
J’ai lu avec un grand intérêt le livre de Michel Eltchaninoff : « Lénine a marché sur la lune. La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes », qui vient de sortir chez Actes Sud. Ce livre est une clé pour comprendre ce qui habite non seulement l’esprit malade de Vladimir Poutine, mais aussi le soutien du peuple russe, qui quoi qu’on en dise, maintient au pouvoir depuis si longtemps un paranoïaque avéré.
Je n’en ferai pas un résumé, ce serait dommage ; ce livre très bien documenté se lit comme un roman. Je peux seulement dévoiler comment les thèmes principaux du cosmisme selon Fiodorov, chrétien orthodoxe, qui correspondait avec Dostoïevski, ont influencé les bolcheviques, nombre de scientifiques russes, et jusqu’aux transhumanistes américains. Pour Fiodorov, l’activité humaine peut « organiser la vie cosmique, surmonter la mort et ressusciter les cadavres ». Ce fond idéologique et religieux influence certainement l’alliance « sacrée » entre Poutine et Cyrille : le patriarche de Moscou.
Ce qui me conduit à recommander cette lecture sur un site consacré à l’œuvre de René Girard est la question de l’Apocalypse, ou plutôt d’une lecture qui semble rassembler les lecteurs de ce blogue autour de l’interprétation donnée par Girard sur ce thème. Je l’ai dit et redit ; c’est un point de désaccord en ce qui me concerne, puisqu’il me semble évident que les textes apocalyptiques (et en particulier celui de Jean) concernent la destruction de Jérusalem et de son temple en 70. Voir l’Apocalypse (dans les deux sens du terme, destruction physique et révélation) à chaque fois que se présente un contexte de violence ou de confusion extrême (bien que révélatrice d’une panique mimétique) me semble non seulement erroné, mais également dangereusement proche de la folie du couple Poutine-Cyrille (ce dernier a récemment déclaré : « nous ne sommes pas en guerre contre l’Ukraine, mais contre l’Occident »). Ces deux illuminés qui veulent détruire pour qu’émerge « l’homme nouveau » n’ont évidemment rien à voir avec l’Apocalypse telle que l’envisageait Girard, mais je crois profondément qu’il faut nous dégager de cette eschatologie chrétienne qui a soutenu tant de projets sectaires ou totalitaires. En répétant à l’envi que l’Apocalypse est l’actualité, on finit par trouver une forme de justification à la violence, ou plus précisément d’explication rassurante dans le genre « c’était écrit ». Le christianisme n’est, à mon sens, ni fataliste, ni eschatologique.
Il s’agit aussi de comprendre notre aveuglement collectif devant des évènements clairement annoncés par les mots et par les actes de Vladimir Poutine. Récemment encore, Eric Zemmour a produit un très beau lapsus : « Je vois ce que je crois ! ». Il est urgent de ne pas lui emboîter le pas…
Comme toujours chez vous: profond, pédagogique, panoramique et éclairant.
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Merci pour ces compliments ! J’ai hésité à cliquer un « j’aime », mais cela m’apparaissait trop évident pour le dire ainsi…
Pour faire suite au livre de Michel Eltchaninoff sur le cosmisme, signalons la cérémonie surréaliste, en présence de Loukachenko, à l’occasion de la Journée Annuelle de l’Espace: ce 60è anniversaire du vol « héroïque » de Gagarine le 12 avril 1961 (précédé du sacrifice d’innombrables cobayes humains pour tester les capacités de résistance du corps humain…). Si Cyrille n’était pas convié, c’est parce que Poutine joue sur deux tableaux contradictoires : l’orthodoxie (la « sainte Russie ») et l’URSS (l’idéal révolutionnaire), et parvient à les réunir habilement en mettant en avant Staline (et sa « grande guerre patriotique ») au détriment de Lénine ou Marx (les communistes): on doit convenir d’un certain talent…
M. Poutine a insisté sur « la grande fierté que ce fut notre pays qui ouvrit la route vers l’univers » et annonce vouloir investir 40 milliards d’euros dans cette industrie et ce projet. Pendant ce temps, alors qu’il semble bien que la troisième guerre mondiale ait été déclenchée à son initiative, les français pensent à leur « pouvoir d’achat » menacé, et risquent de placer au pouvoir un parti mafieux, qui se nourrit du mythe de Jeanne d’arc et de la nostalgie pour l’Algérie française, et par là, de l’empire…
Ce sont toujours les mythes, ancrés dans le passé et désignant un avenir radieux qui intéressent les foules, mais aussi les plus grands penseurs, René Girard compris lorsqu’il convoque « l’Apocalypse » – autre grand mythe – pour appuyer une thèse qui n’en avait vraiment pas besoin, puisqu’elle consiste principalement à dévoiler l’illusion mythologique. Et j’avoue qu’il a fait mouche malgré ce paradoxe évident, y compris sur moi-même pendant un certain temps, car nous avons tous besoin d’images fortes, convoquant l’imagination, pour comprendre le monde. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas inventé le théâtre, et le cinéma.
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Benoît,
Vous écrivez : « le christianisme n’est, à mon sens, ni fataliste, ni eschatologique ». Qu’il ne soit pas fataliste, je vous l’accorde sans peine. Mais comment pouvez-vous affirmer avec aplomb qu’il n’est pas apocalyptique ? Ou que les textes apocalyptiques se limitent à une évocation de la chute de Jérusalem ? Qu’appelez-vous « textes apocalyptiques » ? Il y a des allusions apocalyptiques dans quasiment tous les livres de la Bible. Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, un grand nombre de psaumes, Daniel, le Coran… sont des textes fondamentalement apocalyptiques. Si vous lisez les écritures avec ce parti-pris d’en nier la dimension eschatologique, vous vous condamnez à en faire une lecture positiviste et à les ramener à des livres d’histoire, sans grand intérêt pour notre époque.
J’entends bien vos réserves en ce qui concerne l’usage que nous avons fait de cette dimension, et je vous rejoins dans votre condamnation de ces dérives. Pour autant, vous passez sous silence tous les mystiques qui y ont puisé une partie de leur inspiration. La pensée apocalyptique fonde deux piliers de la foi chrétienne, la foi et l’espérance. Je ne pense pas qu’on puisse réduire tout cela à des « projets sectaires et totalitaires », même s’il y en a eu bien sûr.
Finalement, rejeter la conclusion apocalyptique de l’œuvre de Girard, n’est-ce pas mettre en doute le reste ? Il me semble qu’il y a une continuité parfaitement logique et cohérente entre le désir mimétique, le mécanisme victimaire et les conséquences de l’abolition de ce dernier.
Je trouve votre article réducteur, ce qui ne me dérangerait pas si vous ne présentiez pas les choses de manière aussi péremptoire, comme si tout cela tombait sous le sens. Je retrouve cette réduction dans l’explication ésotérique de la « folie » de Poutine ; même si c’est une des clés de compréhension de la dérive totalitaire du pouvoir en Russie, j’ai le plus grand mal à croire que ce soit la seule, voire la principale. Ça me fait penser au « matin des magiciens » et à son hypothèse d’une source mystique du nazisme. Ne tombez-vous pas dans le piège que vous cherchez à éviter, à savoir « [finir] par trouver une forme de justification à la violence, ou plus précisément d’explication rassurante » ?
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Je ne peux pas cliquer sur « J’aime ». Mais j’approuve totalement ce commentaire. Difficile de retrancher l’Apocalypse de la Révélation et de l’orientation théologique de l’anthropologie girardienne. On peut penser différemment mais il me semble risqué de présenter comme un progrès de la pensée l’escamotage de l’eschatologie chrétienne et girardienne.
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Hervé,
Je reconnais que mon point de vue exige un développement approfondi, que j’ai effectué dans un livre qui paraitra, je l’espère, un jour. J’ai également envoyé un texte prolongeant ce premier message, car je me doutais qu’il serait mal compris, et Jean-Louis Salasc devrait le publier bientôt sur ce blogue. Dans cette attente, et parce que je ne peux pas trop m’étendre sur le fond dans ce cadre, voici quelques éléments de réponse.
On appelle « texte apocalyptique », tout récit exprimant une révélation (sens du terme apocalypsis). D’origine divine dans la Bible, l’évènement se présente sous forme de vision, de rêve, de parole reçue par un homme, et toujours destinée à être transmise afin de prévenir le peuple élu de certaines conséquences d’actions ou situations en cours. Ceux qui reçoivent ces révélations sont nommés « prophètes » dans l’ancien testament et ultérieurement « saints » par les chrétiens.
Vous semblez confondre les termes « apocalyptique » et « eschatologique », mais ce dernier signifie « l’étude des fins dernières de l’homme et du monde ». On entre là dans le domaine général de la philosophie, de l’interprétation, de l’idéologie, et on quitte celui d’une parole ou d’une vision directe, adressée à un individu de la part de Dieu. C’est en cela que toute eschatologie est dangereuse, car tous les totalitarismes y trouvent leur justification : la fin (définie par une eschatologie ou téléologie) justifie les moyens (la violence). Evidemment, je ne souscris pas à cela ; ce que vous semblez suggérer…
Je ne mets certainement pas en doute l’œuvre de Girard, mais une certaine confusion entre une hypothèse scientifique et un engagement chrétien, qui apparait lors de son interprétation des apocalypses évangéliques (ce que je développe dans le texte transmis, à venir). En ce qui me concerne, j’estime que la théorie mimétique est d’une valeur scientifique fondamentale, et d’autre part, je considère volontiers Girard comme un prophète ou un saint, c’est-à-dire comme un homme ayant reçu une révélation d’origine divine, ou apocalypse. Mais comme on sait, cela pose toujours des problèmes de reconnaissance de la part de la communauté scientifique d’un côté, et du clergé de l’autre. Ces institutions ont une fâcheuse tendance à ne reconnaitre que ceux qui appartiennent au sérail. On béatifie volontiers un pape, pas un professeur de littérature française…C’est dommage car l’Eglise n’est pas constituée par l’ensemble du clergé consacré, fort heureusement. Cependant, la tentation consistant à le laisser croire aux « profanes » est grande, et la confusion entre l’Eglise et le clergé (cette « classe de loisir » : j’aime bien Thorstein Veblen…) est désormais permanente dans la langue commune.
Enfin, reconnaitre que les apocalypses évangéliques et celle de Jean concernent la prochaine destruction du temple de Jérusalem n’est en rien positiviste ou historiciste : il suffit de les lire pour s’en assurer. Dans celle de Jean, s’y ajoute également le projet d’ « achever » les apocalypses précédentes, prononcées par les prophètes, d’où les mentions de Babel, etc. Il ne s’agit pas seulement d’un évènement historique : pour Jean, la destruction du temple signe l’aboutissement du judaïsme, c’est-à-dire la fin des sacrifices rituels dont le temple est le centre quasiment industriel, et l’avènement du Royaume de Dieu.
Girard a été frappé par une analogie possible avec « la bombe », lors de ses premières utilisations à Hiroshima et Nagasaki, et ce avant même d’avoir commencé à formuler sa théorie (en 1946). Il a ensuite choisi d’intégrer cette puissante impression, et cette hantise d’une destruction de la vie par la main de l’homme, dans un cadre théorique. C’est tout à fait respectable, d’autant plus que cela annonçait sa conversion prochaine. Nous procédons tous par associations, et le « fils spirituel » de Freud ne pouvait naturellement pas y couper… Mais je suis persuadé que si nous voulons poursuivre son œuvre scientifique, il faut prendre ses distances avec cette impression et cette association, parce qu’elle ajoute de la confusion, et surtout parce qu’elle attire ceux qui sont à la recherche d’une idéologie politique, ou plus précisément : d’une eschatologie pour la soutenir (Luc-Laurent Salvador et lucadeparis nous ont fourni un exemple entre d’autres, bien qu’ils se cachent derrière la confusion des doubles… exemple typique d’une théorie plaquée sur une réalité afin de mieux l’ignorer…).
Ce n’est pas la lecture du « matin des magiciens » qui m’autorise à envisager le nazisme (et le poutinisme) comme soutenus par une eschatologie. (Sur l’idéologie nazie en faveur des animaux, voir : Arnold Arluke, Clinton R.Sanders, Le travail sur la frontière entre les humains et les animaux dans l’Allemagne nazie, Politix. Revue des sciences sociales du politique. Année 2003, n°64, pp. 17-49, disponible sur internet, mais je ne sais pas comment insérer un lien sur ce blogue…). Le projet de Goering de restaurer le culte de la vache sacrée des anciens germains, le végétarisme comme projet d’avenir selon Hitler… tout cela est connu et concerne également l’écologie radicale, ce n’est donc pas un hasard si le livre de Pauwels et Bergier a tant intéressé les hippies des années 70. (Lire aussi : FRANCOIS S. (2012). Antichristianisme et écologie radicale. Revue d’éthique et de théologie morale, 272(4), 79-98. également disponible sur internet). Aussi, si la Russie et la Chine nous en laissent l’occasion, le prochain danger pourrait aussi venir de ce genre d’idéologie (deep ecology) soutenue par une eschatologie païenne.
Je reconnais un ton un peu trop polémique dans mes écrits sur ce blogue, et je prie ceux que j’ai pu blesser de m’en excuser, mais tout ce discours sur « la conclusion apocalyptique de l’œuvre de Girard » me dérange au même titre que cet arbre qui cache la forêt… Et cela d’autant plus au regard de la guerre mondiale qui a commencé. Je pense au fond que c’est par modestie (ne pas apparaitre comme un prophète) que Girard a convoqué les apocalypses pour défendre une idée qui découle de sa théorie : la violence qui n’est plus contenue par le rituel se déchaînera. Pour ma part, je trouve plus « scientifique » de lui accorder cette place prophétique – Si l’on est croyant, pourquoi pas ? – car ses arguments sont bien fondés. Le mythe de l’Apocalypse apparait alors dans son oeuvre comme le ber d’un navire : cet échafaudage provisoire doit être enlevé pour qu’il puisse être mis à l’eau, et faire son chemin…
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Benoît, merci pour ces précisions, qui lèvent en partie le malaise que j’avais ressenti à la lecture de votre article. Il reste pour moi un point de désaccord, votre conception du prophétisme et des versets apocalyptiques « afin de prévenir le peuple élu de certaines conséquences d’actions ou situations en cours ». Il y a quantité de versets qui précisent au contraire l’aboutissement de ces prophéties à la « fin des temps », résolument hors du contexte contemporain de ces versets. Pour le reste, je vous rejoins sur les dangers des « eschatologies païennes » ou récupération du concept mystérieux d’apocalypse pour des très mauvaises raisons…
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Hervé,
Encore faudrait-il définir ce que « la fin des temps » signifie dans ces versets. La fin du monde ? L’aboutissement des évènements en cours ou en préparation ? Pour y voir plus clair, il serait intéressant que vous nous orientiez vers des éléments plus précis, à quels versets faites-vous allusion ? Pour l’instant, je persiste à penser que toute trace eschatologique présente dans la Bible relève d’un fond païen, c’est-à-dire d’une religion assujettie à une idéologie politique. Jusqu’à preuve du contraire…
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Bonnes fêtes de pâques à vous tous
Ce petit mot, sans vouloir prendre parti, pour ou contre la fin des temps, je suis aussi intéressé, Hervé, pour connaître les passages auxquels vous pensez.
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Excusez-moi pour ma réponse tardive.
Ezechiel 38-39 décrit le combat final entre le bien et le mal : « Depuis bien des jours, on aurait dû intervenir contre toi ! Cela arrivera à la fin des ans, sur une terre dont la population a été entraînée après le passage de l’épée. ». Daniel 12 : chronologie de l’Apocalypse. Les notions de fin des temps, du jugement ou du retour du Christ sont intimement liées. Je prends un peu d’avance sur un article à paraître :
7Quant aux cieux et à la terre actuels, la même Parole les tient en réserve pour le feu, les garde pour le jour du jugement et de la perdition des impies. 8Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. 9Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. 10Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, jour où les cieux disparaîtront à grand fracas, où les éléments embrasés se dissoudront et où la terre et ses œuvres seront mises en jugement. 11Puisque tout cela doit ainsi se dissoudre, quels hommes devez-vous être ! Quelle sainteté de vie ! Quel respect de Dieu ! 12Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu, jour où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront ! 13Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite. ( 2 Pierre 3). Ce ne sont que quelques exemples.
Je précise que je ne lis pas ces versets comme l’annonce d’un événement physique et temporel précis. Une prophétie n’est pas un acte de divination, c’est, comme Girard nous l’apprend, la connaissance anthropologique qui permet de prédire certaines étapes dans le processus de notre naissance à la conscience. Les images de destructions et de cataclysmes, notamment dans l’Apocalypse de Jean, sont hautement symboliques. Il est absurde de tenter de tirer de ces textes des prévisions de date et de lieu. Pour autant, tout, dans la Bible, pointe vers une évolution qui nous amènera à une révélation, synonyme de crise et de rédemption.
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Hervé,
Vous êtes non seulement excusé, mais remercié pour votre recherche… Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fond. « Une prophétie n’est pas un acte de divination, c’est, comme Girard nous l’apprend, la connaissance anthropologique qui permet de prédire certaines étapes dans le processus de notre naissance à la conscience. » Jean ne fait pas de prévision de date et de lieu, mais il est évident qu’il fait référence et répète les nombreux avertissements prononcés par Jésus au sujet de la destruction prochaine du temple de Jérusalem, et de son remplacement par l’Eglise (« corps du Christ »). Dans cette perspective, cette mutation correspond à « la fin des temps » selon Daniel, Ezéchiel, Isaïe… C’est-à-dire la fin des temps soumis à la violence sacrificielle. Le christianisme (ou le retour du Christ si vous préférez, c’est à dire la résurrection de Jésus) est selon Jean ce qui advient après la fin du rituel sacrificiel dont le temple est le centre organisateur : « De temple, je n’en vis point en elle ; c’est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l’Agneau. » (Ap.22, 21). A travers l’accomplissement de toutes les prophéties ou apocalypses antérieures, Jean veut prouver que Jésus est le Christ, attendu par les prophètes. Cela doit passer par la destruction effective du temple, qui est un évènement historique majeur, et compte tenu des tensions extrêmes entre sectes juives et pouvoir romain, cette issue est prévisible pour tous ceux qui ont des yeux pour voir (mais la plupart préfèrent habituellement les fermer : voyez les évènements actuels…)
Ma lecture est différente de celle de Girard et de la vôtre en ce que je tiens à conserver le sens initial d’apocalypsis : révélation ou « découvrement » (selon Chouraqui) adressée à un homme (prophète ou saint) par Dieu. On peut parler d’eschatologie dans la mesure où la « fin des temps » est conçue comme l’affrontement final des « fils de la lumière » et des « fils des ténèbres », ouvrant sur un monde nouveau. Ce n’est pas la description d’une crise majeure entrainant une brusque révélation ou prise de conscience collective de la vérité, ou rédemption collective, ce qui me paraît un peu trop beau, entrant quasiment dans le domaine du kitsch… Ni au contraire l’explosion atomique qui pulvérisera la terre…
Le fait que l’apocalypse n’ait rien à voir avec « la fin du monde » (méprise qui dérive de la confusion avec « la fin des temps », c’est-à-dire l’issue d’une période indéfinie), cela devient clair lorsque Jean voit dans son récit l’ange descendu du ciel enchaîner et précipiter Satan dans l’abîme pendant mille années, mais « après cela il sera délié un peu de temps.» (Ap.20, 1). On peut voir que l’Histoire continue…
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Hervé,
Vous hésitiez, me semble-il, à définir ma position soit comme « positiviste-historique » – cas de ces professeurs moqués par Girard parce qu’ils étaient contents de découvrir l’absence de falaise à Nazareth…– soit mystico-louche – cas de ces auteurs du best-seller de type « Le matin des magiciens ». Vous reconnaitrez qu’entre les deux, il faut choisir. Je ne pense pas entrer dans ce genre de format, mais dans la logique même de cette attention au réel qui a toujours guidé la pensée de René Girard. Si je me permets d’exprimer un désaccord avec certaines de ses interprétations, c’est seulement à l’aide des outils qu’il nous a donnés. Votre position, en revanche –ne voyez rien de mimétique dans ce « en revanche »…– pourrait être rapprochée de la méthode « psycho-structuraliste » de Lacan, qui distinguait imaginaire, symbolique et réel, ces ingrédients d’une cuisine quelque peu indigeste, dont les recettes resteront obscures à tout jamais.
C’est la grande force du texte biblique, en particulier, que de montrer comment ces « trois ordres » sont intimement liés. Ainsi des « miracles » (réel) qui sont des « signes » (symboliques) et produisent des images fortes (imaginaire). Citons à titre d’exemple : la transformation de l’eau en vin ; marcher sur l’eau ; guérir un aveugle avec de la boue et de la salive le jour du sabbat (voir l’interprétation de James Alison); la destruction du temple signant l’aboutissement des prophéties et le règne de l’Agneau. Les prophéties elles-mêmes, celles de Daniel et Ezéchiel contraints à vivre en exil à Babylone, annonçaient la ruine des empires présents et à venir, dont ils subissaient le joug. Elles deviennent incompréhensibles si on les détache du réel, du vécu, de l’Histoire. En détachant les textes apocalyptiques de tout évènement réel, on peut se permettre de les utiliser à sa guise pour les appliquer à tout et n’importe quoi : c’est une facilité à laquelle je ne veux pas céder.
Girard a néanmoins le droit de souligner certaines correspondances entre le monde actuel et la situation traversée par les auteurs de ces textes, mais il a tort de croire qu’ils puissent s’appliquer à la guerre nucléaire ou autre réalité conflictuelle de moindre ampleur. C’est ce type d’erreur que je qualifie d’eschatologique, peut-être à tort : je ne suis pas théologien. Comme je le développerai dans le texte en attente qui prolonge ce précédent, cette erreur est ancienne, puissamment ancrée dans la mémoire de l’église catholique, puisque les premiers chrétiens étaient déjà obsédés par l’attente de la fin du monde et du retour du messie, sans se rendre compte que ces évènements avaient déjà eu lieu : destruction du temple et résurrection de Jésus (dans un sens chronologique inverse).
Dans « Le bouc émissaire », Girard montre pourtant jusqu’à quel point le monde ancien avait disparu : nous interprétons les persécutions du moyen-âge – les juifs accusés de provoquer la peste – pour ce qu’elles sont, alors que nous traitons les mythes, qui racontent la même histoire, sans faire le rapprochement avec le réel. Vous faites la même erreur au sujet des apocalypses. La transformation de notre regard sur le réel des persécutions prouve néanmoins la profondeur et la réalité de la mutation prodigieuse opérée par la révélation (« je ne suis venu que pour rendre témoignage de la vérité ») – ou autrement dit : par l’Incarnation, du point de vue chrétien – et qui a entrainé le monde entier dans son sillage : « croyants » et « incroyants » mêlés. Nous vivons, depuis ce moment unique, historique, vécu, dans un monde renouvelé, dans un nouveau monde. Inutile d’attendre je ne sais quel jugement dernier : il ne nous reste qu’à le vivre pleinement dans la vérité de notre condition humaine révélée.
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Poutine… « un paranoïaque avéré ».
Auriez-vous une ou deux sources sérieuses (non journalistiques) établissant ce fait « avéré » ?
« l’activité humaine peut « organiser la vie cosmique, surmonter la mort et ressusciter les cadavres ». Ce fond idéologique et religieux influence certainement l’alliance « sacrée » entre Poutine et Cyrille : le patriarche de Moscou. »
Quels sont les éléments qui vous donnent cette « certitude » ?
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Mr Salvador,
Pour répondre à votre question, je citerai Aliocha : « Marcel Mauss, en 1936, dans un débat du Collège de France, après une conférence d’Élie Halévy sur « l’ère des tyrannies », avait dit que ce qui fondait l’Union soviétique était l’existence d’un gouvernement du « complot permanent ». J’ajouterai que Poutine, en digne représentant de feu l’URSS est atteint d’une maladie professionnelle qui touche tous les dictateurs. Pas besoin d’expertise psychiatrique : on reconnait un arbre à ses fruits.
Sur le cosmisme et son rapport à l’orthodoxie, mes sources sont citées : c’est le livre de Michel Eltchaninoff, dont je vous conseille vivement la lecture. Bien sûr, ces sources complètent une réflexion personnelle amorcée depuis fort longtemps.
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