la montagne avait eu des visées politiques, il aurait été question de l’occupation romaine et de la collaboration des élites juives, c’est-à-dire de l’hostis. Il en parlera, bien sûr, mais de façon masquée, à travers des paraboles, et l’on sait que ces précautions n’ont pas suffi…
      Néanmoins, sur la distinction hostis-inimicus, on peut considérer que Russes et Ukrainiens ne sont pas des étrangers. Ils parlent tous le russe, ont de la famille des deux côtés de la frontière, des artistes et écrivains transnationaux, etc. Il s’agit donc d’une sorte de guerre civile, une guerre fratricide, et du point de vue poutinien, les Ukrainiens sont des séparatistes sous influence étrangère, ce qui n’est pas tout à fait faux (eh oui, le rideau de fer est tombé…). La guerre qui sévit ne sépare donc pas des nations, si ce n’est d’un point de vue formel, évident, mais plus profondément ceux qui croient en la démocratie d’un côté, et ceux qui acceptent le totalitarisme russe, mélange d’orthodoxie eschatologique et de cosmisme, avec des relents communistes. De ce point de vue, Poutine est proche de Lénine, qui n’a pas voulu attendre que s’accomplisse la prophétie marxiste : inversion eschatologique des classes dominantes sous l’effet des tares du capitalisme. Il a donc provoqué la révolution par la force d’un coup d’état. Si cette guerre a un côté positif, ce sera, je l’espère, de mettre un terme à toute eschatologie (chrétienne, cosmiste, marxiste…).
      La ligne de partage entre les ennemis (hostis) ne sépare donc pas les Russes et les Ukrainiens. De très nombreux résistants russes soutiennent les combattants ukrainiens, ils sont du même bord et font preuve du même courage, et doivent être soutenus, encouragés. Leurs ennemis sont tous ceux qui font preuve de lâcheté en acceptant le joug de la dictature mafieuse qui occupe le pouvoir en Russie. Dans cette configuration particulière, il est impossible de soutenir un discours pacifiste indifférenciant les ennemis, et je suis désolé de faire remarquer à Nathalie que la position du pape a été ambigüe, pour ne pas dire scandaleuse au début, en reprenant les arguments de Poutine… Heureusement, ses conseillers lui ont apparemment demandé de se taire…
      Je suis donc d’accord avec Hervé sur la nécessité de ne pas « imiter la haine des Russes pour l’Occident », à ceci près que je ne crois pas en la réalité de cette haine : ce serait encore accréditer une propagande officielle qui n’a d’autre but que d’attiser la violence, de galvaniser les troupes. Quant à la référence à Jean, je la trouve tout simplement déplacée, on l’aura compris. Et je ne parle même pas de l’eschatologie chrétienne, dite « apocalyptique », car elle fait partie intégrante de l’idéologie orthodoxe de Poutine et Kirill (je n’y reviendrai pas, ayant assez débattu sur ce thème…).

      J’aime

    2. Négocier la paix n’est donc pas l’issue des girardiens qui s’expriment ici. L’issue consiste à laisser les belligérants à leur haine mutuelle et croissante et à encourager de fait les massacres en refusant toute idée de paix et en fournissant des armes toujours plus puissantes, de part et d’autre. Toute autre attitude est du pacifisme et le pape qui ne cesse d’appeler à la paix est pacifiste et le Christ est le prince du pacifisme. Tout ceci n’est pas sérieux.

      Avant le plan Marshall, il y a eu la conférence de Postdam où les pays vainqueurs ont fixé les nouvelles frontières des pays vaincus. Pourquoi ne pouvez-vous même pas envisager une conférence de paix avant la guerre mondiale, afin de l’éviter ?

      Et savez-vous, Hervé, votre phrase est terrible si vous remplacez Juifs par girardiens.
      « Ce sont des Juifs rassemblés pour la Pâques, ce sont les représentants de la culture la plus avancée dans la connaissance du mécanisme sacrificiel, les moins disposés, a priori, d’avoir recours à la résolution sacrificielle de la crise. Et pourtant, ils le font. »

      J’aime

      1. J’ai la prétention de me croire girardien, et je suis engagé en non-violence depuis de nombreuses années, et pourtant je me reconnais parfaitement dans ce portrait des Juifs. Je sais que je suis à risque de plonger, moi aussi, dans la haine mimétique, dans la régression sacrificielle. Pacifiste n’a pas grand chose à voir avec non-violent, ni même chrétien. On ne négocie pas avec un « terrorisé », ce qui définit bien mieux l’état d’esprit des Russes aujourd’hui que le mot « terroriste », toujours complice de la rivalité mimétique. On peut seulement, comme le dit Benoît, lui montrer un autre visage que le sien, déformé par la haine.

        Aimé par 2 personnes

      2. Nathalie, comment ne pas frémir et réfléchir devant cette phrase « terrible » ? Mais comment tous les girardiens et non-girardiens, me semble-t-il, ne seraient-ils pas d’accord avec vous pour préférer une « conférence de la paix » qui se tiendrait AVANT une guerre mondiale, afin de l’empêcher, à une conférence de la paix qui se tiendrait sur un champ de ruines? Mais il n’y a pas de « précédent » historique pour un tel événement, les « accords de Munich » sont de sinistre mémoire.

        J’ai posé la question de la « guerre juste » : c’est une aporie, pour moi, une question insoluble. Le fait est que certains d’entre nous ont décidé d’y répondre, soit par l’affirmative (il y a le camp des défenseurs du droit et le camp des barbares) soit comme vous par la négative. Ce sont des prises de position respectables, mais la première consiste à vouloir la guerre (défensive) et à vouloir la gagner à tout prix et la seconde a quelque chose d’irréaliste. On se sent comme dit si bien Hervé pris au piège du « sacrificiel », toujours puissamment actif dans notre mentalité et dans notre monde et qui ne peut plus résoudre économiquement la question de la violence ; il en justifie au contraire le déchaînement. Je pense en lectrice de Girard que Clausewitz parle adéquatement de la guerre moderne et donc de ce qui se passe en Ukraine et que nous vivons des temps apocalyptiques.

        Aimé par 2 personnes

    3. « Emmanuel Macron a reconnu qu’il avait péché par naïveté à l’égard de Vladimir Poutine, mais cette confession était-elle bien sincère ? » Titre d’un article du Monde du 09/03/2023, une tribune de l’historien Antoine Arjakovsky. Intéressant… et assez inquiétant aussi. On comprend mieux la méfiance des ukrainiens envers Macron.

      J’aime

  5. Je souscris à ce que dit Hervé : les hommes politiques sont toujours, ou presque, ce qu’en font l’équilibre ou le déséquilibre de leurs opinions publiques, elles-mêmes multiples et antagonistes. Penser l’inverse (à savoir que s’ils nous écoutaient, nous le peuple, ou bien s’ils étaient convenablement informés, rationnels et attentifs au bien commun, les choses iraient mieux, mais que comme ils ne le font pas ce sont eux les responsables des malheurs du temps) penser l’inverse, donc, et rendre les politiques exclusivement responsables de notre situation, revient à se situer dans la logique sacrificielle et émissaire. Ce qui, je crois, est par ailleurs parfaitement dans la logique du politique : le rôle essentiel d’un dirigeant (pharaon, roi, empereur ou président) est bien de souder un groupe sur sa personne, adorée ou sacrifiée selon le moment.

    En revanche, l’idée de s’appuyer sur la « culture » du pays agresseur pour ne pas céder à la haine que l’agressé finit par éprouver envers lui me renvoie à la situation en France dans les années 40-41, dont le Silence de la mer est emblématique, avec son personnage d’officier allemand éclairé et cultivé qui finit, au fur et à mesure de la prise de conscience de la terreur nazie, par être le symbole d’une forme de collaboration avec l’ennemi.
    Ou encore à l’opposition entre Soljenitsyne et Chalamov au sujet des conséquences de l’existence des camps du Goulag, entre possible rédemption et lucidité désespérée.
    Ou enfin à une phrase du jeune Debray, où celui-ci affirmait « qu’on ne monte pas à l’assaut d’un nid de mitrailleuse en songeant au respect qu’on doit à l’ennemi », ou quelque chose comme ça. Seuls les observateurs dont l’existence ne dépend pas de la destruction du nid de mitrailleuse peuvent imaginer cela. Il se trouve que pour l’instant, nous sommes encore ( c’est peut-être une illusion) dans cette position. L’étape suivante est la loi martiale, dont la place qu’elle accorde à l’amour est bien connue. La fin des haines n’advient alors qu’avec le passage du temps et la disparition des générations concernées.

    Il me semble évident, pour ma part, qu’un pays entier, héritier ou pas ( ! ) d’une riche civilisation, peut basculer à tout instant dans la barbarie, propagande et désignation d’un ennemi mortel et commun aidant. Je crois même que c’est le cas général, et que les Européens ont failli l’oublier. Cette barbarie, pour le plus grand nombre, prend toujours le misérable visage du consentement passif : « ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ». Mais cela ne doit pas nous leurrer.

    Comme plusieurs commentateurs l’ont dit, nous sommes piégés et l’incendie fait rage. On peut toujours déplorer qu’il fallait agir avant son déclenchement ; mais quelles opinions publiques, et donc quels dirigeants, y étaient alors prêts ?
    Autrefois, une guerre s’arrêtait quand il y avait un vainqueur définitif, ou bien quand l’épuisement conduisait les ennemis à conclure un traité. Ce que dit Nathalie, et que certains n’hésitent pas à renvoyer à la propagande russe qui cherche à pousser les opinions publiques vers la négociation, dont on sait ce qu’en pense un Poutine, tout comme un Hitler ou un Staline, entre autres, qui ne respectent jamais in fine les traités qu’ils signent, me paraît tout aussi respectable et illusoire que le pacifisme en 1938.
    On ne voit pas pourquoi, guerre nucléaire ou pas, ce serait différent aujourd’hui.

    Aimé par 4 personnes

    1. Merci Alain, je me reconnais dans vos propos, y compris la critique de ma proposition « culturelle » (l’allusion à Vercors est on ne peut plus juste). J’essayais maladroitement de rappeler que les barbares d’un jour sont souvent les modèles d’hier.

      J’aime

    2. Je réagis aussi à cette phrase : « Autrefois, une guerre s’arrêtait quand il y avait un vainqueur définitif, ou bien quand l’épuisement conduisait les ennemis à conclure un traité.  » Quitte à risquer une lecture girardienne de la guerre, ne peut-on pas remplacer cette proposition « classique » par : « de tout temps, les conflits s’arrêtent lorsqu’on estime que le sacrifice de sa propre population a atteint le niveau requis ». Le film « Fanfan la Tulipe » (de 1952), irrévérencieux et antimilitariste, voyait le roi de France se retourner, fâché, vers ses généraux, parce que l’ennemi avait été vaincu sans tirer un seul coup de feu. Et le roi de leur reprocher : « Eh bien, messieurs, où sont ces 10 000 morts que vous m’aviez promis ? » Ou encore Jefferson : « L’arbre de la liberté a fort souvent besoin d’être nourri avec le sang des patriotes et des tyrans. »

      C’est une idée elle aussi terrible, parce que si vraiment le moteur des guerres est le besoin de purifier la nation, non seulement en faisant couler un sang impur, mais aussi le sang de ses propres enfants, alors toutes les doctrines nucléaires basées sur la dissuasion, c’est-à-dire sur le bon sens, s’avèrent fausses dans leur principe.

      Aimé par 2 personnes

      1. Il me semble, Hervé, que la dissuasion nucléaire n’a rien à voir avec le sacrifice, qui est une violence économique et pourquoi pas prophylactique. Donc appétissante, presque. Espérer débarrasser une collectivité de son mal en la « purifiant », ce n’est pas la même chose que de savoir qu’en exterminant tout le monde dans le camp ennemi, on s’expose à être soi-même totalement exterminé.

        J’aime

      2. Christine, je peux me tromper, mais il me semble que Girard avait eu l’intuition, ou la révélation, d’un retour du sacré précisément avec la mise en place de la dissuasion nucléaire, « la bombe » (le singulier est notable) prenant la place d’une nouvelle divinité terrifiante, mais dont la particularité est d’être une invention purement humaine, tangible. Le dieu violent et pacificateur à la fois, c’est à dire le paradoxe sacrificiel, s’incarne alors dans cet objet révélateur. Le fait que nous ayons besoin de cette violence potentielle et absolue pour maintenir la paix révélerait à ses yeux cette « chose cachée depuis la fondation du monde ». Évidemment, nous avons remplacé les coûteux sacrifices humains par un sacrifice financier, destiné à nourrir cette bête affreuse, cette sorte de minotaure (où cela rejoint ma thèse, et celle de Laum, de la monnaie comme substitut ultime d’une victime humaine originelle).

        Aimé par 1 personne

  6. La Russie de Poutine est barbare et n’a rien à voir avec celle de Dostoïevski et de Tchaïkovski, tout comme l’Allemagne nazie était barbare et n’avait rien à voir avec celle de Bach et de Goethe. Voilà bien 40 ans que je me pose cette question : comment le pays le plus civilisé du monde à l’époque (même en ne considérant que ses élites intellectuelles et artistiques) a-t-il pu produire la pire barbarie que le monde ait connue ? J’ai de plus en plus le sentiment que les éléments déclencheurs d’une guerre diffèrent tous selon le contexte historique, géopolitique, économique, etc. mais que, in fine, ce que Eva Illouz (cf. son dernier livre : « les émotions contre la démocratie ») appelle l’amour de la patrie, et que je nommerai plus volontiers la haine de l’ennemi (ou la régression sacrificielle, si l’on préfère) sont communs. En 1945 à Potsdam, les Occidentaux fixent les nouvelles frontières de l’Allemagne, la désarment et la démocratisent, mais sans l’humilier comme en 1919. De plus, le traité est signé qq jours seulement avant Hiroshima. Ici, on pourrait à nouveau renvoyer au travail de Mme IIlouz qui voit la peur de disparaître comme l’émotion la plus puissante entre toutes. Cette peur existentielle domine un pays comme Israël p. ex., et explique selon elle la dérive populiste à laquelle on assiste là-bas. J’allais oublier : avant Potsdam, l’Allemagne nazie avait été vaincue par les armes.

    Aimé par 2 personnes

    1. Ne peut-on pas voir une énorme différence entre les deux guerres ?
      Pour la première les Alliés étaient victorieux et ne craignaient plus personne qui aurait pu limiter leurs appétits.
      Pour la deuxième, la présence d’un rival potentiel en l’URSS les obligeait à voir plus loin et à se donner un futur allié dans l’Allemagne. D’où la main tendue.

      J’aime

      1. Je présume Alain que vous faites référence aux deux guerres mondiales du XXème siècle. Pour aller au bout du raisonnement, songez à l’échec du projet de communauté européenne de défense en 1954 qui conduit l’Allemagne à recréer une armée et intégrer l’OTAN un an plus tard. Mais le vrai réarmement commence après l’annexion de la Crimée en 2014, et surtout maintenant (100 Mds d’€ quand même). Au-delà de ces considérations militaires, je pense que les Occidentaux avaient tiré plusieurs leçons après la fin de la deuxième guerre, dont une principale, à mon avis : ne pas humilier le vaincu (dès 1958, de Gaulle reçoit Adenauer à Paris).

        Aimé par 2 personnes

      2. J’ai vécu en Allemagne quelques années, et lorsque le sujet de la guerre venait dans une conversation, quelqu’un m’a demandé de ne pas dire « les Allemands », mais « les nazis ». Il devrait en être de même pour la situation actuelle. C’est plus difficile parce que l’idéologie composite de Poutine n’a pas de nom. Devra-on dire « les poutiniens » et non pas « les Russes », afin de respecter tous ceux qui ne suivent pas ce psychopathe? Peu importe au fond, l’essentiel, c’est de savoir faire la différence. Vaste question, qui est hélas écrasée en temps de guerre, ce qui est sans doute son aspect le plus pernicieux (mais la sociologie critique ou sa base marxiste, par exemple, participent également à cet écrasement des différences). Toujours est-il que oui, il ne faut certainement pas humilier les Russes, mais bien au contraire, permettre aux résistants de relever la tête, d’être fiers de ce qu’ils sont, y compris en soulignant la légendaire capacité de résistance du peuple Russe. Tout dépend contre quoi s’exerce cette résistance…

        Aimé par 2 personnes

  7. Benoît Hamot : aucun de nous deux ne se trompe : « les hommes ont toujours trouvé la paix à l’ombre de leur propre violence sacralisée et c’est à l’abri de la violence la plus extrême aujourd’hui encore, qu’ils cherchent cette paix. Dans un monde toujours plus désacralisé, seule la menace permanente d’une destruction totale et immédiate empêche les hommes de s’entre-détruire. C’est toujours la violence, en somme, qui empêche la violence de se déchaîner. »
    Je disais seulement à Hervé, qui s’inquiète de la folie humaine que cette folie a sans doute des limites aujourd’hui comme hier. Et que le sacrifice ( objectif et subjectif) des soldats russes et ukrainiens, c’est plus dans l’ordre ou mieux, dans le désordre des choses humaines que le suicide collectif. Les menaces de Poutine comme ses mensonges signalent les limites de sa puissance, sont les signes de son impuissance. Non ?

    Aimé par 3 personnes

    1.  » Nous devons surmonter notre rage et notre dégoût, nous devons les faire partager, afin d’élever et d’élargir notre action comme notre morale « .
      Voilà ce qu’écrivait René Char dans le maquis de Provence qu’il commandait en 1944, pour résister aux atrocités qu’il voyait commettre, et qu’il se voyait forcé de commettre.

      J’aime

      1. Cela arrive souvent que je ne comprenne pas d’emblée ce que disent les poètes. Voyons : surmonter le dégoût et la rage qu’inspirent des atrocités commises en temps de guerre, cela permettrait d' »élargir notre action », c’est-à-dire de continuer le combat, de passer outre pour faire ce qu’on a à faire ? Et « faire partager » cette rage et ce dégoût, cela voudrait dire les exprimer, ne surtout pas les passer sous silence ? Cela permettrait de ne pas renoncer à la morale, de continuer de distinguer le bien et le mal?
        Parce que le problème, là, ce n’est pas de savoir si la guerre est juste, les résistants ne se posaient pas la question, mais d’accepter de commettre l’injustice ; l’urgence morale serait de ne pas « se faire une raison », comme ont dû le faire, par esprit de vengeance et souci d’efficacité, certains « appelés » d’Algérie dans les chambres de torture. C’est ça ?

        Aimé par 2 personnes

  8. Par définition le bien souverain étant la paix, nous ne pouvons qu’encore constater que nous ne savons la garantir qu’en justifiant la force, car nous ne sommes encore réunis que par la soumission honteuse au mal, la guerre.

    « Ils aiment mieux la mort que la paix, les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l’amour paraît si fort et si naturel. »

    http://www.penseesdepascal.fr/Vanite/Vanite17-moderne.php

    « 7Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. 8Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, 9et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. 10C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »

    https://saintebible.com/lsg/2_corinthians/12.htm

    À l’endroit du péril, fortifions la justice, toute puissance de notre faiblesse.

    Aimé par 2 personnes

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :