A propos de transcendances

par Olivier Joachim

Dans son ultime ouvrage paru en 2019 et intitulé « Relire le relié », Michel Serres évoque assez longuement la question de la transcendance ou des transcendances. Tout en réfléchissant à ces notions délicates, exposées dans le livre en première partie, il me paraît important d’en souligner la proximité avec l’œuvre de René Girard, cité d’ailleurs à la fin du livre, au chapitre consacré à la question de la violence.

Non philosophe moi-même, il est possible que mon propos sombre dans la banalité ou qu’il soit même erroné. Je prie le lecteur de m’en excuser, espérant simplement que ce document incitera à d’autres analyses et d’autres perspectives, plus rigoureuses et plus pertinentes.

Quelques précisions étymologiques pour commencer.

Si le préfixe trans- suggère le passage, le franchissement, le dépassement d’un horizon, le mot se termine par –scendance qui évoque un mouvement, une dynamique, une trajectoire. La transcendance désignerait donc le voyage vers un autre monde, mythique, formel, imaginaire, esthétique, symbolique situé au delà de nos perceptions immédiates.

Certaines philosophies se veulent transcendantes tandis que d’autres se disent immanentes. Des penseurs associent la transcendance à ce qui se situe par-delà notre conscience, pour d’autres elle désigne « l’être au monde ». Cernée de frontières absolues et infranchissables, certains prétendent que l’on ne peut que l’effleurer, tandis que d’autres la repoussent et la prétendent aveuglante voire menaçante. 

Mais comment évoquer la transcendance sans revenir à celui à qui Michel Serres a un jour décerné le titre de Darwin des sciences sociales ? Son hypothèse mimétique a marqué un tournant décisif dans l’analyse de la violence au sein des sociétés et sur les mécanismes qu’elle y a induits.

René Girard, puisqu’il s’agit de lui, a notamment mis au jour une bifurcation essentielle dans l’histoire de la transcendance en identifiant parfaitement l’événement fondamental par lequel l’ancienne transcendance, celle des religions archaïques, d’une forme primitive biaisée a, un jour, pu être rectifiée pour acquérir enfin sa juste verticalité.

Comme les mythes nous le cachent si bien, les sociétés de l’ancien monde se sont bâties autour de l’idée faussée selon laquelle se connecter à un univers parallèle devait forcément s’associer à la mort par sacrifices. Croyant régler ainsi les crises au sein des communautés, les anciens ne se rendaient pas compte qu’ils entraient alors dans un cycle infernal. Piège si parfaitement en place, d’ailleurs, qu’aux quatre coins du monde toutes les civilisations, ou presque, ont commis la même erreur ! Elevant leurs prières mortifères vers des dieux mythiques, les religions archaïques ne parvenaient en réalité qu’à une résolution temporaire des troubles. Par une transcendance déviée à l’horreur aveuglante, les sociétés d’alors ne captaient en fait que l’écho macabre de leurs propres pulsions. Donner la mort pour oublier la mort : le ressort du sacré.

Grâce à l’analyse de nombreux mythes, René Girard a su démonter ce mécanisme et a constaté que les religions monothéistes, et le judaïsme notamment, en amorçaient une rectification. Lisant la Bible comme personne, il a perçu le vrai message du christianisme et la signification réelle de la Passion. Car la transition s’est effectivement opérée en ce point de l’espace et à ce moment du temps, où Jésus sur la croix a enfin dévoilé la véritable lumière de la transcendance. En acceptant de mourir, il a de fait établi la connexion verticale avec ce que l’on nomme le divin. Muant la sentence de mort en offrande de vie, il a révélé que le bouc émissaire, toujours prétendu coupable, cachait un agneau de Dieu, toujours innocent.

Ce geste inédit donnait à voir différemment le péché originel lui-même qui, selon René Girard, ne désignait rien d’autre que la cruelle systématisation des processus sacrificiels. Sous couvert de libérer les hommes de leurs accès de violence, ces conduites ne faisaient en réalité que les y enchaîner encore davantage. Oui, par l’avènement d’une transcendance neuve, le Christ nous a littéralement déliés des péchés du monde !

Voici donc deux mille ans, en suivant les pas du Christ, le chemin vers l’ailleurs a été découvert, non par la dureté mais par la douceur, non par la culpabilité mais par l’innocence, non par la haine et la violence mais par l’amour et par la bienveillance.

Deux axes sont présentés dans la structure de l’ouvrage de Michel Serres ou plutôt deux reliures ou deux trames. L’une verticale et transcendante, l’autre horizontale et immanente. Au contact de ces deux réseaux, des soudures, points chauds, qui évoquent moins des frontières absolues que de subtils entrelacs. Cet autre monde existerait bel et bien mais nous serions dilués en lui par un savant mélange que d’aucuns qualifieraient d’intrication ! 

L’autre monde constitue d’ailleurs l’un des titres des premiers paragraphes du livre. Cependant, dès la première phrase, le pluriel s’impose.

« Partout existent des preuves que ces mondes virtuels existent. Invisibles et absentes, néanmoins inévitables, les formalités mathématiques peuvent déchiffrer toute chose. Pourquoi pouvons-nous donner du sens à des signaux qui chevauchent des ondes ? D’où émerge la confiance en nos contrats ? […] Ce monde existerait-il ici, maintenant et pour nous, humains, sans l’autre, […] ? Où se trouvent équations et algorithmes, triangles et polyèdres, langage et musique, solfège et alphabet, enfin les images ? Indiquez-moi leur place ou leur lieu. »

Cette oscillation entre le singulier et le pluriel traduit-il la difficulté d’élaborer un cadre clair de cet « hors-de-nous » ? Première évidence, la transcendance désigne une virtualité dont la nature n’est pas forcément religieuse. Telle une information inouïe, elle désignerait alors une communication à un au-delà fait d’abstractions, mathématiques, algorithmiques, physiques ou mieux, néguentropiques mais aussi juridiques ou artistiques. Mais où vivent donc ces notions ? Préexistantes, nous ne ferions que les découvrir ; inexistantes nous les inventerions. Il semble bien que l’auteur situe son positionnement dans le cadre de la première option. Toutefois, les découvrir ne signifie pas pour autant être à même de les localiser. Où sont-elles maintenant que nous les avons faites nôtres ? Où se cachaient-elles auparavant ? Voilà des questions mal posées car elles suggèrent des abstractions d’une nature classique. Séparabilité, localité, causalité, constituent les vertus d’un réel que pratiquent nos corps : mais qu’en est-il de nos âmes ?

« Or, donc, cet autre monde, abstrait, virtuel, possible, qu’importe, manifeste parfois son existence dans ce monde, en chutant soudain sur des points remarquables et brûlants qui, refroidis, demeurent si longtemps que leurs traces dépassent le temps de l’histoire. Appelons-les des points chauds […], lieux où, à tel moment, tel autre monde vient à se manifester ici ou là en celui-ci, images concrètes de contacts avec cette autre réalité, virtuelle, intelligente, spirituelle, inspiratrice. Dangereuse ? »

Les connexions à la transcendance seraient ainsi identifiées par la durée de leurs influences au cœur même des sociétés. Ainsi, l’utilisation des symboles dans l’art ou dans les mathématiques dépasse-t-elle largement la durée de toute civilisation. L’oralité et l’écriture transcendent, de même, l’ensemble des rapports humains. Une image intéressante est véhiculée par le verbe « chuter ». Ainsi, la transcendance ne se décide-t-elle pas ! Contrairement aux anciens qui en appelaient aux connexions par le biais des sacrifices, nous ne choisissons ni le lieu ni le moment de cette étrange liaison ou, du moins, pas de cette manière. Ainsi, la puissance sacrificielle, mesurée en nombre de morts, ne faisait que détourner davantage l’humain du divin. A contrario, la patience, l’attente, la tranquillité conviendraient mieux pour appréhender l’autre monde. Il se peut même qu’un certain « laisser-aller », ou mieux, un « laisser-venir » soit une posture encore plus indiquée. Se laisser envahir plutôt qu’exiger, attendre les signaux faibles au lieu de hurler au pied des autels, l’accès à la transcendance ne pouvait en aucun cas se dessiner sous les feux des holocaustes !

Traverser une frontière nécessite un point de passage, nous l’avons, mais cette route est-elle à double sens ? Pas si sûr si l’on s’en tient au verbe « chuter ». A l’instar de l’éclair ascendant, des précurseurs partis du sol rejoignent parfois le canal principal, mais cette anticipation ne saurait aboutir sans la coïncidence, peut-être fortuite, d’un arc, quant à lui descendant. La transcendance vient à nous, il ne sert donc à rien de forcer le passage !

Attention, prévient René Girard, transcendance n’implique pas toujours conséquence positive pour les hommes qui la reçoivent. N-a-t-on pas vu d’ailleurs Satan tomber comme l’éclair ? Voilà peut-être la figure du danger évoquée plus haut. Quoi qu’il en soit, la reliure verticale irriguée de transcendance que présente Michel Serres ne désigne pas simplement le tissu religieux.

« Par un court-circuit aveuglant et fécond entre un monde virtuel et formel et le monde réel et perçu, Galilée annonce la science moderne. Einstein parle de miracle à ce propos. […] Imprévisibles et inimaginables, ces deux contacts entre l’immanent et le transcendant ont-ils eux-mêmes quelques rapports ? »

Tandis que Rome enseignait l’Incarnation de Jésus-Christ, Galilée réussissait-il là une connexion semblable à l’univers mathématique ? De son dévoilement des comportements archaïques et de sa vision prodigieuse du christianisme, pourrais-je désormais voir en René Girard le Galilée de l’anthropologie ?

Pascal quant à lui, en génial précurseur dans sa recherche du point fixe, avait eu l’intuition que la physique mathématique ne pouvait effectivement émerger que dans le contexte de l’Incarnation. Mais René Girard ne renierait probablement pas quelques inclinations pascaliennes.

Alors, une fois dégagés certains caractères transcendants, il paraît évident que les autres mondes sont bel et bien pluriels ou, du moins, nous apparaissent-ils ainsi ! Dans ce cas, un bon scientifique s’interrogerait volontiers sur de possibles similitudes entre ces univers ? En quoi, ainsi, parler d’inspiration ou d’intuition mathématique présenterait-il quelque analogie formelle avec une nature religieuse de la transcendance à laquelle le vocable se réfère souvent de manière implicite ?

« Aucun savoir, même le plus rigoureux, ne peut fournir ce point fixe sauf, précisément, Jésus-Christ soi-même, point ou centre où tout tend. La totalité des sciences tourne autour de ce soleil.

Qu’il existe un monde autre que le nôtre, voilà l’évidence ; que l’un se révèle comme plus ancien que les autres, ne prouve en aucune raison qu’il en soit la cause. »

La question précédente trouve ici une forme de réponse. L’événement de la Passion tient donc un double rôle. Structurant tout d’abord par son potentiel d’attraction, puisqu’il joue le rôle de centre de force autour duquel vont graviter d’autres éléments transcendants, ceux désignés par les sciences. Mais également un rôle éclairant puisqu’il se compare à un soleil. De même que dans un système planétaire, seul l’astre central constitue une source de lumière primaire ; les partenaires, réémetteurs, ne font qu’en recueillir l’éclat pour le disperser à leur tour au gré de leurs propres caractéristiques.

Revenant à la figure de la trame verticale, il devient donc plus clair à présent que le maillage principal, à la fois le plus robuste et le plus inspirant soit effectivement constitué de transcendance religieuse élaborée elle-même à la source irradiante de l’histoire du Christ.

Néanmoins, afin que tienne cet argument, il faut, bien entendu, régler la question des temporalités puisque des transcendances plus anciennes préexistaient aux événements du début de notre ère. En effet, la communication, l’écriture, l’art et l’ensemble de la symbolique, les mathématiques et les multiples formes abstraites de la géométrie, toutes ces transcendances se sont dévoilées aux hommes à des époques antérieures à l’histoire de Jésus.

L’erreur à ne pas commettre ici serait d’inclure ce jeu de transcendances dans le cadre spatio-temporel qui nous héberge. Venus d’autres mondes, ces liens mystérieux plongent dans le nôtre à des moments dont la séquence s’organise par nos propres aptitudes à s’en saisir. Une chronologie apparue ici-bas ne doit donc en aucun cas impliquer de filiation déterminée dans l’au-delà.

De fait, rejetant dès lors toute causalité, notre propre chronologie ne nous apprend rien d’une éventuelle hiérarchie entre les diverses sources de transcendances.

« Les idées de nation ou de patrie, aussi formelles et sublimes l’une que l’autre, capables de relier les foules, en demandant à chaque participant de leur donner sa vie, diffèrent-elles vraiment de déesses et de dieux imaginaires et cruels déchaînant l’enthousiasme et exigeant le martyre ? […] »

Si, comme l’a suggéré René Girard, les religions archaïques ont promu une forme inappropriée de transcendance, il n’est pas impossible qu’il en soit de même pour d’autres composantes. Nos collectifs, ainsi fédérés autour de corps abstraits, géographiques ou politiques, en portent en fait la marque au plus profond de leur constitution.

 « Mourir pour le pays est un si digne sort,
Qu’on briguerait en foule une si belle mort
. »

Terrible formule ! La littérature ou l’art en général ne manquent d’ailleurs pas de telles allégations ! Voilà donc que cette lumière dont la clarté est apparue voici deux millénaires cohabite toujours avec les ombres du sacré, nichées dans chaque méandre de l’humanité, aussi moderne soit-elle ?

Tout se passe comme si la dynamique régulière pré-chrétienne fortement inclinée au sacrifice s’était transmuée, autour du point de la Passion, en une oscillation permanente entre vérité christique et mensonge archaïque. Un penseur comme René Girard est sans doute l’un de ceux qui ont le mieux tenté de favoriser le rapport cyclique de cette pulsation sur son versant lumineux.

« En somme, sonder ces points chauds, traverser l’épaisseur incompréhensible de mythes si noirs que nous nous scandalisons d’en tirer nos lumières, tenter de comprendre ce processus étrange de cristallisation, voilà l’espoir insensé de ce livre. »

Cette dernière citation indique clairement le projet. Outre une clarification de l’ouvrage, la phrase, particulièrement riche, mérite, me semble-t-il, quelques attentions.

Le mouvement, ici présenté, va de l’homme vers la transcendance puisqu’il s’agit du sondage des points chauds. Sans la convoquer, bien sûr, puisque cela paraît impossible, il s’agit d’en apprécier au mieux les caractères abstraits lorsqu’elle s’est manifestée. Le travail consiste donc à chercher, à identifier et à traverser ces points de contact pour pénétrer les autres mondes par des voies déjà inaugurées. La volonté affichée ici dénote un courage voire une audace, rare chez la plupart des penseurs, renonçant pour certains à s’approcher du mystère.

Non seulement la perspective se précise mais, en plus, se révèle au grand jour l’outil indispensable pour percer le secret. Ainsi, emprunter le passage consiste-t-il à traverser l’épaisseur incompréhensible des mythes. N’est-ce pas là un geste éminemment girardien ! En effet, c’est à la lecture originale de certains de ces récits que René Girard a pu découvrir l’ensemble des mécanismes cachés par ces légendes.

Masquant une réalité indicible, les mythes détournent du vrai chemin tout en proposant des formes de cosmogonies mineures sur lesquelles nos civilisations ont appuyé leurs fondations. Obscurcissant d’un épais voile les origines sanglantes de nos sociétés, les mythes, histoires avant l’Histoire, se transmettent depuis le fond des âges, si étranges et fascinants qu’il a nous été longtemps possible de vivre dans leurs sillages et de perpétuer leurs échos sans en connaître le sens.

Toutefois, même les plus noirs d’entre eux n’en sont pas pour autant impénétrables. Bien au contraire, si l’on sait justement décoder les signaux faibles qu’ils contiennent, y compris des plus incompréhensibles d’entre eux, il est permis d’exhumer les énigmes enfouies.

Evidemment, extraire de la connaissance de récits mystérieux et manifestement faux, peut paraître choquant. Le terme « se scandaliser » utilisé dans la citation n’est d’ailleurs pas étranger aux écrits bibliques ; il a été abondamment repris dans les études de René Girard. C’est dire si cette simple phrase présentant le projet de l’ouvrage, s’avère en même temps, extrêmement fidèle au travail du célèbre anthropologue.

L’outil mythique, par les évocations successives de Midas, Gygès ou Crésus est tout d’abord utilisé par Michel Serres pour éclairer les échanges, les dons et contre-dons, et, bien sûr, la toute-puissance monétaire.

Les mathématiques et les sciences en général se racontent également au travers d’histoires dont ne sait attester la véracité. Ainsi, Thalès au pied des pyramides aurait-il découvert, à la lumière solaire des ombres projetées, les lois de toute proportion. Non seulement la géométrie elle-même mais le logos dans son ensemble découlerait de cet évènement fondateur. Bien plus tard, il faudra admettre l’existence d’un autre espace peuplé de nombres dits « réels » échappant au logos. Tellement étranges, on les qualifie d’ailleurs d’irrationnels. Si Pythagore en avait eu l’intuition, se doutait-il que ces « monstres » mathématiques étaient en réalité infiniment plus nombreux que les autres et que, de plus, ils s’immisçaient du même infini dans tout intervalle rationnel ?

Aux côtés de la monnaie et des mathématiques, se stabilise presque concomitamment l’écriture par divers alphabets tandis que le monothéisme se déploie peu à peu sur l’ensemble du monde.

Les points d’impact nombreux et partout distribués attestent d’une époque miraculeuse où l’humanité a été prête à recueillir les intuitions de transcendances plurielles, transformant dès lors son histoire à jamais.

Ayant ainsi identifié quatre trames de la reliure verticale, revient avec elles la question de leur puissance d’inspiration. L’histoire des rois mages répond définitivement, semble-t-il, à cette question. Ce récit, que l’on pourrait fort bien qualifier de mythique, n’a quant à lui rien de sombre puisqu’il ne met en scène que des personnages bienveillants. Si les trois rois désignent les allégories de l’argent, de la science et de la communication, Jésus symbolise évidemment l’axe transcendant de la religion.

L’or pour la monnaie et pour l’échange, l’encens pour l’émanation d’une communication orale dispersée et la myrrhe pour les vertus thérapeutiques, matérialisation des connaissances et des pratiques de sciences, trois objets, trois valeurs absolues déposées aux pieds du nouveau-né, fragile, nu, dépourvu de toute richesse apparente.

Trois rois, un genou à terre, proclament ainsi la suprématie du religieux. Malgré leurs puissances formidables, leur geste commun face à la faiblesse de l’enfant montre un rapport clair à la nouvelle religion sur le point d’éclore. Faisant cela, ils désignent l’Epiphanie de toutes épiphanies !

Et pourtant, la lumière de l’étoile scintillante ne pourra jamais dissiper les ténèbres entourant le massacre des innocents. Histoire d’une conversion transhistorique de la transcendance qui a débuté par l’horreur de victimes inutiles et s’est achevé par une mort fondamentale. Aux deux extrémités, toujours des innocents, comme si le trépas de Jésus n’avait été que la disparition retardée de l’enfant promis, trois décennies plus tôt, à un sort abominable. Or, dans l’intervalle court de ce décalage, le Verbe, incarné, a accompli son œuvre. Par lui, avec lui et en lui, des horizons insoupçonnés se sont ouverts à nous.

Certes « Relire le relié » de Michel Serres contient beaucoup d’autres trésors que ce simple travail autour des transcendances ne saurait retranscrire. Il me paraissait cependant utile d’en souligner les liens avec l’œuvre de René Girard, tant les histoires personnelles de ces deux penseurs ont connu de proximité, dénuées pourtant de toute rivalité ! Si intimement proches, dirais-je, qu’il paraît, sur certains plans, presque impossible de pouvoir les séparer vraiment.

Relisant une phrase en page 16, je réalise que celle-ci pourrait tout aussi bien figurer dans « Des choses cachées depuis la fondations du monde » :

Jésus à la Samaritaine : « De ce puits, où l’eau se transsubstantie en ambroisie, rayonne la résurrection des morts ».

Si chargée de sens, elle dit presque tout de ce qui précède !

*****

« Relire le relié », Michel Serres, éditions Le Pommier  2019

« Je vois Satan tomber comme l’éclair », René Girard, éditions Grasset 1999

« Des choses cachées depuis la fondation du monde », René Girard, Jean-Michel Oughourlian, Guy Lefort, éditions Grasset 1978

Une réflexion sur « A propos de transcendances »

  1. Quel beau texte ! Votre scrupule, cher Monsieur, selon lequel votre non-compétence en philosophie vous exposerait, parlant ici de transcendance, à « sombrer dans la banalité »‘ peut sembler superflu, peut-être même en décalage avec le sentiment que vous donnez à vos lecteurs, en tous cas à moi qui ai enseigné la philosophie, de nous livrer une réflexion un peu au-dessus de nos moyens, je dirais que son niveau transcende celui de nos petites discussions habituelles. Nous en sommes très honorés.
    J’aurais juste une remarque à faire à propos du péché originel. Vous l’associez à » la cruelle systématisation des processus sacrificiels » et semblez croire que c’est ce que fait Girard. Il y a là peut-être une erreur. Le péché originel ne relève pas d’une forme de culture, il est né avec nous, originel et hérité ; Pascal dit que c’est incompréhensible mais « cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme ». La théorie mimétique a su éclairer si ce n’est éclaircir ce mystère. Le péché originel a à voir avec la jalousie meurtrière et tout le processus mimétique qui a forcé les proto-humains, pour survivre, à utiliser la violence pour se protéger de la violence. Girard en parlant de la « paradoxale unité du religieux » a voulu, me semble-t-il, réhabiliter les religions archaïques. Nous continuons d’ailleurs à utiliser la violence pour nous en protéger. La violence satanique est postérieure à la Révélation : là, les hommes savent ce qu’ils font ou pourraient le savoir s’ils s’en donnaient la peine. La transcendance déviée, elle aussi, appartient à l’ère chrétienne. Girard en parle plus en historien (du désir métaphysique) qu’en anthropologue, c’est le monde de Dostoïevski, pas celui des religions archaïques.

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