Les cent jours de l’oncle Joe

par Jean-Louis Salasc

Les tensions internationales ne s’apaisent pas avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Certains commentateurs parlent de Nouvelle Guerre Froide. C’est oublier que durant la première, les sociétés occidentales, les démocraties libérales, apparaissait comme un modèle « désirable » pour les peuples du bloc adverse. Les Etats-Unis se sont faits le « médiateur » de ce modèle de société après la fin de la Guerre Froide. Contrairement à leurs espoirs, il ne s’est pas répandu sur le monde. Non seulement il s’est trouvé dévalué par les crises économiques et le terrorisme, mais encore certains le rejettent du fait même de se voir « imposer un modèle ». Ces mécanismes hautement girardiens expliquent peut-être, au moins en partie, les actuelles tensions internationales ; c’est la thèse de cette analyse. Le modèle occidental n’est plus spontanément aussi « désirable » hors de l’Occident : les administrations américaines semblent avoir du mal à s’en rendre compte et celle de Joe Biden n’y échappe pas.

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Depuis la prise de fonction de Joe Biden, les relations internationales semblent avoir élu domicile sur le cours central de Wimbledon. Tous les joueurs sont au filet, les « smashes » et « passing shots » fusent de tous côtés. Qu’on en juge.

26 janvier : la Norvège annule, pour cause de COVID, des manœuvres prévues en Arctique. Les Etats-Unis maintiennent sur place les mille « marines » qui avaient été envoyés sur place dans ce cadre.

5 février : la Russie expulse trois diplomates européens le jour même de la visite de Josep Borrell, haut représentation de l’UE pour les relations internationales.

8 février : l’USAF déploie quatre bombardiers B1 sur la base norvégienne d’Orland.

17 mars : Joe Biden qualifie Vladimir Poutine de « tueur » et assure qu’il « en paiera le prix ».

18 mars : la Russie rappelle son ambassadeur aux Etats-Unis.

18 et 19 mars : le secrétaire d’Etat américain (le ministre des affaires étrangères), Tony Blinken, reçoit à Anchorage une délégation diplomatique chinoise. C’est un échec : pas déclaration commune. Tony Blinken a entamé le sommet avec les droits de l’homme ; son homologue chinois, a répliqué vertement que la Chine n’accepte pas l’ingérence américaine dans ses affaires intérieures et qu’elle refuse d’être « prise de haut ».

24 mars : Volodymyr Zemlinsky, le président ukrainien, signe un décret déclarant que la politique officielle de son pays est la reconquête de la Crimée.

27 mars : la Chine et l’Iran signe un accord de coopération (en gestation depuis près d’un an). Il comporte un plan d’investissement de 400 milliards de dollars financés par la Chine sur 25 ans, en échange d’un approvisionnement pétrolier à prix stabilisé.

3 avril : on observe un déploiement de troupes russes à la frontière du Donbass (dix mille hommes, des chars, de l’artillerie lourde et des avions de chasse).

6 avril : Recep Tayyip Erdogan reçoit Charles Michel et Ursula van der Leyen, et humilie cette dernière en la faisant asseoir au rang des conseillers.

8 avril : la Russie annonce déployer (pour manœuvres) une force de débarquement amphibie (40 navires) au large de la côte sud-est de l’Ukraine.  14 avril : Joe Biden prend un train de sanctions contre la Russie et renvoie dix diplomates russes.

15 avril : la Russie annonce que Jack Sullivan, l’ambassadeur des Etats-Unis est rappelé pour consultation. Il conteste l’information et tente de rester ; il finit par partir le 20 avril.

16 avril : Volodymyr Zelensky est reçu par Emmanuel Macron (Angela Merkel participe en visio-conférence). Le président ukrainien demande un soutien à la France et l’Allemagne pour une intégration dans l’OTAN et une adhésion à l’UE. Le président français et la Chancelière refusent.

21 avril : discours traditionnel de Vladimir Poutine devant l’assemblée russe. Essentiellement consacrée à la situation interne, l’intervention aborde in fine le champ international. Le président russe indique notamment que « si les lignes rouges sont franchies », la Russie procédera à une « réponse asymétrique, rapide et dure ».

22 avril : le chef d’état major russe annonce le retour en cantonnement des troupes envoyées à la frontière du Donbass.

24 avril : Joe Biden reconnait le génocide arménien de 1915.

25 avril : Recep Tayyip Erdogan fait part de sa colère et annonce une rencontre avec le président américain en juin (prochain sommet de l’OTAN) pour évoquer le sujet.

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Une pareille séquence a suscité bien sûr beaucoup d’émotion dans les médias, passant du registre « au bord de la guerre » à « espoir de désescalade » en quelques jours.  De nombreuses prises de position ont recyclé les partis pris habituels, entre antiaméricanisme et russophobie ; l’approche en est toujours de chercher « Qui est le méchant ? ».

Or, cette approche nous  expose à un risque, celui de concentrer sur l’autre (ou un autre) la responsabilité de la crise, donc de en nous dédouaner. Attitude qui ne conduit qu’à renchérir la spirale de la réciprocité violente, comme l’a montré René Girard : l’autre étant le « vrai » méchant, nous sommes légitimes à mobiliser toutes nos forces pour le neutraliser, voire même moralement obligés de le faire.

Essayons donc de comprendre ce qui se passe sans tomber dans ce travers et en sollicitant, bien sûr, l’éclairage de la Théorie mimétique.

Pour cela, je vous propose de revenir à un article-programme (1) rédigé par Victoria Nuland et publié en juin 2020 : « Pinning down Putin », « Clouer Poutine au sol ». Victoria Nuland a fait carrière au département d’Etat (ministère des affaires étrangères américain) depuis 1984 ; de 2013 à 2017, elle était adjointe du secrétaire d’Etat. Elle était en première ligne à l’occasion de la  crise ukrainienne en 2014. Pendant le mandat de Donald Trump, elle a quitté le département d’Etat. Depuis février 2021, elle est sous-secrétaire d’Etat auprès de Tony Blinken. Elle fait partie des « faucons » ; elle est proche de Madeleine Albright et Hillary Clinton. Son mari est Robert Kagan, un historien et géopoliticien néoconservateur.

L’article de Victoria Nuland est sorti dans la revue Foreign Affairs, la référence aux Etats-Unis en matière de relations internationales. Il propose une analyse du comportement de la Russie sur la scène mondiale, formule un jugement négatif sur ce comportement et dresse un plan d’action pour ramener la Russie à une attitude « convenable ». Nul doute que Victoria Nuland, revenue aux affaires, n’oriente l’administration Biden selon ces préconisations (très probablement, son article faisait partie de son dossier de candidature).

Quelles sont ces préconisations ? Elles sont au nombre de cinq :

  1. D’abord, rassembler les alliés, dont l’OTAN,
  2. Manifester plus de fermeté à l’égard de la Russie,
  3. Renforcer les capacités de sécurité (c’est-à-dire le militaire),
  4. Communiquer directement avec le peuple russe, en particulier les jeunes,
  5. Enfin, proposer au président russe des accords mutuellement bénéfiques.

L’interprétation que je mets sur la table est que nous serions dans la première phase de ce programme : rassembler les alliés.

Et cela veut vraiment dire quelque chose : Emmanuel Macron déclare l’OTAN en « état de mort cérébrale » ;  l’Allemagne s’arc-boute sur le projet de gazoduc Nordstream 2 (qui la relie directement à la Russie en passant sous la Baltique), projet que Washington cherche à bloquer à coups de sanctions et de menaces ; Recep Tayyip Erdogan se méfie des Etats-Unis depuis la tentative de coup d’état de juillet 2016, la Turquie a « pris des initiatives » dans la guerre de Syrie et vient d’acheter des missiles antiaériens russes (un comble pour un membre de l’OTAN). A cela s’ajoute le reproche récurrent des administrations américaines : les alliés ne participent pas assez au financement.

La séquence de cent jours à laquelle nous venons d’assister peut se lire sans difficulté comme un resserrement des rangs de l’OTAN. Fin janvier, son patron Jens Stoltenberg publie un document d’orientation : OTAN 2030. Sans surprise, nous y retrouvons les deux premières préconisations de Victoria Nuland : augmentation du rythme et de l’intensité des manœuvres militaires, évolution du mode de commandement (fin de la règle de l’unanimité), efforts des budgets de défense des pays membres. Les administrations américaines ont en effet une certaine vision de ce que veut dire « resserrer les liens ». C’est Barak Obama qui l’a élégamment formulé dans une interview à Vox le 23 janvier 2015 : « De temps à autre, nous avons à tordre le bras aux pays qui ne voudraient pas faire ce que nous avons besoin qu’ils fassent ».

Quel meilleur moyen pour resserrer les rangs de que faire sentir le souffle de l’ennemi ? Joe Biden qualifie le président russe de « tueur » et assure son plein soutien à Volodymyr Zelinsky ; celui-ci, une semaine plus tard, signe le décret de « reconquête de la Crimée » et part inspecter les postes de commandements à la frontière du Donbass. Moscou finit par réagir et envoie des divisions, puis des forces navales ; Vladimir Poutine couronne le tout avec son discours de la « réponse asymétrique, rapide et dure ». Clap de fin. Joe Biden charge Emmanuel Macron et Angela Merkel d’expliquer à Volodymyr Zelinsky qu’il n’est pas question de l’accueillir dans l’OTAN. En effet, l’article 5 du Traité oblige les alliés à intervenir militairement si l’un des membres est attaqué. Les pays européens ne veulent pas d’une confrontation directe avec la Russie ; les Etats-Unis non plus : Victoria Nuland elle-même reconnaît que la Russie a pris un avantage en matière d’armement avec ses missiles hypersoniques (au-delà de Mach 6) et ses drones nucléaires sous-marins.

Le lendemain de son discours, le président russe retire ses troupes et le surlendemain, Joe Biden l’accueille au sommet de la Terre, comme si de rien n’était. L’opération est bénéfique pour chacun des deux : le président américain a défié Vladimir Poutine et renforcé ce faisant son statut  de « leader du monde libre » ; quant au président russe, il a pu constater qu’il faisait réellement peur, pour preuve Angela Merkel perdant son sang-froid et réclamant le « retrait des troupes russes » (qui se trouvaient sur leur propre sol).

L’oncle Joe enchaîne avec la Turquie, en reconnaissant le génocide arménien de 1915. Un camouflet pour Recep Tayyip Erdogan. La presse et l’opinion publique turque se déchaînent, mais leur président fait le service minimum et renvoie à une future rencontre avec Joe Biden à l’occasion du prochain sommet de l’OTAN en juin.

Selon cette interprétation, nous n’étions donc pas au « bord de la guerre », mais dans une opération de rassemblement du camp de l’Ouest. Pour autant, la « désescalade » n’en est pas une ; car le programme de Victoria Nuland implique une intensification des tensions au fur et à mesure que l’OTAN aura rattrapé (ou croira l’avoir fait) son retard sur la Russie.

*****

Et la Chine ? Joe Biden a révélé le fond de sa pensée dans une allocution le 29 avril : la Chine est un rival et la Russie un ennemi. Nuance. Il est vrai que dans le domaine économique, la Chine est le seul concurrent des Etats-Unis, la Russie n’est qu’une puissance économique moyenne. Mais la Chine est aussi une rivale dans le domaine institutionnel ; Xi Jiping ne manque pas une occasion de souligner les défaillances des démocraties, il vante les mérites de son approche internationale (dite « émergence harmonieuse ») et offre des perspectives de prospérité à de nombreux pays en développement, avec le projet des Routes de la Soie ou encore en Afrique. L’exemple de l’Iran est emblématique : les Etats-Unis contraignent, la Chine achète.

Même l’Union Européenne a fini par le comprendre. Le 13 mars 2019, une communication conjointe de la Commission au Conseil et au Parlement formule l’analyse suivante : la Chine « est un concurrent économique dans la course à la domination technologique et un rival systémique dans la promotion d’autres modèles de gouvernance ».

Modèle : voilà où René Girard vient nous aider à comprendre.

Il est possible en effet que les tensions géopolitiques actuelles viennent d’une question de « modèle ». L’article de Victoria Nuland en est l’expression involontaire. La structure de son analyse repose sur la conviction implicite que le modèle de société occidental (démocratie, libertés fondamentales, marché, société ouverte, etc.) reste spontanément « désirable ». Cette conviction imprègne une grande partie des élites américaines. C’est pourquoi Victoria Nuland pense que le simple fait de « présenter » aux jeunes Russes cette société suffirait à en faire des adeptes. Au fond, elle considère que si la Russie n’a pas basculé dans le camp occidental, c’est uniquement parce qu’un autocrate agressif empêche les Russes de tout simplement « prendre connaissance » des bienfaits du modèle américain. C’est oublier la décennie Eltsine, au cours de laquelle ses « conseillers américains » ont littéralement pillé le pays (cf. par exemple par Naomi Klein, la Stratégie du choc, 2007) .

Il est vrai que l’Occident a joué ce rôle du modèle désirable pendant la Guerre Froide, c’était le « rêve américain ». Après la Chute du Mur, il était le modèle d’organisation sociale vers lequel tous les pays ne pouvaient que converger. En langage girardien, l’Occident était à lui-même son propre médiateur.

Puis survinrent le 11 septembre, la crise de 2008, les interminables guerres américaines. Le modèle occidental est battu en brèche. Il n’est plus garant de sécurité et de prospérité. Le doute s’est même instillé sur le respect des valeurs de liberté : révélations de Julian Assange et Edward Snwoden, Barak Obama s’excusant à peine d’avoir mis sur écoute le téléphone portable d’Angela Merkel. Victoria Nuland le reconnait à demi-mots, en disant que le modèle démocratique a besoin d’être revigoré. Mais est-il possible de retrouver un statut de modèle de société désirable, de ressusciter le rêve américain ?

Les démocraties occidentales ont peut-être à faire face à la perte de leur statut combiné de « modèle » et de « médiateur ». Ou au moins se faire à l’idée qu’il se trouve des rivaux (« systémiques » comme dit la Commission européenne).

Et là, un autre piège les guette. Mais grâce à la théorie mimétique, nous sommes avertis : des rivaux finissent toujours par se ressembler. La crise du Coronavirus en a peut-être fourni un signe : comment se fait-il que nous ayons tous imité le confinement mis en place à Wuhan, alors qu’absolument aucun de nos plans d’urgence épidémique n’en prévoyait ?

Girard, toujours Girard.

(1) L’article original de Victoria Nuland, précédé d’une traduction réalisée par mes soins :

7 réflexions sur « Les cent jours de l’oncle Joe »

  1. Cher Jean-Louis,

    Plus ça va et plus je pense qu’il y a quelque chose à rechercher du côté du modèle, de l’exemplarité et de l’admiration. Même si René Girard s’y est peu intéressé, c’est une partie intégrante de la théorie mimétique qui mérite des développements, non seulement sous l’angle du défaut d’exemplarité et de l’erreur qui consiste à se croire désirable en soi, mais aussi sous celui du parangon, du mentor, de l’influenceur, du coach, du psychothérapeute, du guide spirituel, du sophrologue, du pédagogue, de l’éducateur, du parent, du leader, etc.

    Je suis convaincu en outre que les relations internationales sont un champ particulièrement intéressant à labourer pour la TM. Entre autres, Roberto Farneti en a traité dans Mimetic Politics: Dyadic Patterns in Global Politics de même que la juriste Monique Chemillier-Gendreau et j’en avais parlé un peu dans ma thèse et dans René Girard, philosophe politique malgré lui.

    Bref, tu as bien raison de nous proposer une telle réflexion.

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  2. Rares sont les points de vue en géopolitique qui arrivent à se détacher d’une position partisane. Jean-Louis Salasc nous montre que l’analyse de Victoria Nuland, aussi brillante soit-elle, n’échappe pas au sentiment de la supériorité de son camp. Il montre aussi que cette tendance humaine est à l’origine des tensions qui, de temps en temps, dégénèrent en conflits ouverts. Echapper à l’attrait de la rivalité mimétique revient à adopter un point de vue parfaitement neutre. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec la vision copernicienne de l’univers. L’héliocentrisme n’est pas qu’une théorie, c’est un changement paradigmatique. C’est avant tout l’abandon de la vision nombriliste du monde, celle dans laquelle tout doit nécessairement se rapporter au moi grandiose. Est-ce cela, la conscience ? Réaliser que moi/nous ne sommes pas le centre de l’univers, le/les uniques détenteurs de la Vérité ?
    Constater la symétrie de la violence de ces petits jeux géostratégiques est nécessaire mais il faut tout de même faire une distinction entre deux approches. La violence diplomatique est similaire au point d’être interchangeable ; ce qui change, c’est la manière. Policée et hypocrite dans le camp démocrate-libéral, elle devient brutale et ouvertement hostile dans le monde illibéral. On a pu constater les effets mimétiques dont parle Jean-Louis Salasc lors de la présidence de Donald Trump, partisan enthousiaste de ce langage « barbare », que les épisodes nationalistes du siècle dernier nous ont rendu par trop familiers. La civilisation, c’est plus l’enrobage de la violence dans un joli paquet qu’un renoncement vertueux à celle-ci. Il faut pourtant constater que cette dissimulation est efficace pour prévenir les réactions en chaîne, la spirale incontrôlable, et s’inquiéter de la tendance actuelle.

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  3. Ça fait un peu mal de penser que Macron et Merkel sont les chargés de mission de Biden.

    Mais plus profondément, le modèle qui s’épuise, n’est-ce-pas moins l’occident dans son ensemble que le modèle impérialiste américain ? Comment comprendre sinon les différentes vagues populistes au sein de l’occident même ?

    Ce qui a fait la force de l’occident, c’est justement le fait qu’il est resté malgré tout multi-polaires pendant la majorité de son existence. La version où un seul gouvernement peut imposer une politique anti-Russie à l’ensemble de l’occident même lorsque c’est objectivement au détriment de certains pays ne doit pas sembler très attirant ni très différents des autocraties, vu de l’extérieur.

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  4. Les langues anciennes distinguaient l’ennemi politique (hostis, polemios) et l’ennemi intime (inimicus, ekhthros). La théorie mimétique, à travers des exemples pris dans la littérature, concerne le seul ennemi intime (c’est également vrai en ce qui concerne la fameuse injonction évangélique d' »aimer ses ennemis »). Son extension à la politique me semble alors poser un certain nombre de problèmes. Quoi qu’il en soit, ces deux modalités de la rivalité ne peuvent être confondues. Sinon, on aboutit à des comparaisons, qui, sous le blanc seing de cette fameuse ressemblance entre des rivaux mimétiques qui finissent par se confondre, mettent plus ou moins à égalité les écoutes américaines du portable de Mme Merkel et l’assassinat d’opposants par Mr Poutine. Bref, je ne suis pas d’accord avec ce qui a été dit dans ce blog à ce sujet, non pas pour des raisons qui me seraient personelles, on l’aura compris, mais parce que je ne comprends pas la théorie mimétique de cette façon.

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  5. Merci beaucoup pour cet article. Je suis tout-à-fait d’accord avec ce que Monsieur Salasc écrit. En fait, je dirais même qu’il y a plusieurs éléments qui font penser à des doubles qui se réclament d »un même objet; je pense par exemple à la légitimation que tantôt le gouvernement de la Chine comme celui de la Russie font de leurs regimes respectifs. D »un côté, le Parti Communiste Chinois parle d »une démocratie populaire encore plus démocratique que celle de l »Ouest. De l »autre côté, l »une des plus importantes formes de légitimation qu »en a le gouvernement russe est de dire que Poutine est ce que le peuple russe désire comme président -et en vérité Poutine n »a jamais reçu moins de 60% de l’approbation de la population. Alors son gouvernement peut dire tranquilement qu’il s’agit en effet d’une démocratie; en fait, une meilleure démocratie que celle que les pays de l’Ouest en ont.
    Tout cela fait penser à l’avant dernier livre de Monsieur Dupuy, « La guerre qui ne peut pas avoir lieu ».

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  6. Cher Benoît Hamon,

    Vous savez, pour un ingénieur, la théorie mimétique n’est un hypothèse intellectuelle intéressante, mais un formidable outil de gestion des groupes humains.

    Maintenant que nous avons un peu de recul, on peut par exemple s’interroger sur la présidence de Donald Trump : faire de soi-même le bouc-émissaire des médias pour être élu ? Designer constamment un ennemi extérieur pour unir les américains plutôt qu’un bouc-émissaire intérieur ? Cela couplé à son extraordinaire habileté à communiquer sur les réseaux sociaux, ne demontre-t-il un connaissance pragmatique du mimétisme ? Son approche de la crise de la Corée du Nord est aussi surprenante : ne dirait-on pas qu’ayant compris qu’il était la médiateur de Kim-Jung-Un, Trump pouvait le contrôler par un jeu de miroir ?

    Donald Trump n’a probablement jamais lu René Girard, mais des résumés pragmatiques circulent probablement dans les milieux conservateurs américains. Et si c’est le cas pour eux, ça l’est probablement pour d’autres.

    Évidemment, tant que ce savoir est caché au sein des partis et non enseigné dans la population, on est dans la manipulation et non dans la libération qu’ésperait René Girard.

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    1. Chère La Mude
      Merci pour votre intervention qui me fait comprendre que j’ai été mal compris, et que c’est aussi de ma faute car en me relisant, je m’aperçois que j’ai fait une erreur importante, que je dois corriger : ce n’est pas la théorie mimétique mais le triangle mimétique qui concerne l’ennemi intime. La théorie mimétique a bien entendu des composantes politiques. Je dois donc ouvrir le capot pour préciser ma pensée en mettant les mains dans le cambouis.
      René Girard a distingué 2 structures distinctes, bien qu’elles soient reliées par la présence commune de comportements mimétiques. La première, c’est le désir mimétique dont la structure est triangulaire : le désir est médiatisé par un modèle qui désigne un objet. Ce modèle est également un obstacle à la réalisation du désir en barrant l’accès à l’objet. Ce modèle-obstacle, c’est la figure de l’inimicus (ennemi intérieur, Girard parle initialement de médiation interne). La seconde structure est circulaire : c’est le phénomène de bouc-émissaire ou tiers exclu. Une crise sociale, une peste dans le sens de comportements mimétiques généralisés entrainant une panique peut se résoudre en désignant un coupable qui est mis au ban de la société, expulsé, lynché, sacrifié. C’est un mode illusoire de réconciliation autour de l’hostis dont le principe est satanique :
      « Les Evangiles affirment expressément que Satan est le principe de tout royaume. De quelle façon Satan peut-il être ce principe ? En étant le principe de l’expulsion violente et du mensonge qui en résulte. » GIRARD R. (1982) Le bouc émissaire, Paris, Grasset, p.263
      Comme Girard le dit expressément, Satan est le principe de tout royaume, ou autrement dit, du politique dans sa forme traditionnelle et fondatrice. Carl Schmitt ne dit pas autre chose en affirmant que c’est la présence de l’ennemi extérieur (hostis) qui fonde le politique, mais sans percevoir la dimension sacrificielle illusoire mise en évidence par Girard.
      Mais il y a autre chose. Girard affirme également, en accord avec les évangiles, que le règne de Satan est terminé. Le Christ est venu pour le mener à sa perte, à travers sa Passion. Cela se traduit politiquement par les évènement qui se sont ensuivis, c’est-à-dire par la guerre des juifs contre Rome et la destruction du temple de Jérusalem, évènement décrits dans de nombreuses prophéties, dont la principale, et la plus récente, est l’Apocalypse de Jean. Depuis ces évènements historiques, le politique a profondément changé de nature.
      « Vous le savez: ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous » (Marc10, 42).
      La démocratie fonctionne dans un monde qui n’est plus régi par le principe satanique. Nos dirigeants ont passé par une série d’entretiens d’embauche – les élections – à l’issue desquels leur sont accordés, ou pas, des contrats à durée déterminée, en général révocables sans préavis. Pour les obtenir, ils doivent faire preuve d’humilité, de compétences multiples, se consacrer intensément à leur travail.
      Bien sûr, il existe encore des royaumes, c’est-à-dire des systèmes sataniques. Ce sont, en termes modernes, les empires. Certains tentent encore de résister (Russie, Chine, Empire Ottoman, Britannique, Perse, Arabo-musulman…). Ils peuvent se perpétuer d’une part par atavisme, entrainés par leur propre poids, d’autre part parce qu’un certain nombre de personnes n’ont toujours pas perçu la différence de nature, pourtant évidente, entre les modes de gouvernements démocratiques issus de la victoire de l’agneau et de la défaite de Satan, et les royaumes ou empires. C’est pour cette raison qu’une critique interne peut se développer à l’intérieur des démocraties et mener au pouvoir des imbéciles comme Trump, Poutine ou Erdogan. Car sur ce plan, je ne suis pas d’accord avec ce qui a été dit sur ce site : ces gens-là (électeurs et dirigeants) n’ont rien compris à la théorie mimétique, ils ne font qu’utiliser des recettes éculées depuis longtemps, et qui par conséquent, ne peuvent être efficaces que très provisoirement, à condition d’adopter la stratégie satanique : mensonge, violence à l’encontre des opposants, imitation de Dieu (dictatures se présentant comme des « démocraties populaires », etc.).
      Mon désaccord porte donc sur une confusion entre deux structures distinctes dans la théorie mimétique (triangle et cercle) et entre deux systèmes politiques inconciliables. Cette confusion est lourde de conséquences, car elle amène certains à considérer les agissements de parfaits crétins (Trump) comme une preuve d’habileté et de connaissance de processus mimétiques mis à jour par Girard, alors que c’est précisément l’inverse qui est manifeste. Un tel aveuglement me stupéfie.
      Et j’avoue ne pas comprendre ce que vous voulez dire par « Vous savez, pour un ingénieur, la théorie mimétique n’est un hypothèse intellectuelle intéressante, mais un formidable outil de gestion des groupes humains. ». Gestion ou manipulation ? Compte tenu de l’intelligence que vous prêtez aux réseaux républicains américains, j’ose craindre le pire… rassurez-moi s’il vous plait.
      Enfin, je vais hélas vous décevoir : je ne me suis jamais présenté à des élections présidentielles, et je ne suis pas député, car je manque de modestie et d’humilité pour me mettre à ce point au service des autres, et je ne suis pas assez travailleur aussi : bref, je ne suis pas Benoit Hamon. Désolé…

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