
Le film du jeune réalisateur Samuel Theis aborde un sujet brûlant et essentiel dans la relation maître-élève. Il n’y a pas d’apprentissage sans une bonne dose de mimétisme, surtout à l’école primaire. Le bon élève veut ressembler à son maître. Le désir d’être (comme son maître) se sublime généralement en admiration, en désir d’apprendre toujours plus, désir d’en savoir autant que le maître. Il se peut aussi que le désir s’attache à la personne du maître. C’est le cas des enfants en manque d’affection, en recherche d’un modèle « sécure ».
C’est ce qui arrive au petit Johnny, le héros de Petite nature. Ce désir d’identification se double alors d’un besoin irrépressible d’être aimé. Et pour cela, l’enfant se rend « aimable ». Pour peu qu’il ait quelque talent, il devient vite le « chouchou » du prof. Johnny, de ce point de vue, remplit toutes les cases. Se sachant aimé du maître, son admiration jusque-là naturelle se change en séduction. Comme le dit l’instituteur dans le film, il s’y mêle nécessairement quelque affect. L’amour peut être une forme sublimée du désir, ou se changer en un attrait plus charnel, plus immédiat. Les jeunes enfants peuvent être « entiers », sans mesure, poussés par leur seuls « affects ». Dans Petite nature, l’enfant se croit en capacité de conquérir totalement son maître, corps et esprit. Et le drame est inévitable.
L’enseignant, dans le film, remarquablement joué par Antoine Reinartz, fait preuve d’une maîtrise et d’une responsabilité exemplaires. Il n’empêche cependant pas la tentative de résolution sacrificielle du désir incontrôlable : l’enfant rejeté est la victime idéale, c’est lui qui se sacrifie.
Sur un thème aussi difficile, le réalisateur fait preuve d’une extrême pudeur, voire sans doute d’un excès de prudence. Ce qu’il tente d’exprimer est plus évoqué que démontré. Il illustre une passion dévorante par beaucoup de litotes. Son jeune acteur, Aliocha Reinert, joue parfaitement son rôle, avec finesse et intelligence. Mais devant la description d’une passion impossible, le réalisateur se retient, à l’image de l’instituteur que la ferveur de l’enfant pour lui affole.
Je sais combien il est difficile de faire face à de telles situations. Dans mes années d’enseignement, et avec mon approche poétique, musicale, et avec aussi ma personnalité, j’ai plusieurs fois observé des comportements de séduction appuyée de la part de mes élèves, garçons ou filles. Il s’en est même trouvé un, une fois, qui m’a déclaré, en pleine classe : « Vous ne voudriez pas m’adopter ? » Je lui ai fait remarquer que j’avais déjà des enfants. Il commenta seulement : « Je veux parler d’une adoption spirituelle. » La plupart du temps, les élèves savent parfaitement quel jeu ils jouent.
Quant aux enseignants, ils doivent savoir à quoi s’en tenir. J’ai été fou amoureux de ma prof de français en classe de première… Cela m’a sûrement servi dans la suite de ma carrière. J’avais expérimenté le mécanisme mimétique avant même d’avoir lu René Girard !
Les enseignants n’ont pas d’autre tâche que celle d’être des « modèles », ils doivent en avoir une conscience claire, ils doivent se rappeler ce « mécanisme », ils doivent savoir garder leur place, et ne jamais se départir de leur responsabilité d’adulte. Dommage que la théorie mimétique ne soit pas enseignée aux futurs maîtres et aux futures maîtresses d’école.
J »ai enseigné longtemps aux Etats Unis, dans l »université et le secondaire. Sous des modalités différentes, le mimétisme y est bien évidemment présent. Depuis l’émulation qu »on pourrait appeler naturelle et saine, jusqu’`a l’ attachement affectif du type parent de substitution, en particulier chez les enfants et les adolescents dans des situations familiales problématiques, et la séduction (dans les deux sens, surtout quand la différence d’age est minime dans le cas de jeunes profs). Le sujet était ouvertement évoqué dans des réunions de faculté, comme une réalité inévitable et ambivalente. Cela d’autant plus que dans l’enseignement public, ily a clairement une attente de la communauté locale, meme une exigence, que les profs soient des modèles dans la vie à l’extérieur comme à l’intérieur de l’école. La théorie n’est pas là, mais la notion de « role-model »que tout prof doit assumer partout, en public et en privé n’en est pas loin.
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