COVID-19 : Une épidémie de confinements

par Jean-Marc Bourdin

A vrai dire, nul ne sait dire à ce jour (21 mars 2020) quelle aurait été la meilleure politique publique pour maîtriser l’épidémie du COVID-19 : des évaluations ultérieures le diront probablement. Les cartographies des risques redécouvriront des territoires un temps explorés à la suite de la grande peur du H1N1 puis délaissés au point que les stocks de masques FFP2 ne furent pas renouvelés en France à leur date de péremption ; face à cet effet calamiteux du « flux tendu », par ailleurs si cher aux logisticiens d’entreprise qui sont aujourd’hui les rois de la « création de valeur », dans le domaine de la santé publique, des stocks seront reconstitués. De même, les crédits publics de la recherche seront un temps redéployés, voire même nous dit-t-on, augmentés ; mais cette promesse sera-t-elle tenable quand la production et la consommation se trouveront durablement effondrées et, avec elles, les bases de l’impôt, source de financement de ces recherches, dans un contexte où bien d’autres dépenses publiques comme celles destinées à la rémunération des personnels soignants et éducatifs (la masse principale des charges du budget de l’État et de l’Assurance Maladie en France) devront être, légitimement, revues à la hausse.

Mais nous constatons néanmoins déjà un premier effet : à savoir un conformisme multilatéral à une époque où les identités nationales magnifiées par tant de pouvoirs en place et d’oppositions virulentes prônent en matière de relations internationales l’unilatéralisme et le bilatéralisme. Parmi les nombreux paradoxes de la crise, la volonté d’agir pour soi conduit à agir comme la plupart des autres États. À l’instar d’un effet de mode.

Dans un premier temps, comme le plus souvent, il a semblé que l’ennemi désigné était l’étranger ou le voyageur international contaminant : fermeture des frontières et rapatriements des nationaux partis à l’étranger s’en sont suivis. Mais très rapidement et tout en restant omniprésente dans les discours et les mesures politiques, cette exclusion est devenue anecdotique du fait de son manque de pertinence manifeste. Restait donc à s’attaquer au problème sur le territoire national. Une deuxième voie était le confinement des malades le temps de la guérison. Mais cela n’a pas semblé suffire à partir du moment où les porteurs asymptomatiques susceptibles de diffuser le virus à leur insu et du fait de leur ignorance sont apparus comme particulièrement nombreux, peut-être même majoritaires. Il a donc fallu étendre les mesures de confinement à tout un chacun ou presque, excluant de la population jugée indispensable à la continuité de la société la plupart de ses membres. Dans un nouveau paradoxe, il nous a été dit : pour être solidaires, soyez solitaires. La plupart d’entre nous se trouve donc exclue de la majorité des rapports qu’elle entretient avec les autres humains, faute d’avoir le droit de les côtoyer : nous sommes tous des lépreux ou des pestiférés qui s’ignorent et donc tous invités à rester dans notre lazaret, mais un lieu d’isolement limité en l’espèce à la cellule familiale dont les membres sont, eux, condamnés à se côtoyer davantage qu’à l’habitude. Voilà qui est peu commun dans une époque où l’interaction avec un maximum de nos contemporains est plutôt valorisée et la cellule familiale à tendance centrifuge. Quant à la perspective historique, elle était restée jusqu’alors conforme à l’enseignement de Caïphe dans l’Evangile de Jean préférant le sacrifice d’un seul, extensible à celui d’une minorité, pour que le reste continue à vivre. Pour que le reste continue à vivre, il faudrait maintenant que tous sacrifient tout ou partie de leur être social, bref que les liens sociaux se raréfient et se distendent.

Hormis les pays où le système de santé est inadapté à des politiques volontaristes, la majeure partie des gouvernants, en général largement soutenus par leur peuple, ont fait le choix du confinement généralisé et, par voie de conséquence, de l’effondrement de l’économie ainsi que d’une mise entre parenthèses inédite des libertés publiques dans des États de droit reposant sur une idéologie libérale. Il est tout de même étonnant que si peu résistent un temps (on ignore si les Pays-Bas cultiveront encore longtemps leur singularité) et que tant résistent si peu (jusqu’au Royaume-Uni dont le splendide isolement a fini par se déliter). Mieux, le modèle chinois, si cher aux Maoïstes des années 1970 devient, à la suite d’un retournement troublant de l’Histoire, l’inspiration des politiques privilégiées par les démocraties libérales. Comme s’il n’était pas possible de faire moins que ses voisins face à une opinion publique plus que jamais adepte de la servitude volontaire.

Dans cette affaire, le choix quasi-unanime des autorités est au demeurant motivé par la peur de voir le système de santé craquer après l’avoir affaibli par souci de limitation de la hausse continue de ses coûts. Bref, nos États qui ne juraient que par la croissance, le laisser faire et le laisser passer sur le plan économique pour satisfaire un maximum d’attentes du corps électoral, abjurent leur foi dans ces mécanismes présumés autorégulateurs pour leur substituer des mesures qui conduisent à l’exact inverse. Ils feignent d’ignorer que les politiques publiques annoncées demanderont des financements que les choix politiques actuels tarissent pour de nombreuses années. À tel point qu’une nouvelle injonction contradictoire s’énonce : restez chez vous mais allez au travail. Or, il ne faut pas se raconter d’histoires, le télétravail ne fonctionne qu’imparfaitement et pour une part minoritaire des activités. L’équivalent du télétravail dans le domaine de la consommation, à savoir l’achat en ligne, oblige au demeurant les livreurs à travailler sur site. Bref, le télétravail ne garde pas encore les bébés, ne ramasse toujours pas les ordures, a du mal à maintenir l’ordre, peine à construire des automobiles et des avions, échoue à effectuer des travaux de bâtiment ou sur l’espace public, etc., même si dans chacun de ces domaines, il peut intervenir à la marge.

Nous voilà donc voués à renier (provisoirement ?) tout ce que nous avions adoré. Que la contagion des mesures suive celle du virus avec aussi peu de voix durablement discordantes pose la question de la part de choix qui demeure dans nos politiques : chaque État fait comme tous les autres ou presque : la mimésis gagne les États comme jamais. Autrefois la montée aux extrêmes clausewitzienne mettait en relation deux ou quelques États, transposant la rivalité mimétique interpersonnelle au niveau des États. Désormais, l’assemblée des États adopte la forme de la foule, avec la Chine pour leader, mais elle peine à trouver à lyncher un État coupable dont la disparition ferait disparaître comme par miracle la cause supposée et les effets avérés : le mécanisme du bouc émissaire ne marche plus guère au niveau interdividuel, nous le savons, il ne marche pas (encore ?) au niveau multinational. Malgré l’origine du foyer de la contagion en son sein, la tentative d’accuser la Chine a fait long feu, d’autant que celle-ci a fait montre d’une certaine efficacité dans sa lutte contre la propagation du virus.

Enfin l’option choisie par nos gouvernants et financiers internationaux (le « quoi qu’il en coûte ») hypothèque les possibilités de rebond. Le discours selon lequel rien ne sera plus comme avant relève moins du registre de la volonté de tirer des conséquences radicales de l’événement que de la fatalité engendrée par un modèle qui a touché ses limites. Si nous faisons, dans ce cadre et / ou pour limiter la dégradation rapide de l’environnement, le choix, plus ou moins contraints et forcés, de la décroissance par contagion mimétique entre économies, il faudra néanmoins accepter simultanément que nous n’aurons pas les moyens de poursuivre le projet qui semblait jusqu’alors faire consensus de soigner tout le monde, tout le temps, quoi qu’il en coûte.

8 réflexions sur « COVID-19 : Une épidémie de confinements »

  1. Vous écrivez: « Dans un premier temps, comme le plus souvent, il a semblé que l’ennemi désigné était l’étranger ou le voyageur international contaminant : fermeture des frontières et rapatriements des nationaux partis à l’étranger s’en sont suivis. Mais très rapidement et tout en restant omniprésente dans les discours et les mesures politiques, cette exclusion est devenue anecdotique du fait de son manque de pertinence manifeste. »

    Votre approche est encore une fois une parfaite illustration du dévoiement de la théorie du bouc émissaire. (J’ai vu sur ce site il y a quelques mois un article dans laquelle les pharisiens passaient pour boucs émissaires.) Je pense que je vais complétement arrêter de consulter votre site. Je vous écris se message uniquement par charité fraternelle.

    « L’étranger ou le voyageur international contaminant » n’a pas été désigné en tant qu’ennemi en France et en Europe. Le bon sens de base, les règles de hygiène imposent que si dans un pays il y a une épidémie (la Chine), les gens qui vont arriver de ce pays dans votre pays doivent être vérifiés avant de les laisser entrer. Insinuer que ces règles « désignent l’ennemie », donc des boucs émissaires, c’est du malhonnêteté intellectuelle et c’est cracher sur le travail de René Girard, qui d’ailleurs a bien vu tout les détournements possibles des résultats de ses travaux, notamment dans le concours actuel de victimisation.

    Concernant « le manque de pertinence manifeste »: le coronavirus a bien commencé en Chine et bien arrivé de Chine. L’épidémie a été bien lancé par des gens qui sont arrivé de Chine en Europe ou qui ont rencontré des gens qui ont voyagé en Chine. Ce sont des choses objectives. En France ces porteurs de virus n’ont pas été stigmatisés et le gouvernement n’a pas voulu fermer les frontières. Ils ne sont toujours pas fermés d’ailleurs que de l’extérieur, par les voisins. Il y a des français qui réclament la fermeture des frontières uniquement pour pouvoir faire face a la contamination. Il y a déjà des gens qui disent que cette demande est du racisme. Vous rajoutez une couche en disant que cela est de la chasse au boucs émissaires. Vous rajoutez du mensonge au mensonge.

    Que Renés Girard intercède pour vous!

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  2. Si c’est ainsi que vous m’avez lu, sans doute me suis-je mal fait comprendre. Mon papier dit justement que le mécanisme du bouc émissaire ne fonctionne pas en l’espèce. J’en suis navré.

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  3. Ton article, cher Jean-Marc, est parfait à bien des égards, et notamment en tant qu’il pose le choix crucial devant lequel la rigueur des temps nous place. Dans l’esprit des commentaires de Christine, je voudrais réfléchir avec toi, et vous, à une alternative qui me semble elle aussi cruciale.
    Nous pourrions (hypothèse britannique initiale) laisser aller le virus. La plupart d’entre nous serait alors contaminée, une partie plus ou moins importante en mourrait , mais le reste de la population survivrait, en ayant amélioré en outre son immunité. C’est l’hypothèse darwinienne. Si nous appliquions la politique qu’elle induit, nous ne serions pas au bord de la rupture du système de soin, et, pour peu que le monde entier la fasse sienne, l’économie tournerait aujourd’hui comme hier et demain : à fond les ballons ! Pourquoi donc alors ne nous comportons nous pas ainsi ? Simplement parce qu’en terre chrétienne comme ailleurs, le contenu éthique de la vie elle-même, avant même que la culture et les usages s’y impriment, nous détermine à porter attention aux plus faibles, et donc à valoriser et favoriser les structures sociales de cette attention (l’hopîtal, et plus généralement l’école, l’assurance chômage, les APL, etc.) Etre vivant, c’est donc être généreux, quel qu’en soit le coût ! La prise de pouvoir des contrôleurs de gestion et des pseudo-managers portés en triomphe par leur aréopage de communicants avait bien failli nous le faire oublier, et même nous le faire détester. On peut au moins espérer que cette engeance déplorable sera emportée dans le maelström coronaire.
    Est-ce que cela signifie qu’on pourra se goberger à loisir de finances publiques gagées sur une dette abyssale, certes non ! Il suffira (…) de régler notre pratique, et y compris notre croissance, sur le principe intangible du respect de la vie, et donc de l’attention aux plus faibles. Et nous serions alors « tout naturellement » plus économes, plus sobres et plus solidaires qu’avant.

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  4. Merci Jean-Marc Bourdin de nous mettre face à une réalité de la crise qui n’est guère apparente dans les médias. La réflexion sur le caractère mimétique de la réponse internationale est profonde. Comme on pouvait s’y attendre, le modèle socio-économique dominant, le libéralisme, a vu une tentative de résistance à cette lame de fond inattendue de la part de ses plus ardents partisans, les pays anglo-saxons, mais ce baroud n’était pas tenable. Comment les dirigeants de ces pays auraient-ils pu justifier l’hécatombe que cela aurait occasionné ? Voilà longtemps qu’une majorité de gens dénonçaient les excès d’un système dont nous semblions incapables, pourtant, de sortir. A cause de (grâce à ?) un organisme de quelques microns, c’est chose faite. Pour autant, c’est un changement subi, et les répliques de la secousse initiale n’ont pas fini de se faire sentir.

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