
Paul Dumouchel nous fait le cadeau du texte qui suit. Il s’agit d’un projet d’intervention en septembre 2020 en Italie où il devait donner, en visioconférence, une analyse critique du livre de Benoît Chantre, Le clocher de Tübingen, (paru aux éditions Grasset en 2019), lequel y poursuivait la quête entamée avec René Girard en 2007 dans Achever Clausewitz sur la pensée et la destinée singulières d’Hölderlin. Cette intervention n’ayant pu avoir lieu, il s’agit donc d’un texte inédit. Il présente, entre autres, l’intérêt de nous montrer comment des pensées peuvent entrer en dialogue, en l’occurrence celles de Benoît Chantre et Paul Dumouchel. Nous vous laissons le découvrir et vous invitons, si ce n’est déjà fait, à lire Le clocher de Tübingen.
Puisque mon exposé doit porter sur le livre de Benoît [Chantre] Le clocher de Tübingen, j’aimerais, histoire d’aller droit au but, commencer par une citation tirée du texte d’Adrian [Navigante, qui devait également participer à la conférence]. Celui-ci écrit, au sujet de la conception girardienne du paradoxe chrétien telle qu’elle est énoncée dans Achever Clausewitz :
« Nous pouvons tous participer à la divinité du Christ, à condition de renoncer à notre violence (c’est-à-dire, selon Girard, aux niaiseries sacrificielles d’antan) ; nous savons maintenant que les hommes n’y renonceront pas (c’est-à-dire que ces niaiseries sont ce qui nous manque aujourd’hui). »
Or, selon Girard, j’ajouterais, selon Benoît et certainement selon moi, que le sacrifice est tout sauf une “niaiserie”, que les institutions dont Girard parle et la place qu’ils leur donnent dans l’histoire humaine montre qu’on ne peut les réduire à des “niaiseries sacrificielles d’antan”. Pour le dire autrement, si les sacrifices ont disparu, cela ne vient pas de ce que nous aurions découvert une erreur intellectuelle, ou une faute cognitive de peuples mal éclairés, ni au fait que nous, modernes – même si apparemment nous ne l’avons jamais été – croyons à tort que le sacrifice est une simple erreur. Si tel était le cas, tout irait beaucoup mieux et serait bien plus facile. Nous pourrions être béatement optimistes et nous permettre de condamner facilement. Cependant, il n’en est rien, car le problème n’est pas celui d’une simple erreur intellectuelle ou cognitive, d’une faute dans l’ordre de la connaissance. La vérité est que le monde a changé. C’est pourquoi les deux voies nous sont fermées. Tant celle d’un retour au sacrifice, ou du moins à ce que l’on croit être sa signification profonde, retour à ces “niaiseries” bien comprises, qui seraient ce qui nous manque aujourd’hui. Que celle d’un rejet, qui ne voit dans le sacrifice que des niaiseries.
Dire que le monde a changé, c’est en fait affirmer qu’autre chose est en jeu ici que le “paradoxe du Christianisme”, autre chose qu’une seule tension ou contradiction à l’intérieur d’une certaine conception du monde. Prendre la mesure de cette “autre chose”, de cette transformation du monde, c’est ce que Hölderlin, selon Benoît, aurait fait. “Prendre la mesure” de cette transformation du monde, ce n’est ni l’expliquer, ni apporter remède à la nouvelle situation créée par là, mais reconnaître le dilemme où nous sommes. C’est aussi pourquoi, parce qu’il a reconnu ce dilemme, que, si j’ai bien compris Benoît, Hölderlin est entré dans la tour.
Cette transformation du monde, selon Girard, c’est évidemment la Révélation Chrétienne, mais dire cela demeure trop imprécis et ne nous éclaire pas encore sur le dilemme d’Hölderlin qui est aussi le nôtre. On peut l’approcher à l’aide de cette citation du poète, que Benoît analyse à la page 65 de son livre :
« … le Dieu et l’homme, afin que le cours du monde n’ait pas de lacune, et que la mémoire de ceux du ciel n’échappe pas, se parlent dans la figure tout oublieuse de l’infidélité, car l’infidélité divine c’est elle qui est le mieux à retenir. »
Ce que Benoît commente de la façon suivante : « Les dieux et les hommes “se parlent dans la figure tout oublieuse de l’infidélité”. Qu’est-ce à dire, sinon que nous devons être fidèles à l’infidélité divine, nous détourner des dieux qui se détournent de nous. » (p. 65) Le dilemme, tel que je le comprends, est entre la fidélité (à l’infidélité qui est le mieux à retenir) et se détourner de ceux qui se détournent de nous, afin que la mémoire de ceux du ciel n’échappe pas. Dans les deux cas, le mouvement est en lui-même contradictoire, se détourner pour se souvenir de ceux qui se sont détournés de nous et nous souvenir de ce retrait, de cet abandon des dieux. Bref, nous devons garder la mémoire de l’absence des dieux qui se sont détournés de nous, mais cette fidélité à leur infidélité signifie que nous ne devons pas chercher à les faire revenir. Signifie que nous devons respecter leur infidélité. Dire que les dieux nous sont infidèles n’implique pas qu’ils n’existent pas, bien au contraire, tout comme le fait qu’il ne faut pas chercher à les faire revenir, cette infidélité suppose qu’ils gardent une réalité au-delà de leur absence. Leur retour serait terrible. Ce que Hölderlin comprend peu à peu et de mieux en mieux entre Hypérion et les derniers poèmes, entre le moment de sa rencontre avec Suzette Gontard et le moment où il se retire du monde, c’est la distance exacte qu’il convient d’établir entre nous et “ceux du ciel” et la difficulté qu’il y a à le faire.
Qu’est-ce que cela signifie, qu’il nous faut rester fidèle à “ceux du ciel” en leur absence ? Benoît suggère que le danger pour le poète et pour l’homme est qu’une culture perde le contact avec la nature, peut-être pas tant avec sa transcendance, qu’avec sa simple réalité, et qu’elle tente de remplacer notre rapport à cet autre par un ordre purement humain. En un sens, c’est ce danger que le poète voit se réaliser dans l’action des amis Hegel et Schiller et dans le développement de l’idéalisme allemand. Le projet d’un monde où tout finalement est humain et où l’homme est dieu. Ce monde purement humain est inséparable du retour des dieux antiques et de la violence. Comme l’écrit Benoît : “Nous voulons sans cesse nous prouver à nous-mêmes et prouver aux autres notre ascendance divine. Cette impatience nous fait perdre contact avec la terre.” (p. 73)
Ce qui vient compliquer les choses est que le retrait de “ceux du ciel” ne concerne pas les dieux anciens uniquement. Ce qui nous permettrait de comprendre leur départ comme la victoire du Christianisme ou un simple progrès. Cependant, comme le dit « Pain et vin », poème datant de 1800 :
Pourtant, à l’heure où vers le ciel (qu’elle nous semble donc lointaine !)
Remontèrent tous les Donneurs de joie hors de nos vies,
Où le Père ayant détourné des hommes son visage,
La tristesse établit son juste règne sur la terre ;
Quand, dernière Présence, un paisible Génie aux divines paroles
Consolatrices, eut annoncé la fin du Jour et disparu,
Comme un signe de sa venue ici-bas jadis, un gage
De son retour, le chœur des dieux nous laissa quelques dons…
Le paisible Génie aux divines paroles consolatrices s’en est lui aussi retourné vers le Père, et même si un gage de son retour nous a été laissé, cette “dernière Présence” participe elle aussi à sa manière de l’infidélité des dieux à laquelle nous sommes condamnés d’être fidèles. Il y a donc ici une certaine égalité entre les dieux anciens et le dieu moderne. Les “Donneurs de joies”, tous, sont remontés au ciel. Ils sont hors de nos vies, ne nous parlent que dans la figure oublieuse de l’infidélité. Le problème ou le dilemme, pour le dire autrement, est que les dieux, tous, nous ont quittés et qu’un monde purement humain est impossible, c’est pourquoi il nous faut être fidèle à cette infidélité.
Ce dilemme a-t-il une solution ? Est-il possible d’éviter l’une et l’autre branche de l’alternative : soit un monde purement humain, soit un retour des dieux anciens. Lesquelles convergent l’une et l’autre vers le même point qui est la violence et la montée aux extrêmes. Girard dit au début de « Tristesse de Hölderlin » le chapitre v de Achever Clausewitz : “Une résistance individuelle à la montée aux extrêmes est vaine par essence.” (p. 197). L’abandon, ou plutôt le détournement du projet commun par ses amis du Stift et l’échec de l’espoir collectif d’un pays Souabe différent, de même que l’apprentissage de ses propres erreurs auront convaincu Hölderlin que toute résistance individuelle est par essence vaine. C’est pourquoi il s’est retiré du monde et qu’il se mit à signer ses écrits avec des noms d’emprunt. Mais parce qu’il nous faut rester fidèle à l’infidélité de ceux du ciel, il ne s’est pas suicidé ; il n’a cédé ni à la tentation du désespoir, ni à celle de se diviniser lui-même. Au contraire, il s’est effacé du monde, imitant en cela les dieux. Ce pourquoi tant Girard que Benoît suggèrent à un moment qu’Hölderlin est presque un “saint”. Plutôt qu’à la folie, nous aurions affaire à une forme d’ascèse et de renoncement ; et qui sait, pourrait-on ajouter, s’ils vivaient de nos jours, combien d’ascètes et de renonçants célèbres ne finiraient pas en hôpital psychiatrique.
Selon Girard, les institutions sacrificielles nous protégeaient de notre propre violence et les dieux auxquels elles donnaient l’être, nous tenaient séparés de la nature. Aujourd’hui, ces institutions, pour la plupart, ont disparu et celles qui demeurent sont en voie de disparaître. Les dieux nous ont quittés avec elles. Le paisible Génie qui rendit les sacrifices caduques, s’est lui aussi retiré. De cette dernière Présence, il ne reste plus que des paroles consolatrices. Nous sommes laissés seuls entre nous, sans “béquilles sacrificielles” dit Girard, mais instruits qu’un monde purement humain est condamné à l’échec. Ce qu’il nous faut, ce ne sont pas de nouvelles béquilles sacrificielles, ce qui par définition est impossible, mais d’imiter celui qui imite le Père en son absence et son retrait du monde. C’est ce que fit Hölderlin.
Tirésias
À supposer que mon interprétation soit correcte, cette thèse remarquable, lumineuse et convaincante, pose néanmoins de nombreux problèmes vers lesquels je voudrais maintenant me tourner. J’en vois au moins trois : 1) la vanité de l’ascèse et de la sainteté ; 2) la disparition de la nature et 3) Tirésias.
Affirmer, comme le fait Girard, que toute résistance individuelle à la montée aux extrêmes est par essence vaine, n’est-ce pas en vérité porter une condamnation terrible et définitive à l’encontre d’Hölderlin et de la sainteté ? Car la sainteté et le retrait du monde sont, par définition, des comportements individuels, des formes de résistance qui ne touchent que soi. Le retrait du monde n’est-il pas une démarche par laquelle on se protège soi-même, on s’abstient de pécher, pour ainsi dire, mais par laquelle on s’abstient aussi d’agir. Que faire en temps de peste ? « Lire le Décaméron entre amis » répondit un jour Michel Serres. Cependant, ce privilège n’est pas donné à tous, mais Hölderlin n’est pas n’importe qui, comme le montre à souhait la réaction du menuisier Zimmer. Que nous vaut ce témoignage de résistance silencieuse, dont nous n’aurions nul écho s’il n’avait été précédé d’une œuvre qui confère un nom et un prestige à cet écervelé dans sa tour ? La “décision” d’Hölderlin, dès lors, ne serait admirable que par ce qui la précède, que par ce qu’elle abandonne. En un sens, “oui”, mais à condition seulement d’accorder à chaque individu une valeur infinie. À l’égard du monde qu’elle rejette, elle n’est rien et vaine, car la sainteté ne peut être le destin de chacun d’entre nous. Non seulement parce que cette demande est déraisonnable, mais parce que alors, il n’y aurait plus de monde.
Le second problème est la disparition de la nature. Nul besoin d’être Chrétien pour comprendre que la nature a disparu. Je reviens ici à une question abordée plus haut : il ne s’agit pas simplement d’une question de perception et de vision du monde, mais de ce que le monde lui-même a changé. Pouvons-nous encore penser, comme Hölderlin que “perdre le contact avec la nature, c’est perdre le contact avec les dieux” alors qu’il ne nous est plus possible de poser la nature hors de nous comme un “autre”. Pollution, réchauffement global, disparition des espèces et même la pandémie en cours, tous ces phénomènes indiquent clairement que la nature est devenue notre fait, sa transcendance a été résorbée dans l’immanence des actions humaines. Elle ne nous est plus extérieure, et la recommandation qui nous est faite ad nauseam est de nous souvenir que nous faisons partie de la nature et sommes soumis à ses règles. En fait, cela peut être vu comme le triomphe d’Hegel. Si l’achèvement du parcours de l’esprit, sa réconciliation avec le monde, c’est qu’il reconnaisse et réintègre en lui tout ce qui, au début, lui apparaissait hier comme un objet étranger et extérieur, alors nous y sommes. Toutes les régulations naturelles spontanées, des naissances, du climat, des diverses formes de pollution, de la survie des espèces menacées sont maintenant devenues notre affaire, doivent être prises en charge consciemment. Tout ce qui se faisait de soi-même et spontanément incombe aujourd’hui à l’esprit absolu que nous sommes devenus.
Ce triomphe est manifestement un lamentable échec, non pas simplement, comme nous sommes portés à le croire, parce que nous ne faisons pas ce que nous devrions faire, non pas parce que nous ne réussissons pas à être à la hauteur de cet immense défi, mais pour une raison plus profonde. En fait, l’illusion fondamentale est de penser que nous devons et que nous pouvons y arriver, que cette régulation de la nature est en notre pouvoir. Non pas qu’il ne faut rien faire, mais il est faux, trompeur de penser que le passé va revenir et le temps s’arrêter, de croire qu’il suffit de faire autrement pour que tout redevienne comme avant. Car nous avons mis en œuvre des changements qui relèvent de temporalités radicalement différentes de la temporalité humaine, non seulement qui en diffèrent par plusieurs ordres de grandeurs, mais des processus non-linéaires, caractérisés par des effets de seuil, plutôt que par la monotone mais rapide accumulation des années d’une vie humaine. Quelques effets que nous puissions avoir sur elles, ces régulations nous échapperont toujours partiellement, parce qu’elles répondent à des temporalités sans commune mesure avec la nôtre. L’avenir ne sera pas comme le passé, les espèces disparues ne reviendront pas, les températures moyennes ne vont pas du jour au lendemain retourner à ce que nous jugeons être “normal”, les terres et l’eau douce de la Martinique seront polluées par la chlordécone pour encore au moins cinq cents ans.
S’il est encore possible de penser la transcendance de la nature, c’est dans notre rapport au temps et à ces temporalités différentes qui échappent à notre pouvoir. C’est le temps qui marque la transcendance du monde par rapport à nous. Le temps marque de son sceau tout ce qui échappe à notre pouvoir. Il constitue la limite indépassable de notre action tant individuelle que collective. Perdre le contact avec la nature, écrit Benoît, c’est perdre le contact avec les dieux, “c’est-à-dire, avec le ‘Père du temps’”. Ne pas perdre contact avec la nature, c’est alors ne pas perdre contact avec ce temps qui nous échappe dans tous les sens du mot, et ce respect du temps, c’est aussi être fidèle à l’infidélité des dieux.
J’ai nommé le troisième problème Tirésias. La lecture que, dans La violence et le sacré, Girard propose de Œdipe roi (et non pas encore Œdipe Tyran, nous y reviendrons) est tout entière construite autour de la notion de symétrie. En particulier de la symétrie dans les échanges entre Œdipe et Tirésias ou Œdipe et Créon. Cette symétrie pour Girard joue un rôle fondamental car elle montre que si l’accusation portée contre Œdipe “colle”, cela ne constitue pas pour autant la preuve qu’il est coupable. Aux yeux de Girard, la culpabilité aurait tout aussi bien pu s’arrêter sur Tirésias ou Créon. Ceux-là sont des doubles mimétiques que rien ne distingue dans leur affrontement et, pour Girard, si OŒdipe est coupable, il n’est coupable que dans la mesure où l’accusation colle, ou plutôt ce n’est que parce qu’il est coupable que l’accusation colle. Pour Girard, Sophocle a entrevu, et peut-être fait plus que simplement entrevoir, que Œdipe est une victime émissaire, une victime innocente contre laquelle la cité déchirée par la “peste” se réconcilie.[1]
Or chez Benoît, ou du moins dans la lecture d’Hölderlin telle que Benoît nous la restitue, les choses se passent tout autrement. Il n’y a pas symétrie, mais bien une asymétrie radicale entre Œdipe et Tirésias. Pour Hölderlin, Tirésias détient la vérité du drame, l’accusation qu’il va porter contre Œdipe va se révéler être vraie : Œdipe est coupable ! Il y a semble-t-il entre ces deux interprétations une contradiction insoluble. Benoît (et Hölderlin ?) conserve(nt) un aspect fondamental de l’interprétation de Girard.
Comment Tirésias touche-t-il Œdipe ? En lui révélant que son crime n’a pas été de tuer son père et d’avoir couché avec sa mère, comme tout le monde va finir par le répéter, mais de s’être pris pour un dieu. (p. 297)
Il n’est pas clair qu’il faille interpréter ces lignes comme signifiant que Œdipe n’est pas coupable de parricide et d’inceste, mais plutôt, comme le suggère le texte un peu plus bas, que peu importe ces accusations, car l’essentiel est ailleurs. La faute d’Œdipe serait celle d’être un Tyran et d’avoir voulu accaparer une illégitime divinité.[2] Nous retrouvons ici le rôle de l’hubris classique des héros tragiques.
Ces deux interprétations, celle de Girard et celle de Benoît/Hölderlin sont-elles compatibles ? Peut-être, mais cela me semble loin d’être clair. Du moins je vois mal comment faire tenir à Tirésias dans Œdipe tyran (roi) ces deux rôles tout à la fois de double mimétique et de porteur de la vérité. Dans l’interprétation que Benoît/Hölderlin donne d’Antigone, les choses sont différentes car, alors, Tirésias apparaît plutôt comme celui qui révèle la symétrie entre Antigone et Créon et les révèle comme doubles.
[1] On peut penser à la lecture d’Antigone, que cette réconciliation n’est que de courte durée, mais c’est là une autre affaire à laquelle nous reviendrons.
[2] D’où l’importance pour Benoît que le nom de la pièce soit Œdipe Tyran plutôt que Œdipe roi.
« Si on sécurise les enfants, ils auront le plaisir de découvrir d’autres personnes, d’autres mondes mentaux, et il n’y aura plus de guerre, solution de papier, un enfant sécurisé éprouve le plaisir de la différence, c’est démontré par les neurosciences, mais je n’y croit pas tellement. »
https://www.tf1info.fr/replay-lci/video-le-20h-de-darius-rochebin-du-22-avril-2022-2983-2217617.html
Boris Cyrulnik l’avoue, il suffirait de croire à ce qui est démontré raisonnablement, scientifique, ment(!), l’erreur de frappe non corrigée est signifiante.
A défaut de devenir des saints, le monde disparait, et si chacun d’entre nous le devient, le monde disparait aussi, nous dit Mr Dumouchel, n’y aurait-il pas là la résolution, qui ne dépend que de notre foi à savoir imaginer un fonctionnement sans sacrifice, du dilemme d’une fidélité aux infidèles qui ne savent que fonctionner socialement que par l’établissement d’une Olympe illusoire, car il n’y a rien au ciel, mais que tout est au cœur de l’homme ?
La transcendance alors saurait croire et faire confiance à cette intuition fondamentale qu’un rapport horizontal équilibré est seul à même de définir par induction la verticale nécessaire à l’établissement d’un ordre social sans cela impossible à respecter, où le souci du plus faible est la borne à l’usage d’une liberté qui, sans lui, est retour à la loi du plus fort, indiquant qu’il serait possible à chacun d’accéder à cette réalité du sourire de l’aimée, de faire l’apprentissage qu’il est possible de prendre plaisir à la différence plutôt que de la fustiger, comme le soulignait Michel Serres en son accueil de Girard à l’Académie française :
» Au cours de réunions où je regrettais que vous n’assistiez pas, notre compagnie hésita,
récemment, à définir le mot religion. Vous en dites deux familles : celles qui unissent les
foules forcenées autour de rites violents et sacrés, générateurs de dieux multiples, faux,
nécessaires ; celle qui, révélant le mensonge des premières, arrête tout sacrifice pour jeter
l’humanité dans l’aventure contingente et libre de la sainteté, pour lancer l’humanité dans
l’aventure contingente et sainte de la liberté. »
Cliquer pour accéder à Discours+de+Michel+Serres+15-12-2005.pdf
Il est certain que cette aventure, comme son refus, signe la fin de notre monde, les deux amis intimes alors que sont la raison et la foi sauront pourtant détourner leur chemin en passant par la dune, fort de cette connaissance assimilée, pour suivre le fleuve qui amène à l’enceinte protégée où toutes les montures de nos violences s’arrêtent, accédant au lieu du rite marial déjà inventé qui n’attends que la fin de notre manque de foi pour nous permettre d’enfin prendre la mer du réel, à l’embouchure de tous les possibles:
Amoureuse salutation.
Ô mes deux intimes, détournez votre chemin
En passant par la dune !
Chevauchez votre monture jusqu’à la halte de La’la
Et aspirez aux eaux de Yalamlam.
Près d’elle, ceux que tu as connus ;
Et ceux à qui appartiennent
Mon jeûne, mon pèlerinage, ma visite
Et ma fête solennelle aux lieux saints.
Que jamais je n’oublie le jour où, à Minâ,
Les cailloux sont lancés, ni les choses d’importance,
Près du suprême autel sacrificiel,
Ni près de la source de Zamzam.
Là où ils lancent les pierres
Demeure mon cœur, lancé contre les stèles,
Mon âme, là ou ils sacrifient
Mon sang, là ou ils s’abreuvent.
Ô chantre conducteur de chameaux !
Si tu viens à Hâjir,
Arrête un moment les montures
Et transmets le salut !
Adresse aux tentes pourpres,
Aux abords de l’enceinte sacrée,
La salutation de l’amant
Qui soupire vers vous, esclave du désir.
S’ils adressent le salut
Rends-le avec le zéphyr oriental.
Et s’ils se taisent,
Bâte les montures et avance
Jusqu’au fleuve de Jésus
Là où leurs montures font halte,
Et là où les tentes blanches,
Prés de l’embouchure, sont plantées.
Invoque Da’d,
Ar-Rabâb, Zaynab,
Hind, Salmâ et lubnâ
Et fredonne telle une source !
Demande-leur : al-Halba est-elle la demeure
De cette jeune fille au corps souple ?
Elle qui te laisse voir l’éclat du soleil
Au moment même où elle sourit.
L’Interprète des Désirs, Ibn’Arabi.
Il nous suffit, n’est-ce pas inimaginable, d’y croire, pour donner à l’image infidèle du dieu mort, la foi fidèle de nos corps mortels au Dieu alors devenu vivant.
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« … le Dieu et l’homme, afin que le cours du monde n’ait pas de lacune, et que la mémoire de ceux du ciel n’échappe pas, se parlent dans la figure tout oublieuse de l’infidélité, car l’infidélité divine c’est elle qui est le mieux à retenir. » de Hölderlin
Je prends cette citation hors contexte, mais deux sens possibles à ‘la figure oublieuse de l’infidélité’ :
– L’infidélité est oublieuse (de soi-même, de ses engagements), telle est la figure de l’infidèle
– Faire ’bonne’ figure en oubliant l’infidélité… pour parler à l’infidèle
Les deux sens qui curieusement ne s’excluent pas dans cette phrase, mais il reste alors à distribuer les rôles dans le dialogue entre l’homme et son dieu.
– La « mémoire de ceux du ciel n’échappe pas »,
– Et, il est assez commun de dire que ceux du monde ont une tendance naturelle à l’oublie.
Les rôles sont donnés.
« l’infidélité divine c’est elle qui est le mieux à retenir »
L’infidélité divine, procèderait alors d’un ‘oubli’ volontaire, pour ne pas se détourner de ceux du monde (pas de lacune) qui se détournent.
Le poète a du bien s’amuser pour construire de telles phrases !
En vous souhaitant une jolie fête du travail…
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Merci cher Jean-Marc pour cette nourrissante contribution.
Amitié
Thierry
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Le clocher de Tübingen passerait aisément pour un livre d’érudit, d’amoureux des arts, léger comme une bulle de champagne ; c’est l’impression que m’avait donnée la première partie. Or Benoît Chantre a choisi de mettre son livre au diapason de son sujet : le livre mute en même temps qu’Hölderlin se laisse transformer par la grâce. Paul Dumouchel nous montre que la biographie cache une réflexion dans le prolongement d’Achever Clausewitz, une réflexion apocalyptique. Par sa lecture éclairée, l’auteur de l’article résume parfaitement l’impasse dans laquelle nous sommes :
« Est-il possible d’éviter l’une et l’autre branche de l’alternative : soit un monde purement humain, soit un retour des dieux anciens. Lesquelles convergent l’une et l’autre vers le même point qui est la violence et la montée aux extrêmes. »
Faute de reconnaître ce dilemme, le monde se polarise entre ces deux tendances, la fuite en avant et le retour panique au passé, et partout la violence explose. La troisième voie semble vouée à l’échec :
« À l’égard du monde qu’elle rejette, […] la sainteté ne peut être le destin de chacun d’entre nous. Non seulement parce que cette demande est déraisonnable, mais parce que alors, il n’y aurait plus de monde. »
Or cette disparition du monde est précisément ce que les textes apocalyptiques prophétisent ; disparition catastrophique des institutions humaines en même temps que destruction de notre monde intérieur. C’est le sens de la notion de fin des temps, de fin du monde. Elle est indissociable d’une prise de conscience du mal dans le monde :
« Mais quand vous n’aurez au milieu des nations que des rescapés de l’épée, quand vous serez dispersés parmi les pays, je maintiendrai un reste. Vos rescapés se souviendront de moi, parmi les nations où ils auront été déportés, eux dont je briserai le cœur prostitué qui s’est détourné de moi, et leurs yeux prostitués aux idoles. Le dégoût leur montera au visage, à cause des méfaits qu’ils ont commis, à cause de toutes leurs abominations. Alors ils connaîtront que je suis le SEIGNEUR ; ce n’est pas en vain que je parle de leur faire un tel mal. » (Ezéchiel 6, 8-10)
Y a-t-il rien de plus cohérent que cette prophétie ? Girard nous apprend que le monde est corrompu par le sacrifice, par la violence, non pas superficiellement mais jusqu’en ses racines les plus profondes (c’est ce que nous apprend, entre autres, Genèse). C’est à ces profondeurs qu’il faut labourer avant de semer une graine nouvelle.
Girard révèle et ce faisant il est partie prenante dans le processus ; après la Révélation, pas de retour en arrière possible. Puisque la destruction est annoncée et qu’elle aura lieu, il reste deux démarches possibles : soit s’accrocher au monde et ce faisant « hâter le châtiment », selon l’expression coranique, et disparaître avec lui ; soit se laisser dépouiller, comme l’a fait le Christ, et Hölderlin en une imitation inspirée.
Ce dépouillement, ce retrait, cette sainteté comme la caractérisent justement Benoît Chantre et Paul Dumouchel, tout en étant un choix strictement individuel, a pourtant aussi des effets collectifs :
« On a fait sortir de la ville des fils et des filles ; les voici qui viennent vers vous. Vous allez constater leur conduite et leurs actes, alors vous vous consolerez du malheur que j’ai fait venir sur Jérusalem, de tout ce que j’ai fait venir sur elle. Ils vous consoleront, car vous verrez leur conduite et leurs actes ; alors vous saurez que ce n’est pas sans raison que j’ai accompli tout ce que j’ai fait dans la ville – oracle du Seigneur DIEU. » (Ezéchiel 14, 22-23)
La mimesis montre une fois de plus son caractère dual. En sortant du monde, le saint ou la sainte nous permet une imitation vertueuse là où toute autre démarche est médiation interne, invitation à la mimesis violente. Il est temps de rendre à la crise de la révélation son sens profond : nous permettre cette bonne imitation, nous inviter à nous retirer, nous aussi, dans le clocher de Tübingen.
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