
par Jean-Louis Salasc
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » (Camus). Phrase fétiche des chroniqueurs en quête de prestige intellectuel. Il est possible d’en tirer des variantes ; celle-ci par exemple : mal nommer un concept, c’est perdre une chance de mieux comprendre le monde.
Or, c’est précisément ce qui arrive à trois concepts, dont l’un est au cœur de la théorie mimétique, et à laquelle les deux autres peuvent se rattacher. Il s’agit du « Bouc émissaire », de la « Pensée de groupe » et du « Triangle de Karpman ». Sur ces deux derniers concepts et leurs liens avec la théorie mimétique, plusieurs billets ont été publiés dans notre blogue (1). En quoi donc ces trois concepts sont-ils « mal nommés » ?
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La « Pensée de groupe » est un concept proposé par Irvin Janis dans les années 1970. Il désigne un mécanisme de repli d’une communauté sur un dogme qui la rassure. Il se caractérise par la conviction de la propre excellence du groupe, le rejet de tout point de vue alternatif (entre autre avec des « gardiens de la vraie foi ») et la plupart du temps par la désignation d’un ennemi, à qui est attribuée l’origine de tous les malheurs de la communauté ; un bouc émissaire donc, d’où le lien avec la théorie mimétique. Ce mécanisme peut conduire la communauté, même largement dotée de personnes intelligentes en position d’orienter ses choix, à prendre des décisions erronées, stupides ou même fatales, selon l’écart entre le dogme et la réalité.
Ce concept permet de comprendre a posteriori de tragiques erreurs. Janis l’a utilisé pour la guerre du Vietnam. La compagnie Kodak est morte d’avoir refusé de prendre au sérieux la photo numérique. Les dirigeants de Tepco, la compagnie propriétaire de la centrale nucléaire de Fukushima, ont présenté leurs excuses, après l’accident, à la nation japonaise en disant : « Nous avons été victimes de la pensée de groupe ». Yves Lacoste, éminente personnalité de la géopolitique en France, a pu écrire, à propos des deux décennies de « guerre contre le terrorisme » lancée par les Etats-Unis après le 11 septembre, que les cercles dirigeants américains avaient été saisis par la pensée de groupe.
Mais voilà, le terme (« groupthink » dans la version originale d’Irvin Janis) est des plus mal choisis. D’abord parce qu’il se prête aisément à la disqualification : un groupe ne peut pas penser, il n’y a donc pas de pensée de groupe, comme l’a justement noté Christine Orsini dans un commentaire sur notre blogue. Et ensuite, parce qu’il désigne presque l’inverse de ce qu’il veut dire : le centre de gravité du mécanisme expliqué par Janis est un dogme, ce qui est ainsi aux antipodes de la pensée si l’on entend par « pensée » une analyse critique et argumentée. Du coup, le concept n’a obtenu qu’un succès relatif. Il serait pourtant bien précieux. Non plus dans les études a posteriori, mais pour analyser les situations dans lesquelles nous nous trouvons et prendre garde à ce que nous ne prenions pas de mauvaises décisions sous l’influence de ce mécanisme.
Ou au moins, que nous l’ayons en tête et tâchions de nous en préserver. Georges Bush (le père) avait été marqué par le livre de Janis et, dit-on, commençait toutes ses réunions par la question : « Y aurait-il quelque chose de sensé dans ce que disent nos adversaires ? ». Si le nom de Bush vous inspire quelques réserves, vous pouvez vous tourner vers Plutarque, qui dit exactement la même chose dans sa lettre « Comment tirer profit de ses ennemis » ; ou bien à nouveau vers Albert Camus, avec son « parti de ceux qui ne sont pas sûrs d’avoir raison ».
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Dans l’art de mal nommer les concepts, le Triangle de Karpman atteint au chef d’œuvre. C’est dommage car il s’agit à nouveau d’un concept d’une grande utilité potentielle.
Que désigne-t-il ? Il désigne les trois principales tactiques par lesquelles, dans une relation pervertie, l’un des protagonistes tente de soumettre son interlocuteur ; et sauf à ce que dernier accepte cette soumission, il va se mettre à employer les mêmes tactiques, illustrant ainsi la dynamique des « doubles » analysée par la théorie mimétique. Les noms de ces trois tactiques forment le sous-titre du Triangle de Karpman : la tactique du « bourreau », qui consiste à jouer sur les peurs de son interlocuteur ; celle du « sauveur », qui consiste à abuser de sa reconnaissance ; et celle de la « victime », qui consiste à le culpabiliser.
(Il peut venir à l’esprit bien d’autres « tactiques » pour dominer ou circonvenir un interlocuteur. Il nous semble cependant possible de les ramener à ces trois-là, mais ce n’est pas notre question du jour.) (2)
La dynamique que cherche à décrire Karpman se produit presque toujours entre deux interlocuteurs. Parler de triangle est donc plutôt mal venu. Par surcroît, il attribue aux sommets du triangle, non pas des noms de tactiques, mais des noms de personnages : le bourreau, le sauveur, la victime. Des noms de personnages suggèrent irrésistiblement qu’ils décrivent les protagonistes : l’un serait un sauveur, l’autre un bourreau, etc. Alors que ce sont deux personnes qui essaient chacune de dominer l’autre en utilisant tour à tour l’une ou l’autre des trois tactiques.
Si bien que celui qui explique le Triangle de Karpman doit tout de suite dire qu’il n’y a souvent que deux personnes en jeu et que chacune d’elle joue, selon les phases de l’affrontement, aussi bien la victime que le bourreau, ou le sauveur. Où en seraient les mathématiques si Euclide avait écrit que le pentagone est le plus souvent un carré et que les sommets ou les côtés peuvent selon le cas intervertir leur rôle ?
Mais cette malheureuse dénomination recèle un biais encore pire. La tactique du bourreau avance à visage découvert, celui qui l’emploie ne cache pas qu’il cherche à soumettre son interlocuteur. Les deux autres tactiques, au contraire, celle du sauveur et celle de la victime, sont des ruses, elles dissimulent leur intention de dominer. Karpman, en donnant à ces tactiques les noms de « victime » et de « sauveur », accrédite ces ruses, alors qu’il prétendait les révéler ! Et à nouveau, celui qui explique le Triangle de Karpman doit immédiatement préciser : attention ! Ce n’est pas une « vraie » victime, c’est quelqu’un qui s’en attribue le statut pour mieux subvertir son interlocuteur ; et il ne s’agit pas d’un « vrai » sauveur, mais quelqu’un qui en porte le masque, toujours dans le même but.
Girard, qui a révélé l’innocence des victimes sacrificielles, a également averti des excès des stratégies de victimisation, c’est-à-dire l’emploi de la tactique de la victime, utilisée par bien des groupes. Cela converge parfaitement avec la vision de Karpman. Mais il a manqué à celui-ci de nommer correctement ses concepts. Et nous tirerions grand profit à avoir des mots qui nous permettent de nommer distinctement les « vraies » et les « fausses » victimes, les « vrais » et les « faux » sauveurs, que l’actualité nous prodigue aujourd’hui en abondance. Cela nous aiderait à surmonter le malaise cognitif que nous ressentons devant les ambivalences : comment certains peuvent-ils être à la fois « bourreaux » et « victimes », « sauveurs » et persécuteurs » ?
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Enfin, le « Bouc émissaire ».
Ce n’est pas que le concept soit mal nommé. Au contraire, il l’est excellemment et admirablement, comme le souligne avec une profonde justesse Benoît Chantre dans sa splendide biographie de René Girard (septembre 2023, Grasset, 1 148 pages).
Mais peut-être pourrait-il être accompagné de déclinaisons plus précises. Car il recouvre un spectre sémantique particulièrement copieux ; il peut désigner :
- Le rite connu historiquement,
- le rite décrit dans la Bible,
- la personne elle-même subissant un lynchage,
- le mécanisme par lequel une communauté archaïque en vient à immoler un innocent,
- le mécanisme par lequel les communautés modernes cherchent un « coupable » pour se décharger de leurs erreurs, bien qu’elles ne recourent plus officiellement aux sacrifices,
- des personnes désignées comme « coupables » par certains sous-groupes de la communauté, sans cependant qu’un consensus ne se fasse sur l’un d’eux,
- une personne pas vraiment innocente, qu’il est commode de « charger » d’autres méfaits dont elle n’est en rien responsable,
- la victime avant son exécution, objet de toute haine, et sacralisée après (ainsi ces politiciens honnis pendant leur mandat, qui deviennent une « personnalité préférée » lorsqu’ils l’ont perdu, ou lorsqu’ils décèdent),
- les victimes innocentées et réhabilitées (Dreyfus par exemple),
- une personne sur qui nous rejetons la responsabilité d’un méfait dont nous portons la responsabilité,
- etc.
Les auteurs et commentateurs qui travaillent sur la théorie mimétique, se trouvent donc conduits à inventer ou utiliser des expressions approximativement correctes, mais qui ne constituent pas des concepts stabilisés. Ainsi fleurissent, dans les écrits circumgirardiens, les « victimes émissaires », les « logiques sacrificielles », les « mécanismes sacrificiels », les « désignations de l’ennemi » (la phrase célèbre de Carl Schmitt est une formule, pas un concept), les « schémas victimaires », les « cultures du sacrifice », les « processus émissaires », les « victimes expiatoires », les « cycles mimétiques », les mécanismes victimaires » et autre « mentalité sacrificielle ».
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La question de la violence est centrale, non d’un point de vue spéculatif, mais dans le plus concret de notre existence. Girard a montré son lien intime avec la « méconnaissance », c’est-à-dire le refus, plus ou moins conscient, de tous les protagonistes de reconnaître la moindre responsabilité dans les diverses violences qui surviennent ; or cette responsabilité existe toujours lorsqu’il s’agit de violences issues d’une spirale de rivalité mimétique.
Lorsque l’idée nous effleure que nous pourrions avoir quelque responsabilité dans une violence en cours, nous trouvons le salut grâce à un bouc émissaire. Un bouc émissaire ne ramène pas seulement la paix dans une communauté, il nous permet aussi de préserver en nous-même le sentiment de notre propre innocence : « Ce n’est pas ma faute, c’est lui qui a commencé ». Pascal Bruckner a intitulé l’un de ses essais, dans lequel il aborde le sujet, « La Tentation de l’innocence ». Il l’aurait mieux intitulé « La Soif de l’innocence » ; une soif irrépressible, irrépressible au point que nous n’hésitions pas à lui sacrifier, injustement, notre bouc émissaire, c’est-à-dire l’un de nos frères humains.
Cette soif d’innocence a un jumeau, un double : il s’agit de la certitude d’avoir raison, de « détenir » la vérité. Admirable formule, dont une lecture au premier degré signifie que ceux qui sont sûrs d’avoir raison ont mis la vérité en détention. Et en effet, la certitude d’avoir raison est un sentiment des plus dangereux. Elle conduit ceux qui ne se contentent pas de la vie contemplative et cherchent à intervenir dans la vie sociale, à toute une gamme de comportements à l’égard de ceux qui ont un avis différent : incompréhension, tentatives de convaincre, dédain, rejet, haine, combat et lutte, accusation (il devient un « bouc émissaire »), manœuvres pour le soumettre et le faire taire, dénonciation pour répandre l’opprobre à son encontre, volonté de le supprimer.
La méconnaissance selon Girard se nourrit sans doute de ces deux passions, la soif d’innocence et la sentiment d’avoir raison. La foule réclame la crucifixion de Jésus ; elle est envahie par le sentiment d’avoir raison, elle n’a pas le moindre doute ; elle se sent parfaitement innocente du calvaire du Christ.
Celui qui opprime autrui en lui en imputant d’avoir été sa victime (la « victime » de Karpman), pratique la vengeance, pas la justice. Victime réelle, supposée, plus ou moins intense, ou encore par procuration (« si ce n’est toi, c’est donc frère »), il est dans la méconnaissance girardienne : sûr de son bon droit (sentiment d’avoir raison) donc de sa légitimité (innocence).
Celui qui opprime autrui en prétendant le sauver des griffes d’un prétendu « bourreau » est également dans la méconnaissance : il est même un superchampion de l’innocence puisqu’il « donne de lui-même » au (prétendu) profit de quelqu’un d’autre.
La communauté qui se referme sur son dogme, selon Janis, est elle aussi dans la méconnaissance : elle maintient son dogme, sa certitude d’avoir raison, quels que soient les démentis que lui oppose la réalité ; elle écarte, en un parfait sentiment d’innocence, ceux qui en son sein, contestent ce dogme, et combat en toute bonne conscience ses ennemis extérieurs.
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La bonne conscience et la certitude d’avoir raison désinhibent beaucoup de personnes vis-à-vis du recours à la violence. Pourquoi faudrait-il se résoudre à l’accepter ? Mais les combattre, c’est entrer dans la spirale des rivalités et user à son tour de violence ; et essayer de leur démontrer en quoi ils sont dans la méconnaissance, c’est inopérant puisque, dans une parfaite logique de doubles, ils rétorqueront que c’est nous qui nous y trouvons.
Il ne s’agit donc pas de disposer d’outils qui permettraient de dire, de l’extérieur, que tel est un « vrai » sauveur et tel autre un faux. Il s’agit au contraire que chacun puisse reconnaître en lui-même et par lui-même, et chaque groupe en son sein, sa part de méconnaissance, et donc de commission de la violence. Peut-être cela serait-il de nature à la diminuer. Ce à quoi les concepts que je mentionne me paraissent de possibles outils pour y aider.
Imaginons qu’à l’image de Bush (père), chaque se demande s’il n’est pas un peu responsable des violences qui se produisent ; imaginons qu’à chaque conflit personnel, chacun puisse se dire : « ne l’ai-je pas un peu cherché ? », etc.
S’il se répandait, de façon générale, des habitudes de réflexion à partir des concepts ou outils développés par Karpman, Janis et Girard, peut-être pourrions-nous ainsi espérer quelques progrès pour que chacun secoue un peu le joug de sa propre méconnaissance. Cependant, leurs noms mêmes, prêtant à malentendus, apparaissent comme des obstacles à ce qu’ils puissent jouer ce rôle.
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(1) Voici les liens :
https://emissaire.blog/2018/01/08/le-triangle-dramatique-victime-persecuteur-et-sauveur/
https://emissaire.blog/2019/10/05/proprietes-des-triangles-semblables/
https://emissaire.blog/2021/06/29/les-trois-masques-du-persecuteur/
https://emissaire.blog/2021/08/19/les-trois-masques-du-persecuteur-suite/
https://emissaire.blog/2021/11/25/les-trois-masques-du-persecuteur-fin/
(2) Question effleurée dans :
Luc-Laurent Salvador 18/09/2024 08:55
J’apprécie et je dirais même que j’adhère à l’orientation générale de l’article. Je rêve du moment où, l’époque ayant enfin atteint cette maturité, chacun aura compris l’inanité de l’accusation bienpensante de complotisme et il sera possible de discuter librement des faits, de tous les faits, sans se voir d’emblée diabolisé.
Car c’est cela qui se joue derrière le groupthink ou pensée groupale : la soumission à l’autorité du (représentant du) pouvoir dont les subordonnés n’osent contredire les avis de sorte qu’aucune correction n’est possible et seule reste l’option de défendre la perspective du chef — donc du groupe — par le dénigrement systématique et obtus de la perspective adverse. Attitude qui peut être conservée même après la disparition du chef dès lors qu’il s’agit d’un pouvoir plus spirituel que temporel.
Même si j’applaudis nombre de formules comme cette idée que « la victime pratique la vengeance, pas la justice », ce que je ne comprends pas du tout concernant le triangle de Karpman c’est la nature de la difficulté qu’il poserait en tant que triangle sous le rapport de relations duelles. Ce triangle est dramatique seulement parce qu’il vient questionner et éclairer l’attitude d’UNE personne qui se la joue « dramatique » dans ses transactions avec ses proches, c’est-à-dire, dans un rapport de force source de souffrance. Le fait qu’une personne se tienne dans le triangle ne permet aucunement de préjuger de l’attitude des protagonistes qui, sur un mode ou un autre, peuvent être rompus à l’exercice consistant à se tenir à l’écart dudit triangle, généralement via la posture « adulte » de l’Analyse Transactionnelle. Ils peuvent aussi, bien sûr, être mimétiquement entraînés dans leur triangle dramatique mais c’est bien le leur et il ne tient qu’à eux d’en sortir.
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Un livre récent « Théologie du sacrifice – La doctrine de saint Thomas d’Aquin et ses prolongements dans l’œuvre du P. Guérard des Lauriers » écrit par l’abbé Jean de Massia
Extrait de sa présentation chez Décitre « Car la foi chrétienne comporte aussi son sacrifice, celui de la croix, rendu présent sur les autels par l’eucharistie. Mais s’agit-il de la même chose ? Peut-on penser la religion chrétienne sur le schéma des religions païennes, avec ses rites, ses sacrifices, son sacré ? Pour répondre à ces questions, l’abbé Jean de Massia interroge aussi l’anthropologie de l’acte sacrificiel, et plusieurs pages consacrées évidemment à René GIRARD.
Le P. Guérard des Lauriers fait partie des évêques ordonnés à Toulon, le 7 mars 1981. par Mgr Pierre-Martin Ngo Dinh-Thuc pour « sauver le sacerdoce et les sacrements » (suite à Vatican 2, je précise).
Je recommande la lecture à tout « girardien » de la première partie sur l’anthropologie, en complément à cet excellent article de J.L. SALASC.
Le nom de Guérard des Lauriers garantit une pensée différente (certains « girardiens » peuvent être tentés, a priori, de considérer ce livre, comme une pensée de « l’adversaire »).
La critique de Jean de Massia sur la notion de bouc émissaire vient justement du flou (c’est mon avis) de sa définition. Ou, comme le dit J.L. SALASC, « il recouvre un spectre sémantique particulièrement copieux » et Jean de MASSIA n’en retient qu’un. Ce qu’il dit sur René GIRARD a une certaine pertinence, que les « girardiens » devraient (me semble-t-il) intégrer dans leurs réflexions, pour éviter « la pensée de groupe ».
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Merci Jean-Louis pour cette contribution bienvenue! Je découvre chez toi une invitation au discernement de facture quasi ignatienne, entre autres lorsque tu écris:
« Il ne s’agit donc pas de disposer d’outils qui permettraient de dire, de l’extérieur, que tel est un « vrai » sauveur et tel autre un faux. Il s’agit au contraire que chacun puisse reconnaître en lui-même et par lui-même, et chaque groupe en son sein, sa part de méconnaissance, et donc de commission de la violence. Peut-être cela serait-il de nature à la diminuer ».
J’irais un peu plus loin pour ma part: il n’est pas que méconnaissance, il est aussi inclinaison. Le mot « tentation » de Pascal Bruckner ( quoique n’ayant pas lu son ouvrage), contrairement à toi, me parait pertinent pour décrire nos mouvements intérieurs de revendication auto-victimaire ou d’assignation victimaire d’autrui. Ferments insidieux de violence dont nous sommes impuissants à nous débarrasser.
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Bonjour IVENNIN, je ne comprends pas votre dernière partie. Si vous trouvez pertinent le mot « tentation » pour décrire nos mouvements intérieurs de revendication auto-victimaire ou d’assignation victimaire d’autrui, cela signifie, me semble t’il, que ces mouvements intérieurs relèveraient de la nature de l’Homme.
Je pense, comme Girard (à mon avis) que ce sont des phénomènes culturels, possibles objets d’études anthropologiques. Pour cela, à mon avis, il faudrait, rejoignant ainsi l’article de Jean-Louis SALASC, se référer à la notion de bouc émissaire, en précisant la définition choisie, parmi les multiples sens du mot, ou (je privilégie ce choix) en clarifiant le vocabulaire (énoncé dans cette contribution très intéressante) de la théorie mimétique.
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Fxnic: je trouve vitre réponse à ivennin quelque peu injuste: pourquoi nos « mouvements intérieurs » s’ils relèvent de « la nature de l’homme » ne seraient -ils pas aussi des « phénomènes culturels »? Si la nature humaine est précisément liée à notre hyper-mimétisme, pourquoi des phénomène liés – si je vous ai bien compris – aux relations interindividuelles qui façonnent la culture, ne pourraient-il pas être intériorisés? Je revient encore à cette citation de René Thom: « Une difficulté essentielle des sciences humaines est d’ordonner l’individu par rapport à la société. Dans une certaine mesure, le moi lui-même est une structure sociale, en sorte qu’il est difficile de séparer la science de l’individu des sciences sociales » Où la limite entre l’intériorité (le moi) et l’extériorité est mise en question. Ce qui est encore poursuivi en psychanalyse au sujet de l’inconscient, qui ne ressemble désormais plus du tout à la fameuse « boite noire » freudienne, cachée dans un repli de notre cerveau : « L’inconscient est homéomorphe au transfert. » (Nasio). Enfin, si l’on revient au texte évangélique, on trouvera une intériorisation évidente de la « tentation satanique » dans l’épisode relaté par les synoptiques. Satan est à la fois extérieur (l’accusateur public) et intérieur (le tentateur).
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Benoit HAMOT, j’ai écrit « je ne comprends pas », ce n’était pas un jugement.
Dans le sens où vous l’interprétez, je vous rejoins. Le danger, en la matière, est celui où, me semble-t-il, le christianisme est tombé, c’est la sacralisation de la nature humaine, avec son corollaire : Le droit naturel…
Cela a produit de magnifiques développements (Saint Thomas d’Aquin…), certes, mais aussi conduit à une pensée, incapable d’appréhender une anthropologie
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Fxnic: Je vous rejoins, à mon tour, dans cette critique de la modernité qui a contaminé le christianisme, et je pense qu’au-delà de cette « nature humaine », qui débouche sur un « droit naturel », il faut aller plus loin et suivre Simone Weil. Elle vise la « personne humaine » et « les droits de la personne », car :
« La personne est en fait toujours soumise à la collectivité, jusque et y compris dans ce qu’on nomme son épanouissement » (p.22)
« En ajoutant au mot de droit celui de personne, ce qui implique le droit de la personne à ce qu’on nomme l’épanouissement, on ferait un mal encore bien plus grave. Le cri des opprimés descendrait plus bas encore que le ton de la revendication, il prendrait celui de l’envie. » (p.38)
Je n’en dirai pas plus : il faut lire ce petit livre éblouissant : « La personne et le sacré », éd. Allia. L’article de JL Salasc m’a donné envie de le prolonger avec le mot « sacré » en montrant à quel point Weil est proche de Girard, mais tout en accordant un sens très positif à « sacré », qui a été si souvent source de malentendus, notamment lorsque la TM l’associe directement au sacrifice fondateur.
« « Il y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas sa personne. Ce n’est pas non plus la personne humaine. C’est lui, cet homme, tout simplement. »
Évidemment, ce n’est pas si simple…
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A la décharge de Janis, Karpman et Girard, je dois avouer qu’il m’est difficile de trouver des mots ou locutions existants ou même des néologismes qui seraient dépourvus d’ambiguïté sur ce qu’ils signifient pour renommer leurs concepts. Personnellement, je n’ai rien trouvé de convaincant à vous suggérer malgré une (trop) courte réflexion suscitée par ton billet stimulant. Je suis preneur des idées des autres commentateurs à ce sujet !
Pour l’instant, j’ai pensé au « consensus paresseux » pour la pensée de groupe, le « se victimiser » pour l’adoption du rôle de victime, le « tutélaire » pour qui endosse le rôle de sauveur. Quant au bouc émissaire… « l’exclu réconciliateur » ou « l’exclusion réconciliatrice » si l’on entend parler du processus.
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Bonjour Jean-Marc BOURDIN, Je ne vous répondrais pas, dans cet article, à votre proposition de changement de dénomination du mot bouc émissaire. Chez René GIRARD, la notion d’ambivalence est importante et il faut garder cette ambivalence dans la théorie. Mais pour le mot bouc émissaire, je perçois une ambiguïté et non une ambivalence. Plutôt que de remplacer cette notion, je préfèrerai la définir pour éliminer toute ambiguïté. Je le ferai, dans un commentaire de l’article suivant.
Je souscris à la remarque de Luc-Laurent SALVADOR, et de plus, je souligne l’importance du chiffre 3 dans la civilisation occidentale (et chrétienne= trinité). Il y a, aussi, le triangle mimétique, et ce que je propose d’appeler le triangle infernal chez Jean-Paul SARTRE, dans « Huis clos », ainsi que la surinterprétation (comme l’a souligné Hervé VAN BAREN) du nombre (3) des anges, apparus à Abraham. Pour ces raisons, il faut conserver le terme triangle, qui garde son ambivalence (bienveillante/dramatique)
Quant à la pensée de groupe, vous avez trouvé une expression, que vous n’avez pas trouvé convaincant. N’ayant rien trouvé, qui suis-je pour proposer un changement d’appellation d’un terme si connu
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Attention au jugement sur le triangle de Karpman. Selon le statut qu’il leur donne, les trois rôles sont différenciés par une majuscule ou pas.
Karpman ne confond pas la victime réelle et la victime émissaire, puisque à cette dernière, il attribue 1V majuscule.
Idem pour les autres rôles
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Merci Jean-Louis pour ces explications lumineuses : j’ai enfin compris le sens du « triangle de Karpman »! Je suis sans doute très lent d’esprit, à moins que je ne sois resté bloqué sur une fausse piste à cause de ce maudit triangle: un de ceux, de couleur fluo, que l’on place en bord de route pour signaler un problème.
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merci pour ce passionnant article Jean-Louis
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Le sauveur arrive un peu trop tard car il n’a pas empêché la victime d’être victime, il peut ainsi être soupçonné de chercher une rétribution.
La victime n’a pas su anticiper un risque ni se défendre elle-même, elle aura aussi besoin d’un avocat.
Le bourreau exerce son métier, celui d’infliger une peine, une punition.
Il n’y a aucun des 3 termes qui soit plus flatteurs que les autres.
Une interaction de type triangle de Karpman s’exerce, il me semble toujours entre 3 pôles, même si un des pôles peut être très peu incarné, voire pas par une seule personne. cf. René Girard sur le modèle qui guide Don Quichotte par opposition au modèle des oeuvres de Dostoïevski.
Il est enfin très manifeste que les triangles à 3 personnes ou trois groupes de personnes sont légions, avec confusion, voire fusion des rôles, de façon indifférenciée.
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Camus n a jamais écrit cette phrase ! ( on ne prête qu aux riches)
Elle est bien attestée chez le philosophe bien oublié Brice Parain en revanche…
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