A propos des trois articles sur le COVID-19 parus en mars 2020
Ces trois articles ont suscité la discussion entre les contributeurs habituels du blogue. Comme la disputatio à propos de “Chacun son Apocalypse” publiée la semaine dernière, nous vous présentons dans cette page les principales étapes de nos échanges. Nul doute que nous aurons à y revenir, probablement en tentant, dans les semaines à venir, à prendre plus de recul.
Premier article : COVID-19 : un fragment d’anthropologie mimétique proposé par Jean-Marc Bourdin
https://emissaire.blog/2020/03/17/covid-19-un-autre-fragment-danthropologie-mimetique/
- Bernard Perret
Ce texte permet de lancer la discussion. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que le politique semble renaître de ses cendres. Je suis plus hésitant sur l’idée de crise sociale. Les mesures de confinement créent une crise sociale « objective », en quelque sorte, par l’effet mécanique des perturbations de la vie économique et du freinage des déplacements. Il faudra voir les conséquences de tout cela dans la durée sur le chômage, etc., mais, pour l’instant, je ne vois pas trop de signes de panique (hormis temporairement à la Bourse) et d’anomie annonciatrice de violence. Il y a certes des vols, un peu de complotisme et un début de polémique entre la Chine et les US pour trouver un bouc émissaire, des fermetures de frontière intempestives (mais compréhensibles). Mais au total, ça ne va pas très loin (pour l’instant) et la plupart des gens sont plutôt calmes et rationnels. On voit même des choses très positives: la Chine a remercié la France de lui avoir envoyé du matériel et, en sens inverse, les chinois viennent de livrer des équipements à l’Italie…Dans ce pays, justement, les gens se mettent aux fenêtres le soir pour chanter ensemble. Sur les réseaux sociaux, on voit beaucoup d’humour, de tentatives pour dédramatiser. On voit aussi se développer la coopération scientifique. Je constate aussi que les gens ne semblent pas trop mettre en doute la parole des experts, contrairement à ce qui se passe pour le climat. Il faut voir comment tout cela va évoluer, mais on voit quand même que, pour le moment, ça ne ressemble vraiment pas à ce qu’évoque Girard à propos des épidémies de Peste du passé. Le christianisme, les lumières et aussi le développement des communications et de l’information, sont passés par là.
2.Thierry Berlanda
A vrai dire l’analyse de Jean-Marc, et les perspectives sombres qu’elle dessine, me convainc, mais la réponse optimiste de Bernard me convainc tout autant. Dans le « temps de paix » abhorré tant par De Gaulle que par Churchill, dans ce temps bourgeois voué à la consommation à outrance, à l’imperium du désir et marquée par le sentiment de pronoïa induit (je dis bien « pronoïa”), dans ce temps où chasser l’ennui est finalement la seule priorité, certains (ou beaucoup) avaient oublié que notre humanité, entendu en genre et en nombre, est sans cesse au bord du gouffre. Renvoyés à notre faiblesse ontologique, qui consiste en ce que nous « ne nous apportons pas nous-mêmes dans la vie » (Michel Henry) et que donc nous sommes dans une situation permanente de passivité par rapport à la vie, nous faisons l’épreuve de notre propre vérité. Bref, nous vivons une apocalypse, c’est-à-dire l’effondrement de ce qui masque la vérité. S’il s’ensuivait que l’Ego triomphant mette enfin un genou à terre, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais. J’espère toutefois que la plupart de mes contemporains ne paieront pas d’un prix trop élevé notre péché d’orgueil collectif, et même qu’éventuellement je serai moi-même là pour le vérifier 🙂
3. Jean-Marc Bourdin
En réponse à Bernard, une société qui se trouve dans une situation où elle fait le choix de ne pas envoyer sa jeunesse étudier et ses travailleurs travailler, par voie de conséquence, et ce pour une durée indéterminée mais significative est pour moi dans une situation critique. Je suis d’accord que cette crise ne débouche pas sur le chaos, ce que mon papier ne dit d’ailleurs pas, et qu’elle fournit l’occasion de belles réactions, ce qui mériterait effectivement d’être analysé.
4. Hervé van Baren
J’abonde dans le sens de tout ce qui a été dit, et je prends Jean-Marc au mot, avec une autre approche, biblique comme d’habitude. Je pense que le commentaire de Bernard mériterait une analyse plus poussée, parce qu’en effet, les réponses positives à la crise du Covid-19 sont en contradiction flagrante avec l’apocalypse évoqué par Thierry. Lecteurs de Girard, nous pourrions nous attendre à une explosion de violence et à des tentatives de résolution sacrificielle beaucoup plus nombreuses et violentes.
[…] Bien d’accord avec toi, Thierry, je souscris à ta définition : « l’effondrement de ce qui masque la vérité ». Désolé pour cette formulation maladroite. C’est de la vision convenue de l’apocalypse que je parlais.
Deuxième article : COVID-19 : un autre fragment d’anthropologie mimétique proposé par Hervé van Baren
https://emissaire.blog/2020/03/17/covid-19-un-autre-fragment-danthropologie-mimetique/
- Christine Orsini
Les crises, à l’échelle mondiale, se succèdent et s’interpénètrent de telle façon qu’on n’a plus besoin d’avoir lu René Girard pour être devant cette évidence : « la dimension apocalyptique du présent ». Par contre, on aurait bien besoin 1) de donner à « apocalypse » son sens de « révélation » et 2) d’essayer la méthode girardienne pour donner du sens à ce qui nous arrive, particulièrement quand l’événement et ses conséquences sont de l’ordre de l’inédit !
Merci, Hervé van Baren, de faire usage de cette méthode à l’occasion de ce fléau sanitaire mondialisé. Ce qui est mondial, à part l’économie, c’est la géographie, qui nous fait voir d’un seul coup d’œil et dans l’immédiateté la progression de la pandémie. En relisant la Bible, vous nous ouvrez à l’universel, dont la dimension n’est pas spatiale mais temporelle : l’universel a sans doute des lieux d’origine mais il les transcende ; il a surtout une histoire et repose non sur des chiffres mais sur des textes.
On est actuellement bombardé de chiffres, certains nous parlent plus que d’autres (un milliard de jeunes privés d’école et de terrains de jeux !) mais les chiffres ne sont pas des paroles. Et maintenant qu’on est « confiné » pour une durée inconnue mais qu’on devine assez longue pour créer de l’inédit dans nos relations avec nous-mêmes et avec les autres, on ressentira sûrement le besoin d’échanges qui passent par la parole, orale ou écrite, une parole de vérité, ne serait-ce que pour échapper au règne qui va devenir sans partage des « réseaux sociaux »et des écrans.
Merci donc de nous indiquer la marche à suivre : prendre le recul de la réflexion en « transposant de vieilles histoires à notre situation présente », comprendre que le vrai fléau présent ou à venir n’est pas et ne sera pas un virus très contagieux plus ou moins mortel mais « notre façon d’y répondre » (il semble pour l’instant que celle-ci soit à la hauteur de notre espérance d’en sortir « meilleurs », plus solidaires, plus responsables etc.), enfin « inventer les rites qui donnent sens à la crise et reconstruisent du lien ». On a tout le temps de s’y mettre.
Troisième article : COVID-19 : une épidémie de confinements proposé par Jean-Marc Bourdin
https://emissaire.blog/2020/03/21/covid-19-une-epidemie-de-confinements/
- Christine Orsini
La thèse est contenue, me semble-t-il, dans les dernières lignes : notre décroissance, volontaire ou pas, aurait comme résultat de nous rendre incapables de mener une lutte efficace et solidaire contre les maladies courantes et a fortiori les virus inconnus. Mais si c’était une croissance débridée qui nous rendait malades ? La question est toujours celle des sacrifices à consentir…sur fond d’incertitude.
2. Thierry Berlanda
L’article pose le choix crucial devant lequel la rigueur des temps nous place. Dans l’esprit des commentaires de Christine, je voudrais réfléchir avec toi, et vous, à une alternative qui me semble elle aussi cruciale.
Nous pourrions (hypothèse britannique initiale) laisser aller le virus. La plupart d’entre nous serait alors contaminée, une partie plus ou moins importante en mourrait , mais le reste de la population survivrait, en ayant amélioré en outre son immunité. C’est l’hypothèse darwinienne. Si nous appliquions la politique qu’elle induit, nous ne serions pas au bord de la rupture du système de soin, et, pour peu que le monde entier la fasse sienne, l’économie tournerait aujourd’hui comme hier et demain : à fond les ballons ! Pourquoi donc alors ne nous comportons nous pas ainsi ? Simplement parce qu’en terre chrétienne comme ailleurs, le contenu éthique de la vie elle-même, avant même que la culture et les usages s’y impriment, nous détermine à porter attention aux plus faibles, et donc à valoriser et favoriser les structures sociales de cette attention (l’hôpital, et plus généralement l’école, l’assurance chômage, les APL, etc.) Etre vivant, c’est donc être généreux, quel qu’en soit le coût ! La prise de pouvoir des contrôleurs de gestion et des pseudo-managers portés en triomphe par leur aréopage de communicants avait bien failli nous le faire oublier, et même nous le faire détester. On peut au moins espérer que cette engeance déplorable sera emportée dans le maelström coronaire.
Est-ce que cela signifie qu’on pourra se goberger à loisir de finances publiques gagées sur une dette abyssale, certes non ! Il suffira (…) de régler notre pratique, et y compris notre croissance J sur le principe intangible du respect de la vie, et donc de l’attention aux plus faibles. Et nous serions alors plus économes, plus sobres et plus solidaires qu’avant.
3. Bernard Perret
Personnellement, je trouve compliqué d’essayer de tirer des leçons de cette épidémie tant que nous ne savons pas quelle ampleur elle va prendre et comment nous allons en sortir. Il y a de vraies inquiétudes à ce sujet : certains médecins ont l’air de penser que le virus ne nous lâchera pas les baskets tant qu’un vaccin n’aura pas été mis au point, c’est à dire dans une bonne année au minimum. A ce stade, je constate seulement deux choses: 1) les pays asiatiques semblent avoir agi avec plus de détermination et d’efficacité que les pays européens, 2) j’ai de grosses interrogations, pour ne pas dire plus, sur l’action du gouvernement, son manque d’anticipation, l’incohérence de certaines décisions, etc. De toute évidence, ce n’est pas le moment de le dire. Quand on est girardien, on n’aime pas désigner des boucs émissaires, mais il faut quand même reconnaître que certains se sont mis en bonne position pour jouer ce rôle si l’affaire devient trop grave. Quant à l’activité économique, elle sera de toute façon sérieusement plombée parce que, confinement ou pas, les gens ont autre chose en tête (par exemple le sort de leurs vieux parents, ou leur propre sort quand ils approchent de 70 ans) que de contribuer à la croissance du PIB. Macron l’a dit: nous sommes en guerre. Or, l’économie de guerre, c’est d’abord la production des objets les plus utiles (les masques, le gel, les tests, la nourriture) et la logistique (faire fonctionner a minima les réseaux nécessaires à la continuité de la vie et des institutions). Il y a suffisamment à faire avec tout cela pour ne pas trop se préoccuper des indicateurs économiques pour l’instant. J’ajoute que, quand il le faut, on trouve toujours les moyens de plumer les riches, lesquels, en plus, deviennent consentants dans ce genre de circonstances.
Mes propres réflexions girardiennes sur la crise sanitaire pointent dans une autre direction: celle de l’apocalypse au sens de révélation, c’est à dire de « moment de vérité ». Il m’a fallu longtemps pour comprendre que la pensée apocalyptique de Girard, même si elle se présente sous le visage de l’extrême pessimisme, est d’abord un schème épistémologique, une manière de lire l’histoire humaine, au niveau individuel autant que collectif, comme une histoire « catastrophique », ponctuée d’événements dramatiques qui sont aussi des moments d’émergence d’un sens nouveau. Que l’on pense à son récit de l’hominisation, à la révélation christique ou à sa compréhension de ce qu’est une conversion. Je pense aussi à la lecture très girardienne de la « conversion » du prophète Ezechiel au moment de l’Exil, interprétée à la mode girardienne par James Alison dans Faith beyond Resentment. Dans tous les cas on a le même schème d’une transcendance, c’est à dire d’un « point de vue plus élevé » qui se révèle à travers un événement douloureux et apparemment contingent. L’événement dramatique qui frappe nos sociétés aura certainement des répercussions importantes sur nos manières de vivre, la vraie hiérarchie des valeurs, l’importance du lien avec ses proches, le regard porté sur les personnels de soin, la gouvernance publique, les risques liés aux excès de la mondialisation, le fait que l’on peut très bien se passer de vacances au bout du monde, le développement du télétravail, l’importance de la démocratie et de la continuité des institutions en période de crise, etc. En tout cas, c’est une bonne répétition générale pour les crises bien plus graves qui nous attendent quand les effets du changement climatique se feront pleinement sentir.
4. Christine Orsini
Cher Bernard, personne ne me semble vouloir ni bien sûr pouvoir tirer les leçons d’une aventure mondiale en cours et inédite de surcroît. Par contre, personne ne nie qu’il y aura non seulement des leçons (de toutes sortes) à en tirer mais qu’il y aura un avant et un après cette crise, que nous allons en sortir changés, individuellement et collectivement. On ne peut être sûr si ce sera en mieux mais on y compte bien, toi le premier , qui crois au pouvoir révélateur et convertisseur d’une crise : tu dresses à la fin de ton mail la liste, non exhaustive mais déjà impressionnante des changements (positifs !) auxquels il faut s’attendre et en tous cas auxquels il est intellectuellement et moralement sain de déjà réfléchir.
Car « Que faire en un gîte à moins que l’on ne songe… » ?
5. Hervé van Baren
Merci de nous mettre face à une réalité de la crise qui n’est guère apparente dans les médias. La réflexion sur le caractère mimétique de la réponse internationale est profonde. Comme on pouvait s’y attendre, le modèle socio-économique dominant, le libéralisme, a vu une tentative de résistance à cette lame de fond inattendue de la part de ses plus ardents partisans, les pays anglo-saxons, mais ce baroud n’était pas tenable. Comment les dirigeants de ces pays auraient-ils pu justifier l’hécatombe que cela aurait occasionné ? Voilà longtemps qu’une majorité de gens dénonçaient les excès d’un système dont nous semblions incapables, pourtant, de sortir. A cause de (grâce à ?) un organisme de quelques microns, c’est chose faite. Pour autant, c’est un changement subi, et les répliques de la secousse initiale n’ont pas fini de se faire sentir.
Voici donc à quoi ressemblent les coulisses de notre blogue. Bien entendu, nous sommes preneurs de vos propres remarques. Une zone “commentaires”, trop peu fréquentée de notre point de vue, est prévue à cet effet : n’hésitez pas à vous y exprimer !
Merci à Hervé von Baren qui conclue de façon synthétique toutes ces contributions passionnantes. Cette crise provoquée par un organisme naturel et jusqu’ici inconnu m’a rappelé la thèse du naturaliste et écologiste atypique François Terrasson, dans « La peur de la nature » il pose cette définition simple de la nature: « La nature, c’est ce qui existe en dehors de toute action de la part de l’homme », et nous aurions peur, avant tout, de ce que nous ne pouvons maîtriser par notre action (la panique en est une conséquence), et donc de la nature. Un des intérêts de ce point de vue, c’est la mise à jour de paradoxes: rien de moins naturel qu’un « parc naturel » avec ses parcours fléchés et autres aménagements qui nous permettent de mettre une distance rassurante entre la nature et nous (et Terrasson multiplie les exemples de ce type).
Si le COVID19, (acronyme qui ne constitue pas encore un nom), pourtant moins agressif qu’un grand nombre de maladies connues et nommées, nous amène à réagir avec autant de force, c’est que nous ne savons pas agir directement contre lui, nous n’avons pas d’armes, et l’emploi intempestif du mot « guerre » cache une impuissance et une frustration majeures: nous aimerions bien pouvoir entrer en guerre, comme nous l’avons toujours fait jusqu’ici contre la nature, c’est à dire contre « ce qui existe en dehors de toute action de la part de l’homme ». En ce sens, cette pandémie révèle aussi le fond paradoxal de notre culture, enracinée dans et contre le naturel; l’agriculture, au centre de multiples polémiques, fait actuellement les frais de cette prise de conscience qui a commencé avant l’irruption de ce virus couronné (corona…).
Je n’en tire aucune conclusion ni vision de l’avenir, mais je voudrais simplement mettre en évidence la différence entre la vision apocalyptique de Girard, qui concerne les conséquences du phénomène de libération du désir (mimétique) permis par la fin des religions du sacrifice et des interdits concernant le désir mimétique (religions archaïques mises à mal par le révélation juive et chrétienne), et une situation de pandémie. Girard insiste sur l’emploi récurrent du terme de « peste » pour décrire des phénomènes de crise sociale. Nous avons affaire ici non à une crise sociale, mais à une crise on ne peut plus naturelle. Le fait qu’elle puisse intervenir dans le contexte plus général d’une crise sociale est bien entendu à considérer; mais à condition de ne pas les confondre, au risque d’aboutir aux perplexités (d’ailleurs intéressantes) qui affleurent dans les premiers commentaires à l’article de Jean-Marc Bourdin.
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Bonjour,
Benoît pointe que le virus devenu en quelques semaines (aussi soudainement que, sans doute, provisoirement) maître de l’histoire a été qualifié de virus couronné ! On trouve beaucoup de têtes couronnées dans l’Apocalypse… sauf celle de l’Agneau et, pourtant, c’est Lui qui règne.
J’ai l’impression que l’attelage de l’histoire est et restera indéchiffrable dans ses modalités « pas à pas ». Seule certitude : la fin de l’histoire est heureuse, elle porte le joli nom de Nouvelle Jérusalem.
Comme il est difficile de s’affranchir de l’illusion de la causalité et d’accepter que le rayon d’action des fils de l’homme est aléatoire* et se limite, confinement ou pas, à l’échelle des quelques personnes qui sont ses (vrais) proches : 2 ou 3 ? 12 ? 70 ? Comment accorder notre raison à la certitude que l’issue de l’histoire est déclarée heureuse, à l’avance, par le Fils d’homme qui s’est fait chair, et, ce faisant, a choisi délibérément de devenir la cible de notre violence virale ?
(*) aléatoire : qu’on se réfère à Maxime Le Forestier (on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille… être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard) ou au girardien Jean-Michel Oughourlian qui a si bien écrit sur la labilité du moi.
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Merci Serge de nous rappeler que les têtes couronnées ne règnent que provisoirement, même si elles se multiplient à la vitesse d’une pandémie. J’ajouterais qu’elles ne règnent vraiment que sur ceux qui les craignent. J’ai aussi pensé à l’Apocalypse de Jean en réalisant que corona signifiait couronne, mais ce texte touffu, récit halluciné d’un rêve incroyablement précis et détaillé, me semble si difficile à décrypter ou interpréter. Beaucoup s’y sont risqués, et non des moindres; pour ma part, je m’en sens incapable. Tu nous rappelles que le prochain n’est pas le lointain… même en temps de confinement où les gestes proches, d’amour ou de confiance tels que poignées de mains et baisers sont prohibés. Merci de partager ce bon sens et cet espoir qui nous sont communs.
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Si l’avenir reste à jamais imprévisible, ce présent nous attire irrésistiblement à penser. Si ce « présent » n’est pas, en l’occurrence, un « cadeau », sinon empoisonné (l’homonymie entre l’anglais « gift » et l’allemand « Gift » est troublante, et Freud le premier en fut frappé), nous sommes, en tant que disciples de René Girard, rompus aux paradoxes. Il nous faut donc ouvrir ce cadeau.
« Nous sommes en guerre »…. la phrase avait été précédemment prononcée par François Hollande à propos du terrorisme, et aussi, moins directement, à propos de la finance. S’il est vrai que l’état de guerre est bien à l’origine du politique, comme certains grands penseurs de la chose l’affirment (Hobbes et Schmitt), la situation semble confirmer leur point de vue, notamment en ce qui concerne l’état d’exception (« Souverän ist wer über den Ausnahmezustand entscheidet »). Les réactions politiques ont suffisamment montré que les nations sont toujours souveraines, qui ont décidé en ordre dispersé de l’état d’exception qu’elles sont en train d’imposer à leurs concitoyens, n’en déplaise aux craintes des eurosceptiques et pourfendeurs d’un « libéralisme sauvage » largement mythique.
Comme les précédentes « déclarations de guerre » emphatiques et, d’un certain coté, risibles, de notre chef d’Etat et des armées, cette nouvelle surenchère verbale révèle une impuissance à entrer réellement en guerre contre un ennemi qui nous habite, qui s’immisce sans que nous puissions le maîtriser dans le corps social ou le corps physique. Girard déplorait « la fin des guerres », dans le sens où la violence n’était désormais plus contenue dans un champ dit « de bataille », mais se diffusait de façon incontrôlée; hors-champ. Sachons prendre acte de ce constat.
Mais là encore, la tentation est grande de confondre nature (virus) et culture (finance, terrorisme…) dans une même catégorie ; celle des ennemis publics. Nous ne savons qu’une seule chose: contre ces phénomènes, la violence guerrière ne sert à rien, nous sommes désarmés. Le seul recours possible, c’est de les comprendre, de les analyser, d’en révéler les mécanismes pernicieux, de les dévoiler, de les révéler. Mais aussi d’être solidaires, de nous entraider, de nous soutenir dans l’épreuve ou pour faire court; de nous aimer les uns les autres.
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Voui très intéressant Dan ! En hyper résumé l’on peut dire que les uns et les autres (commentateurs) balancent, hésitent à ce stade, et c’est normal, entre optimisme et pessimisme. Ce qui est certain, c’est que le fameux « souci des victimes » inédit ds l’histoire humaine et cher à RG, triomphe globalement : les humains AVANT l’économie (avec, bien sûr, des compromis et des modalités variables d’un pays à l’autre). Mais incontestablement, les dirigeants, agis par l’air du temps, ont plutôt choisi de « sacrifier » la jusqu’alors sacro-sainte économie afin d’épargner des vies… Il n’est pas idiot d’imaginer que l’après épidémie, marque la résurgence de la violence collective et le retour des boucs émissaires : une fois la peur du covid 19 passée, il faudra affronter 2 choses à mon sens : 1. La recherche de coupables ds la gestion de la pandémie (les gouvernants, la Chine..) 2. L’explosion du chômage et des faillittes d’entreprise Quoiqu’il en soit, nous serons les témoins de deux phénomènes simultanés = un incontestable progrès humain dans la prise de conscience des dangers du modèle économique d’avant le covid 19 (pollution, destruction de la planète, inégalités, consumérisme fou…) ET une concurrence mortifère entre nations pour sortir vainqueur de la future compétition mondiale. Je ne sais pas, à court terme, laquelle de ces 2 dynamiques l’emportera… Mais, à moyen ou long terme, inexorablement, « l’amour du plus grand nombre se refroidira ». Comment ? Quand ? Personne ne connaît le jour… 😍
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Actualité de Carl Schmitt, dont la pensée essentielle est malheureusement ostracisée par les citoyens de « L’Empire du Bien » ; Girard était d’accord avec moi pour ne pas comprendre ce rejet et le regretter. Dans « La notion de politique », Carl Schmitt fondait le politique sur la nécessité de se protéger de la menace d’une agression extérieure, et soulignait l’importance de la différence opérée dans les langues grecque et latine entre les deux termes hostis (polemios grec ; ennemi extérieur) et inimicus (ekhthros grec ; ennemi intérieur, ou intime) malheureusement gommée par les langues modernes. Elle induit par exemple, un contresens à propos du sermon sur la montagne, où Jésus déclare « aimez vos ennemis ». Il s’agirait bien sur de l’inimicus, il n’y a donc aucune dimension pacifiste dans cette injonction ; la question de la guerre nationale n’est jamais abordée dans les évangiles. Cette distinction nécessaire rejoint également ces récentes « déclarations de guerre » de nos politiques contre un virus, un terroriste, la finance, qui sont à mon avis plutôt à ranger dans les rangs de nos inimicus. Cette différence n’est pas qu’une question formelle de vocabulaire, mais elle détermine aussi bien quel service de l’Etat régalien doit être engagé (armée ou police), quelle stratégie adopter (violence ou compréhension du phénomène), quels changements sont à apporter dans nos comportements, dans notre conscience…
Même si l’armée fournit une aide matérielle efficace pour évacuer des malades ou dresser un hôpital mobile, il revient à la police de maintenir les consignes de confinement décidées pour lutter contre notre virus couronné. Il en est de même (ou cela devrait l’être…) contre les inconséquences et malversations financières qui ont récemment provoqué une crise mondiale, où on a évité de justesse une faillite générale du système bancaire en acceptant une injection massive de liquidité par la mafia (L’ONU estime le total à 362 milliards de dollars), ce qui ne peut qu’avoir des conséquences que nous aurons à regretter. Quand au terrorisme, malgré la formation d’un prétendu « Etat Islamique », il s’agit manifestement d’un phénomène diffus qui n’entre pas dans une logique guerrière, mais d’anéantissement de tous ceux qui ne se soumettent pas à une idéologie totalitaire. Il n’y a ni paix, ni partage de territoire envisageable. La seule stratégie est le contrôle de la population opérée par des moyens de police, qui inclut la surveillance. Carl Schmitt avait déjà perçu le phénomène dés 1963.
Si on peut objecter que le virus n’est après tout qu’un animal minuscule appartenant à la nature, que la finance est nécessaire et inévitable en société, que les idéologies participent de notre humanité, on voit bien que ces trois ennemis ne sont pas extérieurs, ne peuvent être combattus par des moyens militaires (l’échec patent de l’entreprise américaine au Moyen-Orient le montre assez), mais qu’ ils nous sont proches, intimes, et nous participons sans toujours le savoir à leur action destructrice.
Il y aurait beaucoup à dire sur la finance, et il ne s’agit pas ici de trouver des boucs émissaires chez les banquiers ou les actionnaires; bien au contraire. Il s’agit de prendre conscience avec des auteurs comme Pierre-Yves Gomez, Marcel Gauchet, André Orléan et bien d’autres, du rôle majeur laissé à la spéculation financière pour diriger nos économies, c’est à dire nos vies, et du gouffre vers lequel ce mouvement nous entraîne; catastrophe écologique, creusement des inégalités et dangereux ressentiment des laissés pour compte qui en découle (gilets jaunes…). Ainsi, le danger qui se manifeste pour ceux, privilégiés de la croissance, sous la forme si douce d’une croisière vers les mers du sud ou d’une terrasse de bistrot de centre-ville chauffée en plein hiver, est sans doute le plus inquiétant, précisément en raison de la forme pernicieuse de ce confort, qui les a endormis. Puisse l’épreuve de cette pandémie nous réveiller.
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En affirmant imprudemment « nous sommes en guerre », notre président voulait manifestement frapper les esprits pour leur faire accepter une série de mesures et un état d’exception juridique, sans préciser la nuance entre « état d’urgence » et « état de guerre ». Il est excusé, au regard de la prolifération dans toutes les bouches d’un vocabulaire commun avec l’état de guerre; front, première ligne, couvre-feu… et parce que nous savons, à la lumière de la distinction hostis-inimicus, qu’il n’a cherché à aucun moment à désigner une autre nation comme étant responsable de la crise; et c’est là essentiellement ce qui détermine vraiment un état de guerre; la désignation d’un ennemi extérieur. Les pays européens ont évité a bon escient cette tentation. Or ce n’est pas le cas pour Donald Trump parlant d’emblée de « virus étranger » et de la réaction chinoise parallèle, affirmant que le virus provenait de laboratoires américains. Ce sont là, en revanche, des attitudes qui peuvent mener réellement à la guerre.
Plus nuancées, mais non moins pernicieuses, ont été les réactions de Jair Bolsonaro, de Boris Johnson… dont la volonté plus ou moins affirmée a été de choisir la croissance économique contre la vie humaine. Quand à l’engagement de Bolsonaro au sein de l’ Eglise Évangélique, il apparaît clairement que la plupart de ces sectes implantées notamment en Afrique et Amériques adorent Mammon plus que tout autre dieu.
Cela peut surprendre au vu des apparences, mais cette pandémie met bas les masques… Il faudra par la suite, lorsqu’il sera possible de faire les comptes et de prendre un peu de recul, ne pas oublier ces visages, au moment où ils remettront leurs masques en place.
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