
Le mécanisme mimétique est spontané. Il conduit, dès la petite enfance, l’individu à « élire » un modèle sans le savoir. Si le modèle est « bon » ― son parent, son maître d’école, toute figure d’attachement fiable ―, le processus peut conduire à des « constructions » réussies. Ainsi fonctionnent l’admiration, la vocation. (1) C’est Victor Hugo écrivant sur son cahier d’écolier : « Je serai Chateaubriand ou rien. »
Mais le choix est aléatoire. Pour prévenir les incertitudes de « l’élection », les parents, les éducateurs orientent l’enfant vers les bons modèles ― ceux, en tout cas, qu’ils croient bons. Ainsi les contes, les fables, toutes les figures mythiques jouent le rôle de modèles (ou de repoussoirs selon les cas). Pour le meilleur et pour le pire. Le super-héros violent « pour les garçons », et Blanche-Neige la soumise « pour les filles ». Nous avons appris à nous méfier de ces modèles-là.
L’éducation réussie amène l’enfant à faire siennes les représentations qu’il a enregistrées et à les métamorphoser pour qu’elles deviennent sa personnalité propre. Victor Hugo n’est pas devenu Chateaubriand.
Soit par méconnaissance (coupable quand même), soit par pure malignité, l’imitation peut être utilisée à des fins d’aliénation du sujet. Dans le pire des cas (celui de la publicité agressive ou celui de la manipulation par des dictateurs ou des gourous), l’imitation fonctionne comme agent de « décervelage ». Il s’agit alors de pousser le consommateur (ou l’adepte) à recopier sans penser. Les idoles, les stars médiatiques, les « influenceurs » sur les réseaux sociaux « travaillent » selon les mêmes méthodes que la publicité commerciale. Les messages doivent être rapides, simplissimes, flatteurs. Ils suscitent l’adhésion : en l’occurrence un simple « like ». Un peu de sexe et une touche de violence ajoutés au clip font passer le « contenu » plus facilement. Le but n’est plus de capter « le temps de cerveau disponible », mais de rendre le cerveau disponible à tout ce qui passe. L’effet de martellement est indispensable. L’imitation-répétition anesthésie le libre arbitre et conduit à un enfermement : dans un système, dans une idéologie, dans une dérive sectaire.
Tous les tyrans connaissent ces techniques et savent s’en servir. Hitler jouait sciemment avec les foules assemblées de nuit, exaspérées dans l’attente, ou via les écrans (de cinéma) interposés. Mao Zedong faisait hurler de pauvres gosses inconscients, sous le soleil, pendant des heures. Ces pauvres enfants sont ceux qui dirigent la Chine aujourd’hui ! Avant l’apparition des réseaux sociaux, on appelait cela de la propagande. Le nouveau nom de la propagande, c’est la « com. ».
Facebook, TikTok et autres machines du père Ubu fonctionnent de la même façon. Au départ, il s’agit d’accrocher le plus de « clients » possible pour satisfaire les « annonceurs ». Aujourd’hui, les réseaux ont été phagocytés par des groupes plus ou moins informels comme QAnon, Boogaloo, néo-nazis, néo-écolos, néo n’importe quoi. Donald Trump les a flattés pendant des années. Le génie sorti de la bouteille est incontrôlable et les commerçants, dorénavant, se barricadent au passage des hordes sauvages.
Notre époque s’est tendue à elle-même un piège dont elle semble incapable de se libérer : elle ne peut plus arrêter le monstre qu’elle a créé. Toute mesure contre le fonctionnement débridé des réseaux sociaux est immédiatement qualifiée de liberticide. Comme si être « pucé » par Google ou collectionner des points de « crédit social » étaient une expression de la liberté !
Nous sommes condamnés à nous imiter en masse et sans fin. Le monde hyper mimétique annoncé par René Girard est bien là. Et nous n’avons plus de boucs émissaires pour nous offrir une belle sortie sacrificielle. Le complotisme, de ce point de vue, est un aveu. Les persécutés du Web voient des méchants partout. Les pseudo-boucs émissaires se multiplient à l’infini, autant dire qu’il n’y en a aucun de disponible ni d’efficace, il n’y en a plus du tout.
Il nous reste à relire l’Apocalypse de Saint Jean et à comprendre que, ça y est, nous y sommes !
(1) A venir une webconférence de Joël Hillion dans le cadre de la série « Champs mimétiques » organisée par l’Association Recherches Mimétiques, le 25 mars prochain à 19 heures :
« Ce que la Théorie mimétique peut dire aux enseignants«
C’est fait, alleluia, le temple de la fausse transcendance est abattu sous les feux de la dernière coupe de colère, le voile est définitivement déchiré sur le spectacle de notre réalité, éclairée par la lumière de l’agneau, victime innocente, ce modèle qui trouve sa résurrection en proposant à notre mimétisme d’apprendre à pardonner, cet instant où le plus humble incarne la divine potentialité devant le tombeau déserté de la mort vaincue, nous laissant, et c’est absolument mirifique,de choisir, ou pas, de l’imiter en s’affranchissant de toute violence totalitaire, ce plus humble demandant à la femme éplorée :
« Marie, pourquoi pleures-tu ? «
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