
Jean-Marc Bourdin
Encore un éclairage profond avec cet article d’Hervé van Baren. En le lisant, alors que je cherchais un antonyme à violence, je me suis rendu compte qu’il n’en existait pas vraiment en français (on trouve paix, apaisement, douceur, modération, termes qui ne représentent au mieux qu’une partie du contraire, au demeurant souvent avec biais) sauf non-violence.
Christine Orsini
J’ai lu l’article d’Hervé van Baren avec émotion parce qu’il éclaire en profondeur le scandale encore plus insupportable que le scandale de la pédophilie (et il est difficile de trouver plus scandaleux que ces actes-là !!), celui du silence qui les a protégés et fait prospérer au sein même de l’Eglise.
Mais enfin pourquoi des textes sacrés qui auraient pour but de nous mettre devant la réalité de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, ont-ils besoin d’être renversés par l’apparition d’une crise (remis à l’endroit, en fait) pour devenir tout à fait éclairants ? Que les mêmes textes puissent être invoqués en leur faveur par les bourreaux et par les victimes est tout de même très dérangeant.
Hervé van Baren
Vous insistez sur ce scandale des textes qui semblent dissimuler leur dimension révélatrice, et vous avez raison. La réponse se trouve peut-être dans la façon dont vous les nommez : « textes sacrés », et dans la question : est-il souhaitable, pour nous, d’abolir le sacré ?
Bernard Perret
Ce retour au Lévitique et au Deutéronome est tout à fait pertinent. Une remarque cependant. Hervé van Baren indique qu’il faut apprendre à lire ces textes autrement, mais, sauf erreur de ma part, cette lecture aboutit à mettre en évidence leur caractère sacrificiel, je ne vois pas d’autre manière de les lire. Ai-je lu trop vite ?
La seule chose qui me gêne un peu est l’expression « remise en cause des dogmes » qui fera inutilement figure de chiffon rouge pour certains, et qui vise trop large (le dogme de la Trinité n’est pas en cause ici). Pour ma part, j’aime bien cette réflexion d’une théologienne anglicane qui proposait de voir les dogmes comme des « sauvegardes » au sens informatique du terme, un moyen pour une communauté de « sanctuariser » certaines intuitions fondatrices, un peu comme les principes constitutionnels dans l’ordre politique, qu’il faut toujours interpréter mais auxquels on ne doit toucher qu’avec précaution.
A cet égard, il vaut la peine de lire les recommandations de la commission : elles ne parlent pas des dogmes, mais constituent de fait, sans le dire aussi nettement, un programme de réforme en profondeur du Catholicisme, dans un sens girardien – au sens d’une avancée vers une sortie du « sacrificiel » entendu ici comme séparation des devoirs à l’égard d’un Dieu foncièrement violent et castrateur, et des devoirs à l’égard de nos frères. Dans cette perspective, et c’est le sens profond de certaines recommandations de la Ciase, la question de la « pureté » des actes – toujours plus ou moins liée à une conception du sacré qui n’est guère différente de celle des religions archaïques – doit être totalement subordonnée à celle de l’amour fraternel. Les auteurs se gardent bien de dire qu’ils veulent réformer la théologie catholique, ils se contentent de l’interpréter dans un certain sens, mais les implications de ces recommandations sont potentiellement considérables.
Voici trois recommandations centrales du point de vue de la critique du « sacrificiel ».
Recommandation no 9
Enseigner que la profanation d’un sacrement ne peut faire oublier la profanation première, celle des personnes ; – passer au crible ce qui, dans l’énoncé de la grâce sacramentelle, est douloureux et inacceptable pour les victimes gardant un lien avec l’Église quand elles voient un prêtre abuseur continuer à officier.
Recommandation no 10
Enseigner dans toutes les formations et dans la catéchèse :
• que l’attention ne doit pas être focalisée sur la « matière » de l’acte moral, de préférence à l’évaluation de la responsabilité de chacun vis-à-vis d’autrui, est l’atteinte aux personnes, incluant le respect de l’intégrité de la personne ; – passer au crible les énoncés du Catéchisme de l’Église catholique pour donner toute sa place à la personne victime et à sa dignité inaliénable qui doit être l’objet premier de l’attention.
Engager une réécriture des enseignements tirés du sixième commandement à des fins de formations et d’accompagnement pastoral dans les documents catéchétiques français destinés aux enfants, aux adolescents et aux catéchumènes.
Recommandation no 11
Passer au crible :
• ce que l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles peut avoir de contre-productif en matière de lutte contre les abus sexuels,
• le choix d’englober l’ensemble de la sexualité humaine dans le seul sixième commandement du Décalogue.
Favoriser la réflexion doctrinale visant à ce que la doctrine sur la sexualité ne soit pas séparée des exigences de la doctrine sociale de l’Église et de l’égale dignité de toute personne humaine.
Pour finir, voici ce que j’écrivais dans mon livre Penser la foi chrétienne après René Girard (p. 188)
« Il est d’ailleurs permis de se demander si le désastre moral constitué par les affaires de pédophilie au sein de l’Église n’est pas la conséquence perverse d’une morale qui, en culpabilisant toute forme de plaisir, obscurcit l’enjeu premier de la responsabilité à l’égard des victimes potentielles de nos actes. Le caractère éthique, c’est-à-dire relationnel, des actes sexuels étant occulté par un impératif fantasmatique de pureté dont le sens est implicitement sacrificiel. »
Jean-Marc Bourdin
Je serai assez enclin à suivre Jean-Marc Sauvé. N’oublions pas la licence « pédophilique » dont témoignent les affaires aux destinées diverses de Gabriel Matzneff, Frédéric Mitterrand, Daniel Cohn-Bendit, Michel Tournier, sans parler des Dutroux, Fourniret, etc. La libération des mœurs dont le « Il est interdit d’interdire » de mai 1968 et le sentiment de sortir d’une société corsetée, la France d’après De Gaulle ou la « beat generation » par exemple, ont probablement produit un environnement favorable à une évolution d’une nature comparable dans l’église catholique, elle-même sortant de Vatican 2 (conséquents et très certainement respectueux de leurs catéchumènes, mes deux aumôniers de lycée ont quitté les ordres pour se marier, dans les années 1970).
Dans le rapport de la CIASE, il me semble que les ratios de délits et crimes sur mineurs, tout en étant accablants pour l’église catholique, soulignent que partout où il y a des enfants, il y a de la pédophilie ; aucune institution : famille, école, sport, conservatoires, etc. n’y échappe. Ce fut pire chez les religieux et laïcs catholiques, mais pas au point de considérer que c’était une défaillance de la seule hiérarchie ecclésiale. Enfin, il faut se dire que la CIASE est sans doute allée plus loin par son appel à témoignages systématique que ce que les seules statistiques judiciaires montrent du phénomène dans les autres institutions accueillant des enfants.
Hervé van Baren
Je partage le trouble exprimé par Benoît Chantre. Il est clair pour moi qu’il n’y a pas plus de crimes de ce genre qu’avant. Le relâchement des mœurs est concordant avec la libération de la parole des victimes et cela, c’est à mettre au crédit du progressisme et non à lui reprocher. Cependant, les partisans de la loi ont peut-être une conscience plus aigüe des risques liés à cette libération que les progressistes. La Parole que nous aimons nous met au risque de l’anarchie. Je médite souvent l’extraordinaire intelligence de ces phénomènes par Dostoïevski, en particulier dans son récit du Grand Inquisiteur.
Je n’ai pas encore lu tout le rapport, mais de nombreux extraits, et la réflexion sur ces sujets est déjà ancienne. Il me semble pourtant que la partie immergée de l’iceberg témoigne surtout d’une immaturité affective et sexuelle résultant de la culture millénaire de la sexualité assimilée au péché, sujet tabou s’il en est. Le libertarisme des années 70-80 a au moins eu le mérite de nous extraire (partiellement) de cette névrose. La sexualité est, depuis, plus libre, moins honteuse. Je ressens cela particulièrement chez les jeunes générations, pour qui la sexualité est un sujet parmi d’autres (je ne nie pas les dérives qui accompagnent cette libération, pornographie, difficulté d’établir des relations durables, etc…) Les apologies de la pédophilie que tu cites ont fait long feu : plus personne ne prend ces élucubrations au sérieux.
Jean-Marc Bourdin
Si on en croit Sade et plus loin les réformateurs de la Renaissance, le sujet n’est pas récent. Il y a à l’évidence un problème endémique du catholicisme vis-à-vis de la sexualité et sans doute une circonstance aggravante des années 60-80. Le cocktail a été détonant.
Bernard Perret
On ne peut porter un jugement uniquement négatif sur la libération des mœurs. Ce que dit très bien le rapport Sauvé, c’est que faire de la sexualité un tabou obscurcit les enjeux relationnels. La sexualité est souvent synonyme de démesure dans l’hédonisme, de possession jalouse, de subornation, de domination et de violence, c’est là le problème, et la raison pour laquelle c’est un domaine ou, dans toutes les sociétés, règne l’interdit. Sans oublier, bien sûr, le lien entre sexualité et procréation, profondément modifié par la contraception. Il faut être conscient des raisons fondamentales qui expliquent la difficulté de donner sa juste place à la sexualité, mais cela ne doit pas empêcher d’accéder progressivement à une vision plus décrispée et plus humanisante que celle des siècles antérieurs, c’est un point vraiment essentiel.
Par ailleurs, sur le terrain du diagnostic sociologique, il faut garder présent à l’esprit que le relâchement des mœurs est autant une question de langage et de représentation sociale que de pratiques réelles. S’agissant de l’homosexualité des clercs (question différente, certes), James Alison souligne à quel point la libération de la parole, le fait qu’un nombre croissant de gens vivent leur homosexualité au grand jour, a rendu plus difficile le choix du refoulement fait plus ou moins consciemment par un grand nombre de prêtres. On peut penser que cela vaut aussi pour la pédophilie : l’érotisation de la culture rend plus difficile la répression des pulsions. Pour résumer ce que je pense : l’évolution des pratiques sexuelles, d’une part, et du regard de la société sur la sexualité, d’autre part, sont des phénomènes complexes qui présentent de nombreuses facettes, positives et négatives. En tout état de cause, le fait d’aborder le sujet à partir des victimes d’agression correspond parfaitement à ce que Girard considérait comme l’un des effets les plus prégnants de la révélation chrétienne.
Hervé van Baren
Pour rattacher ce sujet à celui d’un retournement programmé des Ecritures, on peut je pense faire le constat que le principal responsable de ce qu’il est convenu d’appeler la morale judéo-chrétienne en matière de sexualité est Saint Paul. Les Evangiles rappellent la dimension charnelle de l’amour conjugal (une seule chair) et insistent surtout sur la fidélité. Dans les épîtres, c’est tout autre chose, en particulier dans 1 Corinthiens. Je mentionne un peu au hasard :
Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. 2 Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. (1 CO7)
25 Au sujet des vierges, je n’ai pas d’ordre du Seigneur : c’est un avis que je donne, celui d’un homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance. 26 Je pense que c’est un avantage, à cause des angoisses présentes, oui, on a avantage à rester ainsi. (1CO7)
L’ordre patriarcal le plus raide participe à cette logique :
Comme cela se fait dans toutes les Eglises des saints, 34 que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler ; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la Loi. 35 Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Il n’est pas convenable qu’une femme parle dans les assemblées. (1CO14)
Comme Deutéronome, St Paul établit un peu arbitrairement des règles légales rigides qui conditionneront la doctrine de l’Eglise en matière de sexualité pour les siècles à suivre. Saint Paul est conscient des dangers d’une sexualité débridée comme mentionné par Bernard (pour éviter tout dérèglement, 1CO7, 2).
Pourtant, ces textes contiennent eux aussi leur propre subversion. Tous ces passages peuvent être retournés, autrement dit lus comme leur propre critique.
Tout est permis, mais tout ne convient pas (1CO10, 23)
Un bon résumé de l’étrange époque que nous vivons ?
Christine Orsini
Je pense comme Bernard Perret et James Alison que la censure, la répression, la peur de l’autre et la peur de soi, le faux idéal de pureté qui masque tout ça, sont une source de désordres psychiques et comportementaux. La peur de la sexualité ne peut être vaincue que dans des relations entre des personnes qui se respectent. Qui se parlent. Les pédophiles sont sûrement des gens qui se méprisent jusqu’à l’os. Jusqu’à la haine, en tous cas.
Mais j’ai du mal à comprendre qu’on puisse sacrifier des enfants à une institution quand on est nourri des paroles évangéliques. En fait j’ai du mal à croire que ces prêtres étaient chrétiens. Se sont-ils retrouvés au séminaire pour échapper à la vindicte de la société à cause de leur orientation sexuelle ? En fait, je n’arrive pas du tout à comprendre. C’est comme quand j’ai lu Treblinka, adolescente, ça dépassait l’entendement. Le mien mais pas seulement !
Jean-Marc Bourdin
J’ai souvent constaté une corrélation entre discours moralisateur ou de bonne volonté et pratique non conforme. Dans le monde du travail, on n’a ainsi jamais autant parlé de bienveillance dans une période où elle est si peu mise en pratique. Ce n’est naturellement qu’un ressenti.
Thierry Berlanda
Ce n’est certes pas Orwell qui donnerait tort à Jean- Marc Bourdin. Orwell pour qui la novlangue consiste souvent en une et simple inversion du sens des mots. L’ambiguïté, au sens propre de « double-sens » est non moins la marque de la tyrannie que la « paresia » des Anciens est celui d’un régime vertueux.
Je suis atterré par l’attestation de faits aussi méprisables, et bien sûr je le suis depuis que le bruit en court. Ce vacarme assourdissant menace-t-il l’institution en elle-même ? Je crois que non, et même qu’il sera l’occasion de son renouveau salutaire, car seule la vérité sauve et guérit. On aura beau me dire que ce mal ne sévit pas davantage chez les curés que chez les coiffeurs, les garagistes ou les profs de gym, il n’empêche qu’il est plus inadmissible encore chez ceux qui professent la vertu que chez n’importe quel quidam. Je prie pour l’âme blessée des victimes et pour l’âme pervertie des bourreaux.
Hervé van Baren
La remarque de Jean-Marc Bourdin sur la « corrélation entre discours moralisateur et pratique non conforme » est cruciale. Girard nous fait découvrir dans la Bible une révélation anthropologique exempte de morale. C’est ce que je trouve aussi dans mes lectures « retournées » : elles sont fondamentalement amorales. C’est un regard lucide (dont nous semblons incapables) sur nous, un regard qui ne juge pas et qui n’appelle à aucune action précise. Est-ce à cause du constat de Jean-Marc que la dimension moralisatrice et légaliste est incapable de nous détacher de nos passions tristes ? C’est d’ailleurs ce que St Paul nous dit : « vous ne serez pas justifiés par la loi ».
La dimension spirituelle est la seule qui puisse nous élever à un état de conscience supérieur et c’est cet état qui permet de se détacher du mal. Nous faire voir qui nous sommes et non nous dire ce que nous devrions être. L’injonction morale des religions, à ce jour, c’est : « agissez bien et vous deviendrez saints ». Les textes au contraire nous disent : « devenez saints et vous agirez bien ».
On devient saint, je pense, en traversant le désert, en étant confrontés à la réalité du mal et en faisant un choix. Tous les prophètes témoignent de cet instant pivot, le moment où la réalité de la violence leur est révélée. J’ai relevé dernièrement ces versets de Saint Jean dont la dimension anthropologique m’était auparavant invisible :
23 Tandis que Jésus séjournait à Jérusalem, durant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom à la vue des signes qu’il opérait. 24 Mais Jésus, lui, ne croyait pas en eux, car il les connaissait tous, 25 et il n’avait nul besoin qu’on lui rendît témoignage au sujet de l’homme : il savait, quant à lui, ce qu’il y a dans l’homme. (Jean 2)
La Bible est une anthropologie avant d’être une théologie, pour citer le maître (et Simone Weil).
Christine Orsini
L’observation de Jean-Marc Bourdin est très juste, les professeurs de morale ont même acquis au fil du temps une mauvaise réputation : ils en parlent tout le temps, ils ne pensent qu’à ça ! Mais justement, les prêtres ne sont pas des professeurs de morale. Ils donnent l’exemple d’une vie donnée aux autres, ils incarnent la charité et aussi une force spirituelle dont peu de gens savent aujourd’hui qu’elle peut agir dans le monde puisqu’on ne croit qu’aux forces matérielles. Presque tous les prêtres que j’ai connus m’ont semblé des hommes admirables.
Thierry Berlanda
Je suis globalement d’accord avec Hervé van Baren et vous tous. Je reprendrais ou ajouterais que la loi elle-même et elle seule n’a ni ne donne aucune force à personne. Ce qui « anime » la Loi est l’Esprit : ôter l’esprit, et la loi se mue aussitôt en instrument de tyrannie. Je pense que seul leur repentir sincère et leur éventuelle et nouvelle conversion pourraient sauver ces insensés.
Pour le reste, la justice des hommes suivra enfin son cours.
Emmanuel Portier
Le mot de Thierry Bernlanda sur la force de l’esprit me rappelle cette phrase de Claudel : « Ce n’est pas le cierge qui fait la flamme, c’est la flamme qui a fait le cierge »
Pour le reste, merci à tous pour ces échanges passionnants et passionnés. Mon petit grain de sel (sable ?) au passage.
Je ne suis jamais à l’aise avec ces données statistiques trop vite rendues publiques, notamment pour ce qui est de la comparaison avec les milieux sportifs, éducatifs,… Mes propres travaux sur le sujet depuis quelques années n’arrivent pas aux mêmes taux de prévalence que le rapport, mais comme l’a souligné Jean-Marc, les moyens mis en œuvre pour collecter l’information ne sont pas comparables, ni par métier, ni par pays,
Permettez-moi de partager deux désaccords sur des points lus dans ces échanges, pour continuer à alimenter le débat. Les faits sont si tristes, sur une population dont la sensibilité est désormais à fleur de peau sur ce sujet essentiel, que je ne pense pas que l’institution catholique s’en remettra. Voyez les volumes massifs de diffusion Netflix depuis deux ans de « The Keepers », « Spotlight » , « les Innocentes »,… tous plus bouleversants et révoltants les uns que les autres.
Mais l’évangile a-t-il besoin de cette institution ? Besoin d’hommes de foi voire de prêtres, très probablement, si l’on garde à l’esprit qu’ils sont aussi pécheurs, chacun à sa mesure, mais de cette hiérarchie qui ne s’occupe que de la « stabilité » de son institution, comme cela a été très bien dit ? J’en doute (sans doute l’influence de ma femme protestante…)
Enfin, je ne partage pas l’idée que la sexualité est trop tabou, corsetée avant 68 et libérée après, et qu’en parler plus publiquement permet de chasser le refoulé. J’y vois là une approche trop psychanalytique à mon goût, même si pas entièrement inexacte, bien sûr.
Ce qui nous entoure, la vie de nos enfants et l’explosion des réseaux sociaux supposés « libérer la parole », nous dit à mon avis autre chose : plus que jamais, tout est exposé à tous de façon obsédante, en continu, axé sur un Moi vertueux et content de lui devenu envahissant. L’intime disparaît, et avec lui la pudeur et le respect de l’autre, de sa vie.
Les juges moraux « online » se multiplient, oubliant le biblique « Qui es-tu, toi qui juges ? » et le propos du pape François « La frontière entre le bien et le mal ne passe pas à l’extérieur de nous-mêmes, mais bien plutôt à l’intérieur ». Chacun devrait plutôt se taire et s’interroger sur lui-même, plutôt que de lyncher le monstre.
Quant aux actes sexuels, à mon sens, ils ne manquent pas de paroles, ils manquent d’amour. La difficulté n’est pas de parler plus, mais d’aimer vrai. Pour certains, encore plus que pour d’autres, à l’évidence de cette étude. Pauvres victimes, pauvres gosses, pauvres religieuses, pauvres bourreaux détraqués et responsables. Bref pauvres de nous…
Thierry Berlanda
Les ennemis de l’Eglise sont toujours prompts à lui nuire. Aussi, les malheurs dont il est ici question ne font pas vaciller d’une once ma confiance, ce qui ne contredit pas ce que j’ai précédemment dit à ce propos, ni bien entendu ce qu’en a dit Christine Orsini (entre autres).
Pauvres de nous, qui pensons qu’aimer plus serait préférable à parler vrai, toujours partagés que nous sommes à danser ainsi sur le fil véritable, et ne savons toujours pas, comme Rimbaud l’indiquait, nous exprimer sans parole païenne, préférant alors nous taire.
Mais la parole, pourtant, existe hors de notre formulation, et nos êtres trouvent leur épanouissement en cette reconnaissance que nous n’en sommes que le pauvre instrument.
L’église a l’occasion de retrouver cet éminent exemple, comme le pape l’affirme hautement, en formulant son désir, oui, son pauvre désir, d’être une église pauvre pour les pauvres, notamment les enfants, mon Dieu, sacrifiés aux délires communs du mensonge ancestral, qui tentera toujours de faire du crucifié un dieu Baal.
Nous en sommes là, et toutes les institutions, toutes complices du sacrifice des petits, les chiffres sortis indiquent que c’est dans la famille que quatre-vingt pour cent des incestes sont accomplis, ne peuvent que faire face à cette réalité infamante, et que l’effort ici accompli est le chemin escarpé auquel le crucifié nous invite. C’est par la reconnaissance personnelle des individus de notre vice commun que les institutions sauront réellement se réformer, notamment la justice, qui alors saura prononcer la sanction nécessaire qui n’est plus au sacrifice, mais à la miséricorde, gardant les abusés comme les criminels au même giron de notre réalité alors enfin formulée hors des domaines du sacré, nous amenant à la conscience de quelle responsabilité nous sommes porteurs, à quelle vocation la nature nous invite de savoir ainsi la corriger, capables que nous sommes désormais de savoir en dégager cette loi, si nous voulons survivre, car nous sommes libres de la refuser.
Courage, amies et amis, le vrai existe, et ce n’est pas mince, le mur d’iniquité est définitivement écroulé, à nous de savoir inventer, avec tous les poètes et leur communauté sainte, la fiction qui sera l’instrument du véritable et qu’il nous est donné d’écrire, suivant ce chemin si français en cet aveu de notre révolution, portant la tâche du meurtre de notre roi au sortir du temple qui s’écroule, indiquant les chemins du devoir que l’instinct indique, alors que l’intelligence ne sait que l’éluder, le chemin universel de la survie de notre humanité :
« En suivant une route française entre les champs de sainfoin et les clos de pommiers qui se rangent de chaque côté pour la laisser passer « si belle », c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher qui s’élève contre l’horizon orageux ou clair, traversant, les jours de pluie ensoleillée, un arc-en-ciel qui, comme une mystique auréole reflétée sur le ciel prochain de l’intérieur même de l’église entr’ouverte, juxtapose sur le ciel ses couleurs riches et distinctes de vitrail ; c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher s’élevant au-dessus des maisons qui regardent à terre, comme un idéal, s’élançant dans la voix des cloches, à laquelle se mêle, si vous approchez, le cri des oiseaux. Et bien souvent vous pouvez affirmer que l’église au-dessus de laquelle il s’élève ainsi contient de belles et graves pensées sculptées et peintes, et d’autres pensées qui n’ayant pas été appelées à une vie aussi distincte et sont restées plus vagues, à l’état de belles lignes d’architecture, mais aussi puissantes ainsi, quoique plus obscures, et capables d’entraîner notre imagination dans le jaillissement de leur essor ou de l’enfermer toute entière dans la courbe de leur chute. Là, des balustres charmants d’un balcon roman ou du seuil mystérieux d’un porche gothique entr’ouvert qui unit à l’obscurité illuminée de l’église le soleil dormant à l’ombre des grands arbres qui l’entourent, il faut que nous continuions à voir la procession sortir de l’ombre multicolore qui tombe des arbres de pierre de la nef et suivre, dans la campagne, entre les piliers trapus que surmontent des chapiteaux de fleurs et de fruits, ces chemins dont on peut dire, comme le Prophète disait du Seigneur : « Tous ses sentiers sont la paix » »
https://www.cabourg-balbec.fr/lire-proust-%C3%A9couter-voir/correspondance-et-autres-textes/la-mort-des-cath%C3%A9drales/
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Pardon, correction, mais vous aviez compris : c’est dans la famille que quatre-vingt pour cent des abus sont accomplis.
(l’inceste, hélas, monte le pourcentage à cent pour cent…)
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Je crois que le Mal est une pure affaire statistique, une affaire de probabilités.
Et l’avoir publiquement nié est une preuve d’hubris et d’aveuglement de la part d’une institution qui n’a pas vu, par orgueil et intérêt, que le monopole de la morale qu’elle s’était octroyé depuis des siècles ne tenait plus. En effet, quand une institution sociale se voit obligée par la pression de l’opinion publique de se renier ou de se justifier, cela signifie qu’elle est fragilisée et déconsidérée. Elle a perdu la position qui la rendait inquestionnable, et la faisait tout aussi évidente aux individus que les phénomènes naturels. Cette époque est terminée (au moins en France). Les hommes politiques en savent déjà quelque chose. (D’ailleurs d’autres se sont accaparé cette position d’impunité qui en dit long sur nous: par exemple, le jour où l’on verra les stars du sport, du showbiz ou des grandes entreprises et autres animateurs de sites pornographiques devoir faire la même chose que les religieux ou les politiques de maintenant, à propos des sommes scandaleuses qu’elles s’attribuent, de leurs pratiques ou de leurs passe-droits dans les affaires qui les touchent n’est malheureusement pas près d’arriver, même si MeToo a jeté le trouble).
Le Mal est affaire de probabilités et non affaire de morale.
Lorsqu’une société entière, puis plus tard, à partir du 18ème , une partie seulement des groupes sociaux (encore une fois, au moins en France), déposent le sacré dans les mains de spécialistes qui ont été formés à cela, cela suppose la conviction que ce sacré transcendera ces individus et les mettra à l’abri de ce qui meut les êtres ordinaires se trouvant hors de cet espace moral et physique. C’est le dogme officiel. Pourtant la hiérarchie savait très bien – l’existence de manuels et de garde-fous divers liés à des siècles de pratique religieuse l’attestent largement – que la probabilité d’abus et de dérives ne peut être égale à zéro quand des dizaines de milliers d’individus ont en charge les âmes et les corps non seulement d’adultes, mais surtout d’enfants et d’adolescents sans défense. Mais voilà : lorsque le pouvoir dont on dispose est absolu et légitime et légitimé pour l’éternité, et que aujourd’hui encore on vit dans cet héritage alors que les mœurs ont changé, il ne peut être question de rendre des comptes ailleurs que devant ses pairs. Et pour ceux-là la probabilité du Mal dans une institution qui se veut unique détentrice de la morale sociale et individuelle est, ou plutôt doit être égale à zéro devant la sphère publique. Admettre le contraire revient à se délégitimer définitivement soi-même. Impossible.
Pourtant, sans avoir besoin d’aller chercher Pierre de Lancre ou Torquemada ou Steve Bannon ou des centaines d’autres, deux mille ans d’histoire auraient dû rendre méfiant. D’ailleurs il suffit de s’observer soi-même pour comprendre que loin de s’opposer, forces pulsionnelles, libidos diverses et valeurs morales font bien souvent un excellent ménage, les unes servant à justifier les autres et inversement, avec, si nécessaire, quelques mortifications. Le Mal est en chacun de nous une simple question de degrés: « Qui vole un œuf vole un bœuf » me répétait ma grand-mère. Certes pas toujours, mais en termes de probabilités et de statistiques…
Et la force du message évangélique ? Comment est-il possible qu’elle se révèle si faible chez des personnes qui en ont fait un choix de vie? En plus de la présence en nous de nos libidos, nous avons, je crois, la naïveté de croire que le message évangélique a toujours été évident, proclamé urbi et orbi. C’est loin d’avoir été le cas, et l’Église n’en faisait, dans le quotidien, peut-être même pas sa priorité par rapport à son activité de contrôle social. Puis-je rappeler ce que répondait, dans Madame Bovary, l’abbé Bournisien à Homais qui trouvait que la Bible « n’est pas un livre à mettre entre les mains d’une jeune personne » : « Mais ce sont les protestants, et non pas nous, s’écria l’autre impatienté, qui recommandent la Bible »… « La conversation semblait finie, quand le pharmacien jugea convenable de pousser une dernière botte. – J’en ai connu des prêtres qui s’habillaient en bourgeois pour aller voir gigoter des danseuses… Parbleu, ils en font bien d’autres ! – Monsieur !… reprit l’ecclésiastique… » etc.
Fiction, bien sûr, mais éloquente : là encore les filtres et les pratiques de l’institution par rapport à ce message ont constitué, et continuent à constituer, il me semble, un héritage bien lourd, que le permissivisme moderne a peut-être, statistiquement encore, justifié ou accru. Cela reste d’ailleurs à démontrer : les victimes des temps d’avant se sont tues à jamais.
Et pourtant, il n’y a probablement d’autre salut pour l’Église que dans ce message, et la question est peut-être de savoir si une institution peut accomplir dans le champ social ce qu’un individu, laïc ou religieux, est capable de parvenir à faire à son niveau.
« Il faut davantage faire confiance aux individus », entend-on enfin çà et là. Or la présence du Mal montre qu’il est aussi lourd de conséquences de ne pas contrôler que de contrôler. Aussi difficile et également lourd de conséquences de ne pas contrôler ou de contrôler ceux qui ont la charge de contrôler.
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Cher Alain, je vais vous contredire, pour une fois : je ne crois pas du tout que le Mal soit « une affaire de statistiques ». Les chiffres sont importants, ils donnent une idée du désastre : les crimes commis ne sont pas le fait de « brebis galeuses », ils sont « systémiques ». Et la remise en question du système s’impose.
Vous reprochez à l’Eglise son aveuglement ? Il me semble impossible qu’une institution, quelle qu’elle soit, se croie infaillible, que ce soit par hubris ou/et par ignorance des statistiques, mais admettons ; l’enquête exemplaire menée par la CIASE aurait été alors comparable à l’enquête menée par Œdipe au sujet de ses propres crimes, se terminant par le même coup de théâtre : le justicier et le criminel sont une seule et même personne!
Or, ce n’est pas le cas : c’est parce que la pédophilie des prêtres est un objet de scandale (relativement récent mais ça ne date pas d’aujourd’hui) que l’enquête a eu lieu et a duré des années et ce sont des chiffres réels et non des probabilités qui ont pu révéler l’énormité de la chose et l’emprise du Mal sur Sa Sainteté Notre Mère l’Eglise.
Il ne faut pas noyer le poisson, l’Eglise a trahi sa mission évangélique en préférant la pratique du sacrifice à celle de la miséricorde. Elle a sacrifié ses enfants pour leur conserver une Mère ( j’ai oublié le nom de ce gentilhomme qui avait mangé ses enfants « pour leur conserver un Père » !) Peut-être a-t-elle agi en se fiant à des statistiques. A mon humble avis, le Mal prospère toujours quand on en fait « une affaire de statistiques », c’est-à-dire quand on le croit inéluctable, toujours déjà là dans les chiffres. Et du coup, chiffres en main, on justifiera le Mal par l’argument sacrificiel du « moindre mal ».
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Chère Christine, au risque de vous décevoir, je ne crois pas que nous soyons si en contradiction que cela, même si la contradiction, selon une vieille tradition, est une partie indissociable du mouvement vers la vérité.
Je crois plutôt que je me suis très mal expliqué.
Je reprends en essayant d’être plus clair : ce que j’essaye de dire, c’est d’abord que le mal est inéluctable (là, en effet, nous ne sommes pas d’accord, mais Michel Serres m’a convaincu). Mais pas pour des raisons métaphysiques, ou psychologiques, ou sociales ou autojustificatrices (si le mal est inéluctable, alors ne nous privons pas !), car ce sont là des raisons au coup par coup, individuelles et donc aléatoires. On peut les lister à l’infini, on n’en viendra jamais à bout, elles sont, dans le détail, aussi variables que les individus, et c’est le travail des magistrats, psy de tout poil et responsables divers que d’essayer de les combattre ou les anticiper. Ce n’est pas de cela que je parle.
Je ne crois donc pas que le mal est inéluctable parce qu’il est partie intégrante des individus: il y en a tant qui ne le commettront jamais (en gardant à l’esprit que le mal est aussi une question de degrés).
Alors, où est-il ? Dans les probabilités.
Le mot « statistiques » que j’ai aussi utilisé est mauvais, car il fait penser à des chiffres donnant des proportions. Ce n’est pas du tout ce que je veux dire : connaître les pourcentages d’actes délictueux est essentiel pour les personnes qui sont en charge de leur éradication, mais évaluer l’importance du mal ne dit rien directement de son origine.
Les probabilités sont, elles, des outils mathématiques (venues entre autres de Pascal): banalement, elles permettent par exemple de pronostiquer les risques d’incendie ou d’accident pour les assureurs pour leur éviter la faillite. Par exemple, la probabilité qu’il y ait zéro accident sur un territoire x suffisamment vaste durant une année est nulle. On peut être sûr qu’il y en aura au moins un. Ainsi, dans un groupe humain ou une institution sociale, telle que l’armée, la famille, l’école, les clubs sportifs, les institutions culturelles, les groupements religieux et l’Eglise parmi eux, etc. , qui pourtant défendent tous des valeurs importantes et parfois essentielles à nos sociétés, on peut se demander quelle est la probabilité qu’il n’y ait aucun acte délictueux de commis sur le territoire national et ses millions de personnes (pour ne parler que de notre pays) pendant par exemple une génération. De toute évidence celle-ci est nulle. On peut même penser qu’elle est de 1, c’est-à-dire que le mal se produira inéluctablement quelque part. En quelle proportion, quand et où est une autre affaire. C’est en ce sens que je pense que le mal est inéluctable parmi nous.
Et ce que je voulais dire enfin, c’est que la hiérarchie catholique savait parfaitement que le mal existait en son sein (nécessairement, sous des formes diverses, des moins graves aux plus insupportables, comme ailleurs), et qu’elle est condamnable – « elle a trahi sa mission évangélique », dites-vous – parce qu’elle a refusé jusqu’à il y a quelques années de se soumettre à toute autre loi que la sienne, que l’on sait maintenant gravement détournée. Mais ce qui a été possible pendant des siècles ne l’est plus, et je ne suis pas sûr que l’Eglise au sens institutionnel ait été pour beaucoup dans cette évolution, et les changements actuels ne modifient pas le passé.
Mon regard est un regard extérieur, à la différence de beaucoup d’intervenants sur ce blogue, et il est certainement perçu comme, au minimum, froid ou illégitime. Il n’en reste pas moins que je pense que l’Eglise a connu bien d’autres catastrophes, qu’elle a toujours su préserver l’essentiel, et que cet essentiel est également essentiel pour moi. Il serait tragique que le message évangélique soit durablement dévalué, et que cette dévaluation fasse partie de la perte de repères généralisée que nous vivons.
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La pédophilie catholique
Les pédo-papers sortis récemment ont fait l’effet d’une bombe dans le monde catholique. Et sous le choc, chacun essaie de trouver quelque chose qui ressemble à une explication. La tentation est grande de comparer avec l’École, avec les clubs sportifs, etc. Mais ces comparaisons ne tiennent pas. Le refuge dans le « y a pas qu’ moi » est une manière de se dissimuler dans la foule pour ne pas donner l’impression de participer au lynchage. La méconnaissance que cela manifeste est dommageable à tous points de vue. Soyons objectifs, il y a bien une pédophilie catholique. En quoi consiste-t-elle ?
Pour enrichir la réflexion, je vais faire appel à Shakespeare (une fois de plus). Dans Mesure pour mesure, nous assistons à une scène très troublante quand Angelo, auquel les pleins pouvoirs ont été légués, joue un chantage ignoble auprès d’Isabelle, une jeune novice dont le frère est condamné à mort pour avoir engrossé une fille hors mariage. Angelo est prêt à tout « pardonner » si la belle novice lui fait cadeau de sa virginité. La situation pourrait n’être que scabreuse. Mais Shakespeare va plus loin. Ce n’est pas seulement son pouvoir machiste qu’Angelo exerce, il est profondément, et sincèrement, attiré par la jeune fille pure devant lui. Voilà la scène (acte II, scène 2, vers 161 à 187) :
Isabella. ‘Save your honour !’ [Exit Isabella]
Angelo. From thee, even from thy virtue !
What’s this ? what’s this? Is this her fault or mine ?
The tempter, or the tempted, who sins most ?
Ha !
Not she, nor doth she tempt : but it is I,
That, lying by the violet in the sun,
Do, as the carrion does, not as the flower,
Corrupt with virtuous season. Can it be,
That modesty may more betray our sense
Than woman’s lightness ? Having waste ground enough,
Shall we desire to raze the sanctuary
And pitch our evils there ? O, fie, fie, fie !
What dost thou, or what art thou, Angelo ?
Dost thou desire her foully for those things
That make her good ? […]
What ! do I love her,
That I desire to hear her speak again,
And feast upon her eyes ? What is ’t I dream on ?
O cunning enemy, that, to catch a saint,
With saints dost bait thy hook ! Most dangerous
Is that temptation, that doth goad us on
To sin in loving virtue. Never could the strumpet,
With all her double vigour, art and nature,
Once stir my temper ; but this virtuous maid
Subdues me quite.
ISABELLE. – Que Dieu garde votre Honneur ! (Elle sort)
ANGELO. – Qu’il me garde de toi d’abord, et de ta vertu !
Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? Est-ce sa faute ou la mienne ?
De la tentatrice ou du tenté, quel est le pire pécheur ?
Ah !
Pas elle, elle n’est pas tentatrice ! C’est moi
Qui, couché près de la violette au soleil,
Comme une charogne, pas comme la fleur,
Me corromps à l’approche de la vertu. Est-il possible
Que la chasteté perturbe nos sens davantage
Que la légèreté des femmes ? Nous ne manquons pas de terrains vagues,
Avons-nous besoin de dévaster le sanctuaire
Pour y planter nos vices ? Ah, fi, fi, fi !
Que fais-tu, Angelo ? Qui es-tu ?
La désires-tu bassement pour la raison même
Qu’elle est pure ? […]
Quoi ! est-ce de l’amour
Si je désire encore entendre sa voix
Et me régaler de ses yeux ? De quoi est-ce que je rêve ?
Ô ennemi retors qui, pour attraper une sainte,
M’offre la sainteté comme appât ? Aucune prostituée n’a jamais pu,
En jouant à la fois de son art et de sa nature,
Agiter mon humeur à ce point. Tandis que cette vierge pure
Me subjugue complètement.
C’est la pureté d’Isabelle, sa virginité, son innocence même qui excitent Angelo (au nom savamment choisi : « qui veut faire l’ange… »). Ce qu’il aime dans la jeune novice, c’est sa pureté, c’est cela seulement qu’il désire posséder ! Comme si violer une vierge vous accordait une forme de virginité ‒ mimétisme infernal. « La désires-tu bassement pour la raison même / Qu’elle est pure ? » « […] cette vierge pure / Me subjugue complètement. »
La tentation est proprement infernale puisque si « le tenté » obtient la faveur qu’il sollicite, ce n’est pas le paradis qui s’ouvre à lui, mais l’enfer. Si son vœu est exaucé, il est détruit instantanément. Il n’y a pas de double bind plus délirant !
La pureté elle-même déclenche des désirs et, ô paradoxe ! elle pervertit le désir au lieu de le convertir. Ce sentiment ambigu, Shakespeare le présente de façon dramatique, et le génie de la scène, c’est qu’il fasse parler Angelo : grâce au monologue, nous sommes dans sa conscience.
L’innocence des enfants « opère » pareillement, me semble-t-il. Toutes choses égales par ailleurs, on peut « comprendre » à partir de quels délires se déclenche la pédophilie ― et sur quelles fausses justifications les coupables se fondent. C’est l’angélisme qui pousse au viol. Un prêtre pédophile croit pouvoir faire l’amour avec des anges. C’est effrayant. Il n’y a pas de désir plus pervers, c’est un « pur » désir fourvoyé ― et foudroyé à l’instant où il s’accomplit. On peut y voir la définition même du mal, et comment on le commet en voulant s’approprier un bien. Comment peut-on se « corrompre à l’approche de la vertu » ? Confusion aveuglante du vocabulaire, puisque ce « bien », qui n’est jamais acquis, se paie au prix d’un « mal » réellement commis, et irréversible. Ainsi le di-able prend-il possession de celui qui est tenté : il le divise et lui cache la faute qui semble une bénédiction.
Un éducation catholique digne de ce nom ne devrait-elle pas inclure ce genre de méditation… et rendre l’étude de Shakespeare obligatoire au séminaire ?
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Merci, Joël Hillion, pour cet éclairage shakespearien : je le trouve formidable. « La pureté qui pervertit le désir au lieu de le convertir », c’est une formule saisissante, qui sonne juste. Le sacré unit les contraires, le bénéfique et le maléfique, et la pureté, quand elle est sacralisée, voire idolâtrée, (c’est une idée religieuse, me semble-t-il, très présente dans le fanatisme religieux), polarise la violence, elle lui sert de prétexte et en même temps d’exutoire. Quand tuer, c’est « purifier », on voit bien que la pureté (le désir de pureté) et la violence sont reliées.
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Permettez-moi de participer à cette disputatio, en publiant dans ce commentaire, les enseignements de mon témoignage. Celui-ci peut être lu dans les commentaires de l’article d’Hervé BAREN et sur LINKEDIN: https://www.linkedin.com/pulse/le-t%25C3%25A9moignage-qui-%25C3%25A9claire-rapport-de-la-ciase-mais-que-nicolle/?trackingId=ZLnb1u%2B80fR8b6%2F6TtjfwQ%3D%3D
Enseignements de ce témoignage :
1- De quoi parle t ‘on ? Distinction criminel/victime : La signification de ce témoignage, non pas de victime, vous pouvez constater que je n’ai pas été une victime, mais de la vision d’un criminel, ne se percevant pas comme tel. Cette signification, l’observateur, que j’étais, enfermé dans sa bulle, à l’époque, ne pouvait la percevoir. Il fallait la confronter à une vision de victimes, au fonctionnement du cerveau normal (dans le sens de courant), pour comprendre que ce que j’ai observé était bien un crime (du moins une tentative).
Même si surtout par ma femme, mais aussi avec cette expérience et d’autres, funestes pour des neurotypiques (que j’ai relaté dans d’autres articles), j’ai pu comprendre le monde qui m’entourait, je reste conscient, à la suite du professeur Jean Michel OUGHOURLIAN, que l’autisme reste un manque (celui du système des neurones miroir) et un handicap pouvant être surmonté et même surcompensé, il n’en reste pas moins qu’au départ, il est source de souffrance. Si des enfants, par force ou par manipulation, non contraint par ce handicap, doivent connaitre partiellement (grâce au mécanisme de « l’oubli ») ou totalement (ceux qui sont totalement « possédés » et finissent par se suicider ou dans un asile) cette souffrance innée, le crime est bien constitué.
2- Rite : La perception de son crime par ce criminel, avec une justification, définie contre une vision de ses parents, signifie que dans son esprit, on est face à un mécanisme destiné à compenser la découverte brutale, de « phénomènes », pouvant déclencher des pulsions violentes. Mais est-ce une autojustification isolée ou partagée, à son époque? Et, à notre époque ? Il est significatif que le premier réflexe du président de la conférence des évêques a été de susciter une controverse, bien malvenue, sur le secret de la confession ? En effet, que ce criminel confesse ce « fait »ou non, il était connu publiquement des pères du collège et de l’ensemble de la communauté ecclésiastique. S’il n’a pas été dénoncé (pas besoin de la confession) ou s’il ne s’est pas dénoncé (En face d’un crime, le prêtre qui reçoit cette confession, doit refuser l’absolution), c’est que l’ensemble de la communauté ecclésiastique partageait sa vision et qu’il s’agissait d’un rite « secret » mais largement partagé dans les institutions catholiques de France…. (et .dans la société?)
3- Signification anthropologique: J’extrais une autre phrase remarquable de l’audition d’une victime : « Il faut que l’Église arrête de mettre en avant le devoir de pardon de la victime. Cela renverse l’ordre des choses. »
1- Cette phrase fondamentale m’a poussé à apporter ce témoignage, car, dans ce rapport, manque le point de vue d’un « criminel ». Je me suis forcé à franchir le pas pour l’apporter et éclairer cette phrase et éviter un débat limité à la conférence des évêques. René GIRARD a montré que la différence entre les mythes et les évangiles est un « détail » : Dans les mythes, les persécuteurs ne sont pas coupables d’un meurtre fondateur et cachent ce meurtre, dans les évangiles la victime innocente, Jésus, se livre aux hommes pour dévoiler la culpabilité des persécuteurs. Les mythes ont une conséquence : L’unanimité retrouvée d’une communauté, donnée par un (des) Dieu(x) grâce à ce meurtre. Aussi, le culte rendu ensuite à ce (s) Dieu(x) exigera régulièrement des sacrifices humains pour que la paix, dû à l’unanimité ayant suivi ce meurtre fondateur, continue. Les Evangiles ont une conséquence : la vérité dévoilée de la culpabilité des persécuteurs montre que DIEU n’a pu vouloir un sacrifice.
2- Les « passager clandestin de mon psychisme » sont nommés démons dans les Evangiles. Dans l’épisode fameux des démons nommés légion, tellement qu’ils sont nombreux, lorsque Jésus visite les Géranésiens, Jésus expulse les démons avant de demander au malheureux, délivré et guéri, qui veut le suivre, de rester avec ses bourreaux….(et donc de pardonner). Il y a donc bien une vérité anthropologique dans les Evangiles, comme l’ont écrit René GIRARD et Simone WEIL) et un ordre des choses : En premier lieu, révéler/dénoncer la culpabilité des criminels, ensuite la victime peut être guérie, et, si elle est guérie, elle peut pardonner, si cela lui est possible, ce ne peut être un devoir.
4- Renverser cet ordre des choses, c’est ne pas reconnaitre la nature criminelle de l’acte et celle du criminel/démon et par conséquent ne pas reconnaitre la victime et la nature de ses traumatismes, envisager que la victime ne guérisse et qu’elle demeure exclue …(vivante ou morte). Autrement dit, la sacrifier.
5- Question théologique: Parce que François lance son grand chantier du synode sur la synodalité, auquel tout catholique peut y contribuer, parce que la CEF a reçu le rapport de la CIASE, en même temps, parce que des théologiens (comme James ALISON) s’appuie sur une la vision anthropologique de René GIRARD, qui est mienne et que j’ai essayé d’exposer dans cet article, j’ose poser une question théologique/contribution à ce synode :
La théologie catholique a-t-elle bien formulé la notion de sacrifice employée pour qualifier la Passion ? Ayant abouti à ces sacrifices humains durant des années 1950_2020, faut-il revoir la formulation ou simplement lever les ambiguïtés ayant abouti à cette tragédie ?
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Les chrétiens se disent « prêtres, prophètes et rois », et en s’élevant ainsi tous ensemble à la plus haute marche des hiérarchies humaines, ils suppriment de fait toute hiérarchie entre les hommes. Aussi, j’ai toujours été étonné par la confusion à peu près générale qui est faite entre l’Eglise et le clergé. Les pratiques de domination et de viol qui sont désormais dévoilées montrent, si besoin est, qu’un clergé séparé, s’arrogeant le pouvoir de déterminer ce qui est bien ou mal, se définissant lui-même comme étant l’Eglise, en excluant ceux qui ne se soumettent pas, ce clergé appartient au vieux monde, voué à disparaitre à très brève échéance, si ce n’est déjà fait. Les chrétiens commencent déjà à devoir se passer de prêtres, et même de théologiens, puisque Girard nous a montré que le message biblique était anthropologique avant tout. Cela ne limite aucunement la dimension de la foi, c’est-à-dire la recherche d’une pensée et d’une action humaine en relation avec Dieu. Mais les chrétiens, qu’ils le veuillent ou non, devront pratiquer l’Eucharistie dans une perspective à la fois renouvelée et très ancienne, puisque c’est sans doute celle qui prévalait à l’origine : le partage du fruit de leur travail, hors de toute dimension sacrée, mais aussi et dans le même temps, le partage de leur lecture du texte biblique, autre nourriture non moins essentielle. Ayant dû subir l’autorité d’ecclésiastiques pervers pendant mon enfance, bien que me considérant comme un témoin et non une victime, je suis resté chrétien malgré une méfiance profondément ancrée à l’égard de toute cette hiérarchie mensongère, aussi, ce qui me surprend le plus, c’est la surprise des chrétiens qui découvrent la réalité. A ceux qui sont déçus et qui en souffrent, c’est-à-dire ceux qui avaient conservé jusqu’ici une image positive du clergé, je ne peux que dire ceci : ce qui se passe est une bonne nouvelle pour l’Eglise, la vraie, parmi laquelle je compte une bonne partie de personnes qui se disent athée parce que le clergé s’est évertué à leur cacher la vérité. Ce sont eux les chrétiens ; ceux qui ont soif de vérité, quelles que soient leurs croyance ou leur incroyance.
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Benoit , j’ai aimé votre commentaire. Toutefois, je ne le partage pas totalement. Je crois le clergé nécessaire. Et, malgré mon témoignage (ou à cause de lui), je continue à avoir une image positive. La vision d’un clergé séparé disparaît, vous avez raison. Et c’est un bien, seulement si nos évêques entendent véritablement le message exprimé par les victimes dans le rapport dans la CIASE. Nous allons bientôt connaitre le résultat ces jours
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Vous avez peut-être raison, le clergé est sans doute nécessaire dans la mesure où certaines personnes entendent un appel, ou éprouvent le besoin de se mettre exclusivement au service de leurs frères afin de les aider à entendre la parole de vie. Par contre, si c’est pour établir une position intermédiaire entre Dieu et les hommes, c’est-à-dire définir une position surplombante et la réserver à des hommes seuls habilités à distribuer des « sacrements », je ne crois pas que cela soit nécessaire. Le christianisme a pour projet d’abolir toute hiérarchie entre les hommes, et je ne vois pas en quoi le clergé s’inscrit dans une telle perspective. Jusqu’à présent, les attitudes d’humilité qui sont de mise dans ce milieu s’apparentent, de mon point de vue, c’est-à-dire telles que je les aie observées, à une forme de dénégation. Bien sûr, il y a des exceptions remarquables et exemplaires. La sainteté peut apparaitre dans tous les milieux, y compris au sein du clergé. Aussi, non seulement je n’ai pas de projet politique à l’égard de cette institution – ce qui serait extrêmement prétentieux, et ridicule – mais je l’accepte telle qu’elle est, et j’ai appris à accepter tout le tralala rituel ; car s’il existe encore, c’est qu’il a un sens qui me dépasse largement, et qui n’est pas sans intérêt. Je ne saurai donc porter un quelconque jugement à l’égard de pratiques séculaires. Cependant, je souffre de rencontrer tant de personnes en recherche et qui ne trouvent pas d’interlocuteur au sein du clergé. Le dialogue semble devenu impossible parce que les pratiques rituelles et de préséances sont devenues incompréhensibles, et la notion même de « foi » est désormais vide de sens pour la plupart (« avoir la foi » : ce concept étrange est absent dans la Bible, mais nos prélats en ont plein la bouche). C’est pour cela qu’il me semble nécessaire de revenir aux fondamentaux, à ce qui nous fait vivre et non à ce qui nous contraint. Bref, je suis, comme vous pouvez le remarquer, pétri de contradictions à ce sujet.
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