Qui parle de guerre ?

(détail d’une toile de Berna figurant le Paraclet)

par Benoît Hamot

Il est frappant de constater les stratégies qui se déploient de part et d’autre pour éviter, ou pour interdire, l’emploi du mot « guerre ». C’est une « opération militaire spéciale » côté Vladimir Poutine. Du côté américain et européen, on évoque au mieux un « retour de la guerre froide », mais envisager une troisième guerre mondiale, dans laquelle nous serions irrésistiblement entraînés, cela répugne à notre imagination, en dépit – ou en raison même ?– des intentions belliqueuses et de la menace nucléaire ouvertement brandie côté russe. Il est vrai que « la bombe » n’existe que pour garantir la paix : on nous l’a assuré depuis assez longtemps…

En revanche, lorsqu’Emmanuel Macron déclarait solennellement : « Nous sommes en guerre » (contre un virus) ou que François Hollande désignait publiquement « l’ennemi » ou « mon véritable adversaire » (le monde de la finance), nos chefs des armées pouvaient d’autant plus facilement lâcher ce mot terrible qu’il était sans objet, et donc sans risques. Situation cocasse, mais que peut-on en déduire ?

Le mot « guerre » est employé pour galvaniser les peuples, leur donner une direction commune ; celle de l’ennemi. Or dans la situation en cours en Ukraine, ce n’est pas le but des gouvernants précités. Les Ukrainiens sont les seuls à employer ce mot dans son sens véritable : ils le font par simple nécessité de survie. La mobilisation générale est proclamée, et l’adversaire est clairement identifié sur leurs terres.

Du côté russe, l’objectif de la mafia au pouvoir, c’est avant tout de désorganiser l’Europe, les Etats-Unis et leurs alliés ; ceux que par facilité de langage on appelle « les occidentaux », bien que le Japon, par exemple, ne soit pas précisément occidental. L’ennemi n’est pas l’Occident, mais la démocratie. Le but est de provoquer partout la prise de pouvoir de groupes mafieux, comparables au pouvoir russe : ces partis d’extrême droite avec lequel elle partage des intérêts et des valeurs communes. Trump, Le Pen… sont ouvertement soutenus par Poutine. Il en est de même d’Al-Assad, Touadéra, Goïta… têtes de pont d’une ambition désormais mondiale.

Les récentes élections, où le thème surréaliste du « pouvoir d’achat » a largement dominé et où le thème de la guerre en cours a été soigneusement évité, témoignent de notre aptitude à refuser de voir. « Si les citoyens continuent à se renfermer de plus en plus étroitement dans le cercle des petits intérêts domestiques, et à s’y agiter sans repos… » Il faut encore rappeler ces craintes exprimées par Tocqueville, et ne pas hésiter à les confirmer : oui, la mondialisation des échanges dans laquelle nous nous sommes naïvement engagés a constitué un piège redoutable. Il est en train de se refermer sur nous. Nous sommes pris comme ces singes qui ne veulent pas lâcher la banane contenue dans la boîte (piège bien connu).

On se rassure à trop bon compte en constatant l’état lamentable de l’armée russe et la résistance acharnée des Ukrainiens. La dissymétrie n’est pas seulement affaire de moyens ou de motivation. Elle est avant tout morale : comme tout pouvoir mafieux, et celui qui règne en Russie, peu importent les pertes humaines, qu’elles soient infligées à l’ennemi ou subies par le peuple russe. Au contraire ; la mort agit comme un carburant nécessaire : les lecteurs de Girard sauront compléter d’eux-mêmes cette démonstration.

Dans ce contexte monstrueux, et malgré leur proximité avec leur grand voisin, les services secrets ukrainiens ne croyaient pas à l’imminence de l’invasion. Ce qui semblait par trop irraisonné ne l’est pourtant pas, à condition seulement d’adopter la logique du pire. Elle est effectivement difficile à concevoir. L’effet combiné produit par les sanctions occidentales et la fermeture des ports ukrainiens est considéré comme un avantage par le pouvoir mafieux. Les famines en Afrique, les pertes de « pouvoir d’achat » russes et européennes sont d’autant plus profitables qu’elles peuvent être attribuées aux décisions occidentales. La désorganisation des circuits économiques habituels profite toujours aux organisations mafieuses. Déjà, des livraisons de céréales volées aux ukrainiens ont été effectuées par la Russie, se posant en sauveur des affamés.

Nous savons néanmoins que « Satan est le principe de tout royaume » (Girard, Le Bouc émissaire, p.263) et qu’il a déjà perdu. La Passion est à l’origine d’une refondation du monde sur de nouvelles bases. Cet optimisme chrétien, qui s’exprime notamment dans l’Apocalypse de Jean, n’a rien à voir avec le paradis consumériste, objet des promesses électorales de nos divers candidats, car il implique le sacrifice de soi en remplacement du sacrifice de l’autre. Sacrifice consenti par tant de combattants ukrainiens et de citoyens russes emprisonnés pour avoir osé dire le réel de la guerre, mais aussi d’émigrants africains, afghans… bravant la méditerranée pour assurer un avenir à leurs familles. Et bientôt, n’en doutons pas, de sacrifices, grands ou modestes, que nous aurons tous à consentir pour résister à la puissance de destruction qui s’est réveillée.

Car « l’antique serpent » jeté dans l’Abime « afin qu’il cesse de fourvoyer les nations » a été « relâché pour un peu de temps » : à l’issue « des mille années » qui nous séparent de la destruction du temple de Jérusalem (Ap. 20). Notre capacité de résistance et notre disponibilité à nous sacrifier seront également convoquées. Nous ne pouvons pas compter sur le grand retour d’un dieu sauveur, apte à contrer l’ennemi sur son terrain pour nous protéger. Jésus n’est plus parmi nous, endormi dans la barque en proie aux éléments déchainés, prêt à se réveiller pour les faire taire (Mc 4). « Mais parce que je vous ai dit cela, la tristesse remplit vos cœurs. Cependant je vous dis la vérité : c’est votre intérêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16)

Auteur : blogemissaire

Le Blog émissaire est le blog de l'Association Recherches Mimétiques www.rene-girard.fr

18 réflexions sur « Qui parle de guerre ? »

  1. La particularité de l’espèce humaine, unique entre toutes, celle qui nous constitue en tant qu’espèce, c’est le sacrifice. Bien sûr il y a d’autres façons de vivre : l’immense diversité des espèces animales et végétales offre un large panel de possibilités. Vous avez donc le choix si vous recherchez un monde idéal, un paradis perdu, ou une dystopie… (Sade ne s’y était pas trompé en érigeant la nature au rang de modèle…)

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    1. 15 Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ; vers toi, reviendront les égarés.

      16 Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur, et ma langue acclamera ta justice.

      17 Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.

      18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste.

      19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.

      20 Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem.

      21 Alors tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ; alors on offrira des taureaux sur ton autel.

      https://www.aelf.org/bible/Ps/50

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    2. Sade comme modèle, maintenant, c’est amusant.
      Et la censure du psaume 50, pour mieux ne pas se libérer de son accoutumance au sacrifice.

      18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste.

      19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.

      https://www.aelf.org/bible/Ps/50

      Va-t-on alors censurer la parole ineffable, pour mieux ne pas se libérer du sang versé ?

      11Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. 12Personne n’a jamais vu Dieu; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous. 13Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit. 14Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.

      https://saintebible.com/lsg/1_john/4.htm

      On a le droit, bien entendu, de continuer à croire au sacrifice.

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  2. Aliocha,
    Vous m’avez mal compris : Sade est bien entendu un contre-modèle. C’est parce qu’il veut se libérer du religieux, qui inclut nécessairement le sacrifice, que Sade cherche des modèles extérieurs à la culture (ou à l’humanité si vous préférez), et il les trouve dans la nature, dans certaines structures de domination, animales, qu’il justifie clairement. Votre argumentation, ou plutôt les textes que vous citez sont contradictoires. Le sacrifice rituel, pratiqué dans le temple de Jérusalem à une échelle industrielle (le lieu ressemblait plus à un abattoir qu’à une église…) est rejeté, mais le sacrifice du Christ est exemplaire : il n’y a pas moyen de sortir du sacrifice. Il s’agit d’un fait, d’une réalité, pas d’une option choisie : « croire au sacrifice » dites-vous, mais il ne s’agit pas de cela, que vous y croyiez ou non, le sacrifice définit notre humanité… Il y a d’un côté le sacrifice d’un bouc émissaire, et de l’autre son inversion, comme dans un miroir. C’est toujours un sacrifice, mais on est à la place de la victime (le point central), alors que précédemment, on était dans le cercle (des lyncheurs). Avant, on était tous rassemblés dans la violence (sauf un), désormais, on est tous victimes des autres (« je suis seul et ils sont tous », se plaint l’homme du souterrain)… il me semble que cette idée a été assez largement développée par Girard et par ses proches pour que je n’aie pas à la développer ici.

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    1. J’ai malheureusement peur de trop bien comprendre notre incapacité à nous désaccoutumer du sacrifice, sans lequel toute paix n’est que guerre déguisée et prépare la fin de l’humanité, si nous n’y renonçons pas par le lâcher-prise du pardon qui permettrait de passer du mensonge romantique du je suis seul et ils sont tous, où chacun se pense victime donc dieu, à la vérité romanesque de la conversion religieuse où chacun se reconnait persécuteur, peut donc alors rejoindre la nouvelle forme de relation proposée qu’est l’amour du prochain, définissant une nouvelle conception de l’humain.
      L’espoir alors est immense et passe par la libre prise de conscience individuelle du phénomène, fondement démocratique où la force de la communauté est définie par le soin et l’éducation accordés à chacun, notamment aux plus faibles.

      « …
      sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,
      … »
      Préambule de la Constitution suisse

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  3. Comment en lisant vos textes et commentaires sur le sacrifice ne pas penser aux abeilles qui se sacrifient pour assurer la survie , la stabilité et pourquoi pas l’harmonie de leur communauté qui dure depuis de dizaines de millions d’années.

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    1. Quand l’abeille, dotée d’un cerveau, nomme et se représente les choses, elle accède à ce moment de l’évolution qu’on pourrait appeler humanité, où l’ouvrière éprise de justice se rêve reine et comprend de quelle oppression son sacrifice est la condition, dévoilant que l’humain n’est pas une abeille et a la capacité d’imaginer un autre mode de fonctionnement, rendant l’ancien caduque et sans effet.
      Chance ou malédiction, l’humain est placé à ce point temporel où il a le choix de répéter les désastres totalitaires du XXème siècle siècle, quand les abeilles sacrifiées se pensèrent reine à désigner des sacrifiables avec les résultats qu’on connait, ou bien alors d’imaginer pouvoir se passer du sacrifice et d’inventer un monde de justice.
      En résumé, et la formule de celui à qui ce site est dédié synthétise bien tout cela, le Christ nous a ôté toutes protections sacrificielles et placés devant ce choix terrible, croire, ou ne plus croire en la violence.
      Le christianisme, c’est l’incroyance.

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      1. Non, les abeilles ne se sacrifient pas, pas plus que les autres espèces animales, car, bien entendu, la reine des abeilles ne « désigne » personne… Le sacrifice est une particularité humaine qui lui permet d’accéder au langage, à la conscience de la mort… Girard est très clair sur ce point. Le malentendu est donc radical.

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  4. Serez-vous entendu, Benoît, quand vous prophétisez les « sacrifices, grands ou modestes, que nous aurons tous à consentir pour résister à la puissance de destruction qui s’est réveillée » ? Notre déni de la crise et de ses inévitables conséquences semble indiquer le contraire. Alors, par ce déni, nous nous mettons nous aussi en danger de choisir la solution sacrificielle, devenue monstrueuse et suicidaire. Avant de dénoncer le mal chez nos voisins russes et autres, nous ferions bien de nous souvenir qu’il a toujours été là, au milieu de nous, seulement enfermé pour un temps, et qu’il attend son heure. Merci pour cet article prophétique.

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    1. Hervé, il me semble que le déni du réel, ou autrement dit, de « ces choses cachées » concernant la violence spécifiquement humaine (sacrificielle) est une constante « depuis la fondation du monde », et que par conséquent nous le partageons tous, russes ou non russes. Ce déni fournit le véritable terreau nourricier de ce mal que vous évoquez. C’est pour révéler ce déni que les prophètes juifs et Jésus agissent : pour « témoigner de la vérité ».
      Autrement dit, mon article visait à établir une symétrie entre les réactions de déni des démocraties d’un côté, et celles des systèmes totalitaires de l’autre, sans pour autant les confondre. Je précisais aussi que seuls ceux qui sont directement victimes de la situation – les Ukrainiens sous les bombes, qui voient leur environnement impitoyablement détruit – ne peuvent rester dans le déni, quand cette attitude générale fut encore la leur juste avant l’invasion, malgré ce que l’on peut considérer a posteriori comme une évidence.
      Si l’on rapporte cette situation complexe à la simplicité de la scène de « la femme adultère », en invitant ceux qui font partie du cercle des lyncheurs à se placer mentalement au centre, en position d’accusé et de victime (« que celui qui n’a jamais pêché…»), Jésus dissout en quelque sorte la carapace de déni qui assurait la position de ses interlocuteurs, ou encore : il fit tomber « les écailles » qui recouvraient leurs yeux.
      Au fur et à mesure de l’avancée de la violence et de ses conséquences, auxquelles nous ne pourrons échapper, notre attitude générale de déni sera plus difficile à tenir, et nous aurons à prendre position : soit avec le cercle des lyncheurs, soit au centre du cercle. Mais ces positions respectives seront également de plus en plus difficiles à différencier : ainsi les victimes (ukrainiennes) ont-elles de plus en plus tendance à détester le cercle russe de leurs agresseurs –on le comprend aisément – et le risque d’assister à un retournement de situation existe bien, alimentant le fond de paranoïa sur lequel prospère l’idéologie de Poutine: c’est le cercle vicieux de la violence. Mais on sait bien qui l’a enclenchée.
      Contrairement à la position mystico-idéaliste ou moralo-rationnelle à la John Rawls adoptée par certains (vantant la constitution helvétique…), on n’échappe jamais à la violence de ce face-à-face, et ce n’est pas une question de choix personnel : « Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! … ». C’est pour cette raison que nous aurons, collectivement et individuellement, à prendre position.
      La position chrétienne, c’est, au minimum, de ne pas rester dans le déni, et d’en accepter les conséquences. C’est pour cette raison que j’ai le plus grand respect pour les nombreux Russes qui ont osé dire la réalité de la guerre, et qui sont maintenant emprisonnés. Je suis loin d’être sûr d’être capable d’en faire autant, moi qui suis tellement habitué au confort offert par les démocraties libérales…

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      1. Les trois points allusifs ne savent pas dissimuler le mépris, les castes ne sont donc pas abolies, même chez Girard, et le mythe oppressif a la peau dure, mais qu’importe les à priori sur l’Helvétie, qu’importe la Constitution et son préambule, chef-d’œuvre de définition de la démocratie, car il n’est plus besoin de gouter à la coupe, le Rabbi l’a fait, et ceux qui sont encore à imaginer devoir refaire le geste, non seulement se trompent, mais se mettent en rivalité avec l’ineffable et son image si fascinante.
        Cela ne signifie pas que le martyr n’attend pas ceux qui témoignent, mais il est vidé de tout son sens sacré, et permet d’en éviter les pièges vengeurs et reproducteurs de pire, pour accéder à la toute puissance du pardon, au sens où, pour la victime placée au centre si elle ne cède pas au mouvement réciproque, existe la latitude de témoigner, instant rare et précieux, de la complétude du phénomène, de savoir ne pas répondre à la violence par la violence, cette vague si profonde du Christ en nous ressuscité et qui, pas à pas, établit lentement la venue du royaume de justice
        Les textes de la Constitution américaine et Suisse de 1848, qui en est le double, savent formuler en leurs préambule le fondement évangélique, mais les institutions, églises y compris, l’ensevelissent pour recommencer l’établissement d’un ordre oppresseur et dominant, d’autant plus voué à l’échec qu’il voudrait se fonder sur ce qui le dénonce.
        On ne peut donc pas utiliser Girard ni Jésus à des fins hégémoniques, on ne peut que consentir librement à se reconnaitre persécuteur, surtout si par malheur on est une victime, accédant librement à l’imitation de l’invitation suprême du projet de l’Amour du prochain :
        « Sachant qu’est libre celui qui use de sa liberté, et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. »
        Il n’y a là ni mystique, ni idéalisme, encore moins morale, mais renseignement sur notre réalité de persécuteur qui permet d’engager le choix raisonnable de la foi, fondamentalement démocratique car il dépend du mouvement intime de chacun à accéder aux tentes blanche du rite marial chez Ibn’Arabi, là où les montures violentes font halte, et ont l’occasion de contempler l’éclat du divin au sourire de l’aimée.

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      2. Aliocha, non seulement il n’est pas question ici de « castes » cherchant à s’exclure mutuellement, mais vous êtes très proche de la pensée de René Girard, qui nous réunit tous ici : dans « Des choses cachées… » il inaugurait une « lecture non sacrificielle du texte évangélique ». De plus, Jean-Pierre Dupuy promouvait, dans « Libéralisme et justice sociale » (1997), la pensée de Rawls dans sa « Théorie de la justice », une œuvre philosophique qui constitue en quelque sorte un manuel pratique pour appliquer les constitutions que vous admirez tant.
        Néanmoins, ces deux auteurs se sont par la suite détournés radicalement de ces points de vue optimistes – si l’on veut le considérer ainsi – et ils s’en sont précisément expliqués, Dupuy dans un petit livre que je vous conseille : « Avions-nous oublié le mal ? » paru en 2002 ou il considère clairement, après Foucault, que la « Théorie de la justice » est une fumisterie.
        Pour ma part, j’ai développé l’hypothèse de Laum à l’aide de la théorie mimétique, qui consiste à considérer la monnaie comme le substitut ultime d’une victime humaine primordiale, à l’origine du religieux. Je suis donc tout à fait en accord avec Girard et Dupuy, suite à leur changement de point de vue. Vous me trouverez sans doute bien cruel si je vous fais remarquer que les coffres suisses si renommés sont, selon ce point de vue, remplis de tels substituts sacrés. On n’échappe pas au sacrifice, y compris dans une économie libérale. Et même, en enfonçant le clou, convenez que cette masse monétaire considérable, que la constitution, Calvin et la Croix-Rouge ne parviennent toujours pas à laver, provient massivement des poches de la mafia. Mais je sais qu’il existe désormais des endroits plus surs pour cacher cet argent de la honte, et la Suisse a déjà trouvé la parade avec l’art contemporain (voir: Grain de sel, de Christine Sourgins, du 14/6/22).
        https://www.sourgins.fr/lart-au-capitalocene/
        S’il vous plait, ne le prenez pas mal, vous n’êtes aucunement en cause ici, ni aucun citoyen helvétique. Et la Suisse est un très beau pays. La seule chose vraiment gênante, en Suisse comme en Russie ou partout dans le monde, c’est le déni.

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  5. Il n’y a aucun malentendu, si l’humain en reste au sacrifice et à la croyance en son architecture violente et mensongère, il disparaitra.
    Si, par contre, il voit le processus d’hominisation comme une évolution vers l’émancipation des oppressions du sacrifice, est ouverte la voie glorieuse de la foi qui, pas à pas éclaire des lumières de la raison ce chemin sans chemin.
    Raison et foi sont chez Ibn’Arabi les deux intimes de cette révolution :

    Amoureuse salutation.

    Ô mes deux intimes, détournez votre chemin
    En passant par la dune !
    Chevauchez votre monture jusqu’à la halte de La’la
    Et aspirez aux eaux de Yalamlam.

    Près d’elle, ceux que tu as connus ;
    Et ceux à qui appartiennent
    Mon jeûne, mon pèlerinage, ma visite
    Et ma fête solennelle aux lieux saints.

    Que jamais je n’oublie le jour où, à Minâ,
    Les cailloux sont lancés, ni les choses d’importance,
    Près du suprême autel sacrificiel,
    Ni près de la source de Zamzam.

    Là où ils lancent les pierres
    Demeure mon cœur, lancé contre les stèles,
    Mon âme, là ou ils sacrifient
    Mon sang, là ou ils s’abreuvent.

    Ô chantre conducteur de chameaux !
    Si tu viens à Hâjir,
    Arrête un moment les montures
    Et transmets le salut !

    Adresse aux tentes pourpres,
    Aux abords de l’enceinte sacrée,
    La salutation de l’amant
    Qui soupire vers vous, esclave du désir.

    S’ils adressent le salut
    Rends-le avec le zéphyr oriental.
    Et s’ils se taisent,
    Bâte les montures et avance

    Jusqu’au fleuve de Jésus
    Là où leurs montures font halte,
    Et là où les tentes blanches,
    Prés de l’embouchure, sont plantées.

    Invoque Da’d,
    Ar-Rabâb, Zaynab,
    Hind, Salmâ et lubnâ
    Et fredonne telle une source !

    Demande-leur : al-Halba est-elle la demeure
    De cette jeune fille au corps souple ?
    Elle qui te laisse voir l’éclat du soleil
    Au moment même où elle sourit.

    Ibn’Arabi, L’interprète des désirs.

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  6. Mais je m’en tape, des coffres suisses, Benoit, ce qui est intéressant c’est la formulation du préambule et la force mesurée par le soin aux plus faibles.
    La révélation est accomplie, comme dirait Alison, c’est fait, il n’y a plus rien à faire, le choix raisonnable de la foi est de le reconnaître.

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    1. Vous êtes un optimiste, de ceux qui croient aux bonnes intentions, pavés que vous copiez-collez sur ce blogue (mais j’ai été vraiment impressionné par le texte de Proust sur l’effet coalescent de la guerre, et vous en remercie). Je vous ai déjà répondu assez précisément, aussi je pense qu’il vaut mieux en rester là.

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