
par Jean-Marc Bourdin
La dénomination de “double bind” pour qualifier une double contrainte ou un double impératif contradictoire est en général attribuée à l’anthropologue Gregory Bateson dans les années 1940, lorsqu’il contribua à l’élaboration d’une théorie de la communication au sein d’un groupe d’intellectuels qui fut appelé l’école de Palo Alto. Parmi ceux-ci se trouvait par exemple Milton Erickson qui relança l’hypnose thérapeutique, après que Freud avait contribué à sa déconsidération plusieurs décennies auparavant.
René Girard se référa à ce rapport humain dont il mit en évidence une des formes les plus fréquentes au cœur de sa théorie mimétique, celle du modèle-obstacle : en tant que modèle, il suggère l’imitation de son désir auquel il peut faire obstacle en s’opposant à l’autre qui voudrait le satisfaire à son détriment. En termes simples, le rival dit en effet à son concurrent à la fois “imite moi” et “ne m’imite pas” pour l’appropriation de l’objet convoité. René Girard fit d’ailleurs avec ses coauteurs une référence explicite au “double bind” de Gregory Bateson dans Des choses cachées depuis la fondation du monde auquel une section de la troisième partie de l’ouvrage est consacrée.
Or ce double impératif est désormais devenu un des mots d’ordre favoris des politiques de santé publique. Alors que la consommation de masse sur laquelle repose une grande partie de la croissance de l’économie et les équilibres des finances publiques, que tout gouvernement se doit de rechercher, sa stimulation par la publicité est désormais systématiquement (hypocritement ?) assortie d’un message dit de prévention. Une célèbre marque de hamburgers vous invite à lui faire confiance sur une chaîne de télévision, le cas échéant publique, tandis qu’il vous est simultanément enjoint de ne pas manger trop salé, trop sucré ni trop gras : il nous faut donc manger et ne pas manger le hamburger. Et si le conseil positif est de manger cinq fruits et légumes chaque jour (voir l’illustration), alors m’est avis que vous n’y parviendrez pas en mordant dans un cheeseburger ni en trempant vos frites dans un délicieux mélange de ketchup et de mayo. Depuis que la publicité pour les jeux d’argent est autorisée dans tous les médias, les mêmes mises en garde sont doctement énoncées contre les risques d’addiction que miser peut provoquer. Sans parler de la vente des cigarettes dans des paquets qui nous informent que fumer tue, ou des boissons alcoolisées à consommer avec modération puisque l’abus est en la matière dangereux. Lors de l’épidémie de COVID, il fallait à la fois rester chez soi et aller travailler. Il faut à la fois être toujours plus mobile et émettre de moins en moins de gaz à effet de serre, sans que des solutions de transports collectifs ne soient disponibles dans la plupart des cas.
Plus généralement, il faut à la fois faire croître au maximum le produit intérieur brut tout en privilégiant l’abstinence, la sobriété, le non-renouvellement des objets tant qu’ils ne tombent pas en panne et qu’ils peuvent encore être réparés, ou encore leur réemploi. En pratique, ces contradictions se traduisent par des demi-mesures comme la refonte des emballages en verre triés par les particuliers et collectés par les collectivités à grands frais (refonte forte consommatrice d’énergie et de matière première additionnelle mais indispensable au maintien de l’activité des verriers) plutôt que le retour à la consigne, beaucoup plus vertueuse sur le plan écologique mais qui impliquerait la normalisation des flacons.
Bref, il semble désormais que la pointe avancée de nos politiques sur des questions aussi importantes que la santé publique ou la protection de l’environnement soit fondée sur l’injonction double d’imiter et de ne pas imiter des comportements auxquels sont assortis des qualifications de danger, risque, abus, addiction, etc. Dans ce cadre, le succès de la locution adverbiale “pas trop” traduit un bel effort de conciliation des injonctions : pas trop gras, pas trop sucré, par trop salé, on pourrait aussi nous dire jouez au loto mais pas trop, pariez sur des compétitions sportives mais pas trop, empruntez pour consommer mais pas trop. Allez soyez sympa : évitez de grâce de ruiner votre famille mais ne laissez pas la croissance s’affaisser ! Faites toutes vos démarches par écrans interposés mais ne passez pas trop de temps devant et soutenez le commerce de proximité. Je vous laisse ajouter à la liste nos autres activités quotidiennes soumises à des injonctions inconciliables.
Nous revoilà invités à la sophrosynè de la philosophie grecque antique. Soyons des modérés du progrès comme se voulaient certains centristes dans les années 1970 ! Mais attention, vivons simultanément des passions intenses pour éviter la médiocrité du quotidien. Soyons intensément passionnés mais pas trop !
La figure du modèle-obstacle me semble ainsi investir toujours davantage nos vies quotidiennes. Sans que personne ou presque ne s’en émeuve.
Je propose donc d’adopter et de promouvoir un néologisme dans la veine de “l’interdividuel” girardien, construit comme un mot-valise à entrées multiples : les contrindicactions. Dans ce mot se mêlent joyeusement les contre-indications, les contradictions, les actions qui vont à l’encontre des indications qui vous sont données, etc. Cela semble être désormais le mode de vie que nous suggèrent les autorités. Pour en revenir à Gregory Bateson, celui-ci établissait un lien entre ces impératifs contradictoires et la schizophrénie que pouvait engendrer un couple de parents chez son enfant à force de lui enjoindre des comportements contraires. Et l’hypocrisie du faites ce que je dis ne faites pas ce que je fais [1] n’est jamais très loin non plus.
Au terme de ce billet, je vous conseille d’y réfléchir mais sans y penser.
[1] “Tout ce qu’ils vous disent [de respecter], faites-le donc et respectez-le, mais n’agissez pas comme eux, car ils disent et ne font pas” (Matthieu 23:3).
Merci Jean-Marc pour ce conseil, il donne à réfléchir… et je n’avais pas pensé auparavant à cet autre conseil transmis par Matthieu : comment ne pas agir comme ceux qui ne font pas ? Agir précisément ! Et c’est bien ce qui est dit au début de cette phrase remarquable, parfaitement logique (- x – = +). Agir, oui, mais que faire donc ? Ce qu’ils vous disent, mais sans les imiter. Dans le cadre de la publicité montrée en tête de cet article, il y a une solution évidente à ce problème : confectionner un hamburger avec au moins cinq fruits et légumes, et le consommer en bougeant. Bon appétit !
Plus sérieusement : oui, la figure du modèle-obstacle est sans doute la plus actuelle et la plus riche d’enseignement qui nous ait été délivrée par René Girard, et elle vient de loin…
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Oui Benoît, il me semble que le modèle-obstacle est la forme des rapports humains la plus typique de l’individualisme démocratique dans l’Etat providence.
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Pourquoi particulièrement dans l’État providence ? La première occurrence écrite d’un modèle-obstacle me semble-être la divinité elle-même, il y a fort longtemps (« vous serez comme des dieux »). Mais il est vrai que le jardin d’Éden est une forme d’idéal de l’État providence… Est-ce un hasard, à ton avis ?
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Merci Jean-Marc de souligner ce verset, en effet remarquable, et merci Benoît pour cette lecture. Grâce à vous je découvre la dimension parabolique de ce chapitre « maudit ». C’est un magnifique exemple de la mise en abyme caractéristique de la pédagogie biblique. La révélation contenue dans le texte agit par étapes :
1) Les méchants Pharisiens portent la voix de Moïse mais n’y sont pas fidèles.
2) En quoi consiste cette infidélité ? Tout le reste du texte le précise : ils voient la paille dans les yeux des autres, mais pas la poutre dans leur œil à eux. Autrement dit, ils appliquent le principe sacrificiel, l’expulsion du mal.
3) Ils sont vraiment très méchants !
4) Euh… ne viens-je pas de faire, par ma lecture du texte, exactement la même chose ? Par l’acte même de cette lecture, j’ai expulsé ma violence, je l’ai fait porter par les boucs émissaires de l’histoire, les Pharisiens. Je suis tombé dans le piège parabolique du texte, j’ai utilisé la Parole pour mal faire, pour accuser les méchants sans me rendre compte que par cette accusation j’agissais comme eux.
5) La simple prise de conscience de la violence de mon acte (de ma lecture) me sort de ce piège. La découverte de la poutre dans mon œil m’invite à l’enlever sans plus me soucier de la paille présente chez les autres. Je ne suis pas chargé de leur salut ; j’ai assez à faire avec le mien.
Le verset 35 bascule dans une autre dimension de révélation.
…pour que retombe sur vous tout le sang des justes répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel. (Mt 23, 35)
Il n’y a là nulle malédiction, mais bien la prophétie du jour où nous atteignons l’étape N° 4, la prise de conscience de la violence de notre lecture, et de la stricte équivalence entre cette violence et celle qui conduit à massacrer des innocents.
Une fois acquise cette connaissance, on peut revenir au mystérieux verset :
3faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas
Comme souvent avec les paraboles, la lecture prend la forme apparente d’un conseil, d’une injonction morale, d’une loi : faites ceci, ne faites pas cela. La compréhension du message dissimulé par cette forme légaliste permet de lire autrement.
Il s’agit d’ailleurs moins de ne pas imiter les Pharisiens, que de ne pas imiter le texte lui-même, et son langage accusateur et violent ! Girard avait bien vu la mine d’or de connaissance anthropologique dans ce chapitre, mais sans oser critiquer la forme violente. La clé de l’accès à la révélation, c’est justement la forme violente !
Le verset 2 est particulièrement ambigu. Étant donné ce qui suit, nous entendons que les Scribes et Pharisiens ont usurpé leur occupation de la chaire de Moïse. Remplaçons les scribes et Pharisiens par le texte lui-même. Celui-ci – un texte du Nouveau Testament – se revendique dans la parfaite continuité de Moïse – de l’Ancien Testament. Il n’y a nulle usurpation. Le verset 3 devient : faites donc tout ce que le texte dit, mais sans adhérer à sa forme violente, car le texte que vous lisez dit, mais ne fait pas. Le fond, comme l’avait vu Girard, est une révélation anthropologique d’une rare profondeur ; gardez-là précieusement. Mais la forme, la forme violente et accusatrice, parfois insultante, ne l’imitez pas !
C’est pourtant ce que nous avons fait, pendant 2000 ans.
Il ne sert à rien d’essayer de nous convaincre que nos actes quotidiens sont imprégnés de pensée sacrificielle. Le mécanisme d’expulsion et surtout la méconnaissance qui le soutient sont beaucoup trop forts, et toute accusation extérieure déclenche un réflexe de contre-accusation. Il faut un procédé qui, à coup sûr, nous prend en flagrant délit, qui contourne nos défenses habituelles. La solution trouvée par la Bible est géniale : nous entraîner dans une lecture violente, nous rendre complices de la violence du texte, avant de nous révéler l’équivalence entre cette violence et la violence de notre interprétation.
La prophétie du verset 35 est apocalyptique, comme le confirment les trois derniers versets du chapitre. L’absence du Christ correspond à notre aveuglement face à notre violence, à toutes les lectures que nous avons faites du texte de Matthieu, qui excusaient sa violence. A chaque fois je suis frappé par ce que je découvre en étudiant les interprétations d’un tel passage : elles tombent toutes dans le piège, il n’y a pas une seule exception ! Toutes les interprétations à ce jour s’arrêtent à la troisième étape de la révélation. Il en va de même pour tous les textes violents des Écritures ; toujours nous cherchons à excuser cette violence sacrée au lieu de la reconnaitre en nous. La fin apocalyptique du chapitre indique clairement que franchir cet obstacle, accéder à la révélation de notre violence sans possibilité de l’expulser, est strictement équivalent à l’apocalypse annoncée par Jésus.
Pour revenir à l’article, constatons que ce chapitre constitue un très bon exemple de modèle-obstacle, et permet de faire le lien avec le sacré : pour franchir l’obstacle, le scandale de la violence du texte, il convient de se détacher partiellement du modèle, de renoncer à la lecture sacrée, dans laquelle tout ce qui est dit est nécessairement bon, juste, à imiter. C‘est l’esprit du texte qu’il convient d’imiter, pas sa lettre.
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L’Etat providence est pour moi le lieu des injonctions contradictoires du genre laissons encourager la consommation par la publicité pour permettre la redistribution des fruits de la croissance et mettons simultanément en garde contre les effets néfastes de cette surconsommation dangereuse pour la santé et donc coûteuse pour la collectivité. Il y a donc un aspect collectif que signalent les politiques publiques dans les exemples que j’ai donnés.
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Donc aucun rapport avec le jardin d’Eden?
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Eh bien, je n’y avais pas pensé. Mais il y a effectivement une injonction paradoxale primordiale du Créateur dans la Genèse : imitez Moi en tout / ne M’imitez pas dans la connaissance du bien et du mal. C’est au fond assez étrange de la part d’un Créateur qui juge après chaque journée si ce qu’il a produit était « bon ». Comme si le ne m’imite pas portait sur la faculté de juger de ses créations, voire de créer. Comme je l’ai déjà mentionné, Adam et Eve sont des cueilleurs (et sans doute des chasseurs) qui ne créent pas jusqu’à la chute et l’engendrement d’une descendance et le travail (tous deux douloureux) alors qu’Abel et Caïn sont éleveur et cultivateur, donc ils participent à la création et jugent de ce qui est bien ou mal pour améliorer leurs productions et également offrir des sacrifices au Créateur…
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Cela m’évoque cette illusion que relève J-P Dupuy sur les embouteillages : on dit couramment « je suis coincé dans un embouteillage » alors que je suis une de ces cellules constitutives de l’organisme « embouteillage ». L’État providence est cet embouteillage, que nous constituons. Les protestations contre les politiques publiques (taxe sur l’essence, retraites…) révèlent une volonté croissante de sortir de cet embouteillage. Pour l’instant, les protestataires éprouvent encore le besoin d’extérioriser ce mal, qui est en eux. Il en résulte une violence aveugle, soutenue par des théories du complot.
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Cher Jean-Marc,
J’ai réfléchi à ton article (mais pas trop), et il me semble que « contrindicaction », en plus d’être un néologisme, est aussi une contraction. Or la première contraction de contrindication et action qui me vienne à l’esprit, c’est… contraction. Qui n’est certes pas un néologisme et qui pourrait prêter à confusion (le Larousse donne déjà 9 définitions du mot), mais qui a quand même le mérite d’être plus court et surtout, qui suggère que la multiplication des impératifs contradictoires indique une situation de crise, or tu sais ce que je pense de cette crise : ce sont les douleurs de l’enfantement.
Simple suggestion.
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Oui, la crise est une multiplication des modèles-obstacles, et donc des impératifs contradictoires, ou encore des double-liens. Une situation bloquée qui réclame une résolution : la krisis dans le sens originel: un jugement, une distinction, une séparation. Il s’agit de discriminer. « Krisis est le pouvoir de distinguer ou de discerner, mais – voici ce qu’il faut ajouter – ce travail complexe s’effectue sur le fond de quelque chose qui est d’abord mélangé, confondu, opacifié, et qui fait qu’on ne sait plus où situer ce qui peut relever d’un « bien » et ce qui doit plutôt être considéré comme un « mal ». » (Jean-Daniel Causse : Krisis : jugement et promesse.) Dans la publicité Mc Donald, on ne sait plus si c’est un bien ou un mal… Ce qui est étendu à toute l’étendue de la consommation de masse (la nourriture, le tourisme, la technologie…).
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J’ai du retard dans la prise de connaissance des commentaires et des difficultés à repérer leur chronologie. Tu verras que ma réponse à la suite de ton injonction/suggestion d’aller faire un tour du côté du jardin d’Eden m’ à ramené à la crise initiale qui entraîna la chute et au jugement permis par la connaissance du bien et du mal. Inépuisable Genèse !
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Oui, on pourrait gloser à l’infini sur le texte inépuisable de la Genèse… Mais si je me suis permis de le convoquer encore, c’est pour deux raisons. La première c’est sa vertigineuse antériorité, où apparait déjà, et de façon principale (puisqu’il s’agit rien moins que du péché originel) la présence du modèle-obstacle. La seconde, c’est la convergence entre le jardin d’Éden, où tout est disponible sans qu’on ait besoin de faire d’effort (travailler), et l’État providence. Et là, cela devient intéressant à mon avis, parce que comme Adam et Ève, nous avons accepté de déléguer à une volonté surplombante notre santé (la sécurité sociale), la détermination de l’âge auquel nous devrions cesser notre vie professionnelle (la retraite) et même le montant de notre salaire de base (smic), le temps de travail journalier, et cætera (la liste est longue…) De ce fait, l’État, de protecteur, devient le responsable de tous nos malheurs, de toutes nos frustrations (phénomène « gilets jaunes »). Pour sortir de cette situation, il nous faut non seulement quitter le jardin d’Éden (c’est déjà fait…), mais aussi le projet d’y revenir : et cela, c’est moins évident pour beaucoup d’entre nous.
Par ailleurs, et contrairement à ce que Jean-Marc écrit, je ne vois pour ma part aucune « injonction paradoxale primordiale du Créateur dans la Genèse ». Yahvé ne demande jamais à être imité. L’idée d’imitation (« vous serez comme des dieux ») provient du serpent : c’est le principe satanique originel, qui ira en s’aggravant avec la jalousie de Caïn envers Abel.
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J’aime bien la complication du néologisme. Mais dans ma réponse au commentaire de Benoît sur le jardin D’Eden, tu verras que je n’échappe pas aux contractions, douleurs de l’enfantement !
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En un mot : faites comme moi, ne tenez jamais compte du point de vue des autres…
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A Benoît : sur le dernier point, il me semble que l’imitation n’est pas que satanique et que via Jésus et l’imitatio Christi, il y a une invitation évangélique à imiter le Père dont le Fils fait la volonté. L’imitation est hautement souhaitable dans de nombreux rapports humains. Et notre obsession moderne de postuler un Dieu bon et hostile à la violence traduit bien notre quête d’un modèle de vertu à imiter. Mais bon, ces questions se trouvent hors de ma zone et je ne m’y aventurerai pas davantage. Je me suis contenté de poser une question contemporaine et, de mon point de vue, laïque.
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En outre, et c’est peut-être là l’essentiel, l’injonction « imite moi » n’est pas nécessairement délibérée dans la TM. Et la tentation d’imiter le Créateur dans son discernement du bien et du mal, si bien stimulée par le serpent, découle de la désibéralité du statut divin qui pousse à imiter plus que d’un ordre explicite de Dieu. Chez Girard, le modèle l’est souvent « à l’insu de son plein gré ». Il n’empêche qu’in fine, la créature se ressent comme invitée à imiter Dieu quand bien même celui-ci ne le lui enjoindrait pas explicitement de le faire.
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À Jean-Marc. Je ne crois pas possible de démarquer ce qui serait « contemporain donc laïque » de notre histoire, de nos origines, de notre culture, au risque de ne plus rien comprendre. Je ne vois pas non plus d’où l’on pourrait entendre une invitation à imiter Dieu, si ce n’est émanant de la part de certaines voix foncièrement perverses, ou folles. Le simple fait d’imiter Dieu suppose en effet de le connaitre, ce qui est impossible à l’Homme. Tout ce que nous pouvons connaitre nous concerne, concerne notre monde, l’humanité. C’est de cela qu’il s’agit dans la Bible. C’est donc en tant que texte anthropologique que je lis la Bible, avec Girard, et cela intéresse forcément notre présent. L’imitation n’est pas satanique, bien sûr – qui pourrait dire une chose pareille ? – mais l’invitation à imiter Dieu, au point de vouloir être un dieu, si. Ce point de vue est aussi bien agnostique.
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Certes, nous ne connaissons pas Dieu, surtout si l’on est agnostique. Mais pour les Chrétiens, il y a un Médiateur. Dieu s’est incarné. On a comme ça une idée de ce qui Lui plaît et lui déplaît, c’est mieux que rien. Je dis ça en passant et pour m’émerveiller que sur ce blogue girardien, une discussion commencée avec le hamburger se poursuive avec « l’imitatio Christi ». Bravo, Jean-Marc. Tu commençais à nous manquer, avec ton expertise sur les politiques de santé publique et surtout l’humour qui va avec.
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Merci Christine pour ton commentaire dans toutes ses dimensions !
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Mme Orsini est là pour remettre l’église agnostique au milieu de l’Eden perdu, qui ne reviendra plus maintenant que nous savons discerner le bien du mal, ce qui ne signifie pas que ce soit nous qui en donnions la définition, et ne perdons plus notre temps à filtrer les moucherons diététiques en avalant les chameaux de la domination des hypocrisies occidentales du Big Mac ou de PayPal.
Il nous reste à imiter le Rabbi pour construire le Royaume en connaissance de cause, nous libérant des accoutumances archaïques qui maintiennent la confusion des dominations, usurpatrice du savoir évangélique pour mieux en enfermer la vérité et refuser la suprême proposition d’en incarner la divinité, celle-là qui ne peut se définir en terme de puissance, mais de vérité.
« 7Bien-aimés, aimons nous les uns les autres; car l’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. 8Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. 9L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. 10Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. 11Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. 12Personne n’a jamais vu Dieu; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous. 13Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit. 14Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. »
https://saintebible.com/lsg/1_john/4.htm
Voilà le pain de vie, bon appétit !
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À propos du double-bind de Bateson et de ses implications pour la théorie mimétique, il me semble que nous avons négligé un point fondamental : l’injonction contradictoire doit émaner de la même personne en position dominante pour que ses effets pernicieux agissent (la schizophrénie, pour Bateson). C’est bien le cas pour le modèle-obstacle de la TM. Mais ça ne l’est pas dans le cas de la publicité, qui nous occupe. Sur la même image sont simplement exprimés des informations (on ne peut pas parler ici d’injonctions) qui ne correspondent pas exactement, mais elles émanent d’un côté d’une entreprise commerciale, qui informe sur la « nouveauté » de son produit, de l’autre du ministère de la santé, qui poursuit un autre but informatif. C’est une particularité de la démocratie de permettre que des informations émanant d’instances, ou de puissances différentes puissent se confronter en un même lieu. Il n’y a donc pas de « Big brother » (fut il porteur du masque « Big tasty »), mais une séparation réelle des pouvoirs, ici économique et politique. Cette publicité atteste donc de la bonne santé, y compris psychologique, de notre démocratie : elle nous laisse devant un choix dont l’issue nous appartient : « pour votre bonne santé… ». Cela dit, on n’est même pas obligé de croire et de suivre les conseils prodigués… On ne peut donc en aucun cas invoquer le double-bind ou le modèle-obstacle girardien à travers cet exemple, somme toute assez banal (ce qui en fait tout l’intérêt).
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Il me semble qu’un cas classique de double bind chez Bateson est une contrainte venant de la mère et l’autre du père pesant sur l’enfant. Nous aurions l’équivalent entre le big father de l’entreprise en quête de croissance de son chiffre d’affaires qui enjoint de consommer ou de jouer et la big mother des politiques de santé publique qui met en garde contre les addictions…
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Il faudrait que je relise Bateson … mais il me semble que la figure négative de la mère du schizophrène est dominante. Quoi qu’il en soit, l’autorité parentale, qu’elle soit simple ou double, est absolument dominante pour le jeune enfant apprenti schizophrène, car il ne peut pas s’en détacher. Je ne vois pas en quoi les informations diffusées par la publicité ou les conseils avisés du ministère de la santé exerceraient une domination comparable. On peut critiquer le fait que les pouvoirs publics s’intéressent à notre santé, au point de disposer de nos impôts et charges-sociales pour financer l’industrie pharmaceutique, par exemple, mais c’est une autre histoire… (lire Ivan Illich). Le prétendu « pouvoir » de la publicité est à mon avis grandement surévalué. Il s’agit de montrer qu’un produit existe, car on n’achète que ce qu’on a déjà vu antérieurement : c’est une variante du désir mimétique (à laquelle Girard souscrivait également).
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