
Le mal est au milieu de nous
La commission Sauvé publie son rapport (1) et nous sommes horrifiés. Il n’est plus possible de réduire ces crimes à des actes isolés perpétrés par quelques brebis galeuses. Comme rappelé avec insistance par les membres de la commission, il s’agit d’un phénomène systémique, rendu possible à tout le moins par la complicité passive de l’Eglise catholique dans son ensemble.
Ce constat oblige à une introspection qui ne peut se limiter au niveau légal ou organisationnel de l’institution. Nous ne ferons pas l’économie d’une remise en cause profonde, notamment de la culture cléricale qui a rendu possible la sacralisation d’un système patriarcal qui se considère au-dessus des lois et qui se préoccupe plus de pureté liturgique et doctrinale que du sort des plus faibles d’entre nous.
Or cette culture découle d’une lecture sacrée des textes (par exemple de l’épître aux Hébreux qui réinstaure une composante sacerdotale sacrificielle, en contradiction avec l’enseignement des Evangiles – voir le récent article de B. Perret : « Du nouveau sur l’épître aux Hébreux »).
Remontons donc à la source, dans une tentative de comprendre comment la Loi, telle que promulguée dans la Bible, a pu permettre ces crimes.
Dans Deutéronome, la Loi a pour ambition de régler chaque litige, d’attribuer une peine à chaque crime. Certains de ces crimes nous paraissent aujourd’hui bien bénins et la Loi parfois bien arbitraire. Une lecture littérale de la Loi conduit à une religiosité crispée et sectaire telle que celle qu’on retrouve dans les théocraties (la Charia) et dans les franges intégristes des trois religions monothéistes. C’est sur ce terreau-là que grandit l’injustice dont l’étendue est révélée aujourd’hui.
Que faire alors ? Jeter Deutéronome et Lévitique, les retirer du Canon ou, comme le tente l’exégèse progressiste, les garder comme des reliques intéressantes de mœurs dépassées ?
Je prétends qu’au contraire, Deutéronome, entre autres textes, contient en filigrane la clé qui nous permettra de sortir du scandale et de reconstruire l’Eglise sur des fondations solides, basées sur la justice et sur les principes évangéliques. Il faut seulement apprendre à lire autrement.
Une expression revient souvent pour justifier la rigueur de la Loi :
« Tu ôteras le mal du milieu de toi ».
La lecture sacrée impose de la lire comme une injonction légale or c’est cette lecture littérale qui explique la possibilité de l’impunité des actes dénoncés par la CIASE. L’objectif n’est pas la justice mais la stabilité à tout prix. La communauté se doit d’être pure et la préservation obsessionnelle de cette pureté passe par un rééquilibrage à énergie minimale. Peu importe que quelques innocents payent, seul le résultat compte et le principal est « que tout se fasse convenablement et avec ordre » (1Co 14, 40). C’est exactement le phénomène qui a permis à des prédateurs d’opérer en toute impunité au sein de l’Eglise et qui explique l’obsession des autorités ecclésiales à étouffer le scandale pour préserver à tout prix l’image de sainteté de l’Eglise.
Ces textes sont d’une redoutable ambiguïté. Pris à la lettre ils imposent bien un système basé sur le tabou et sur le sacrifice, l’évitement à tout prix du scandale qui met en danger l’institution.
On voit le processus sacrificiel à l’œuvre dans un passage du chapitre 21, le cas d’un meurtre anonyme. Peu importe que le meurtre demeure impuni. L’obsession ritualiste n’a qu’un but : empêcher que cet acte violent, parce qu’il ne trouve pas de résolution sacrificielle par la justice rétributive, ne se répande dans la société par mimétisme.
La première mesure consiste à sacrifier une génisse (Dt 21, 3-4). Le texte précise que la mise à mort doit avoir lieu en dehors de la ville, dans un torrent, de façon à évacuer symboliquement le sang versé. Le rituel qui accompagne l’acte purificateur est sans ambiguïté quant à l’objectif recherché :
Ils déclareront : « Ce ne sont pas nos mains qui ont versé ce sang, ni nos yeux qui l’ont vu.Absous Israël, ton peuple que tu as racheté, SEIGNEUR, et ne laisse pas l’effusion du sang innocent au milieu d’Israël, ton peuple… » (Dt 21, 7-8)
Et Deutéronome de conclure :
« …tu auras ôté du milieu de toi l’effusion de sang innocent… » (Dt 21, 9)
Ces rites témoignent de l’importance primordiale du phénomène mis au jour par René Girard. La violence ne reste pas confinée à l’acte criminel et aux protagonistes immédiats : elle se répandpar mimétisme dans l’espace et dans le temps et elle risque d’affecter, si rien n’est fait, l’ensemble de la communauté. La seule méthode que nous connaissions pour endiguer cette propagation est le sacrifice. Les victimes des abuseurs laïcs et religieux dans l’Eglise sont des victimes sacrificielles, immolées à notre peur panique de l’impureté et de la contagion de la violence.
L’insistance sur les dangers du faux témoignage (Dt 19,15-21) montre l’importance que les auteurs de la Bible et du Coran attribuent à ce phénomène. Celui-ci découle directement de la rivalité mimétique : le faux témoignage est une tentative d’élimination du rival en « prenant à témoin » le reste de la communauté ; le risque de débordement du conflit privé dans la sphère publique est réel. Le chapitre 19 traite donc de ce problème avec toute l’attention requise :
« Un témoin ne se présentera pas seul contre un homme qui aura commis un crime, un péché ou une faute quels qu’ils soient ; c’est sur les déclarations de deux ou de trois témoins qu’on pourra instruire l’affaire. » (Dt 19, 15)
Or cette précaution ne protège évidemment pas de la diffamation, comme nous l’apprend Girard : c’est toujours sur base d’un témoignage collectif mensonger que le bouc émissaire se voit accusé. L’important, ici aussi, n’est pas la justice mais bien d’empêcher la propagation du conflit interpersonnel à la communauté.
L’hypocrisie des procédures judiciaires dont le but inavoué est d’étouffer le scandale est exposée par la Bible :
« Les juges feront des recherches approfondies ; ils découvriront que le témoin est un témoin menteur : il a accusé son frère de façon mensongère. » (Dt 19, 18)
Notons la formulation, qui suggère que quel que soit l’ « approfondissement » des enquêtes de l’instruction le résultat est écrit d’avance : quiconque a l’audace de mettre en danger l’ordre et la paix civile sera jugé coupable de faux témoignage.
La victime de pédophilie n’est jamais crue. Parler, pour elle, revient à se retrancher de sa famille et de sa communauté.
« Vous le traiterez comme il avait l’intention de traiter son frère. Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (Dt 19, 19)
Finalement, Deutéronome achève de dévoiler les profondes failles sur lesquelles reposent nos systèmes légaux basés sur le sacrifice en exposant la fonction dissuasive, par définition peu soucieuse d’équité :
« Le reste des gens en entendra parler et sera dans la crainte, et on cessera de commettre le mal de cette façon au milieu de toi. » (Dt 19, 20)
Et résume tout cela par le principe rétributif qui gouverne nos esprits et nos communautés en rappelant la loi du Talion :
« Tu ne t’attendriras pas : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » (Dt 19, 21)
Loi qui, précise le texte, impose le silence à notre cœur.
Je ne sais pas si le lecteur ou la lectrice ressent comme moi, au moment où j’écris ces lignes, à quel point ces enseignements sont d’actualité ; à quel point la possibilité de lire ces textes autrement coïncide avec la possibilité de reconnaître une insoutenable violence que, jusqu’il y a peu, nous étions incapables de regarder en face.
L’enjeu n’est pas d’ôter le mal du milieu de nous mais bien de voir et d’accepter que le mal réside au milieu de nous. C’est ce qu’a fait la CIASE, et c’est bien. C’est aussi ce que dit, profondément, Deutéronome, lorsque nous voulons bien lire ce livre comme une douloureuse révélation de notre violence et non comme des instructions à suivre à la lettre.
https://www.ciase.fr/rapport-final/
Tous les textes sont extraits de la TOB.
Merci, Hervé, de témoigner ainsi du trouble qui tous nous habite, et qui rejoint les mots extraordinaires de Jeanne Dorn à la fin de son intervention « POUSSIN, GIRARD ET BONNEFOY » , ouvrant l’abîme impensé du cri censuré des victimes en la définition d’un classicisme moderne selon Bonnefoy :
« Viser à une forme totale où esprit et sensible viendrait à n’être plus qu’un, une civilisation en un mot comme fin à la recherche du peintre, une société comme œuvre dernière plus synthétique qu’aucun tableau.
Le seul impensé demeurant de savoir sur quoi reposerait une telle société esthétique, une telle forme totale, voire totalisante, et en effet, la philosophie hégélienne dont hérite en partie Bonnefoy est elle-même tributaire du néo-classicisme d’un Winckelmann dont l’histoire de l’art repose toute entière sur une censure, celle du cri des victimes explicitement prohibé, celle de tout mouvement discordant qui compromettrait le règne de la beauté pure. »
S’ouvre alors la fracture du chagrin qu’Alison et Perret définissent à la suite de Girard, suivant en cela Marcel Proust, où le néo-classicisme par le romantisme accèdent à la vérité romanesque entièrement convertie :
» Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort. Heureux ceux qui ont rencontré la première avant la seconde, et pour qui, si proches qu’elles doivent être l’une de l’autre, l’heure de la vérité a sonné avant l’heure de la mort. »
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Le_Temps_retrouv%C3%A9,_tome_2.djvu/72
Saurons-nous ne pas sombrer dans le vide d’un sens qu’il reste à définir et que l’Occident, à la suite de ses prêtres comme de ses constitutionnalistes abuseurs, de ses philosophes comme de ses historiens ou de ses artistes, n’arrive toujours pas à formuler, jetant la jeunesse en pâture aux déviances sadiques d’une autorité qui ne saura que de plus en plus révéler son absence de réalité ?
Une autre épitre de Paul, celle aux éphésiens, cité dans la postface de « la foi au-delà du ressentiment » pose la même question :
« Qui est notre paix, qui des deux n’en a fait qu’un, et qui a renversé le mur de séparation, l’inimitié, ayant anéanti par sa chair la loi des ordonnances dans ses prescriptions, afin de créer en lui-même avec les deux un seul homme nouveau, en établissant la paix, et de les réconcilier, l’un et l’autre en un seul corps, avec Dieu par la croix, en détruisant par elle l’inimitié ? »
La réponse à cette question est depuis presque toujours aux murs de nos églises désertées comme de nos temples républicains, jetant le regard désolé sur l’enfance souillée par nos incapacités d’accéder à l’ascétisme réel qui est un ascétisme du sens, qu’il n’y a guère que la reconnaissance que nous sommes complètement paumés si nous ne savons pas définir un minimum ce qu’est la solidarité en cette perte totale d’identité quand il n’y a plus d’ennemi à désigner, que là est la base commune à toutes les différenciations qui pourraient enfin nous faire accéder à la fraternité, cette seule transcendance qui n’a besoin que de son horizontale pour déterminer la verticale de son unique autorité, le triomphe de la croix :
« Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors; mais vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. 20Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. 21En lui tout l’édifice, bien coordonné, s’élève pour être un temple saint dans le Seigneur. 22En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit. »
https://saintebible.com/lsg/ephesians/2.htm
Ainsi, comme l’a dit Baudelaire inspiré par Stendhal, tous deux cités par Calasso:
» La beauté n’est que la promesse du bonheur. »
Ce qui me permet ici d’exprimer ma reconnaissance, car s’il est possible de correspondre comme nous le faisons, cela est signe véritable qu’il ne sera pas impossible de faire face à notre condition, qu’il nous est offert, comme le dit si bien Alison, une forme de mise en récit pour vivre cette histoire vraie à partir de l’inversion de notre fondement narratif, vécue dans et depuis le pardon :
« L’amenée à l’être de tout à partir de rien ressemble plus à un homme aimant mourant qu’à quelque chose de plus apparemment puissant. Et la sagesse qui amène toute chose à l’être, l’ordonnant et le structurant, ressemble plus à un blasphémateur séditieux pardonnant à ceux qui le détruisent qu’à toute autre chose. En d’autres termes, et s’il vous plaît allez lentement avec ce que je suis sur le point de dire : le désir humain aimant et compréhensif de pardonner à ceux qui le tuent est une analogie plus juste de la puissance de la création que tout établissement d’un ordre. Ce que nous appelons le « pardon » est avant la création, et en effet le modèle de notre être créé est tel que nous ne l’atteignons que par le pardon. »
https://emissaire.blog/2021/10/12/rapport-de-la-ciase-pedocriminalite-dans-leglise/
Alléluia !
»
«
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Pardon, l’extrait d’Alison cité en dernier est tiré de :
http://jamesalison.com/fr/girard-livre-de-lapocalypse/
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« Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a connu contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère. » (MATTHIEU, 5, 23)
Que doit faire un bon catholique quand il a péché ? Toute affaire cessante, il doit se confesser et demander pardon. La démarche est douloureuse, humiliante, mais elle est incontournable. La prière ne peut être exaucée que si l’on a d’abord demandé pardon à celui que l’on a offensé.
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Votre article est remarquable, Hervé VAN BAREN. Je le partagerai sur LINKEDIN avant de publier un autre article. En effet, je ne suis pas d’accord sur un mot : » Deutéronome, entre autres textes, contient la clé… »
Si nous (vous et moi) pensons, et nous le pensons, à la suite de René Girard, que les évangiles révèlent une vérité anthropologique, nous devons analyser les témoignages de la CIASE, rendant ce rapport extraordinaire. Nous pourrons trouver cette vérité anthropologique et en déduire des… contributions à la démarche synodale historique sur la synodalite.
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Le rapport de la CIASE en lui-même n’équivaut pas à la révélation ( ce n’est d’ailleurs pas ce que vous dites). Il participe d’un phénomène entrevu par les rédacteurs de la Bible : le dévoilement « profane » de la réalité du mal. Mais ce dévoilement a lieu dans l’ignorance des racines anthropologiques de cette violence ; cela c’est la prérogative des Écritures. Pour preuve les recommandations du rapport, qui se cantonnent à l’organisation, aux mesures concrètes à prendre. Ce n’est pas en ajustant quelques paramètres que nous surmonterons le scandale de notre violence dévoilée ! Aucun synode, aucune démarche ne pourra faire l’économie d’une réinterprétation des Écritures allant dans le sens de ce dévoilement.
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J’ai fini d’étudier les témoignages du rapport de la CIASE et ai préparé mon article dans ma tête. Le dévoilement des racines anthropologiques, déjà effectué par René Girard et surtout James ALISON me suffit pour son écriture.
Votre travail de dévoilement est précieux et je vous invite à le poursuivre. Mais je pense qu’il ne doit pas être la méthode exclusive de la recherche mimétique. Les résultats des recherches de Jean Michel OUGHOURLIAN, Jean Louis SALASC, Benoît HAMOT….. le prouvent.
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J’ai du mal à entrer dans l’idée que la doctrine de l’Eglise implique par elle-même ou suscite la pédocriminalité. Le message du Christ en est complètement à l’encontre. Et en bon girardien, je considère que nous devons précisément au christianisme d’avoir révélé l’innocence des boucs émissaires et d’avoir ouvert le monde au souci des victimes.
De nombreux membres de l’Eglise se sont livrés à des actes pédocriminels ; c’est d’autant plus odieux que justement, le message chrétien professe le respect chaque être humain et que l’Eglise a précisément pour raison d’être de le soutenir.
L’Eglise en tant qu’institution a été longtemps détentrice d’un grand pouvoir, et a conservé une autorité morale après 1905. Ceux qui prennent plaisir à abuser d’autrui sont précisément attirés par ce genre d’institutions, car ils puisent, dans l’autorité qu’elles procurent, de quoi s’imposer à leurs victimes. Le phénomène touche toutes les institutions.
L’Eglise a couvert ou fermé les yeux sur leurs agissements. C’est un scandale inacceptable. Ce faisant, elle a tenté de se protéger en tant qu’institution, ce qui aboutit à porter atteinte au message évangélique.
Il me semble par contre que le nihilisme, lui, est structurellement compatible avec la pédocriminalité : si les êtres humains ne sont que des amas de molécules issus du hasard, donc sans valeur particulière, il n’existe dès lors aucune objection à de tels actes ; ce que Dostoïevski a parfaitement résumé : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ».
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Ces actes et le silence qui les ont « couverts », on est d’accord, sont inacceptables. Cependant, il faut accepter le fait que ces actes aient été commis et qu’au lieu de s’en scandaliser, l’institution ait voulu éviter tout scandale. J’ai un peu l’impression, en lisant le précédent commentaire, que ça arrangerait bien les croyants sincères de faire des prêtres et religieux pédophiles des croyants hypocrites, des Tartuffe, voire des « nihilistes » venus chercher dans l’institution ecclésiastique non seulement les occasions de pécher mais encore l’absolution, ou à tout le moins l’impunité. Hélas, de même qu’il existe des saints laïques, j’en ai connu, il existe certainement des salopards qui croient en Dieu. Remplis d’une piété sincère, peut-être (difficile de savoir).
La vraie question est sans doute maintenant celle de la réforme de l’Institution. Je lis ce passage dans la « lettre aux catholiques » envoyée dans les paroisses par les « évêques de France » : « Nous, évêques, reconnaissons que nos prédécesseurs n’ont pas toujours été assez attentifs au sort des enfants agressés. Sans prétendre que nous aurions fait mieux à leur place et en leur temps, nous implorons humblement pardon pour tous les cas d’indifférence ou d’incompréhension dont les responsables ecclésiaux ont pu faire preuve. » Je ne vous ferai pas une explication de texte, tout le monde peut voir que le scandale qui nous émeut, un scandale pire que celui de l’affaire Dreyfus, à savoir le choix de sacrifier des innocents (et en grand nombre, cette fois) afin de préserver l’autorité ou la « sainteté » de l’Institution, eh bien, cette lettre n’en parle pas, et c’est pourtant de cela qu’il s’agit et de cela qu’il faudrait demander pardon !! Il semble que les évêques aient préféré demander pardon (et relativiser) plutôt que de donner leur démission tous ensemble, ce qui aurait eu, à mes yeux, plus de sens : cela aurait été une réponse institutionnelle à la hauteur des crimes commis à l’abri de l’Institution.
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Vous et jlsalasc exprimez parfaitement, je trouve, la vérité qui se cache derrière vos analyses. C’est au mystère du mal que nous sommes confrontés et à la prise de conscience brutale que ce mal, c’est nous qui le dissimulons. Remarquez que c’est strictement le même phénomène que dans le cas de l’inceste, voir mon article sur Noé et Cham. Qu’est-ce qui déclenche chez ces individus le besoin irrésistible de transgression des valeurs morales les plus élémentaires ? La question est évidemment pertinente, elle rejoint la part la plus mystérieuse de notre nature et je suis sûr d’une chose : ce n’est pas par une meilleure formation ou par des sanctions impitoyables que nous résoudrons le problème. Ces réponses ne sont pas à la hauteur. On m’avertit : ne t’attaque pas aux dogmes ! Je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin que les dogmes. Il faut descendre à la racine parce que de tels scandales dévoilent le mal jusqu’à la racine et pour cela, se souvenir que ces dogmes reposent entièrement sur une interprétation de la Bible. Le mal qui apparaît au grand jour est toujours tapi dans la façon dont nous lisons les textes. Le nécessaire chantier, c’est l’exégèse. Je pense que Girard avait bien compris cela. Et que prétendre que la clé du dépassement de ce scandale réside dans la Bible déclenchera à coup sûr de grands éclats de rire, cela ne l’aurait pas trop dérangé.
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Je partage complètement votre point de vue quant à la lettre des évêques.
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Cher Jean-Louis, je partage aussi votre point de vue ou votre sensibilité au sujet du mystère que constitue pour les disciples (même très imparfaits) du Christ ces ignominies commises par des prêtres. On cherche du côté des « vocations », du patriarcat excessif de l’Eglise, de textes mal interprétés, de l’incapacité d’une institution à faire face à des désordres qui la remettent sérieusement en question etc. et en réalité, vous avez raison, on n’y comprend rien ; il est impossible de se mettre « à la place » de ces criminels en soutane. La soutane me donne envie de relire Bernanos, qui a essayé d’approcher le mystère de la vocation à la sainteté qui est celle d’un prêtre et a, je crois, décrit les pièges qui lui sont tendus par Satan.
Contrairement à ce mot de Dostoïevski (Si Dieu n’existe pas, tout est permis), Girard a montré que le Dieu biblique, progressivement puis radicalement avec les Evangiles, a libéré les hommes de l’éternel retour du sacré et a lancé l’humanité dans l’aventure temporelle que nous appelons l’histoire et dont nous ne savons toujours pas comment elle se terminera : c’est l’aventure de la liberté !
Camus dit « Un homme, ça s’empêche », ce qui est une façon virile et responsable de dire : « je suis libre ». On peut légitimement se poser la question : les prêtres qui trahissent le message évangélique ne sont-ils pas entrés dans l’Eglise pour se mettre au chaud, ne sont-ils pas des hommes qui ont renoncé à leur liberté d’homme ?
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Désolé de casser l’ambiance, mais pour avoir travaillé dans un section d’enquête de la Gendarmerie et parlé avec les enquêteurs spécialisés dans l’audition d’enfants, je sais qui : si ! Les victimes sont bien écoutés. Mais il y a un nombre faramineux de faux témoignages où les enfants sont manipulés par un de leur parents comme forme de vengeance.
C’est ça la réalité : les rares prètres pédophiles sont déjà derrière les barreaux, ainsi que ceux qui ont couverts leurs actes.
Les personnes désignées par ce rapport sont accusés sans preuves par des ennemis de crimes sexuels. Ça ne vous rappelle rien ? N’est-ce-pas la définition même du bouc-émissaire ?
Désolé, ce rapport me donne envie de vomir et je ne partage pas du tout votre analyse.
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LA MUDE, votre réaction tout à fait légitime me pousse à vous livrer mon témoignage que j’ai publié sur LINKEDIN:
Le témoignage, qui éclaire le rapport de la CIASE, mais que je n’avais pas souhaité donner à la commission | LinkedIn
https://www.linkedin.com/pulse/le-t%25C3%25A9moignage-qui-%25C3%25A9claire-rapport-de-la-ciase-mais-que-nicolle/?trackingId=ZLnb1u%2B80fR8b6%2F6TtjfwQ%3D%3D
Je le retranscris ici et invite chacun à lire les témoignages de vraies victimes, qui ne sont plus des enfants, mais des « seniors » comme on les nomme maintenant. Il n’y a aucune dénonciation nominative. Tout commentaire, toute analyse devrait, à mon avis, être émis après lecture de leurs témoignages.
Mon témoignage
Suite à un déménagement dans une ville agréable du sud de la France, je rentrais en 5ième. dans un collège privé de la ville. J’étais bon élève, isolé, peu bavard (c’est un euphémisme). On m’envoya quelquefois voir, car j’étais excellent en « catéchisme » m’entretenir avec le père C….., professeur principal de 3ième Ces entretiens, peu nombreux, courts se passèrent très bien et m’intéressaient. En 4ième, professeur de mathématiques, il m’a demandé de venir. J’aimais les maths, mais la première entrevue ne portait ni sur ce sujet, ni sur des questions de caté, mais sur des choses que je ne comprenais pas, car reposant sur des codes, que j’aurais dû connaitre, mais que je ne connaissais pas. Ce genre de situation, me mettait toujours mal à l’aise, je refusais donc ces demandes d’entrevues. En 3ième, professeur de français, mathématiques, catéchisme et donc devenu le professeur principal, il me convoqua sous prétexte de difficultés en français et d’autres matières. Là, il me parla d’immaturité affective, terme que j’ai retenu sans le comprendre (je ne suis d’ailleurs pas sûr de le comprendre plus aujourd’hui) et me montra un album. Je le feuilletai, c’était un album de photos de femmes nues…Bien entendu, à cet âge, tu bandes parce que tu commences à grandir….Je pense qu’il s’en aperçut et essaya de fourrer sa main dans mon short et mon slip. Il ne réussit pas …et toucha seulement mon short. J’avais « débandé ». Je n’ai pas fui et du se méprendre sur la raison de ce non départ (ou d’un non envoi de poing à la figure, je ne sais)…. car il entreprit de se justifier….
Intermède : Retour sur l’autisme au regard des témoignages de victimes
« C’est une véritable effraction dans le psychisme d’une personne »
« …passager clandestin de mon psychisme ».
« Dans mon psychisme, il y a cet homme et il y sera toujours….
Ces phrases extraites de plusieurs témoignages/auditions doivent être complété par une autre, pour comprendre véritablement le calvaire des victimes, dont un autiste comprend, d’instinct la signification, illustrant ainsi les évangiles sur la sagesse des petits et la vérité anthropologique de ces écritures (Simone WEIL et René GIRARD) :
«…. j’avais une mésestime de moi terrible parce que je…, ce vide était prodigieusement dangereux. »
Je suis né en 1954, les troubles autistiques qui me caractérisaient n’ont commencé à être détectés qu’en 1993. J’étais marié, mes trois fils étaient nés. Les troubles s’étaient transformés en des signes quasi invisibles.
Dans mon enfance, les effets secondaires de ces troubles, notamment les épisodes dépressifs, n’étaient pas non plus détectés, ni pris en charge. Je me souviens d’un épisode de plusieurs mois, vers 6 ans, où, chaque nuit, avant de m’endormir, une « masse noire » envahissait petit à petit tout mon cerveau, jusqu’à, ne percevant plus rien, je sombrais dans le sommeil.
Ces épisodes revenaient périodiquement, à chaque fois que des relations se passaient mal : « On » attendait de moi des comportements, sans me les avoir demandés au préalable, et on me reprochait ensuite de ne pas les avoir adoptés. Pour moi, c’était une tentative de pénétrer dans mon cerveau et la réaction d’angoisse provoquée induisait un « blocage »…suivi la nuit suivante de ce cauchemar.
Suite de mon témoignage :
Cet intermède était nécessaire : Mes cauchemars et mes angoisses avaient disparu, parce que j’essayais d’observer les comportements des autres pour les comprendre, dans un langage compréhensible, pour moi.
Il ne m’était pas venu à l’esprit, qu’un homme, prêtre me parlant de ma mère en termes si élogieux, puisse être attiré sexuellement par un jeune garçon.
Je voulais donc comprendre son attitude et acceptai de le revoir.
Il ne renouvela pas son geste. Par contre, en cherchant à justifier son geste pour le rendre normal et naturel, il me parla, parla…. Et se confia. Lorsque je compris, j’en eus marre de ces discours et laissai tomber ces entretiens……
Par rapport à la génération de ses parents, c’était un progrès, car il donnait des informations aux jeunes qui passaient dans le collège. Il me citait les nombreux prêtres, en en citant certains que je connaissais, qui lui étaient reconnaissants, et les nombreux autres garçons, mariés et devenus pères de familles, qui tout venaient le voir avec femme et enfants pour leur montrer ce professeur extraordinaire.
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