
par Hervé van Baren
Dans les applications informatiques, quand on a besoin d’une fonctionnalité qui n’est pas présente par défaut, on utilise un script, autrement dit on modifie le logiciel en programmant cette fonctionnalité. On passe du prêt-à-porter à la haute couture, en quelque sorte. L’auteur de la vidéo qui suit (et qu’il n’est pas nécessaire de regarder pour comprendre l’article) voulait régler un problème rencontré lors de l’utilisation de sa boîte mail.
Ne trouvant pas de solution intégrée, il se décida à programmer un script. Il précise ne plus avoir programmé depuis 2015. Plutôt que de se mettre à jour, il lui vint l’idée de demander à une IA (intelligence artificielle) de la dernière génération d’écrire le script pour lui. Sur base de quelques instructions textuelles, ChatGPT (1) lui fournit un code informatique en moins de deux secondes. Il fallut quelques ajustements pour rendre le script opérationnel, mais l’auteur se rendit compte que les erreurs du premier programme traduisaient des imprécisions dans ses instructions.
Les dernières applications d’IA, disponibles gratuitement sur internet, ne révolutionneront pas seulement l’informatique ; elles vont bouleverser le monde. C’est un de ces sauts qualitatifs dont il est impossible d’appréhender tous les effets. Nous venons à peine d’en vivre un : Internet a transformé notre monde au-delà des prévisions les plus optimistes et alarmistes. Internet a ruiné de très nombreuses activités économiques, les agences de voyage, le monde de l’image, les centres commerciaux, l’édition, la poste, etc., tout en créant un nombre considérable de nouvelles opportunités. L’IA semble bien partie pour prendre le relais.
ChatGPT rédige votre devoir ou votre thèse à partir des consignes du professeur, en quelques secondes. ChatGPT écrit une lettre de motivation crédible. ChatGPT crée votre roman, votre article, votre lettre d’amour.
Enfant de la révolution Internet, l’auteur de la vidéo se plaignait de l’immobilisme du monde technologique dans lequel il avait grandi. A présent, il se dit qu’il aurait dû réfléchir à ce qu’il demandait. La rupture technologique majeure est là, et il craint d’être parmi celles et ceux qui seront relégués aux oubliettes du progrès. Tout ce qu’il a appris – écrire et parler correctement, maîtriser la complexité des codes informatiques, faire la promotion de son travail – risque de devenir, en assez peu de temps, parfaitement inutile. Les robots, après avoir remplacé le travail manuel, puis le travail administratif et répétitif, s’attaquent à présent aux dernières chasses gardées de l’humain : la création intellectuelle et artistique (2).
La révolution industrielle nous a sortis de la misère en substituant les machines aux muscles. La révolution informatique a permis d’automatiser la gestion de ce monde mécanisé, forcément plus complexe, en nous libérant de tâches ingrates et abrutissantes (qu’on pense aux « pools dactylos » des films des années cinquante). La révolution Internet a permis le monde global, les échanges instantanés. La révolution de l’IA nous promet un monde dans lequel une grande partie de la production intellectuelle sera générée par des machines. L’intellect, l’érudition, la maîtrise de la belle langue seront démonétisées. Non qu’il deviendra inutile de penser, bien sûr. Ce que j’écrivais il y a quelques temps sur l’IA (3) est toujours valable. L’IA ne fait que brasser de gigantesques bases de données pour imiter ce que d’autres ont déjà fait. L’IA est, fondamentalement, du mimétisme artificiel, et rien d’autre.
Pourtant, ce serait une grave erreur de sous-estimer l’impact de l’IA sur le monde académique et intellectuel. Qu’on m’autorise une analogie avec la programmation informatique. Un programme repose sur un algorithme, une fonction mathématique utilisant les lois de la logique. L’algorithme en lui-même est le résultat d’un acte de pure création, inaccessible à l’IA. Cependant, premièrement, cet acte de création a peut-être (et même sans doute) déjà été réalisé par quelqu’un d’autre, auquel cas l’IA vous dispensera de cet effort intellectuel. Deuxièmement, la part purement algorithmique d’un programme représente généralement quelques lignes perdues dans un logiciel de plusieurs milliers de lignes de code. Tout le reste sert à l’interface homme-machine et à la circulation des données et représente un travail harassant sans réelle originalité.
Il en va de même pour la production intellectuelle. Les idées novatrices, en soi, ne représentent qu’une fraction du travail. Le reste se répartit en rédaction, correction, mise en page ou en image, édition, publication, présentation, promotion. Or c’est ce « tout le reste » qui sera, vraisemblablement dans un futur beaucoup plus proche que nous ne l’imaginons, délégué à la machine.
Il est vraisemblable que le phénomène déjà constaté avec les révolutions précédentes se répétera. La cohorte des intellectuels se retrouvera sans ouvrage (et sans revenus), au profit de quelques petits malins qui auront fait le deuil de l’ancien monde avant les autres, et réalisé le potentiel de cette rupture technologique. Ces entrepreneurs sans scrupules s’octroieront le monopole de la création intellectuelle en proposant les services de l’IA, ou en utilisant l’IA pour automatiser la production intellectuelle de demain. Ils seront les équivalents des GAFAM (4) d’aujourd’hui pour le monde intellectuel, au détriment des acteurs actuels, les écoles, universités, maisons d’édition, chercheurs, auteurs…
Faut-il s’en lamenter ? Faut-il se ruer dans la compétition pour faire partie des heureux élus qui, n’en doutons pas, viendront grossir les rangs des multimilliardaires, au détriment de tous les autres, condamnés à la paupérisation et au désœuvrement ? Si 5 pourcents de la population suffisent à gérer la production matérielle et immatérielle nécessaire à la marche du monde, comment occuper les 95 pourcents qui restent ?
Cette crise n’est pas nouvelle, elle a commencé avec la migration des populations rurales vers les villes, pour faire tourner les usines. Pourtant, jamais nous n’avons anticipé les formes successives qu’elle prendrait, pas plus que nous ne sommes capables d’anticiper les effets de son dernier avatar, l’IA. Il reste à donner sens à la crise, à en transcender les effets nocifs et désespérants.
René Girard, après avoir constaté l’effet disruptif de la révélation biblique sur l’ordre violent du monde, en concluait que pour survivre à l’inexorable montée aux extrêmes qui en découle, il nous fallait renoncer définitivement au mimétisme d’appropriation, au mécanisme sacrificiel, à la violence. Cette profonde conversion se fait par l’introspection, la remise en question, le travail spirituel, la rencontre de l’altérité. Pour cela, il faut dégager du temps, tout comme il a fallu dégager du temps sur les tâches manuelles pour améliorer l’éducation, par exemple. Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas que la technologie est salvatrice en soi, je n’ai aucun atome crochu avec les thèses scientistes. Mais en nous libérant de la nécessité de travailler pour vivre, la technologie, si souvent décriée, dégage un espace qui nous permet de nous concentrer sur ce qui nous fait réellement vivre : la relation.
Le monde, on le dit assez, est rempli de misère et d’injustice ; mais nous n’avons pas le temps, occupés comme nous le sommes à des tâches pourtant superfétatoires parce que remplaçables, et de plus en plus, par la machine, ou alors quand nous avons du temps nous le consacrons aux loisirs, dans l’espoir vain que ceux-ci combleront le vide de nos vies. Alors nos anciens pourrissent dans des mouroirs inhumains, nos SDF survivent à l’hiver dans des cartons, nos jeunes, désœuvrés, se tournent vers la délinquance ou se perdent dans le monde virtuel. Le travail nous semblait jusque-là une valeur incontournable et donnait sens à notre vie, mais il n’y en a plus assez pour tout le monde, loin s’en faut. La seule manière de survivre moralement à la fin du travail est de le remplacer par quelque chose d’encore plus noble. Je propose : s’occuper les uns des autres.
(1) ChatGPT est un robot de dialogue gratuit en ligne utilisant les dernières technologies en intelligence artificielle. Il utilise la technologie Open AI.
(2 ) En même temps que ChatGPT apparaissent des applications telles que Dall-E 2 permettant de générer des images artificielles à partir de simples descriptions textuelles du résultat souhaité.
(3) Voir l’article I.A. pour Imitation Artificielle, https://emissaire.blog/2018/09/21/i-a-pour-imitation-artificielle/
(4) GAFAM : acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
Une précision : ce texte n’a pas été écrit par une IA. Par contre, le texte repris ci-dessous est un dialogue avec ChatGPT.
Exemple de dialogue en temps (quasi) réel avec ChatGPT :
Je précise que cela m’a pris moins d’un quart d’heure pour me connecter au site, créer mon compte individuel et réaliser le dialogue reproduit ci-dessous. Toutes mes excuses pour l’anglais (on pourra traduire automatiquement avec une des IA de traduction disponibles sur le net).
HvB : Do you know René Girard ?
ChatGPT : Yes, René Girard (1923-2015), was a French historian, literary critic, and philosopher, best known for his contributions to the fields of anthropology, literary theory, and cultural studies. He is particularly famous for his theory of mimetic desire, which explains how human beings are driven by a desire to imitate the desires of others, and how this can lead to conflict and violence in human societies.
Girard’s work has been influential in a number of academic fields, including anthropology, sociology, psychology, theology, and philosophy. He has written many books, including « Violence and the Sacred, » « Things Hidden Since the Foundation of the World, » and « I See Satan Fall Like Lightning. » His ideas have been controversial, but they have also generated a great deal of interest and discussion.
HvB: Tell me how the scapegoat mechanism works according to René Girard.
ChatGPT : According to René Girard, the scapegoat mechanism is a way that societies deal with conflicts and violence. The scapegoat mechanism works in the following way:
Mimetic Desire: Human beings are mimetic, which means that we learn our desires by imitating the desires of others. This can lead to competition and conflict when two or more people desire the same thing.
Mimetic Rivalry: When mimetic desire leads to conflict, it can quickly escalate into mimetic rivalry, where the desire for the same thing becomes intensified and more urgent. This can create a dangerous and volatile situation in society.
Scapegoating: In order to resolve the mimetic rivalry and restore social order, the society often chooses a scapegoat – a person or group of people who are blamed for the conflict and punished as a result. The scapegoat is often seen as a source of evil or a threat to the community, and their punishment is believed to restore balance and harmony to the society.
Sacrifice: The punishment of the scapegoat is often a form of sacrifice, where the scapegoat is offered up to a higher power in order to restore peace and order. The punishment of the scapegoat is believed to purge the community of its violent tendencies and restore social cohesion.
Girard argued that the scapegoat mechanism is a recurring pattern in human societies, and that it can have both positive and negative effects. While the scapegoat mechanism can be effective in resolving conflicts and restoring order, it can also be unjust and cruel, and it can perpetuate cycles of violence and scapegoating.
HvB: What’s the condition for the scapegoat mechanism to be effective, i.e. to restore peace?
ChatGPT : According to René Girard, the scapegoat mechanism can be effective in restoring peace and order in a society only if the following conditions are met:
The scapegoat must be guilty: The scapegoat must be perceived as responsible for the conflict or violence that the society is trying to resolve. If the scapegoat is not seen as guilty, then the punishment of the scapegoat will not be effective in restoring peace.
The scapegoat must be innocent: At the same time, the scapegoat must also be perceived as innocent of any other wrongdoing or sin. If the scapegoat is seen as guilty of other sins or crimes, then the punishment of the scapegoat will not be effective in restoring peace.
The punishment of the scapegoat must be collective: The punishment of the scapegoat must be a collective act, carried out by the entire society, in order to restore social cohesion. If the punishment is carried out by a subset of the society, or if it is done in a way that is perceived as unjust or arbitrary, then the scapegoat mechanism will not be effective in restoring peace.
The violence must be contained: The violence that is unleashed during the scapegoating process must be contained and directed towards the scapegoat alone. If the violence spills over to other members of the society, or if it continues after the punishment of the scapegoat, then the scapegoat mechanism will not be effective in restoring peace.
It is important to note that while the scapegoat mechanism can be effective in restoring peace and order in the short term, it does not address the root causes of the conflict or violence. In the long term, the society may need to address the underlying issues that led to the conflict in the first place in order to achieve lasting peace.
HvB : Your second point is not accurate. The victim cannot be recognized as innocent or the mechanism will be ineffective. The whole mechanism is based on ignorance.
ChatGPT : You are correct, I apologize for the mistake. In Girard’s theory of the scapegoat mechanism, the scapegoat is indeed not recognized as innocent, but rather perceived as guilty of some offense or wrongdoing, even if that perception is not based on actual guilt or wrongdoing. The mechanism relies on a collective illusion that the scapegoat is responsible for the society’s problems, and the scapegoat’s punishment is seen as necessary to restore social order.
Therefore, the second condition for the scapegoat mechanism to be effective is actually that the scapegoat must be perceived as guilty, rather than innocent. The scapegoat mechanism relies on a collective delusion that the scapegoat is responsible for the society’s problems, and the scapegoat’s punishment is seen as necessary to restore social order. Thank you for bringing this to my attention and allowing me to clarify.
Pas bête la machine , elle imite le meilleur d’elle même !
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Je recommande aux lecteurs du blogue un roman d’anticipation du génial Kurt Vonnegut Jr de 1953 (je n’étais pas né…) intitulé dans sa traduction française « Le pianiste déchaîné » où le principe était la substitution à l’homme de la machine dès lors qu’elle se révélait plus performante. Dès lors, la plupart des emplois qui restaient humains étaient faiblement qualifiés et correspondaient à des activités de récupération et de reconstruction. Ceux-ci ont encore de beaux jours : la collecte pneumatique des ordures ménagères n’est pas pour demain. Pensons aussi aux métiers de l’aide à la personne que le vieillissement de la population va multiplier. Egalemebt aux artsans. Quant à l’éducation, les neurones miroirs semblent nécessiter au moins au démarrage, une coprésence que le distanciel est incapable de simuler. Hervé a raison : le travail « intellectuel » et particulièrement les « bullshit jobs » risquent de souffrir davantage que les activités relationnelles et manuelles.
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J’ai raté la signature. Je me dénonce donc : le commentateur s’appelle Jean-Marc Bourdin.
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En point de comparaison, cet article du site « En attendant Nadeau » sur le discours de ChatGPT reltif à une correspondance (supposée) de Marcel Proust et Guillaume Apollinaire…
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Voici le lien oublié (pardon…)
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/02/15/chatgpt-mythomane-artificiel/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=newsletter-n-168
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Le robot est-il à même de réfléchir sur lui-même ?
Il serait intéressant de lui demander s’il se considère lui-même comme mimétique, donc persécuteur.
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je suis entièrement d’accord avec la nécessité de développer la relation à l’autre.
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Merci Hervé pour ton article sur l’ IA . Jacques Leroy
>
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Un article très intéressant.
Je ne connais rien à la compta mais j’ai relevé cet exemple frappant.
« Avec plus de deux millions d’entreprises clientes et des dizaines de milliers de particuliers, le métier d’expert-comptable connaît une hausse de l’embauche depuis le début des années 2010 » selon Pôle emploi.
La comptabilité reposant sur les chiffres, des logiciels de gestion ayant été développés, pourquoi le métier de comptable existe-t-il toujours ? Pourquoi, pire ! est-il en tension en 2023 ?
Un survol d’internet nous apprend que les articles traitant de la montée en puissance des logiciels affirmaient : les comptables n’ont rien à craindre, ils seront débarrassés de la partie chiffres (automatisation des factures notamment) et se consacreront au conseil.
Or dans le descriptif du métier comptable sur le site de Pôle emploi, il n’est pas question de conseil. Au mieux d’un développement des relations (puisque le comptable est toujours indépendant de l’entreprise). Le comptable a d’abord pour mission de présenter des comptes exacts (de toute nature) à partir desquels la direction décide sa stratégie.
Il me semble qu’on a ici un bon exemple de mauvaise appréciation des faits. Les logiciels de gestion comptable n’ont pas remplacé les humains. Pourquoi ? Les informaticiens sont un métier en tension depuis au moins les années 90 et le besoin augmente continuellement alors qu’on nous présente régulièrement des IA évolutives générant leurs propres programmes. Pourquoi ce décalage ? Si l’appréciation sur les comptables est fausse, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les métiers relevant non du chiffre mais du langage ? Et enfin, la relation créée par la numérisation du monde n’est-elle pas d’abord une relation avec les appareils et logiciels d’interface qui nous font accéder aux autres humains ?
Il faudrait demander à ChatGPT.
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Je viens de terminer ce bel article sur un sujet passionnant. Je serai sûrement amené à faire plusieurs commentaires.
La première remarque qui me vient à l’esprit est que dans votre dialogue avec l’AI, cette dernière ne mentionne jamais l’innocence de Jésus et la déconstruction des religions sacrificielles qui s’ensuit, qui est pourtant un thème central de toute la théorie mimétique ! Est-ce que cette AI est programmée pour être aconfessionnelle, à votre avis ?
Le second est le suivant : bcp de livres et de films ont évoqué l’AI. Dans la série des Terminator, l’AI est simplement mimétique puisqu’elle désire et prend le pouvoir (et craint de le perdre). Mais, il y a 55 ans sortait « 2001, l’Odyssée de l’espace » de S Kubrick (avec AC Clarke). Dans cette œuvre prémonitoire (peut-être), l’AI était douée de conscience et avait peur de mourir. Souvenez-vous de cette scène absolument géniale où l’astronaute survivant débranche un à un les modules de commande de HAL (il arrive même que la belle voix de HAL s’altère quand il supplie…). Je serai vraiment scared quand on en arrivera là. Croyez-vous cela possible ?
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Clairement, non, en tout cas pas dans l’état des connaissances. Je le disais il y a quelques temps : l’IA est bête à manger du foin, elle n’est pas consciente (ce qui répond aussi à la question d’Aliocha), elle ne fait qu’imiter les gens intelligents. Et contrairement à ce que nous prédisent les prophètes de la technologie triomphante, cela ne risque pas de changer de sitôt. L’IA imite le cerveau, et nous avons acquis une bonne connaissance des principes de son fonctionnement qui permet d’extraire une information complexe à partir des données sensorielles. Mais en ce qui concerne la conscience, nous ne comprenons absolument pas « comment ça marche ». C’est la question du dualisme cartésien et de ce que les philosophes d’aujourd’hui appellent le « hard problem ».
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Je réponds aussi à la première question… En précisant que je ne suis pas un spécialiste ! Mais pour ce que j’ai compris, l’IA est « bridée » pour ne pas se brûler les ailes . Il y a une censure intégrée au système, qui ne répondra pas à des questions sur des sujets jugés sensibles (pornographie, extrême violence, racisme…). Je suppose donc que les questions religieuses seront traitées avec la plus extrême circonspection. Mais dans le cas du dialogue ci-dessus, je ne pense pas que ChatGPT ait fait preuve d’hypocrisie. Je lui ai demandé de me parler de bouc émissaire, pas d’aborder le troisième volet de la théorie mimétique, l’effet de la Croix sur le mécanisme sacrificiel. A vérifier…
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Je suis surpris que vous ne l’ayez pas interrogée sur Girard et le Christ ou Girard et le christianisme ?
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Tiens, vous la voyez féminine ? A dire vrai, je voulais m’aventurer sur cette voie, mais j’ai préféré me concentrer sur son erreur. La capacité de ChatGPT de comprendre ce que je lui dis et de se corriger est tout de même assez étonnante.
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Je crains qu’on est ici moins sur une révolution technologique que sur un « buzz » savamment orchestré. Même s’il faut en saluer la performance (vivement qu’on sache faire un tel buzz avec la théorie mimétique), c’est juste un progrès incrémental qui a été survendu.
Les bots de conversation existent depuis une vingtaine d’années maintenant et ils étaient déjà capable de sembler humains et d’avoir des personnalités différentes. La seule innovation de ChatGPT, c’est d’avoir scanner tout internet pour entraîner ses conversations. Donc ce qu’il sait est limité à ce qui peut se trouver sur le web par une simple recherche Google.
Donc non, le travail intellectuel sérieux ne sera pas remplacé par ChatGPT.
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L’admiration est chez Descartes la première de toutes les passions et l’étonnement, c’est bien connu, est la vertu philosophique par excellence. Mais le philosophe s’étonne en général de ce qui passe pour évident aux yeux des non-philosophes. Notre saisissement devant les prouesses intellectuelles et même sociales d’une machine (Chat GPT non seulement connaît et résume le mécanisme victimaire à peu près convenablement mais s’excuse d’avoir commis une erreur et s’empresse de la rectifier !), cet « étonnement » n’est pas forcément philosophique. La peur de l’inconnu, c’est-à-dire de l’avenir peut venir paralyser notre capacité de réflexion.
Le billet d’Hervé van Baren met d’ailleurs plus l’accent sur le social que sur le métaphysique. Pascal met l’homme dans l’angoisse de ne pas avoir de « lieu », pris dans le vertige des deux infinis. Hervé nous met dans l’angoisse de « perdre notre place » dans la société. N’empêche que, décentrés ou déclassés, nous devons nous interroger sur ce que nous sommes vraiment et c’est encore et toujours la question de l’identité personnelle qui est posée. Qu’est-ce que le « moi » ? Le robot aura-t-il un jour un « moi », comme le robot de l’Odyssée de l’espace, Hal, qui a peur de mourir, et bien avant cela, montre qu’il est capable de ressentiment et manifeste son appétit de puissance, donc de nuisance ?
J’ai pensé, en lisant ce remarquable billet et surtout les commentaires qu’il soulève, à un livre assez fameux mais déjà ancien du docteur Oliver Sacks (1955) « Lhomme qui prenait sa femme pour un chapeau ». Ce livre raconte plusieurs histoires de personnes atteintes d’affections neurologiques incurables dues à des lésions cérébrales. Leurs symptômes sont tous plus déstabilisants les uns que les autres, pour les patients bien sûr et aussi pour le lecteur. Je ne l’ai plus sous la main, je l’ai distribué, je voulais à tout prix partager cette découverte : la machine ou le cerveau considéré comme une machine peut se dérégler au point qu’il soit devenu impossible à une personne de reconnaître un visage, de s’approprier son propre corps, etc. et cependant, une certaine « force d’âme » permettait aux patients de ce docteur d’apprivoiser leurs symptômes et de se réinventer petit à petit une réalité vivable. En bref, le livre apportait des preuves de l’existence de l’âme et de la distinction qu’il faut faire entre l’esprit qui peut se dérégler comme un ordinateur et l’âme, la véritable identité de la personne.
Comme dit Hervé, « nous ne savons pas (en ce qui concerne la conscience) comment ça marche » et c’est là, me semble-t-il une source d’étonnement philosophique plus pérenne que les prouesses de ChatGPT et sans doute de ses successeurs.
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Merci chère Christine ! Je suis on ne peut plus d’accord et on ne peut plus serein de ce côté-là : ce n’est pas demain qu’une machine me volera mon âme ! (mon job, c’est autre chose). Parmi les films « philosophiques » sur cet inépuisable sujet, il faut noter aussi Blade Runner, avec la très iconique scène finale, le « répliquant » tueur et rebelle qui épargne son pire ennemi humain au moment d’arriver au bout de sa vie programmée. Par simple « bonté d’âme ».
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Sur cet inépuisable sujet, voici un article peut-être intéressant sur la Singularité : » La théorie de l’esprit pourrait avoir émergé spontanément dans les grands modèles de langage « .
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Flûte, j’ai oublié le lien !
https://www.pauljorion.com/blog/2023/02/28/la-theorie-de-lesprit-pourrait-avoir-emerge-spontanement-dans-les-grands-modeles-de-langage-par-michal-kosinski/
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Oui, cette scène est magnifique (esthétiquement parlant). N’oubliez pas que Reckard est lui-même un répliquant (suggéré dans le director’s cut du premier film et clairement exprimé dans la suite de Villeneuve qui est aussi un grand film).
NB j’ai utilisé le féminin dans mon précédent commentaire car je faisais référence à l’intelligence !
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En voilà un extrait. (ToM = théorie de l’esprit)
« Une autre explication est que la capacité de la ToM émerge spontanément dans les modèles de langage à mesure qu’ils deviennent plus complexes et plus aptes à générer et à interpréter un langage de type humain. Cela annoncerait un moment décisif dans le développement de l’IA : La capacité d’imputer l’état mental des autres améliorerait grandement la capacité de l’IA à interagir et à communiquer avec les humains (et entre eux), et lui permettrait de développer d’autres capacités qui reposent sur la ToM, comme l’empathie, le jugement moral ou la conscience de soi.
Une autre répercussion de nos résultats concerne l’utilité d’appliquer la science psychologique à l’étude des réseaux neuronaux artificiels complexes. La complexité croissante des modèles d’IA nous empêche de comprendre leur fonctionnement et de dériver leurs capacités directement de leur conception. Cela fait écho aux défis rencontrés par les psychologues et les neuroscientifiques dans l’étude de la boîte noire originelle : le cerveau humain. Nous espérons que la science psychologique nous aidera à suivre l’évolution rapide de l’IA. En outre, l’étude de l’IA pourrait permettre de mieux comprendre la cognition humaine. Au fur et à mesure que l’IA apprend à résoudre un large éventail de problèmes, elle peut développer des mécanismes semblables à ceux employés par le cerveau humain pour résoudre ces mêmes problèmes. De même que les insectes, les oiseaux et les mammifères ont développé indépendamment des ailes pour résoudre le problème du vol, les humains et l’IA pourraient avoir développé des mécanismes similaires pour imputer efficacement des états mentaux aux autres. L’étude des performances de l’IA dans les tâches de ToM et l’exploration des structures neuronales artificielles qui lui permettent de le faire peuvent améliorer notre compréhension non seulement de l’IA, mais aussi du cerveau humain. »
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Très intéressant, je ne connaissais pas cette recherche
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