JO, la rivalité sublimée ? 

Comme des dizaines de millions de gens en France et dans le monde, et bien que peu porté au chauvinisme et à la vénération idolâtre des champions sportifs, je n’ai pu échapper à la magie des jeux olympiques. Tout à été dit sur la réussite presque inattendue de cet événement, la qualité de l’organisation et l’inventivité des cérémonies d’ouverture et de clôture (je m’étendrai pas ici sur la polémique, justifiée ou non, sur la Cène/ banquet des dieux, qui n’est pas mon sujet ici).

La question qui m’intéresse est celle de la pertinence et des limites de la lecture girardienne pour analyser le rôle social du sport. Faut-il le voir, à l’instar d’autres types de compétitions régulées, comme l’un des multiples moyens inventés par les hommes pour « tromper » provisoirement la violence, ou un moyen de la transcender en créant des nouveaux espaces de sociabilité et des modes  spécifiques d’être en relation avec autrui ? 

Voyons les arguments en faveur des deux thèses. Il est évident, tout d’abord, que le sport peut être vu comme un terrain d’affrontement non sanglant parmi d’autres, une occasion donnée aux individus pour s’affronter dans un cadre légitime et sécurisé. La violence sacrificielle n’en est pas absente : comme dans la compétition marchande, il n’y a pas de vainqueurs heureux sans perdants malheureux et les larmes ont souvent coulé sur les joues de ceux qui rêvaient de médaille. Quant à la compétition entre nations, comment la nier ? Nous avions tous, chaque soir, les yeux rivés sur le tableau des médailles. Au même titre que l’économie de marché, le sport « contient » la violence aux deux sens du verbe. Avec quelle efficacité ? Celle-ci est de toute évidence bien difficile à mesurer, les effets d’un tel événement sont diffus et se manifestent dans la durée. Il n’y a pas eu de trêve olympique, pas plus à Gaza qu’en Ukraine, mais cela ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé. En rendant visible la diversité et l’unité du monde et en donnant lieu à des multiples rencontres interpersonnelles, une telle rencontre contribue certainement à la prise de conscience des interdépendances planétaires.   

Mais il y a plus. Pour quiconque a vu la liesse fraternelle des athlètes lors de la cérémonie de clôture, il est évident qu’était à l’œuvre une sorte d’alchimie capable de faire naître des sentiments nouveaux et essentiellement positifs à partir de la compétition. Essayons d’en identifier les mécanismes. Tout d’abord l’émulation, le fait d’imiter l’autre non pour s’emparer de ce qu’il possède, mais pour tenter de faire aussi bien que lui. Girard nous a habitués à penser que les modèles deviennent souvent des rivaux, mais le sport nous montre parfois l’inverse : l’admiration sincère pour la performance d’un concurrent, la beauté de son geste, etc. Comme d’ailleurs dans d’autres formes de compétition, notamment dans le domaine intellectuel et artistique, les rivaux peuvent devenir des modèles que l’on admire sincèrement et qui stimulent l’envie de se dépasser. Quand Armand Duplantis a battu son propre record du monde de saut à la perche, il a été encouragé par l’ensemble du stade, y compris par ses rivaux. Le perchiste français Renaud Lavillenie qu’il a pourtant effacé il y a quelques années du tableau de records, est resté son ami. Tout ne se passe pas toujours aussi bien, mais les images n’ont pas manqué d’embrassades à l’issue d’une course, ou même d’un combat (malgré le fait que les sports de combat miment plus directement la violence que les courses ou les concours). Ce que l’on a vu, presque chaque jour, c’est à la fois l’hubris de la victoire et les efforts touchants pour se montrer beau joueur en sublimant une défaite. Nous le savons tous, le simple fait de partager une passion crée une forme de lien, et la passion du sport ne se résume pas à la volonté de vaincre tel ou tel adversaire. Il y entre aussi un sens du dépassement de soi et de recherche de la beauté, l’exaltation des capacités du corps et de l’esprit humain, source d’une joie qui rejaillit aussi sur les spectateurs. Même ceux qui ne s’intéressent pas au sport ne peuvent pas rester indifférents à l’extraordinaire beauté de certains gestes.

Que les compétitions sportives renforcent (au moins provisoirement) les sentiments d’unité nationale, c’est une évidence (en témoignent les drapeaux aux fenêtres). Mais, au moins dans le cas de ces jeux olympiques (ce n’est certes pas le cas dans toutes les manifestations sportives), l’expression d’une fierté nationale n’a pas semblé incompatible avec une fraternisation plus universelle. Lors du défilé des athlètes au début de la cérémonie de clôture, l’image qui ressortait était celle d’une joyeuse symphonie dans laquelle chaque drapeau apportait sa note.

Pour la première fois dans l’histoire des jeux, un marathon ouvert à tous a permis d’associer un plus large public, marquant la volonté des organisateurs de transcender l’esprit de compétition dans une grande fête du sport résolument inclusive. Dans le même ordre d’idée, n’oublions pas les jeux paralympiques. Ils ne susciteront sans doute pas la même ferveur mais leur signification n’en est pas moins très forte. On peut voir un paradoxe dans le fait d’associer les notions apparemment antinomiques de compétition et de handicap physique, mais ce télescopage est riche de sens. L’esprit de compétition se trouve ainsi comme subordonné à un idéal d’inclusion et de fraternité universelle. Dans le même ordre d’idée, le marathon ouvert à tous était une initiative bienvenue.

Pour rééquilibrer in fine ce tableau peut-être trop idyllique, rappelons que les pays dépensent toujours plus pour faire bonne figure dans les compétitions et que les athlètes consentent à des sacrifices personnels parfois démesurés dans l’espoir d’une médaille. L’esprit de rivalité et son arrière-plan de violence latente n’est jamais loin. Bref, rien n’est simple.

La guerre entre Israël et Gaza à travers le prisme de la théorie mimétique

Débat entre Mark Anspach et Philipp Bodrok (extraits des n° 78, 79 et 80 du Bulletin du Colloquium on Violence and Religion)

La guerre entre Israël et Gaza soulève les passions dans l’ensemble du monde. Dans tous les pays occidentaux, elle divise profondément les forces politiques et l’opinion publique. Le milieu girardien n’échappe pas à ce trouble, comme le prouve le débat passionnant et passionné entre deux spécialistes reconnus de Girard, Mark Anspach et Philipp Bodrock, poursuivi dans trois numéros successifs du Bulletin du Colloquium on Violence and Religion (voir le dernier bulletin https://violenceandreligion.com/bulletin-80-may-2024/).

Schématiquement, les deux protagonistes sont d’accord pour reconnaître le caractère sacrificiel du massacre du 7 octobre. En revanche, ils s’opposent frontalement sur l’analyse de la riposte israélienne et de l’enchaînement de violence qui a suivi. Pour Philippe Bodrock, on est bien dans le cas d’une lutte de double débouchant sur une « montée aux extrêmes » conforme au schéma girardien. Pour Mark Anspach, au contraire, il ne peut y avoir de symétrie entre un groupe terroriste et un État démocratique qui respecte les lois de la guerre. À l’arrière-fond, bien que cela ne soit pas dit dans ces termes, il est assez évident que le nœud du conflit (et la source de sa violence) est le refus de reconnaître l’autre, de la part des deux ennemis, ce qui pose incidemment la question de savoir si la « lutte pour la reconnaissance » n’est pas devenue dans notre monde une dimension centrale des conflits mimétiques. Ce qui n’est pas sans importance, car il est normalement plus facile de se reconnaître mutuellement que de renoncer à un bien devenu objet de rivalité mimétique. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de cet échange réside dans la clarté des arguments échangés et des références à la théorie mimétique. À chacun de se faire son opinion !

« Signes de changement »

À propos de « Signs of Change: The Bible’s Evolution of Divine Nonviolence » (Cascade Books, 2022)Une lecture innovante de la Bible Le dernier livre d’Antony Bartlett lu et commenté par James Alison

Beaucoup de temps et d’énergie sont gaspillés à essayer de prouver que Dieu n’existe pas, comme si cela pouvait réfuter d’une manière ou d’une autre le christianisme. Mais l’inexistence de Dieu, dans n’importe quelle catégorie métaphysique usuelle, est à peu près la base du christianisme. Bien plus difficile à croire que tout ce qui concerne « l’existence » de Dieu est le fait que Dieu aurait voulu communiquer avec un groupe bizarre de simiens surexcités. Sans parler du fait que cette communication nous montrerait quelque chose comme de la tendresse, une tendresse dont nous témoignons si rarement et sélectivement à l’égard des autres en dehors de la sphère familiale.

Le nouveau livre tant attendu de Tony Bartlett est une avancée majeure dans la compréhension de cette irruption presque inimaginable, venue d’ailleurs, que nous appelons de manière trop platement objectivante la « Révélation divine » ; et dans la compréhension de comment cette irruption est retracée dans les livres que nous regroupons avec trop de complaisance sous le label « Écriture Sainte ». Ce livre était attendu, en effet, depuis les aperçus fournis dans sa contribution « The Suffering Servant » sur les textes d’Isaïe dans The Jesus Driven Life de Michael Hardin et, plus récemment, dans un long chapitre sur l’Évangile de Jean dans son Theology beyond Metaphysics.

Je vais prendre du recul par rapport à ce que fait Tony dans ce livre pour mieux cerner pourquoi et comment c’est extraordinaire. L’Église primitive s’était rendu compte que le témoignage apostolique de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, mis par écrit dans ce que nous appelons le Nouveau Testament, n’est compréhensible qu’en connexion avec les Écritures juives, connues en grande majorité dans leur version grecque et non dans leur version hébraïque. Et que Jésus est en quelque sorte la clé d’interprétation de ces Écritures, sans qu’il soit du tout évident de savoir comment faire fonctionner cette clé. Cette perplexité n’a fait que croître à mesure que la familiarité avec les langues originales du temps du Christ, l’araméen, le grec et l’hébreu, se faisait rare. Dès l’origine et jusqu’à nos jours, deux tentations majeures se sont manifestées pour donner trop facilement du sens aux textes.

La première est le « fondamentalisme » et la seconde le « marcionisme ». La première, qui est aujourd’hui typiquement une tentation protestante, invente une lecture littérale de l’Écriture qui donne toujours le même sens au mot « Dieu », quel que soit le Testament où il se trouve, de sorte que le Second Testament n’abroge guère le Premier. Le Dieu même, qui a frappé les Ammonites et d’autres peuples, est bel et bien vivant dans les évangiles, les épîtres et surtout le livre de l’Apocalypse. La deuxième tentation (du nom de Marcion, un chrétien du IIe siècle) est aujourd’hui typiquement une tentation catholique. Elle consiste à minimiser le Premier Testament comme trop souvent violent pour être pris au sérieux. Et à considérer que, de toute façon, la prédication d’amour et de miséricorde de Jésus l’abroge plus ou moins complètement, d’où il résulte que nous n’avons pas besoin de nous prendre la tête à le lire.

Comme Henri de Lubac et Raymund Schwager l’ont noté à la fin des années 1970, la découverte par René Girard de la signification culturelle de ce qu’on a appelé plus tard le mécanisme du bouc émissaire a ouvert l’une des nouvelles approches les plus passionnantes de l’herméneutique scripturaire depuis le Moyen Âge – avec son « sens de l’Écriture », et la tradition de la « Lectio Divina » qui permettait de rendre vivant ce sens. En un mot, la lecture de Girard montre comment le mécanisme du bouc émissaire, omniprésent chez « les nations », a commencé à être détecté et critiqué par les prophètes et scribes hébreux, de sorte que la voix inaudible de la victime de la violence commence à se faire entendre. Et avec elle, la violence elle-même apparaît de plus en plus dans sa vérité nue, comme un problème de « nous » plutôt que comme une force qui réside dans les dieux ou dans les choses. Ce dévoilement culmine dans les récits de la Passion où tout le mécanisme, dont l’efficacité dépend du fait que les gens ne savent pas vraiment ce qu’ils font, est révélé et ainsi rendu inopérant – il est désormais impossible d’y prendre part en toute bonne conscience.

La lecture chrétienne moderne du Nouveau Testament a été poussée par une honte justifiée face à l’Holocauste, à redécouvrir l’immense vivier sémitique de références et d’allusions qui sous-tendent les textes, nous obligeant à recouvrer la connaissance des Écritures hébraïques. Mais ce que nous n’avions pas eu jusqu’à présent, c’est une lecture dynamique des Écritures hébraïques elles-mêmes, fondée sur l’hypothèse d’un processus d’apprentissage détectable, à la lumière duquel il devient possible d’imaginer Jésus comme accomplissant un processus déjà engagé. Qu’il était bel et bien l’aboutissement d’un acte de communication millénaire dont les textes des deux Testaments portent témoignage.

C’est l’exploit de Tony Bartlett dans ce livre. Il est allé plus loin que Girard en exposant non seulement le mécanisme à l’œuvre, mais aussi la dynamique de changement de sens (tout à fait compatible avec ce mécanisme) que l’on peut déceler dans les pages de l’Écriture. Il a apporté à cette tâche la compréhension des signes, ou sémiotique, telle qu’enseignée notamment par le grand philosophe américain Charles Sanders Peirce. Cet outil théorique lui permet de montrer comment les événements et les textes produisent ensemble des changements de relations entre les personnes. Ceux-ci produisent à leur tour de nouveaux signes parmi nous, créant à la fois des changements dans l’interprétation des textes et des textes entièrement nouveaux, de sorte qu’il y a une transmission continue de nouvelles significations.

En faisant travailler ensemble Girard et Peirce et en explorant comment Dieu nous a communiqué sa divinité comme entièrement sans violence, le travail de Tony débouche sur des lectures tout simplement stupéfiantes des Écritures. Il commence par le livre de l’Exode, et son enthousiasme face à ce qu’il découvre vaut plus que le prix d’entrée :

 » Le vrai miracle de la Révélation est la connexion avec un Dieu-en-relation qui a entrepris un parcours de changement humain en commençant par les dépossédés. Seuls ceux qui sont dépossédés du système de sens assuré de ce monde peuvent s’embarquer dans ce voyage. « 

Je voudrais souligner ici que, tout au long de son travail, Tony ne rejette pas, mais utilise largement, les meilleures et les mieux considérées parmi les sources d’érudition classiques et modernes dans le domaine. Il n’est pas radicalement innovant dans ses opinions sur le moment où les différents livres de la Bible ont été écrits, par qui et dans quelles circonstances. Il suit au contraire un consensus bien établi parmi les spécialistes des Écritures (même s’il est, hélas, bien caché des fidèles). Cela ne fait qu’ajouter à la crédibilité de la dynamique radicale de changement de sens qu’il découvre dans les textes.

Sa lecture de la Genèse, venant après l’Exode et intégrant des transformations de code au fur et à mesure que des histoires plus anciennes sont modifiées, avec des glissements de sens à travers des mots apparemment inchangés, est remarquable. Sa lecture du livre de Job comme « une violation systématique et révélatrice du code » se réfère à la tentative des Deutéronomistes de clore sur lui-même le sens qui a dominé notre vision de l’ensemble du processus scripturaire. Mais c’est une annulation beaucoup plus subtile de ce code que celle à laquelle la plupart d’entre nous sommes habitués. Bartlett corrige également, de manière tout à fait plausible, la compréhension qu’avait Girard de la relation entre les dialogues centraux de Job et l’introduction et la conclusion du livre.

La relation entre Jérémie, Deutéronome, l’Exil et le retour de Babylone, et Isaïe est discutée dans un chapitre sur Le Serviteur, et encore une fois, la relation entre événement, texte, relationnalité, apprentissage et nouvelle signification est démontrée de manière très convaincante. Le chapitre sur le livre de Ruth est extrêmement instructif sur le monde d’Esdras et de Néhémie, qu’il met en question. Tout à fait nouveau pour moi est le chapitre sur Daniel et le monde contemporain des Macchabées, au milieu duquel un événement produisit un signe qui approfondit la signifiance de la non-violence de Dieu.

La lecture par Bartlett du livre de Jonas comme une blague juive superlative (mes mots, pas les siens) est absolument convaincante. Il met le doigt sur l’ironie comme quelque chose d’essentiel à tout le projet de communication divine de la non-violence au sein de l’humanité violente.

Comme nous l’avons vu à maintes reprises, l’Exil est l’événement sémiotique central de la Bible, à partir duquel tout devient ironique pour le peuple juif.

Qui plus est, sa lecture de Jonas donne beaucoup plus de sens à la phrase où Jésus fait référence à Jonas comme le seul signe qu’il donnerait à ses interlocuteurs. Ce qui nous amène au chapitre le plus long du livre, celui sur Jésus. Le Jésus scripturaire devient beaucoup plus multidimensionnel à mesure que les contextes dans lesquels il a vécu, prêché et subverti le sens reçu sont ramenés à la vie, en s’appuyant une fois de plus sur les érudits classiques du Nouveau Testament E.P. Sanders et N.T. Wright, entre autres.

La relation entre Jésus et Jean-Baptiste est subtilement reconfigurée, tout comme le rôle du Temple dans ce que Jésus lui-même savait et pensait faire en allant vers lui, et vers sa mort. Tout cela ressort d’une vision chrétienne tout à fait orthodoxe de Jésus réalisant la plénitude de l’acte de communication divine. Comme le dit Bartlett à propos de son livre :

 » L’argument ici est toujours que le glissement sémiotique effectué par toute la Bible est trop radical pour être produit par des intelligences humaines immergées dans une culture violente. Il doit être modelé par quelque chose qui l’excède. »

Et il démontre très bien sa thèse selon laquelle :

 » Jésus était un auteur intelligent de son propre destin, y compris de sa mort, pour laquelle il avait une bonne raison et a donné un bon compte rendu. « 

Dans un dernier chapitre sur Paul, Tony interprète, très succinctement, un superbe démantèlement de la lecture à double face de l’apôtre avec lequel la plupart d’entre nous ont grandi. En utilisant le travail révolutionnaire de Douglas Campbell, entre autres, nous avons droit à un Paul plein d’esprit, ironique et non schizophrène, qui savait aussi ce qu’il faisait et défaisait dans tout ce qu’il disait, d’une manière qui a explosé à travers possibilités de sens disponibles à l’époque, et qui nous interpelle encore aujourd’hui. Une brève annexe sur l’Agneau, suggérant que l’auteur pourrait en dire plus sur l’Apocalypse de Jean, complète le livre.

J’ai quelques critiques. La première est le rejet trop rapide par Tony du travail de mon amie Margaret Barker. Son travail sur la théologie du Temple est une preuve formidable de la manière dont une institution particulière, liée au sacrifice, dans ses différentes répliques et rêves de refondation au fil du temps, a produit toutes sortes de changement de sens, introduisant de l’ironie et de nouvelles possibilités de sens relationnel. Le signe contesté qu’était le Temple a longtemps préexisté à la version qu’a délibérément resignifiée Jésus. Je soupçonne que le récit de Barker est mieux compatible avec celui de Tony que son intertextualité deutéronomiste ne permet de l’imaginer. La seconde critique n’en est guère une : plutôt une demande. Dans le chapitre sur Jésus, les paraboles sont négligées. Pourtant, s’il est un exemple de processus délibérément éducatif de changement de sens ironique laissant intacts des textes apparemment inaltérables, c’est bien celui-là. Un livre de Bartlett sur les paraboles serait un trésor que l’on espère fortement.

Pour conclure, nous avons ici une très riche élucidation de l’acte de communication de valeurs autres que les nôtres, tout à fait inattendu et difficile à saisir, qui a soufflé à travers notre monde, laissant les pages de l’Écriture brûlées comme par la queue d’une comète. Nous devenons, Dieu merci, de moins en moins vagues et de plus en plus capables de discernement dans notre aptitude à nous laisser atteindre par la plénitude de cet acte de communication. Bartlett montre l’herméneutique scripturaire dans les écritures elles-mêmes, d’où l’audace de son titre « L’évolution de la Bible de … » – pas l’évolution dans la bible, mais quelque chose poussé par le mouvement des écritures elles-mêmes. Comme souvent, Girard a pointé et rendu habitable un lieu de discussion qu’il atteignait à peine lui-même. Comme je le dis souvent à ceux qui trouvent Girard « too much » : « Ne vous souciez pas trop des détails. Si le christianisme est vrai, quelque chose comme ça doit être vrai ». Je dirais donc à propos du livre de Tony Bartlett : « Lisez-le, testez-le, courez avec et voyez où il vous mène ».

James Alison


[1]    Antony Bartlett, Theology beyond Metaphysics, p. 143. Pour un développement plus fourni sur les théologies de Antony Bartlett et James Alison, voir le chapitre 4 du livre de Bernard Perret Violence des dieux, violence de l’homme (Seuil, 2023)

Les promesses d’une autre justice

par Bernard Perret

A propos du film « Je verrai toujours vos visages »

La Justice restaurative (ou restauratrice) propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles, sans interférer avec l’exécution des sanctions pénales. Pratiquée depuis la fin des années 1980 au Canada, elle a été introduite en France par la loi du 15 août 2014 et mise en œuvre à partir de 2017. Le film de Jeanne Herry est le premier consacré à cette nouvelle forme de justice. C’est un film engagé qui rend un hommage appuyé aux bénévoles et aux travailleurs sociaux, mais c’est surtout une œuvre magistrale, pétrie d’humanité, portée par une brochette de grands acteurs.

Le film entrecroise deux histoires. La première est celle des rencontres hebdomadaires, dans les murs de la prison, de Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, avec Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché. Le dialogue s’engage, sans concession, entre des victimes dont la vie est durablement pourrie par la peur et la colère et des auteurs d’agression qui tentent de se justifier en évoquant leur enfance et la lutte pour la vie dans un monde qui ne leur fait aucun cadeau. Au fil des rencontres, on voit se construire non sans douleur l’espace d’une communication et d’une reconnaissance mutuelle, jusqu’à laisser entrevoir la perspective d’une guérison, pour les uns comme pour les autres : les victimes s’apaisent et les agresseurs sortent du déni. Le second récit est celui d’une médiation à haut risque entre Chloé, victime de viols incestueux dans son enfance, et son frère violeur, autrefois tant aimé, tout juste sorti de prison. Informée que son frère revient vivre dans la ville où ils ont grandi, elle veut le voir afin qu’ils se mettent d’accord pour éviter de se rencontrer. Mais elle veut aussi lui poser les questions qui la taraudent. Pas vraiment de pardon ici, mais un échange de paroles sincères qui, on peut le penser, apportera à Chloé comme à son frère une certaine paix. Il s’agit bien-sûr de fictions, mais tout indique que le film met en scène des situations qui peuvent réellement exister. 

Quel rapport avec la théorie mimétique ? Tout d’abord, comme l’indique le titre du film, le thème du visage est central : c’est en se faisant face que des individus séparés par un abîme de ressentiment et d’incompréhension apprennent à se reconnaître comme des êtres humains. On pense ici au philosophe Emmanuel Lévinas, chez qui l’expérience d’autrui prend la forme du visage, mais aussi aux travaux sur les neurones miroirs, qui montrent l’importance des regards échangés comme vecteurs d’une communication infra-langagière. On pense aussi aux commentaires des récits évangéliques de la trahison de Pierre et de la femme adultère par René Girard : les regards échangés, ou évités, sont, dans les deux cas, au cœur de sa lecture mimétique des rapports humains.  

L’efficacité sociale d’une justice non sacrificielle

L’apport majeur de ce film est de donner corps à une autre idée de la justice. Il ne s’agit certes pour l’instant que d’expériences limitées – on devine la difficulté de trouver des professionnels et des bénévoles, mais aussi des détenus et des victimes volontaires. Par ailleurs, redisons-le, la justice restaurative ne remplace pas la justice punitive : les peines de prison sont exécutées. Mais il n’en demeure pas moins que le film donne à voir une justice qui ne se contente pas d’exorciser violemment la violence mais vise la réconciliation et l’inclusion – en termes girardiens, une justice non sacrificielle. Ce qu’il faut souligner, c’est que la justice restaurative atteint, au moins dans les cas favorables, une forme d’efficacité sociale incomparablement supérieure à celle de la justice punitive : les victimes, quoi qu’elles en pensent au départ, retirent de ces échanges un apaisement qui va bien au-delà de celui qu’apporte la trouble satisfaction de savoir les coupables se morfondre dans leur prison. Surtout, les risques de récidive sont moindres pour des délinquants ayant pris, de manière à la fois rationnelle et émotionnelle, la mesure de leurs responsabilités dans les souffrances endurées par les victimes. Ce constat suggère une réflexion plus générale sur l’impact civilisationnel des ferments anti-sacrificiels présents dans notre culture – dont le « souci des victimes » est l’une des manifestations, témoignant selon René Girard des effets au long cours de la révélation chrétienne. Loin d’être seulement des facteurs « apocalyptiques » de délégitimation des pouvoirs et de déstabilisation de l’ordre social établi, ils sont susceptibles de s’incarner dans des pratiques sociales viables, de s’incorporer dans de nouvelles logiques institutionnelles et de participer d’une forme de progrès [1].   

Résonances théologiques

Il n’est jamais question de Dieu dans ce film, à peine du pardon, et rien n’autorise à en faire une œuvre d’inspiration chrétienne. Mais il n’en a pas moins de profondes résonances théologiques. Il offre en effet une analogie suggestive pour penser la justice divine, apportant ainsi un élément de réponse à une question lancinante posée par la théorie mimétique. Si la violence est la figure centrale du mal, Dieu doit en être exempt, et c’est d’ailleurs ce que René Girard n’a cessé d’affirmer. Penser Dieu comme étranger à toute violence est d’autant plus nécessaire que Jésus en fait un modèle de non réciprocité à imiter [2]. Il n’en demeure pas moins qu’il est impossible pour un chrétien de renoncer totalement à l’idée d’une Justice divine transcendant la justice humaine – une justice, qui plus est, irréductible aux conséquences immanentes de la violence, fussent-elles apocalyptiques. L’une des tâches de la théologie post-girardienne est donc d’élaborer un concept de justice divine non sacrificielle. Or, la pensée théologique a besoin de modèles humains, de réalités connues par expérience à partir desquelles des raisonnements analogiques peuvent être construits – c’est ce qu’a fait, par exemple, Anselme de Cantorbéry avec sa « théologie de la satisfaction ». Si l’on suit James Alison, il est dit dans Jean 16, 7-11 que, sous l’action de l’Esprit, « toute notre compréhension de ce que sont le péché, la justice et le jugement sera complètement remodelée. » (12 leçons sur le christianisme). Dans d’autres textes, James Alison tente d’imaginer ce que cela pourrait signifier pour la Justice divine. En voici deux exemples :

« Il est permis d’espérer que la justice divine sera autre chose qu’une violente séparation entre les bons et les mauvais, opérée par un Dieu vengeur. » (Raising Abel)

« Le Jugement dernier n’est pas simplement l’effondrement de l’histoire et le début de l’ « éternité ». Il est la manifestation de l’histoire telle qu’on l’a construite pour qu’elle puisse participer à la vie divine et non s’effacer dans la vanité et l’insignifiance de la violence. Nous en avons l’assurance par le fait que ce sont les victimes pardonnantes qui seront les juges, les principes de manifestation de la réalité de l’histoire : ce seront elles qui auront rendu possibles la continuité entre cette Création-ci et la nouvelle Création. » (Le péché originel à la lumière de la Résurrection)

Telles qu’elle est montrée dans le film, la justice restaurative fournit un précieux point d’appui pour imaginer une justice divine non vengeresse, qui soit avant tout une confrontation douloureuse à la vérité participant d’une nouvelle création à partir de tout ce qui a été si mal fait dans ce monde-ci.


[1]    Je développe cette idée au chapitre 5 de mon livre Violence des dieux, violence de l’homme – René Girard, notre contemporain (Seuil 2023)

[2]    Mt. 5 : 44

Deux romans de Gabriel Garcia Marquez

par Bernard Perret

Variations littéraires autour du thème du bouc émissaire

Pour nourrir et illustrer ses analyses des processus victimaires, Girard s’est appuyé sur l’ethnologie,  la grande littérature européenne et la Bible. Si l’on en juge par deux romans de Gabriel Garcia Marquez [1] Chronique d’une mort annoncée et De l’amour et autres démons, lus un peu par hasard, la littérature latino-américaine offre un riche matériau pour l’analyse des processus victimaires.  

Chronique d’une mort annoncée (1981)

Le roman est basé sur un fait réel survenu en 1951 dans un village colombien proche de Carthagène, que Gabriel Garcia Marquez avait suivi en tant que journaliste. C’est le récit des événements ayant conduit au meurtre de Santiago Nasar, accusé d’avoir défloré Angela Vicario avant son mariage avec Bayardo San Roman, un jeune homme riche issu d’une autre ville qui rend son épouse à sa famille le soir même de la noce quand il s’aperçoit qu’elle n’est pas vierge. Le meurtre est perpétré par les deux frères de la mariée, les jumeaux Pedro et Pablo, qui s’imaginent tenus de venger l’honneur de leur famille. Pendant que ces événements se déroulent, l’évêque du lieu en tournée pastorale bénit le village depuis son bateau, sans mettre le pied à terre. Après le meurtre, la police arrête les meurtriers qui seront libérés après un court passage en prison.

Sans entrer plus avant dans les péripéties du récit, voici quelques éléments particulièrement significatifs au plan anthropologique : 

  • Le consentement fataliste de toute une communauté : les frères Vicario informent les villageois qu’ils croisent de leur intention de tuer Santiago Nasar, espérant secrètement qu’on va les empêcher de passer à l’acte. Or, bien que personne ne les approuve officiellement et que certains cherchent même à les calmer, toutes les tentatives pour les retenir (y compris de la part du maire qui leur confisque une première fois leurs couteaux) tournent court. Ce que le récit s’attache à faire sentir, c’est une passivité collective qui équivaut à une approbation. D’ailleurs, les seuls doutes exprimés par les villageois après le meurtre ne concernent pas le le bien fondé de la vengeance, mais seulement la réalité de la culpabilité de Santiago Nasar.
  • Le roman fait le récit d’une sorte de « lynchage à froid », récit d’autant plus glaçant que seul Santiago Nasar semble ignorer ce qui l’attend, bien qu’il compte en principe plusieurs « amis » dans le village. Son père était un arabe récemment immigré en Colombie et, bien que catholique par sa mère, il reste vaguement perçu comme un étranger. 
  • Le récit s’attarde sur la sourde rivalité mimétique entre les deux jumeaux, dont l’un a servi dans l’armée et l’autre non, le plus enclin à passer à l’acte étant celui qui, n’ayant pas porté les armes, a grand besoin de s’affirmer face à son frère.
  • Après le meurtre, les autorités du village, y compris le prêtre, procèdent à une autopsie sauvage de la victime, au motif d’établir un rapport circonstancié pour la police. Mais, du fait de leur incompétence, la scène vire au cauchemar baroque : le corps et démembré et à la fin tout le monde pue. Tout évoque ici un rite macabre scellant une forme de complicité collective.
  • Le mariage lui-même a des aspects sacrificiels : la mariée est une victime à peine consentante, la fête dispendieuse tourne à la beuverie, le rite (raté cette fois) de l’exhibition du drap tâché de sang évoque un rituel violent. En suivant une inspiration girardienne, on est tenté de voir Santiago Nasar comme une victime de substitution, son meurtre réparant la faillite du rite matrimonial.   
  • L’Église est à la fois très présente et complètement hors du coup, ce que symbolise parfaitement l’évêque restant sur son bateau. Le curé du village a vaguement connaissance de ce qui se prépare, mais il est très pris par la visite possible de l’évêque. C’est comme si le sacré archaïque se perpétuait sans qu’elle en ait même conscience.

De l’amour et autres démons (1994)

En 1949, des fouilles dans les soubassements de l’ancien couvent de Santa Clara, à Carthagène des Indes, mettent au jour les restes d’une jeune fille dont la chevelure blonde n’a cessé de pousser depuis son ensevelissement, atteignant une longueur de plusieurs mètres. À partir de ce fait divers, l’auteur invente l’histoire de la jeune Sierva María de Todos los Ángeles, au milieu du XVIIIème siècle.

Tout commence le jour où un chien atteint de la rage sème la panique dans la ville. Sierva María, fille du marquis de Casalduero, est sérieusement mordue. Bien qu’elle ne présente au fil des semaines aucun signe de la maladie, le marquis – qui vit séparé de sa femme, elle-même personnage peu recommandable, et qui a laissé le soin de l’éducation de sa fille à ses esclaves – s’avise du parti qu’il pourrait tirer de cet incident pour redorer une image sérieusement ternie par ses débauches. Contraint de s’intéresser de nouveau à sa fille, il voit qu’elle parle une langue « satanique » – en fait la langue des esclaves – et pratique comme eux des danses et rituels évoquant des possessions démoniaques. S’imaginant qu’elle commerce avec le démon, il informe l’évêque don Toribio de Cáceres y Virtudes, lequel lui recommande de confier sa fille aux religieuses de Santa Maria où elle sera exorcisée par le père Cayetano Delaura. Enfermée parmi d’autres clarisses accusées de différents méfaits par l’abbesse Josefa Miranda, la jeune fille est paniquée par une situation et une institution auxquelles elle ne comprend rien. Habituée à mentir, elle s’enfonce dans son monde intérieur. L’exorciste Cayetano Delaura, homme d’une grande finesse, le comprend très vite, mais c’est pour sombrer lui- même en tombant amoureux. Il est « muté » dans une léproserie et Sierva María finit par mourir sous l’effet de diverses tortures censées chasser un « démon » imaginaire.

Ce roman est un terrifiant récit de persécution, une réplique sud-américaine de nos histoires de chasses aux sorcières :

  • La jeune fille est clairement présentée comme un bouc émissaire, une sorte d’exutoire de tensions et de haines qui déchirent une communauté malade, à commencer par le conflit permanent doublé d’une inimité profonde entre l’évêque et la supérieure du Couvent.
  • À un moment du récit, l’exorciste évoque « la leçon de l’Évangile à propos de Légion et des deux mille porcs endiablés. » Référence évangélique d’autant plus significative que c’est la seule dans tout le récit. Tout lecteur de Girard pense ici au commentaire de l’épisode du possédé de Gérasa dans Le Bouc émissaire (chapitre XIII) : le parallèle entre les deux situations est frappant – une personne enfermée dans son rôle de « possédée », et qui s’y enferme elle-même par une sorte de mimétisme, béquille involontaire d’un équilibre social précaire : « il y a une espèce de complicité entre la victime et ses bourreaux pour perpétuer l’équivoque d’un jeu visiblement nécessaire à l’équilibre de l’ensemble géranésien. » (p. 251).

J’ignore totalement si Garcia Marquez avait lu Girard, mais ces rapprochements prouvent une fois de plus que les grands écrivains sont ceux qui éclairent le mieux les mécanismes de la violence.


[1]    1927 – 2014, Colombien, Prix Nobel de littérature

Du nouveau sur l’épître aux Hébreux

A propos du livre de Martin Pochon L’épître aux Hébreux au regard des Évangiles (Cerf 2020), par Bernard Perret.

Dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, René Girard consacre plusieurs pages à critiquer la Lettre aux Hébreux – texte qui, faut-il le rappeler, est considéré par la plupart des exégètes comme n’ayant pas été écrit par Paul lui-même mais par Apollos, l’un des ses disciples dont le nom revient à plusieurs reprises dans les Actes des apôtres. Dans la partie consacrée à la lecture sacrificielle du Nouveau Testament, Girard reproche à l’Épître d’avoir largement contribué à installer cette grille de lecture :  « L’auteur de l’épître aux Hébreux interprète la mort du Christ à partir des sacrifices de l’Ancienne Loi. La Nouvelle Alliance, comme l’ancienne, est inaugurée dans le sang, mais comme elle est parfaite, ce n’est plus le sang des animaux, « impuissants à enlever les péchés » qui est répandu, mais celui du Christ. Le Christ, au contraire, étant parfait, son sang est capable d’accomplir une fois pour toutes ce que les sacrifices de l’Ancienne Loi sont incapables d’accomplir. » Certes, comme le reconnaît Girard, « entre le christianisme et les sacrifices de l’Ancienne Loi, la différence paraît énorme au croyant et il a raison » ; cependant « il ne peut pas justifier cette différence tant qu’il définit tout en termes de sacrifice. On dit bien que le sacrifice du Christ, à la différence des autres, est unique, parfait, définitif. En réalité, on ne voit guère que l’identité et la continuité avec les sacrifices antérieurs, faute de parvenir jusqu’au mécanisme victimaire dont la révélation change tout. » (Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset 1978, p. 251 et 252) 

Le problème de l’Épître est au centre des échanges épistolaires entre Girard et le théologien Raymund Schwager entre 1974 et 1991 (Briefwechsel mit René Girard, Herder Verlag 2014). Schwager argumente sur plusieurs fronts, mêlant des arguments d’opportunité – des professeurs de l’Institut biblique de Rome ont été profondément choqués par la manière dont Girard critique l’ Épître, qui risque par ailleurs de donner des arguments à ceux qui défendent une vision sacrificielle de la Passion (« Ils se serviront de votre argument contre vous ») – à des arguments de fond visant à justifier le langage sacrificiel : 1) Dieu a permis que le Fils soit victimisé à cause du péché par le fait que l’humanité entière a transféré sa violence sur lui, 2) L’événement par lequel se révèle un Dieu non violent et non sacrificiel peut être vu comme un sacrifice du point de vue du peuple, et, 3) Les psaumes 50 et 119 évoquent déjà le sacrifice de la prière, le sacrifice du Christ peut donc être compris comme la prière de celui qui prend sur lui les péchés des autres. Au cours de l’échange, Schwager va jusqu’à reprocher à Girard de vouloir, dans une démarche quasi sacrificielle, « expulser » l’Épître pour « unifier » le Nouveau Testament. Girard accorde à Schwager que l’auteur de l’ Épître « veut dire quelque chose de différent » à travers le langage sacrificiel, mais rien n’indique que Girard se range totalement à l’avis de son correspondant. Quoi qu’il en soit, il créditera Schwager de l’avoir convaincu de la légitimité de l’emploi du mot sacrifice pour parler d’un don de soi radical et il ne s’exprimera plus guère sur l’Épître aux Hébreux. 

La publication du livre du Martin Pochon fournit l’occasion de revenir sur cette question, une question dont l’enjeu pourrait bien être décisif pour l’avenir du Christianisme. L’auteur est jésuite, bibliste, formateur au Centre d’études pédagogique ignatien. Son ouvrage érudit et volumineux (700 pages!) ne se contente pas de reprendre à son compte (en ne citant que deux fois Girard) la critique girardienne de la conception sacrificielle de la Passion, il analyse plus largement la christologie qui sous-tend le texte en la confrontant aux récits évangéliques. Tous les sujets sont abordés avec une grande rigueur exégétique, depuis l’interprétation de la figure biblique du roi et prêtre Melchisédek à « la symbolique du sang dans la Première Alliance et dans la Lettre », en passant par l’utilisation du psaume 39, l’influence de Paul et les indices de débats au sein des premières communautés, etc. Comme le dit David Roure dans La Croix, « Le lecteur qui a eu la patience de lire jusqu’au bout ce volume est au moins convaincu d’une chose : il s’agit d’une œuvre maîtresse qui renouvelle complètement l’interprétation de la lettre aux Hébreux. »

La thèse principale de Martin Pochon est que la Lettre est structurée par la volonté de l’auteur de penser le Christ dans les catégories du Lévitique. Or, « en prenant comme toile de fond le rituel des sacrifices de la première alliance, l’auteur ne peut intégrer certains éléments sans lesquels on ne peut comprendre la Passion » (262). Le plus dommageable de ces oublis est que, selon les récits de la Cène et du lavement des pieds dans les Évangiles, le Christ se donne aux hommes et non pas à Dieu : « Prenez, ceci est mon corps ». « Le geste dit à qui il se remet, les paroles disent le sens et la finalité de ce don. Ce n’est pas pour satisfaire le Père qu’il se livre, c’est à eux et pour eux. » (304).

La dimension verticale, certes, n’est pas absente car Jésus « fait sienne la volonté de son Père » et l’on pourrait dire de manière métaphorique qu’il lui « fait l’offrande de sa volonté » à Gethsémani, mais c’est bel et bien aux hommes qu’il donne son corps et son sang. Comme le résume Pochon « [Le] principe de transposition [de la lettre] conduit à ne retenir que les événements qui ont une symbolique ascendante car « tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices » (He 5,1) à la divinité. Les éléments descendants ne sont pas présents. Si une solidarité est affirmée avec ses frères – il offre à Dieu en faveur des hommes – le service des hommes n’est pas présenté comme l’expression la plus fondamentale de la volonté de Dieu, du moins dans la partie de la lettre qui traite du sacrifice du Christ. » (263). D’où, finalement, cette question « incontournable » : « Le Christ, dans sa mort, nous obtient-il la faveur de Dieu, ou nous manifeste-t-il la faveur et la miséricorde de Dieu ? » (286).

La vision sacrificielle de la Passion a d’autres conséquences théologiques, que l’auteur détaille longuement. Tout d’abord sur la vision de Dieu et de sa relation filiale avec Jésus. Dans les Évangiles, Dieu reconnaît Jésus comme son fils bien aimé et le manifeste au moment de son baptême. Pour l’auteur de la Lettre, ce sont les souffrances de la Passion qui rendent le fils parfait et digne de servir d’intercesseur : « Il convenait que, devant conduire à la gloire un grand nombre de fils, Celui pour qui sont toutes choses et par qui sont toutes choses, rendît parfait par des souffrances l’initiateur de leur salut. » Conception fort éloignée d’une théologie trinitaire, ce que confirme le fait que, pour l’auteur de la lettre, « L’Esprit Saint parle essentiellement par les Écritures ».

De cette conception pré-trinitaire de Dieu procède une conception verticale et « patriarcale » de sa paternité qui s’étend aux relations entre Dieu et les hommes : « L’auteur considère que Dieu est un père qui n’hésite pas à soumettre ses enfants aux pires épreuves et aux persécutions sanglantes pour qu’ils soient vraiment des fils et non des bâtards : « C’est pour votre éducation que vous souffrez, c’est en fils que Dieu vous traite (…). Si vous êtes privés de la correction, dont tous ont leur part, alors vous êtes des bâtards et non des fils. » (He 12, 7-8) » (264) L’auteur de la lettre évoque la résurrection des morts, mais pas spécifiquement celle de Jésus : « il n’est pas dit que sa résurrection ait été manifestée à ses disciples. ». Si le Christ est désormais « assis à la droite de la majesté », la « Résurrection est présentée comme la suite logique du parcours d’épreuves auquel le Père l’avait soumis », « il n’a pas à se manifester vivant à ses disciples pour achever de leur transmettre un élément essentiel de la Bonne Nouvelle. Son premier souci n’est pas d’aller à la rencontre de Pierre et des autres disciples, ce n’est pas de les combler de sa présence, de raviver leur espérance et de leur pardonner leur désertion. Il n’a pas à confirmer que sa Passion exprimait la miséricorde infinie du Père à l’égard de tout homme, même à l’égard de ceux qui l’ont renié ou abandonné. Ce n’est pas nécessaire puisque la Passion, selon l’auteur de la lettre, est d’abord un acte d’offrande au Père et non l’expression du pardon du Père à l’égard des hommes pécheurs. » (410) Dans la lettre, le pardon de Dieu est d’ailleurs entièrement lié au sacrifice, comme en témoigne cette phrase terrible : « Car si nous péchons délibérément après avoir reçu la pleine connaissance de la vérité, il ne reste plus pour les péchés aucun sacrifice, mais seulement une attente terrible du jugement et l’ardeur d’un feu qui doit dévorer les rebelles. » (He 10, 26) On comprend dès lors, comme le note Pochon, la tentation, pour échapper au jugement, de faire de l’Eucharistie une réactualisation du sacrifice de Jésus « une offrande sans cesse renouvelée comme les sacrifices de l’Ancienne Alliance. » (586)

Dans les Évangiles, Jésus ne se sacrifie pas, mais il se livre aux mains des hommes : « Exprimant le sens de sa Passion, la Cène nous invite à penser qu’à Gethsémani, il s’agit pour le Christ d’accepter d’aller à l’extrême de ce don, de se livrer aux mains des adversaires et des meurtriers. » Or, dans la lettre, les hommes meurtriers n’ont aucune place, ce ne sont que les instruments abstraits de la volonté divine : « les développements sur la fonction sacerdotale et l’accomplissement des sacrifices pour le péché ne laissaient pas de place aux adversaires, car les rituels du Lévitique ne leur en donnent aucune. » De ce fait, « l’attitude du juste à l’égard de ses ennemis ne retient pas l’attention. » (362), et il semble bien que l’auteur « n’ait jamais fait sienne l’invitation du Christ à aimer ses ennemis. » (493) Or, c’est bien d’abord le don de soi, y compris, aux ennemis qu’il faudrait imiter dans la Passion.

On peut cependant regretter que, quand il évoque les ennemis et les circonstances violentes de la mort de Jésus, Martin Pochon ne mobilise pas plus largement l’anthropologie girardienne. À la question « Pourquoi la rédemption passe-t-elle par la croix et la mort violente de Jésus ? », il donne la réponse suivante : « parce que les hommes pêcheurs en leur totalité, païens comme juifs, ont refusé l’annonce du Royaume et ont mis à mort le Juste dont ils ont considéré la présence au milieu d’eux comme insupportable. » (362) Or, la vision de Girard est plus riche et plus éclairante pour chacun d’entre nous, car elle met en évidence une forte cohérence anthropologique entre le processus victimaire qui aboutit à la mort de Jésus et la nature profonde du mal. Le mot révélation prend ainsi un sens précis et tangible : la mort et la résurrection de Jésus révèlent, en pleine cohérence avec la prédication du Royaume, les ressorts de la violence humaine, les fondements pervers de l’ordre social et la possibilité de fonder sur une autre base nos vies personnelles et collectives. Dans la perspective de Girard, le sens universel de la Passion apparaît immédiatement, comme conséquence d’une violence représentative de l’essence universelle du mal – ce que soulignent Luc en évoquant le sang « répandu depuis la fondation du monde » et Jean en faisant des pharisiens les fils du diable « homicides dès le commencement » – , sans qu’il soit nécessaire d’accorder trop d’importance aux motivations particulières de telle ou telle catégorie d’adversaires de Jésus (et courir ainsi le risque d’incriminer spécifiquement les juifs). Par ailleurs, comme Girard ne cessait de le souligner, seule l’élucidation du mécanisme victimaire permet de comprendre la Passion comme un « anti-sacrifice » qui, par certains aspects, ressemble suffisamment à un sacrifice expiatoire pour qu’une interprétation sacrificielle comme celle de la Lettre aux Hébreux puisse paraître crédible.

Martin Pochon consacre de longs développement à l’auteur présumé de la lettre, à sa connaissance sans doute fragmentaire des récits de la vie de Jésus et à la caractérisation du public juif auquel il s’adressait. Il voit dans la lettre « un document qui fraie un passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance » et note que la dernière partie du texte, souvent négligée, témoigne de « l’étape la plus tardive de la réflexion de l’auteur » et d’une vision plus évangélique du sacrifice demandé aux croyants. Elle représente « la manière dont l’auteur exhortait sa communauté avec deux composantes essentielles vis-à-vis de Dieu, « le sacrifice de louange, c’est à dire le fruit des lèvres qui confessent son nom », et vis-à-vis des hommes, « la bienfaisance et l’entraide communautaire, car ce sont de tels sacrifices qui plaisent à Dieu. » (He 13, 15-16) »

L’un des apports importants du livre de Pochon est d’analyser l’influence de la lettre non seulement sur la théologie mais aussi sur la liturgie catholique. Depuis le concile de Trente, « on a pris comme clé d’interprétation de la Cène un texte qui n’en parle pas… ». Et cette grille d’interprétation reste prégnante dans les formules de la liturgie. À cet égard, la comparaison entre les formulations de la messe de Pie V et la messe de Paul VI souligne les progrès accomplis dans l’alignement de la liturgie sur la compréhension évangélique de la Cène, mais il note cependant que le Concile Vatican II nous a laissé « au milieu du gué », au risque de rendre la messe incompréhensible (ce qu’elle est pour nombre de nos contemporains) : « Beaucoup de paroles du rituel de la messe ne peuvent se comprendre que dans la perspective d’une mort du Christ conçue comme une offrande à Dieu. La structure elle-même est marquée par cette conception. Par exemple, la doxologie, placée à la fin du Canon, ne trouve sa cohérence que dans la conception sacrificielle de l’Épître aux Hébreux. Ce qui conduit l’assemblée à s’associer à l’offrande que le Fils a fait de lui-même au Père. Cette conception sous-tend beaucoup de préfaces, comme celle de la fête du Saint Sacrement, et nombre d’oraisons. » En cohérence avec son influence sur la liturgie, l’esprit de la Lettre aux Hébreux structure la figure traditionnelle de prêtre :  « Le presbytéros va endosser toutes les fonctions du prêtre lévitique ; seule la matière de son offrande changera, et ce changement de matière, qui était accompagné dans la lettre par une sortie définitive du ritualisme, s’accompagnera alors d’une reprise du ritualisme. » (331)

Sur la base de ses analyses, Martin Pochon prend le risque de formuler des propositions de réforme liturgique pour « avancer dans le passage du gué » (694) : suppression du rite pénitentiel au début de la messe, geste de paix après la communion, reformulation de « nombreuses oraisons, préfaces et mementos », et enfin, rappel du lavement des pieds à la fin de la célébration. De quoi susciter la réflexion des catholiques.

Théorie mimétique et sociologie de la religion

À propos du livre de Hans Joas, La foi comme option – Possibilités d’avenir du christianisme (Salvator 2020)

Hans Joas est un sociologue allemand de renommée internationale né en 1948. Il s’est fait connaître par une importante contribution à la théorie de l’action (cf. La Créativité de l’agir, Cerf 1999). C’est aussi un catholique affiché qui a écrit plusieurs ouvrages engagés sur des questions en rapport avec la religion (The Genesis of Values, Comment la personne est devenue sacrée – Une nouvelle généalogie des droits de l’homme…) Contrairement à ce que semble indiquer le titre, son dernier ouvrage n’est ni un témoignage personnel, ni une réflexion théologico-philosophique,  et il y est fort peu question de la foi en tant qu’expérience vécue. L’intention du livre est de montrer la fragilité des « préjugés sécularistes » associant rationalité et incroyance et d’ouvrir l’« espace de parole qui permet aux individus d’accéder à la liberté d’exercer soit l’option séculière, soit l’option de la foi, d’une foi déterminée. » La démonstration repose sur une analyse sociologique du phénomène de sécularisation, notion dont l’auteur montre qu’il est difficile d’en donner une définition univoque, dans la mesure où elle renvoie à différentes tendances qui ne sont pas toujours aussi étroitement liées qu’on le pense à l’affaissement des convictions, telles que le déclin de certaines pratiques rituelles ou le retrait de la religion hors de l’espace public. 

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Gongbang et Yoga du rire, deux illustrations de la puissance insoupçonnée de la mimesis

par Bernard Perret

En nous privant de rencontres directes avec nos semblables et d’interactions langagières informelles facilitées par le contact physique, la pandémie nous oblige à explorer plus systématiquement le pouvoir des images et des sons transmis par nos écrans et à découvrir des aspects insoupçonnés de la mimesis.

En voici deux exemples frappants.

En Corée du sud, un étudiant s’est filmé en train de lire ses manuels scolaires pour prouver à ses parents qu’il préparait sérieusement ses examens. Diffusée sur Youtube par la chaîne « The man sitting next to me », la vidéo a été vue par des milliers d’étudiants qui se sont aperçus qu’ils pouvaient trouver là une réelle incitation à travailler. Selon l’Express du 28 février, le concept serait en plein essor à travers le monde, y compris depuis peu en France, la chaîne américaine « The Strive studies » comptant plus de 320 000 abonnés et cumulant quasiment 20 millions de vues. Selon la sociologue Catherine Lejealle, citée par le journal, « on n’a besoin pas forcément d’un coach, mais de quelqu’un qui va s’entraîner avec vous pour tenir sur la longue durée. Ceux qui réussissent, c’est ceux qui ont travaillé avec les autres. Et l’aide des autres, ici, c’est regarder ces vidéos ou en poster ». Pour plus de détail sur le « gongbang » (c’est le nom de cette nouvelle pratique), voir :

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-02-23/le-gongbang-cette-nouvelle-mode-des-etudiants-du-monde-entier-pour-rompre-la-solitude-4b78355a-e447-4d36-9c77-23501053387c

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Comprendre la violence pour ne pas se laisser agir par elle

par Bernard Perret

La période actuelle est marquée par des irruptions de violence inattendues et déconcertantes, apparemment irrationnelles, face auxquelles les observateurs et les intellectuels paraissent souvent démunis. Bien qu’elle ne dispense pas d’analyser les causes exogènes de chaque situation de violence, la pensée de Girard permet seule d’en comprendre la logique interne. Elle fournit un cadre d’intelligibilité de portée très générale qui pourrait se révéler fort utile pour guider la réflexion et l’action politique.

Voici quelques propositions au sujet de la violence, évidentes pour ceux qui ont lu Girard :

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Chiffons rouges et bonnes manières

par Bernard Perret

On n’en finirait plus de dresser la liste des « petites phrases » provocantes d’Emmanuel Macron. Provoquer n’est pas toujours une mauvaise chose, mais ce ne peut être une méthode de gouvernement, surtout quand les provocations sont perçues comme des transgressions, des marques ostensibles de non-respect des codes qui doivent régir la politique comme les rapports sociaux ordinaires. Le caractère transgressif de sa vie privée aurait dû nous alerter : on sent chez Emmanuel Macron la tentation permanente d’agiter des chiffons rouges, de montrer qu’il est assez fort et sûr d’être investi d’une mission pour dire de qu’il pense et s’affranchir de certaines règles non écrites de la vie publique. Avant même d’être élu, il n’avait pas craint de déclarer « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », ce qui ne peut qu’être perçu comme dévalorisant par tous ceux qui rêvent d’accomplir de grandes choses au service désintéressé de leur pays et de l’humanité. Et l’on a eu ensuite le fameux « pognon de dingue ».

Mentionnons rapidement quelques provocations récentes. Commençons par « l’Otan est en état de mort cérébrale » : c’est largement vrai, mais à le dire aussi crûment on risque de se faire de nouveaux ennemis parmi les pays qui ne peuvent envisager de se passer du parapluie américain. Dans un tout autre registres, annoncer au cours d’une rencontre avec des viticulteurs que l’État ne s’associera pas à l’opération « Janvier sans alcool », c’est dire sans prendre de gants que l’on est à l’écoute des lobbies économiques et qu’on se moque de l’avis des médecins et associations qui luttent contre les ravages de l’alcoolisme. Dernière en date de ces provocations : faire voter par l’Assemblée nationale une résolution affirmant que l’antisionisme est une forme de l’antisémitisme, ce qui est insultant non seulement pour les palestiniens mais aussi pour ceux, y compris juifs, à qui l’État hébreux pose de sérieux problèmes purement politiques par sa nature ethno-religieuse, son histoire faite de violence et d’exclusion et son mépris assumé de la légalité internationale, mais qui n’en considèrent pas moins l’antisémitisme comme une monstruosité.

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