Avons-nous besoin de héros ?

par Hervé van Baren

Le Larousse définit ainsi le héros : « Personne qui se distingue par sa bravoure, ses mérites exceptionnels, etc. » Dans une autre acception, le héros est le personnage principal d’un récit biographique ou fictionnel. Le super-héros des comics américains semble rejoindre la version antique : il cumule les qualités morales du héros moderne avec des pouvoirs surnaturels. Dans tous les cas, ce qui distingue le héros, c’est l’absence de failles, de faiblesses. Il se doit d’être en tout point parfait.

Par bien des aspects, l’unanimité admirative qui s’empare de nous devant les exploits du héros ressemble au négatif des sentiments que nous inspire le bouc émissaire. L’étymologie nous apprend que le « hêros » grec est un demi-dieu. Ses qualités supposées sont aussi mythologiques que les défauts du bouc, ficelle parfaitement maîtrisée par les auteurs d’épopées héroïques. Il est dangereux de critiquer le héros, tout comme il est dangereux de prendre la défense de la victime émissaire. Force est de constater que la plupart du temps, le héros ne se révèle comme tel qu’au paroxysme d’une crise. Nous projetons autant sur le héros nos vertus que sur le bouc émissaire, nos vices. Ce dernier représente le désordre ; le héros, c’est l’ordre sacré.

Qu’en est-il de la version féminine ? L’héroïne a donné son nom à une drogue dure. Faut-il y voir un symbole ? Avons-nous besoin de héros et d’héroïnes pour fuir une réalité trop anxiogène ? La question se pose inévitablement : avons-nous besoin de héros de la même façon que nous avons besoin de boucs émissaires ?

Le héros a une fonction normative, comme nous l’apprend la Bible. Dans le passage éprouvant de la mort d’Ananias et Saphira, au chapitre cinq des Actes des Apôtres, nous avons la description de l’expulsion d’un couple de victimes émissaires. Juste avant, nous est présenté le héros :

Joseph, surnommé Barnabas par les apôtres – ce qui signifie l’homme du réconfort – possédait un champ. C’était un lévite, originaire de Chypre. Il vendit son champ, en apporta le montant et le déposa aux pieds des apôtres (Actes 4, 36-37).

Quand les méchants refusent de partager leurs biens, les Actes nous disent avec insistance que Barnabas a tout donné à la communauté. Cette précision était superflue, puisque le texte venait de nous apprendre que chacun mettait l’ensemble de ses biens au service du groupe :

La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme, et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun (Actes 4, 32).

Le besoin d’un héros n’indique pas l’existence du meilleur des mondes, au contraire, il en dévoile les fêlures. Le héros prolétaire de la période soviétique ne servait qu’à masquer le profond manque d’adhésion du peuple aux vertus artificielles du système. Autant la communion solidaire du début de la première communauté chrétienne était spontanée et sincère, autant la désignation d’un modèle indique qu’avec le temps quelque chose s’était grippé dans la belle mécanique. Le héros a donc un caractère normatif dont l’objectif est de contrer les forces centrifuges qui menacent la collectivité d’éclatement, et pour que cette norme puisse faire l’objet d’une adhésion unanime, il convient de lui conférer un caractère sacré.

Ces considérations nous amènent à analyser un exemple d’héroïsme incontournable ces jours-ci. La crise sanitaire que nous vivons est brutale et déstabilisante. Les héros sont tout trouvés : ce sont les personnels soignants, dont l’abnégation et le sens du sacrifice nous émeuvent. Or évidemment, notre admiration est justifiée. Il est indéniable qu’il y a de leur part sacrifice, au meilleur sens du terme : tout donner pour les autres, au risque de leur vie, et beaucoup ont prouvé, malheureusement, que ce n’était pas hypothétique.

Certes, ils ne font pas l’unanimité, et les médias ont relevé plusieurs cas de soignants menacés ou agressés par des voisins apeurés. Mais si le héros est en quelque sorte l’antithèse du bouc émissaire, cette absence d’unanimité ne doit pas étonner, puisque la modernité se caractérise par le même phénomène en ce qui concerne ce dernier. L’unanimité sacrificielle, nous le disons assez sur ce blogue, ne peut plus s’établir, il est logique qu’il en aille de même pour l’unanimité positive dont bénéficiait jadis le héros.

Alors, comment défendre la nécessité d’une désacralisation du héros ? Commençons par dissocier la sacralisation et le sentiment qui en est à l’origine. Il est indéniable que les actes des soignants sont admirables. Cela ne signifie nullement que ce sont des êtres d’exception. Certains d’entre eux, sans doute ; mais il en est de même pour une partie de ceux à qui il est demandé de rester confiné chez eux. De même, les criminels sont la plupart du temps des personnes banales, parfois sympathiques (j’en témoigne en tant que visiteur de prison), et ce malgré la violence des actes qu’on leur reproche et la légitime horreur que ceux-ci nous inspirent. La démythologisation du héros revient à dissocier les actes, souvent motivés par des circonstances exceptionnelles, et les personnes qui les posent.

Désacraliser le héros a au moins deux vertus. La première, c’est de permettre à l’humain quelconque de se reconnaître dans les actes admirables de ces humains quelconques. Les héros détrônés, par leur humanité retrouvée, nous invitent à une imitation positive, là où les héros sacralisés exhibaient des qualités inaccessibles à nous, pauvres mortels, et nous invitaient à une imitation jalouse et anxieuse, fondée sur la culpabilité de ne pas être comme eux.

La seconde, c’est de nous permettre la liberté. Le héros descendu de son piédestal n’est plus normatif, seulement exemplaire. Dans sa version sacrée, il invitait à professer bruyamment que tout écart par rapport à la norme héroïque relevait de la transgression punissable. Ramené à son humanité faillible, il nous permet le choix en toute liberté entre la lâcheté et le courage, l’égoïsme et l’abnégation. Un monde sans héros est un monde où chacun fait ses choix de vie en conscience.

Pouvoir reconnaitre dans le héros ou l’héroïne un homme ou une femme faillible, fait d’ombre et de lumière comme nous, c’est fondamentalement la même chose que dévoiler la vérité sur la victime. L’accès au réel demande tout autant de faire descendre le héros du socle où nous l’avons figé, que de réhabiliter le bouc émissaire. Alors seulement, nous pouvons vraiment aimer tant l’un que l’autre.

Les extraits de la Bible viennent de la TOB.

6 réflexions sur « Avons-nous besoin de héros ? »

  1. Magnifique.
    Il me semble que nous avons avec la théorie mimétique l’instrument mental nécessaire pour appréhender, inventer au sens de James Alison, un mode de fonctionnement hors du sacrifice où il est nécessaire de formuler le saint hors du sacré même si, comme le dit Rimbaud, ne sachant nous expliquer sans paroles païennes, nous préférerions nous taire.
    Il en est effectivement de la violence comme d’une accoutumance, et le besoin de héros est signe que nos sociétés sont accros au sacré, que tout le langage en est empreint, marqué par le désir publicitaire qui ne sait répondre au mensonge que par un mouvement encore plus enfoncé dans la trinité infernale.
    Ni le colonel Beltrame, ni les soignants ne sont des héros au sens sacré du terme, même si leur fonction pourrait encore tenter de faire croire à la vieille vessie comme les institutions corrompues tentent de colmater un pouvoir, une royauté que la lanterne évangélique a dissoute, démontrant par contre qu’il est possible de vivre le don total sans réclamer aucune rétribution sacrée, aucun succès d’édition ou d’ académie autre que de savoir librement concevoir un langage commun pour dire le vrai, cette conversion intime indispensable à l’établissement de la démocratie, invitant par l’exemple de ce qui aujourd’hui se conçoit rationnellement grâce à Girard, ressortant de la médiation interne en affirmant au plus haut qu’il est possible d’imiter l’inimitable, qu’il suffit pour accéder à cette libération d’entendre la parole impeccable, qu’il n’est même plus besoin de désacraliser le héros car ensemble nous vivons et choisissons librement d’imiter Celui qui nous a interpellé,chacun descendant de soi-même du socle de la statue sacrée, ouvrant ce chemin tout simple où il est possible de s’aimer sans se détruire, qui est le chemin du réel :

    « Le réel n’est pas rationnel mais religieux, c’est ce que nous disent les Évangiles : il réside au cœur des contradictions de l’histoire, dans les interactions que les hommes tissent entre eux, dans leurs relations toujours menacées par la réciprocité. Cette prise de conscience est plus que jamais requise, aujourd’hui que les institutions ne nous aident plus, que c’est à chacun de se transformer seul. En cela, nous en sommes revenus à la conversion de Paul, à cette parole qui vient soudain le transit : « Pourquoi me persécutes-tu ? » La radicalité paulinienne convient très bien à notre temps. C’est moins le héros qui « monte » vers la sainteté, que le persécuteur qui se retourne et tombe à terre.  »
    René GIRARD,
    Achever Clausewitz.

    Merci, Hervé.

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  2. Si la modération admet de valider mon commentaire, serait-il possible au passage de le corriger, un « par par » et un transit pour transir s’y étant glissé :

    Magnifique.
    Il me semble que nous avons avec la théorie mimétique l’instrument mental nécessaire pour appréhender, inventer au sens de James Alison, un mode de fonctionnement hors du sacrifice où il est nécessaire de formuler le saint hors du sacré même si, comme le dit Rimbaud, ne sachant nous expliquer sans paroles païennes, nous préférerions nous taire.
    Il en est effectivement de la violence comme d’une accoutumance, et le besoin de héros est signe que nos sociétés sont accros au sacré, que tout le langage en est empreint, marqué par le désir publicitaire qui ne sait répondre au mensonge que par un mouvement encore plus enfoncé dans la trinité infernale.
    Ni le colonel Beltrame, ni les soignants ne sont des héros au sens sacré du terme, même si leur fonction pourrait encore tenter de faire croire à la vieille vessie comme les institutions corrompues tentent de colmater un pouvoir, une royauté que la lanterne évangélique a dissoute, démontrant par contre qu’il est possible de vivre le don total sans réclamer aucune rétribution sacrée, aucun succès d’édition ou d’ académie autre que de savoir librement concevoir un langage commun pour dire le vrai, cette conversion intime indispensable à l’établissement de la démocratie, invitant par l’exemple de ce qui aujourd’hui se conçoit rationnellement grâce à Girard, ressortant de la médiation interne en affirmant au plus haut qu’il est possible d’imiter l’inimitable, qu’il suffit pour accéder à cette libération d’entendre la parole impeccable, qu’il n’est même plus besoin de désacraliser le héros car ensemble nous vivons et choisissons librement d’imiter Celui qui nous a interpellé,chacun descendant de soi-même du socle de la statue sacrée, ouvrant ce chemin tout simple où il est possible de s’aimer sans se détruire, qui est le chemin du réel :

    « Le réel n’est pas rationnel mais religieux, c’est ce que nous disent les Évangiles : il réside au cœur des contradictions de l’histoire, dans les interactions que les hommes tissent entre eux, dans leurs relations toujours menacées par la réciprocité. Cette prise de conscience est plus que jamais requise, aujourd’hui que les institutions ne nous aident plus, que c’est à chacun de se transformer seul. En cela, nous en sommes revenus à la conversion de Paul, à cette parole qui vient soudain le transir : « Pourquoi me persécutes-tu ? » La radicalité paulinienne convient très bien à notre temps. C’est moins le héros qui « monte » vers la sainteté, que le persécuteur qui se retourne et tombe à terre. »
    René GIRARD,
    Achever Clausewitz.

    Merci, Hervé.

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  3. Votre très intéressant article interroge la nécessité de sacraliser ou non le héros, de choisir entre la perfection inaccessible ou l’exemplarité plus proche de nous parce que faillible, voire même la possibilité de se passer de héros. Je ne saurais trancher mais, en complément de vos propos, je pose une autre question : notre temps est-il celui qui peut même concevoir, parfait ou non, le héros ? Alan Bloom, dans L’âme désarmée, décrit ce que nous sommes devenus : des « moi » qui n’avons d’autre désir que satisfaire ou réaliser notre « moi ». Ce « moi » est “mystérieux, indéfinissable, illimité, créateur […] individuel, unique.[…] En résumé , le « moi » est le substitut moderne de l’âme”, écrit Bloom. Peut-être cette époque se passe-t-elle très bien de héros parce qu’elle a trop à faire avec son « moi ». Qui applaudit-on lorsque nous applaudissons nos possibles « héros » les soignants ? Des êtres si proches de nous que nous pourrions sans peine nous imaginer les imiter ? Ou nous-mêmes, qui ne voulons pas d’autres héros que nous-mêmes, et qui, tel le dernier homme nietzschéen qui cligne de l’œil en proclamant « l’invention du bonheur », clignent de l’œil en s’admirant admirer ? La vision semblera sans doute pessimiste. Nous sommes devenus des « moi » qui se prennent, individuellement, sinon pour des héros, peut-être pour des exemples à suivre, ou, pour le moins, pour des êtres sans les défauts qui font parfois la qualité des hommes. La raison pour laquelle, comme vous le rappelez si justement, le bouc émissaire est impossible aujourd’hui, relève peut-être du même phénomène : le « moi » décrit par Bloom est égoïste, il est « dirigé de l’intérieur » (plutôt que « dirigés par les autres ») : ni qualités à imiter, ni vices à condamner, « chacun veut la même chose, chacun sera pareil. » Arrivé là, je me dis que, quand même, un peu de sacralisation, de temps en temps, ne ferait pas de mal…

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  4. Comme toujours, la pensée qui se dégage des écrits de Hervé van Baren est audacieuse et généreuse. Audacieuse, parce qu’ elle affirme, contre la théorie mimétique, que les héros sacralisés suscitent chez nous du ressentiment alors que nous sommes heureux d’admirer des individus quelconques, devenus des héros grâce aux circonstances : les soignants, par exemple, mais aussi les résistants sous l’occupation etc. A la différence de Don Quichotte, on choisirait d’ admirer ceux auxquels il est possible de se comparer. Mais vous n’allez pas dans le même sens qu’Allan Bloom, qui verrait là un signe de l’extrême difficulté à sortir de soi. Votre réflexion est généreuse : pouvoir ramener à l’humanité commune héros et parias (Œdipe, victime émissaire, est les deux à la fois) serait un progrès à la fois scientifique et moral.
    Evidemment, il y a bien des façons de définir le héros et aussi de le « fabriquer », comme vous le rappelez. Mais si je vous suis totalement quand vous souhaitez qu’on distingue l’homme et ses actes et qu’on reconnaisse aux héros leur pleine humanité; je serais plus réticente à l’idée de les mettre sur un pied d’égalité avec nous autres. Le héros nous aide à regarder au-delà de nous. Par ses belles actions, il inscrit son nom dans l’histoire : il est moins mortel que le commun des mortels. L’immortalité, pour les anciens grecs, se rencontrait sur le champ de bataille par une action d’éclat. Pour être mémorable, une action d’éclat (héroïque) doit être spectaculaire. Celle du colonel Beltrame souscrit à ces deux conditions. C’est un héros incontestable.
    Je comprends qu’on traite les soignants en héros, cela répond à votre question : oui, nous avons besoin de héros, surtout en temps de crise sanitaire, quand on ne met plus rien au-dessus de la vie. Ce qui est le cas des soignants sauf qu’ils mettent leur propre vie au service des autres. Mais peuvent-ils faire autrement ? Peut-être que « les gens ne sont des héros que parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement » (Claudel) ?
    Je serais assez d’accord avec cette définition, à la condition expresse que la nécessité à laquelle on obéit soit intérieure et non extérieure. Le vrai héros, celui qui, avant même d’agir, pense en héros, interrogé sur les raisons de son « sacrifice » répondrait, comme Jean Cavaillès entrant dans la Résistance : « je n’avais pas le choix. » « Un monde sans héros serait un monde où chacun fait ses choix de vie, en conscience », dites-vous. Sans doute. Alors, un monde héroïque serait un monde où personne, en conscience, n’aurait le sentiment d’avoir le choix.

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  5. Merci, Christine Orsini et Didier Desrimais, pour ces commentaires inspirés. Vous avez bien entendu raison, nous avons toujours besoin de sacré. Prétendre le contraire serait prétentieux et naïf, et reviendrait à nous auto-couronner d’une auréole, dans un geste suprêmement narcissique. Mais les contradictions que vous soulignez ont un sens. René Girard nous éclaire sur l’aspect peut-être le plus significatif de la modernité. En désacralisant les héros et en réhabilitant les victimes, nous ouvrons les portes de l’enfer (ou, pour reprendre une image de l’Apocalypse, nous faisons chuter le dragon sur terre, où il se déchaîne). Le paradoxe c’est que le sacré ne fonctionne plus dès lors que ses mensonges sont dévoilés, mais quand ils le sont le besoin de sacré se fait lancinant. Ce paradoxe porte un nom : c’est cela l’Apocalypse, et c’est aussi la raison profonde du caractère irrévocable du phénomène. Les prophètes avaient compris cela il y a bien longtemps !
    Prendre conscience de notre besoin de sacré et l’accepter fait partie du chemin. Pour le reste, la réponse à vos commentaires est donnée par Aliocha. C’est d’une conversion qu’il s’agit, et il ne sert pas à grand-chose de tenter de se figurer notre état après celle-ci (si elle a lieu). Le fœtus peut-il imaginer sa vie hors du liquide amniotique, dans le tourbillon du monde ?
    « nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jean 3, 5)
    Or il nous reste encore à naître.

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  6. A mon sens, le choix depuis Girard est tout à fait clair en mettant en lumière ce qu’a révélé l’Évangile: l’amour ou la destruction. Mettre la vie au dessus de tout, autant dire la sacraliser, revient à nier notre condition de mortels, se pensant dieux grecs et répétant alors ce qui a été dénoncé, en fondant les institutions à nouveau sur le fabriqué plutôt que sur le vrai.
    Nous nous retrouvons donc avec Ivan Karamazov dans la cellule où nous enfermons celui qu’il a fait revenir, pour mieux, face au doux regard qui ne peut que se taire, lui signifier notre refus, la justice n’ayant encore jamais réellement trouvé sa liberté face aux pouvoirs, ne s’étant jamais émancipée des inquisitions qui tentent encore de produire du sacré inopérant, réitérant le cycle désespérant d’ un chemin apocalyptique inversé qui mènera de la pandémie à la famine puis à la guerre, pour encore célébrer la volonté de domination.
    Aurons-nous le courage d’incarner ce qui, aujourd’hui encore, n’est que fiction littéraire ? Saurons-nous, suivant les justes, ces poètes qui tentent d’inverser notre processus mental, plaçant le mouvement du cœur selon Proust, avant les orgueils de l’intelligence ? Oserons-nous admettre que notre mort personnelle sait échapper au sacrifice, admettant que notre petite personne n’est pas une divinité, reconnaissant pour divin le message transmis par celui dont le corps a déserté le tombeau, indiquant le chemin de la victoire sur la violence et la mort sacralisée ?
    Simone Weil doutait que ce fût pour bientôt, tout nous indique aujourd’hui que c’est maintenant que nous y sommes, la foi est un choix raisonnable, où les peuples d’Europe retrouveront le génie épique, sachant ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis et ne pas mépriser les malheureux, osant enfin avec Girard définir le mot religion, cité par Michel Serres lors de sa réception à l’académie :

    « Au cours de réunions où je regrettais que vous n’assistiez pas, notre compagnie hésita, récemment, à définir le mot religion. Vous en dites deux familles : celles qui unissent les foules forcenées autour de rites violents et sacrés, générateurs de dieux multiples, faux, nécessaires ; celle qui, révélant le mensonge des premières, arrête tout sacrifice pour jeter l’humanité dans l’aventure contingente et libre de la sainteté, pour lancer l’humanité dans l’aventure contingente et sainte de la liberté.

    Je veux finir par ce que sans doute peu de gens peuvent ouïr de leur vivant ; que je n’ai encore prononcé devant personne : Monsieur, ce que vous dites dans vos livres est vrai ; ce que vous dites fait vivre.

    Le sacrifice épuisé, nous ne nous battrons plus que contre un ennemi : l’état où nous désirions réduire l’ennemi lorsque, jadis, nous nous battions. Alors, seul adversaire en ce nouveau combat, la mort, vaincue, laisse place à la résurrection ; à l’immortalité. »

    http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-m-rene-girard

    Oui, le choix est radical et froidement rationnel, Girard n’a su que dégager par l’étude des textes ce qui depuis deux mille ans est proposé à l’humanité, qui a la liberté de n’y pas consentir et d’en rester au trop humain, l’amour ou la destruction :

    « Frères, vous avez été appelés à la liberté, seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair; mais rendez-vous, par la charité, serviteurs les uns des autres. 14Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, dans celle-ci: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 15Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres. »

    https://saintebible.com/lsg/galatians/5.htm

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