Marie NDiaye porte un mécanisme victimaire contemporain au théâtre

par Jean-Marc Bourdin

Marie NDiaye est une romancière et dramaturge consacrée par l’attribution de prix littéraires nombreux, dont le Fémina et le Goncourt, ou encore l’inscription d’une de ses pièces au répertoire de la Comédie française.

Je viens de découvrir une de ses œuvres récentes en assistant à la représentation d’un monologue théâtral : Royan. La professeure de français, écrit pour et interprété par Nicole Garcia, qui donne ce texte avec un talent hors du commun. La pièce est en tournée en province et sera prochainement donnée pour plusieurs représentations au Théâtre de la Ville à Paris. Son texte a été publié chez Gallimard en 2020.

S’entrecroisent le destin d’une enseignante qui se présente comme “mal aimante” et d’une de ses élèves, brillante, que le harcèlement scolaire conduit au suicide. Au moment de rendre des comptes aux parents de la lycéenne et avec l’intention de s’éviter cette rencontre, la professeure de français de Royan, Gabrielle, se remémore sa propre histoire et le processus inéluctable qui conduit son élève Daniella à la défenestration, alors qu’elle s’est refusée à donner suite à ses appels au secours.

Je n’en ferai pas une analyse critique, chacun se fera son opinion. Je me contenterai de citer ici un court extrait.

Au moment du dénouement, Gabrielle se rappelle quelques paroles que son élève lui avait adressées peu avant sa mort :

Vous êtes un pantin qu’ils voudraient mettre en pièces, bien légitimement, car non seulement ce pantin n’enseigne sur la vie rien de vrai ni de juste, mais il s’évertue à nous persuader qu’il le fait.

Ce n’est pas supportable, Madame, et sachez que je vous protège, mais que j’en ai assez que mes forces s’amenuisent.

Sachez Madame que je suis votre parafoudre […]

Vous vivez dans l’illusion car vous avez peur, Madame, de cette haine que vous suscitez du fait même qu’on devine cela en vous,

que vous vivez dans l’illusion.

Mais je ne veux pas moi, Madame, devenir la victime d’un sacrifice de substitution,

je ne veux pas mourir à votre place.

Dénoncez-vous, Madame, et dites-leur que c’est vous qu’ils doivent attaquer s’il leur semble qu’il y a dans cette classe quelqu’un à éliminer.

Entrez sur le champ de bataille et mettez-moi à couvert enfin […]

Je crois que sans le savoir j’ai fait un malheur sur terre.

Quoi de neuf depuis Sophocle ? La Révélation ?

5 réflexions sur « Marie NDiaye porte un mécanisme victimaire contemporain au théâtre »

  1. Merci Jean-Marc. J’aime la sobriété de ton article, son humilité qui laisse la parole à la victime. C’est, à peine audible au milieu du brouhaha du scandale, la seule parole qui fasse sens ces jours-ci.

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  2. Tout y est ! La polarisation de l’antipathie d’une foule(la classe) sur un individu particulier, protégé par son statut. Il s’en suit la désignation d’une victime de substitution, qui ne souhaite plus l’être. Ce régime renseigne il me semble les phénomènes de « School shooting » qui se développent de plus en plus au-delà des États-Unis.

    Aimé par 2 personnes

  3. Bonsoir,
    Je suis intervenu quelquefois sur ce site sous mon nom, Serge Lochu.
    La lecture de l’excellent article de Jean-Marc Bourdin m’a encouragé à intervenir cette fois en tant que président de la jeune association Amarânte.
    L’association soutient un spectacle vivant construit sur le thème du bouc émissaire afin d’alerter sur les formes nouvelles de violence issues de la pandémie : fragmentations multiples du corps social, sur le mode binaire « anti/pro », suscitant inévitablement des stigmatisations de personnes ou de groupes comme il a été justement rapporté à plusieurs reprises sur ce site.
    Le spectacle, intitulé « L’âne et le bouc », se caractérise par un fort ancrage dans les Pyrénées.
    Il est beaucoup moins académique et beaucoup plus artisanal (bien qu’une conteuse professionnelle intervienne) que le monologue théâtral « Royan, la professeure de français » de Marie NDiaye.
    Une première personnalité locale est mentionnée dans le spectacle. Il s’agit de Francis Jammes (1868-1938). Tenu en son temps à l’écart des cénacles parisiens en raison de son côté « pyrénéen », il a été reconnu plus tardivement par Brassens, lequel a mis en musique un ses poèmes les plus illustre « la Prière ». Nul doute que ce texte aurait sa place dans l’analyse de l’œuvre de Brassens relayée sur ce site par Jean-Louis Salasc (https://emissaire.blog/2021/12/12/chansons-christiques/)
    « L’âne et le bouc » se veut aussi un « spectacle politique » dans le sens où il interpelle des personnalités exerçant le pouvoir : en l’occurrence le président de la République et le Premier Ministre, lesquels ont des attaches fortes dans les Pyrénées  ! Il le fait sur un mode délibérément humoristique et respectueux.
    En vous connectant sur le site de l’association https://amarante.info/, vous constaterez que le spectacle, présenté en deux parties, se termine par la rédaction du lettre ouverte, signée de l’âne Gus (héros du spectacle), envoyée au président de la République et porteuse d’une demande d’audience. Anticipant une réponse positive, Gus se met en marche vers Paris, accompagné de son ânier, moi-même. La marche nommée « Gus en chemin : de Notre-Dame de Garaison à Notre-Dame de Paris » devrait aboutir le 22 décembre prochain. Aujourd’hui, nous sommes dans le Loir et Cher.
    En imaginant ce spectacle et en m’entourant de personnes compétentes pour le monter, j’ai été fortement inspiré par le désir de « vulgariser » la pensée de René Girard, pensant que cela pourra avoir une utilité (laquelle, je ne sais?!) dans la période que nous traversons. J’espère ne pas m’être trompé. Il y a certainement un risque à essayer de faire descendre les idées dans la rue…
    Je remercie par avance ceux qui auront lu mon commentaire et leur suggère de relayer dans leurs réseaux, s’ils le souhaitent, le lien suivant https://amarante.info/
    Serge Lochu

    Aimé par 2 personnes

  4. Merci Jean-Marc d’avoir validé mon commentaire et de l’avoir « aimé »! Pensez-vous qu’il y aurait une possibilité pour faire connaître de façon plus visible l’initiative d’Amarânte sur ce blog, alors que nous entrons dans la phase finale du voyage de Gus vers Notre-Dame de Paris (arrivée prévue le 22 décembre) ?

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    1. Je vous recommande de regarder s’il est possible de faire quelque chose avec Jean-Louis Salasc, l’actuel responsable du blogue. Je vous recommande de lui proposer un article dans la logique éditoriale, quitte à y faire allusion aux intitiatives que vous souhaitez promouvoir.

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