René Girard : un réaliste manichéen

Ces derniers mois, plusieurs d’entre nous ont cherché à caractériser la théorie mimétique d’un point de vue épistémologique ou herméneutique. Je me contente ici de rappeler trois billets parmi les plus récents

En ce qui me concerne, j’ai récemment suggéré que René Girard procédait par révélations ( https://emissaire.blog/2024/01/02/les-livres-des-revelations/) après avoir tenté d’approcher certains de ses modes de raisonnement https://emissaire.blog/2023/10/31/penser-avec-rene-girard-doubles-sens-diptyques-et-metaphores/ ). Je souhaite compléter ma contribution en adoptant une troisième perspective. Celle-ci nécessitera une longue introduction qui paraîtra peut-être trop éloignée de notre sujet de prédilection. Elle est néanmoins nécessaire pour parvenir à appliquer brièvement cette grille à la pensée de René Girard.

Comment nous représentons-nous les autres et, plus largement, le monde ? En pratique, les quelques prises de position possibles dépendent pour l’essentiel de la distinction entre ce qui provoque chez nous des plaisirs ou des peines, la vie ou la mort, la joie ou la tristesse, l’amour ou la haine, etc.

Une première manière d’aborder ces diptyques est l’opposition du bien et du mal. Nous sommes ici dans le domaine de l’absolu et du tiers exclu. C’est en quelque sorte tout l’un ou tout l’autre. Le manichéisme est au cœur de la plupart des religions et des idéologies, mais se retrouve aussi dans la philosophie platonicienne et sa longue descendance idéaliste. Christianisme, islam, communisme et autres totalitarismes montrent l’importance qu’elle a eu, a et aura dans l’histoire et ce depuis plusieurs millénaires. L’écologisme propose une actualisation de ce qui est bien ou mal à l’ère de “l’anthropocène”.

Cette opposition justifie l’exclusion des “porteurs” ou suppôts du mal afin que le bien triomphe de ses ennemis. Elle fournit son support moral à la désignation de l’ennemi. Au bien et au mal sont aussi associés la certitude d’une vérité unique et le reste qu’elle repousse par voie de conséquence dans le champ de l’erreur.

Les classements qui en résultent dictent les comportements sociaux à adopter ou éviter sous le regard de la communauté : obligations et interdits peuvent être multipliés à l’infini et prennent souvent des formes qui nous semblent étranges [1].

Dans ce mode de réflexion, le changement est possible et le plus souvent souhaitable. Il suppose la révolution, l’apocalypse, l’attente millénariste, l’hérésie, la dissidence ou, sur un mode plus spécifiquement intellectuel, l’utopie et désormais la dystopie. La vérité s’y apparente à une révélation. À chaque fois, il s’agit de faire triompher le bien et/ou la vérité sur le mal et ses obscurités. 

Une autre façon de regarder le monde se veut réaliste. Il ne s’agit plus ici de se placer du point de vue du bien et du mal mais d’arbitrer entre des évolutions vers l’amélioré ou vers le détérioré. Les points de vue sont alors multiples. La situation peut être améliorée ou détériorée pour un individu ou une collectivité allant d’un foyer familial jusqu’à un peuple, voire l’humanité dans son entier. Ce qui améliore le sort des uns peut nuire à celui d’autres.

Aristote, Machiavel, Montesquieu ou Tocqueville pensent le plus souvent en réalistes. La plupart des gouvernants décident et mènent des politiques qui se veulent réalistes, qu’ils agissent dans un cadre autoritaire ou libéral. Quels que soient leurs discours et leurs promesses, ils ont désormais conscience de n’agir qu’à la marge et en vue de fins limitées.

L’idée du progrès, en raison même de la progressivité du processus, de même que celle du déclin relèvent du réalisme.

Le rapport à la vérité prend la forme de la science : il s’agit de s’approcher de la réalité sans prétendre l’atteindre complètement. Dans son domaine, le réfutable et le falsifiable de même que le progrès des connaissances ainsi accumulées ont été érigés en dogme.

Contrairement au manichéisme, le mouvement est pour le réaliste un plus ou moins, une tendance plutôt qu’une rupture, un processus continu. Il ne prend pas la forme d’une rupture même s’il partage l’espérance de passer de l’ombre à la lumière, mais pas à pas et non à l’occasion d’une subite conversion ou réception d’une révélation venant d’en haut.

Enfin, dans un certain nombre de situations, il peut sembler que tout se vaut, que je m’interdise d’établir une hiérarchie de préférences, que toutes choses sont égales par ailleurs. L’indifférence prévaut. Cette attitude relève du relativisme. En matière de croyances religieuses, si la foi et l’athéisme sont deux modalités du manichéisme, l’agnostique, empreint d’un doute raisonnable, envisage le monde et l’humanité comme sans différence qu’un (ou plusieurs) dieu(x) existe(nt) ou qu’il(s) n’existe(nt) pas. Plus généralement, il ne peut et ne doit pas exister de vérité unique pour le relativiste. Toutes les vérités sont bonnes à dire… et de même valeur. Il n’y a pas de vérité atteignable sans détour [2], toute opinion ou pensée est à déconstruire. Dans sa version la plus radicale, le relativiste, tel l’âne de Buridan, s’empêche de choisir. La liberté d’indifférence est sa règle. Le relativisme peut aussi conduire au nihilisme : si rien n’a d’importance alors le Rien devient attrayant.

Le relativisme culturel se refuse par exemple à hiérarchiser des croyances qui induisent les sacrifices humains et celles qui ont renoncé à tout sacrifice autre que symbolique. De même, le relativiste ne place pas les sociétés sur une échelle du progrès matériel comme le fait le réaliste. Tout se vaut pour lui.

Une représentation mathématique de notre classification des manières de penser en fonction de ces trois référentiels serait une droite commençant et finissant à l’infini du Mal et du Bien avec en son centre un 0, les demi-droites la constituant étant jalonnées des niveaux possibles de détérioration et d’amélioration.

Prenant parfois la forme pure du manichéisme, du réalisme ou du relativisme, nos croyances, pensées et jugements sont le plus souvent une résultante de deux de ces perspectives, voire des trois. Nous sommes plus syncrétiques que nous ne l’imaginons. Un fondamentalisme religieux ou une idéologie totalitaire doit en passer par des décisions teintées de réalisme pour convertir ou accéder au pouvoir puis maintenir son emprise sur la population de ses adeptes[3]. Un prince machiavélique peut inversement invoquer le bien et le mal pour la conquête et la conservation de son pouvoir. Il peut aussi être soumis à des préoccupations manichéennes par les autorités religieuses comme le suggère la théorie des deux glaives autrefois énoncée par le Pape Gélase [4]. Inévitablement, tout manichéisme et tout réalisme s’accommodent d’une plus ou moins grande part d’indifférence, notamment pour ce sur quoi ils n’entendent pas agir : malgré les tentations totalitaires, il est en effet rare de pouvoir tout englober dans une définition générale de ce qui est bien ou mal et tout réaliste sait qu’il peut agir au plus sur quelques facteurs simultanément, conscient de la vanité des prétentions excessives.

Parmi les sciences humaines, certaines ont plus d’affinités avec tel ou tel point de vue sans qu’il s’agisse ici de les cantonner dans un mode de réflexion exclusif. Les théologiens et les philosophes adoptent souvent un cadre de réflexion manichéen. Les historiens, les démographes, les sociologues et les psychologues se veulent réalistes. Quant au relativisme, il a plutôt la préférence des ethnologues et des anthropologues contemporains qui s’efforcent de s’écarter des préjugés de leurs devanciers.

L’important est d’être en mesure d’identifier dans chaque cas particulier ce qui relève de notre conception du bien et du mal, de notre appréciation de ce qui serait une amélioration ou une détérioration et de ce qui pourrait y conduire, enfin d’évaluer s’il y a ou non à raisonner en l’espèce toutes autres choses égales par ailleurs. Il me semble que cet effort de clarification est de nature à permettre une disputatio plus satisfaisante et de limiter certaines interférences qui pourraient lui nuire. Il faudrait que chaque interlocuteur soit conscient de ce qui relève dans la position qu’il soutient du manichéisme, du réalisme et du relativisme. Une telle lucidité est sans doute difficile à atteindre et plus encore à maintenir durablement.

Le panorama ainsi brossé, qu’en est-il de la pensée de René Girard ?

S’il y a un point sur lequel il ne me semble pas difficile de s’accorder, c’est son refus maintes fois explicité du relativisme. Il existe pour lui une vérité. L’Occident, inventeur du relativisme culturel, n’a pas à nourrir de complexes vis-à-vis du reste du monde. La Bible est le plus puissant des révélateurs que l’humanité ait produit. Il voit dans la perte des différences une menace pour la concorde des collectivités et l’origine des crises. Que la plupart des ethnologues et des anthropologues n’aient pas accueilli un tel pourfendeur du relativisme n’a rien d’étonnant, quand bien même il s’est lui-même voulu anthropologue.

En revanche, il se revendique d’une pensée réaliste. Le titre de son recueil d’essais La voix méconnue du réel le dit de belle manière. Il n’hésite pas à discuter la pertinence de l’impératif poppérien de la réfutabilité de toute théorie qui se veut scientifique. Qu’il ouvre ce débat prouve qu’il se veut et s’estime un scientifique des rapports humains et, par voie de conséquence, se défend lorsqu’il se sent rejeté de ce cénacle. Malgré qu’il en ait et qu’en aient ses contradicteurs, il conserve de sa formation d’archiviste paléographe le souci de la source, de préférence écrite ou archéologique. Il est un historien du temps très long et le père d’une psychologie interdividuelle. En accord avec la modestie des scientifiques, il ne prétend pas être l’auteur des révélations qu’il porte à notre connaissance et a déclaré espérer avoir contribué à une science des rapports humains. Nous pouvons convenir qu’“espérer avoir contribué” est une locution dépourvue d’arrogance et un indice d’une volonté de s’inscrire dans un processus d’accumulation de connaissances. Assez logiquement de ce point de vue réaliste, il maintient ses distances avec les philosophes et même les théologiens : non seulement il a refusé d’être étiqueté de la sorte mais il a rarement manqué une occasion de les critiquer.

Pourtant, s’il se veut non sans quelques arguments solides, réaliste, disons un réaliste hétérodoxe, il n’en est pas moins tout aussi explicitement manichéen. Il y a dès l’origine de son œuvre une invocation de la vérité, une certitude qu’il existe une voie d’accès pour y parvenir. Et pour lui, cette voie d’accès nous a été donnée par la Bible qui nous dévoile Des choses cachées depuis la fondation du monde. Il identifie la violence essentielle au mal absolu. Il s’avoue un apologiste du christianisme, donc d’un manichéisme assumé où Satan qu’il identifie, comme nous le dit Hervé van Baren, au tentateur, à l’adversaire, à l’accusateur, au diviseur et au dissimulateur s’oppose au Dieu trinitaire. Tout ceci pourrait conduire à une sorte de fanatisme. Mais en réaliste conséquent, il confronte immédiatement le mal, non à un bien qui lui serait antagonique, mais à un moindre mal, celui du sacrifice et des institutions qui en découlent. Si l’horizon de la révélation ultime est très tôt présent chez lui, il nous invite à reconnaître qu’une moindre violence peut contenir la violence délétère pour maintenir en vie l’humanité, qu’elle suive pour ce faire des procédures religieuses, politico-judiciaires, voire économiques.

Au terme de cette brève réflexion, il me semble que René Girard est un réaliste manichéen, formule oxymorique seulement en apparence. Si le qualificatif manichéen vous semble péjoratif, nous pourrions parler de la théorie mimétique comme d’un manichéisme réaliste. La cohérence de sa pensée prouve, s’il en était besoin, qu’un équilibre subtil est non seulement possible mais aussi parfois fécond dans la composition de ces deux modes d’appréhension du monde.    


[1] Fruit sans doute de corrélations interprétées comme des causalités.

[2] Comme l’a déclaré l’ancienne présidente de l’université d’Harvard devant une commission du Congrès américain interrogée si elle estimait qu’« appeler au génocide des juifs viol[ait] le règlement concernant le harcèlement à Harvard », tout dépend du contexte.

[3] Pensons à la taqiya (dissimulation et tromperie autorisée par la doctrine) que pratiquent les islamistes dans l’intérêt de l’islam.

[4] Extrait de Wikipedia : “ selon cette théorie, le pouvoir spirituel possède un ascendant moral et politique sur le pouvoir temporel exercé par le prince en vertu duquel celui-ci préside aux destinées des hommes dans le respect strict des préceptes religieux.”

28 réflexions sur « René Girard : un réaliste manichéen »

  1. Cher Jean-Marc, je suis à la fois heureux et contrarié par votre papier. Heureux parce qu’il me permet de poursuivre une conversation initiée autour de mon dernier billet que vous mentionnez au début du vôtre. Contrarié parce que vous anticipez sans le savoir sur le prochain billet que je suis en train de finaliser avant de le soumettre à l’approbation des éditeurs du blog… Cela dit, je peux quand même vous faire quelques rques. Vous écrivez par exemple : « Le rapport à la vérité prend la forme de la science : il s’agit de s’approcher de la réalité sans prétendre l’atteindre complètement. Dans son domaine, le réfutable et le falsifiable de même que le progrès des connaissances ainsi accumulées ont été érigés en dogme. » A quoi faites-vous référence exactement ? Ce n’est pas bien clair pour moi.
    Plus loin : « Il [Girard] n’hésite pas à discuter la pertinence de l’impératif poppérien de la réfutabilité de toute théorie qui se veut scientifique. » J’avoue humblement ne pas connaître tout mon Girard par cœur, donc pouvez-vous me donner la référence précise de cette critique de la théorie de K. Popper ?

    Aimé par 1 personne

    1. Désolé Claude ! C’est quand même sympa de partager les mêmes questions au même moment.
      Mon projet avec ce petit billet est surtout de communiquer un enseignement sur les idées politiques que j’avais reçu il y a désormais plus de 45 ans de Jean-Louis Martres, un remarquable professeur de l’université de Bordeaux qui n’a publié hélas qu’à titre posthume (Les grilles de la culture, éditions Libréchange, 2017, deux volumes). Plutôt que de se contenter d’égrener une histoire des idées politiques, il les classait en trois catégories : manichéisme inégalitaire (c’est-à-dire avec une préférence pour le Bien), le réalisme-relativisme, et le syncrétisme entre ces deux structures de pensée. Pour ma part, il m’a semblé judicieux de distinguer réalisme et relativisme pour proposer une catégorie supplémentaire.
      Sur votre première question, je suggère que la démarche scientifique s’apparente au réalisme notamment en ce sens qu’elle est toujours un progrès de la connaissance et ne prétend jamais aboutir à un terme indépassable : physique newtonienne, relativité, physique quantique, les nouvelles connaissances non seulement complètent mais aussi corrigent, voire infirment certains résultats antérieurement établis. Il en va de même pour la théorie de l’évolution darwinienne qui inspire au demeurant bien davantage la pensée de RG comme le confirme son ouvrage d’entretien avec Pierpaolo Antonello et Joao Cezar de Castro Rocha, Les origines de la culture.
      Dans cet ouvrage, Popper est évoqué à deux endroits, d’abord dans l’introduction faite par les deux interviewers à la page 15 : « L’approche par hypothèses et vérifications explicitement adoptée par Girard dans ses écrits a ici exigé une réflexion plus générale sur la méthodologie, mais aussi l’épistémologie qui sous-tendent ses propositions. Il s’agit d’une démarche anti-poppériene, non falsifiable (comme c’est justement le cas de l’évolutionnisme) qui s’appuie sur une utilisation des données anthropologiques et ethnologiques (y compris les mythes et les rites) fondée sur l’évidence et la comparaison. Ces données sont lues par Girard comme de véritables « restes fossiles » de l’évolution culturelle de l’homme, où apparaissent, en filigrane, les traces du crime fondateur. C’est justement ce type de méthodologie et d’utilisation indiciaire des sources qui a représenté le principal obstacle à la compréhension de la théorie mimétique, surtout dans le milieu anthropologique. René Girard traite les mythes, les rites et la littérature elle-même (italiques) comme « pièces à conviction », comme preuves (italiques), comme évidences (italiques) de ces « choses cachées depuis la fondation du monde »…
      RG évoque cette question en citant le nom de Popper aux pages 214 et 215 : « Il y a beaucoup de choses absolument certaines, indubitablement vraies, qui ne sont ni vérifiables, ni falsifiables au sens de Popper. La nature illusoire de la sorcellerie, par exemple. L’inefficacité de la sorcellerie est une vérité fondamentale pour notre conception des droits de l’homme et de la démocratie. Nous ne pouvons pas la qualifier de « religieuse », puisque nous sommes résolument laïques. Ce n’est pas non plus une certitude idéologique. C’est donc une certitude scientifique. La science nie effectivement la possibilité que certains individus aient sur la réalité un pouvoir occulte qui transcende le savoir scientifique. Le scepticisme au sujet de la sorcellerie doit donc se définir comme scientifique plutôt que religieux ou idéologique. La preuve qu’il en est ainsi c’est que, dans le monde moderne, nous révisons tous les procès faits jadis aux prétendus sorcières et sorciers et nous réhabilitons toutes les victimes. Nous savons qu’en agissant ainsi nous sommes dans le vrai, au sens le plus solide de ce mot, qui pour nos est scientifique : aux yeux de la science, la sorcellerie n’existe pas. Son inexistence a un caractère scientifique… »
      Merci de m’avoir obligé à retrouver ce texte qui, me semble-t-il, résonne avec ma qualification de RG comme réaliste manichéen.

      Aimé par 3 personnes

  2. Merci Jean-Marc. Ton billet souligne à juste titre l’un des (apparents) paradoxes de la pensée de Girard: comment peut-on être à la fois réaliste et manichéen ? Pour poursuivre la réflexion, il me semble qu’il faut voir à quoi s’appliquent ces deux termes chez Girard : essentiellement aux faits de violence et aux processus victimaires. Et dans ce cas, il n’y a pas de contradiction. Si l’on admet, comme Girard, que la violence est une sorte de « point d’Archimède » (« Donne-moi où je puisse me tenir ferme, et j’ébranlerai la Terre. »), à la fois pour l’éthique et pour les sciences humaines (ou mieux, la science des rapports humains, comme tu le rappelles), tout est parfaitement cohérent. D’une part, la violence meurtrière est le coeur et l’aboutissement de toutes les fautes morales – le Mal avec un grand M -, un critère de jugement vraiment universel sur lequel on peut s’appuyer pour juger toute réalité humaine (les autres religions, les cultures, les rivalités mimétiques, les processus de stigmatisation et d’exclusion, etc.). D’où le manichéisme pro-chrétien. Et, second aspect de la même conviction: l’occultation de la violence est au coeur de tous les mensonges, de tous les mythes et de tous les aveuglements des sciences sociales. D’où le réalisme, entendu comme conviction qu’il est possible et nécessaire de mettre au jour des faits de violence bien réels derrière nombre de récits et de théories. Ce qui n’est pas clair, à mon avis, c’est la manière dont ces deux attitudes s’articulent dès que l’on s’éloigne du noyau dur de la théorie girardienne. Qu’en est-il, par exemple, de la place du surnaturel et des mythes dans le christianisme (ex: l’efficacité de sacrements est-elle réelle ou symbolique ?, etc.) Autre cas d’école, le politique, où, comme tu l’observes, il se montre plutôt pragmatique (où réaliste, si l’on veut, mais dans un sens différent de son réalisme au regard des faits de violence). Bref, s’il y a chez Girard une théorie (implicite) qui articule très bien le réalisme et le manichéisme pour ce qui se rapporte au meurtre et au processus victimaire, c’est beaucoup moins clair dans d’autres domaines de l’expérience humaine. Mais sans doute la conviction de Girard était-t-elle que tout ce qui est vraiment signifiant pour l’homme renvoie plus ou moins directement
    à la victime.

    Aimé par 5 personnes

    1. La violence comme point d’Archimède: voilà une intéressante proposition! C’est pour cela sans doute que la question de la « lecture non sacrificielle du texte évangélique », et comme vous le précisez, celle de la place des sacrements dans le christianisme sont toujours si difficiles à appréhender : Point d’Archimède ou paradoxe humain ?

      Aimé par 1 personne

    2. Cher Bernard,

      Jean-Marc pose très bien la question, tu la résumes et y objectes parfaitement, et tu donnes la réponse. oui, je pense que pour Girard tout ce qui est anthropologiquement significatif se ramène à la victime (et à ses persécuteurs, naturellement).

      Aimé par 2 personnes

    3. Merci Bernard de poursuivre la réflexion à laquelle invite mon billet.
      Pour rebondir sur ton propos, tu pourras te reporter à la citation que j’ai extraite des Origines de la culture en réponse à Claude : la sorcellerie, scientifiquement inefficace, produit néanmoins des effets considérables de rapports humains dans les communautés qui y croient, tant pour les sorcières et sorciers autoproclamés, ceux qui en sont accusés que pour leurs clients et leurs institutions.
      Et dans ce domaine, les distinguos majeurs sont manichéens : magie blanche/magie noire, adorcisme/exorcisme, guérisseur/mauvais oeil, etc. L’ethnologue, le sociologue, voire le médecin peut observer des effets quand bien même l’apposition des mains sur une brûlure ou une malédiction ne sont pas des causes censées produire des effets. Quant au religieux, il lui revient de reconnaître le caractère miraculeux d’une guérison ou d’une apparition ainsi qu’une possession à exorciser.
      La notion de suggestion mise en avant par Jean-Michel Oughourlian en miroir de celle d’imitation dès Un mime nommé désir me semble de ce point de vue très intéressante qu’il s’agisse d’hétéro- ou d’autosuggestion.

      Aimé par 2 personnes

  3. Dans ‘Les Frères Karamazov’ (p. 621 de l’édition 1952 de la Pléiade) : c’est Dmitri/Mitia qui parle : « Que faire si Dieu n’existe pas, si Rakitine a raison de prétendre que c’est une idée forgée par l’humanité ? Dans ce cas l’homme serait le roi de la terre, de l’univers. Très bien ! Seulement, comment sera-t-il vertueux sans Dieu ? Je me le demande. […] En effet, qu’est-ce que la vertu ? Réponds-moi Alexéi. Je ne me représente pas la vertu comme un Chinois, c’est donc une chose relative ? L’est-elle, oui ou non ? Ou bien elle n’est pas une chose relative ? Question insidieuse ! […]
    Plus loin (même page) « Alors, tout est permis ? » D’où le célèbre « Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » (raccourci de JP Sartre, je crois). Voilà, toute la question est posée : comment concevoir « l’idéologie des Droits de l’Homme » sans transcendance (le Mal avec un grand M de B. Perret) ?

    Aimé par 3 personnes

  4. « — Et les tendres pousses, les tombes chères, le ciel bleu, la femme aimée ? Comment vivras-tu, quel sera ton amour pour eux ? s’exclama Aliocha avec douleur. Peut-on vivre avec tant d’enfer au cœur et dans la tête ? Oui, tu les rejoindras ; sinon, tu te suicideras, à bout de forces.

    — Il y a en moi une force qui résiste à tout ! déclara Ivan avec un froid sourire.

    — Laquelle ?

    — Celle des Karamazov… la force qu’ils empruntent à leur bassesse.

    — Et qui consiste, n’est-ce pas, à se plonger dans la corruption, à pervertir son âme ?

    — Cela se pourrait aussi… Peut-être y échapperai-je jusqu’à trente ans, et puis…

    — Comment pourras-tu y échapper ? C’est impossible, avec tes idées.

    — De nouveau en Karamazov !

    — C’est-à-dire que « tout est permis » n’est-ce pas ? »  »

    https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fr%C3%A8res_Karamazov_(trad._Henri_Mongault)/V/05

    « Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? De la force qui y est.

    Et de là vient que les rois, qui ont la force d’ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

    Sans doute l’égalité des biens est juste, mais ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.

    La Sagesse nous envoie à l’enfance. Nisi efficiamini sicut parvuli. »

    http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons2-moderne.php

    Et si nous poussions la délicieuse analogie géométrique au plan défini par deux droites, dans lequel une troisième vient se planter, chacune se définissant dans la double dimension poussant à choisir l’une ou l’autre comme référente indispensable à son identité, nous ne sommes pas loin de la tragédie antique ou du trio de vaudeville dans lesquels se fourvoient encore l’académisme des institutions.
    Puis, leurre du sacrifice établi par les Écritures, les trois personnages apaisés s’aperçoivent en compagnie de Girard et tous les romanciers, qu’entre la dimension décisive dont ils ne percevaient l’existence qu’au travers de leurs stratégies dans la lutte qui les obsédaient, le Temps entre en majesté, qui leur offre le pouvoir de la mémoire, la latitude de s’apercevoir de ce qu’ils sont et de ce qu’ils étaient, de donc mieux mesurer la réalité, le Réel, Dieu pour les croyants, et en dehors de toutes considérations manichéennes accéder à la justesse, mesure dont la justice, fondement moral notamment vis à vis de notre environnement vital, dépendra pour développer nos capacités, non pas à définir le bien, dont la définition ne nous appartient pas, mais à avoir capacité à le discerner.
    L’outil technique est là, la connaissance aussi, la droite veut la liberté, la gauche l’égalité, ne reste plus qu’à accéder à l’apaisement de la fraternité pour accomplir notre destin, qui est de nous pardonner pour servir le souverain bien, offert dans cet instant unique de la révélation de la Passion, la Paix.
    C’est pas gagné, comme le soulignait Simone Weil :

    « Mais rien de ce
    qu’ont produit les peuples d’Europe ne vaut le premier
    poème connu qui soit apparu chez l’un d’eux. Ils
    retrouveront peut-être le génie épique quand ils sauront
    ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force,
    ne pas haïr les ennemis et ne pas mépriser les
    malheureux. Il est douteux que ce soit pour bientôt. »

    Cliquer pour accéder à Weil-L_Iliade_ou_le_poeme_de_la_force.pdf

    La foi consistant alors à croire que c’est possible.

    Aimé par 3 personnes

  5. Ou dit autrement, le mal n’existe que dans la négation du bien.

    « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis.
    Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple.  »

    https://saintebible.com/lsg/john/8.htm

    Sortons avec Lui, et en compagnie de Paul, accédons à la prééminence du réel :

    « 7Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. 8Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, 9et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. 10C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »

    https://saintebible.com/lsg/2_corinthians/12.htm

    La cruxi-fiction n’a pas besoin d’être crucifiée, elle se débrouille toute seule pour être, de par son essence même, annihilée et pleinement révélée au bois de la Croix par Celui qui a accepté d’en payer la rançon pour complètement la remettre à sa place, qui est seconde, n’a même plus besoin de la moquerie d’un rire, dernier signe dont la conclusion de Benoit Chantre en sa dernière phrase indique que la révélation n’a pas encore entièrement nettoyé nos cœurs d’une référence maurassienne*, et que l’espièglerie du sourire de la couverture de sa biographie nous permet d’accéder à l’humour sur soi-même qui seul permet de se reconnaitre pleinement persécuteur, sous le doux regard silencieux et bienveillant porté sur les grands inquisiteurs que nous sommes par Celui qui avant tout était et nous indique à quel apprentissage nécessaire du pardon nous sommes invités, capacité offerte d’entreprendre avec Lui le voyage divin de la liberté.

    *https://maurras.net/2008/06/11/les-secrets-de-martigues/

    Aimé par 2 personnes

    1. Eh bien voilà, rions de nous, sœurs ou frères.

       » L’inquisiteur se tait, il attend un moment la réponse du Prisonnier. Son silence lui pèse. Le Captif l’a écouté tout le temps en le fixant de son pénétrant et calme regard, visiblement décidé à ne pas lui répondre. Le vieillard voudrait qu’il lui dît quelque chose, fût-ce des paroles amères et terribles. Tout à coup, le Prisonnier s’approche en silence du nonagénaire et baise ses lèvres exsangues. C’est toute la réponse. Le vieillard tressaille, ses lèvres remuent ; il va à la porte, l’ouvre et dit « Va-t’en et ne reviens plus… plus jamais ! » Et il le laisse aller dans les ténèbres de la ville. Le Prisonnier s’en va.  »

      https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fr%C3%A8res_Karamazov_(trad._Henri_Mongault)/V/05

      J’aime

  6. Merci bcp, Jean-Marc, de m’avoir donné les refs précises à propos de Girard et Popper (mort il y aura bientôt 30 ans à l’âge de 92 ans). « Les Origines de la Culture » est pourtant un des ouvrages ‘tardifs’ de Girard que j’ai le plus aimé (on a tjrs besoin d’un plus girardien que soi !). Je trouve encore le principe de falsifiabilité extrêmement performant (sans avoir besoin d’être tjrs manichéen) quand on l’applique aux sciences expérimentales (physiques, biologie) et observationnelles (astronomie). Par ex., Einstein réfute Newton, oui, mais pas complètement, la mécanique newtonienne n’est qu’une approximation de la mécanique relativiste (raisonnable aux échelles d’espace/temps humaines) ; Copernic réfute absolument Ptolémée, mais Kepler réfute « un peu » Copernic en remplaçant ses orbites circulaires par des ellipses, etc., etc.
    L’évolution darwinienne n’est pas une théorie réfutable, non scientifique donc selon Popper. D’accord, mais laissons Popper reposer en paix et plongeons dans les sciences humaines… C’est une autre histoire : pourquoi il est « scientifique » aujourd’hui d’affirmer l’innocence des sorcières et de s’effarer devant le grotesque des accusations qui les ont conduites au bûcher ? Difficile de répondre sans s’aider de Girard… J’ai proposé le point de vue suivant, directement issu de l’anthropologie girardienne : c’est la croyance absolue des disciples (1) en l’innocence complète et véritable de Jésus, et (2) dans sa nature divine, qui oblige à penser l’innocence de toutes les victimes, passées et futures, et à s’éloigner de plus en plus de la pensée magique sacrificielle. Voilà mon interrogation dostoïevskienne : comment la pensée universaliste des droits humains survit-elle à la sécularisation/laïcisation de la société ?

    Aimé par 4 personnes

  7.  » Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis.  »

    Mais, si je puis me permettre à mon tour, même quand Dieu existait, tout était permis. La seule différence, c’est que cela s’opérait en son nom. Les bourreaux, terme qui curieusement ne connaît pas de féminin, en étaient-il davantage justifiés ? Ou moins ?

    Mais cela signifierait surtout que le paramètre  » Dieu  » ne protège en rien du processus de la violence. C’est, il me semble, ce qu’a montré Girard. Et il pourrait même apparaître au contraire comme un facteur aggravant.
    C’est ce que Diderot ( rarement présent sur le blogue… ) a illustré dans un petit conte à sa façon dans son Addition aux pensées philosophiques.

     » Un homme avait été trahi par ses enfants, par sa femme et par ses amis ; des associés infidèles avaient renversé sa fortune et l’avaient plongé dans la misère. Pénétré d’une haine et d’un mépris profond pour l’espèce humaine, il quitta la société et se réfugia seul dans une caverne. Là, les poings appuyés sur les yeux, et méditant une vengeance proportionnée à son ressentiment, il disait : « Les pervers ! Que ferai-je pour les punir de leurs injustices, et les rendre tous aussi malheureux qu’ils le méritent ? Ah ! s’il était possible d’imaginer… de les entêter d’une grande chimère à laquelle ils missent plus d’importance qu’à leur vie, et sur laquelle ils ne pussent jamais s’entendre !… » À l’instant il s’élance de la caverne en criant : « Dieu ! Dieu !… » Des échos sans nombre répètent autour de lui : « Dieu ! Dieu ! » Ce nom redoutable est porté d’un pôle à l’autre et partout écouté avec étonnement. D’abord les hommes se prosternent, ensuite ils se relèvent, s’interrogent, disputent, s’aigrissent, s’anathématisent, se haïssent, s’entr’égorgent, et le souhait fatal du misanthrope est accompli. Car telle a été dans le temps passé, et telle sera dans le temps à venir, l’histoire d’un être toujours également important et incompréhensible.  »

    La question du Mal se trouve là remarquablement déplacée : elle quitte le cœur de l’homme pour se placer dans une structure qui lui est extérieure, représentée par le terme  » Dieu  » vidé de toute substance, dont la force violente reste  » incompréhensible « .
    Si Girard prend soin de n’apparaître ni exclusivement manichéen ni exclusivement réaliste, ou plutôt de se vouloir les deux à la fois dans une position bien difficile à tenir, c’est peut-être pour n’être pas lui-même trop victime de cette structure où gît le mal.

    Michel Serres appelait ce risque  » risque de court-circuit  » entre monde virtuel et monde réel, et y voyait une infinie puissance de déflagration, rejoignant ainsi la petite histoire de Diderot.

    Alain

    Aimé par 2 personnes

    1. « Cette structure où gît le mal », ce serait « Dieu » ? Et on pourrait en être « victime » ? Et selon Michel Serres, il y aurait un risque de court-circuit entre le virtuel et le réel qui aurait la puissance de déflagration du nom de « Dieu » dans l’aphorisme de Diderot ? Je n’y comprends pas grand chose, nom de Dieu !

      J’aime

  8. Alain (heureusement que vous signez d’un prénom qui n’est peut-être pas le vôtre d’ailleurs, mais sinon je n’aurais pas commenté), le féminin de Bourreau existe, pensez au commissaire des ‘5 dernières minutes’ (un peu d’humour dans ce monde de brutes). Blague à part, la bourrelle est la femme du bourreau, elle est donc rejetée aux lisières de la ville au Moyen-Âge, comme son époux, mais quoique rarement, elle peut être l’exécutrice (Wikipedia et al.).
    Il me semble que vous confondez l’église (chrétienne et sacrificielle) et ce que les croyants d’aujourd’hui appellent Dieu. Ou alors, je n’ai rien compris à votre rque et à la pertinence de la citation de Diderot que vous convoquez pour la circonstance…

    Aimé par 2 personnes

    1. Ah, avec ces deux commentaires, j’ai comme l’impression que c’est ma fête aujourd’hui, très anticipée d’ailleurs, mon prénom étant tout à fait celui de mon état civil.

      Bourrelle, oui, féminin de bourreau, cela m’apprendra à vérifier avant d’écrire.

      Et Dieu dans tout cela, pour parodier moi aussi une autre référence que Raymond Souplex ?

       » Ce que les croyants d’aujourd’hui appellent Dieu « , écrivez-vous. Voilà qui historicise curieusement voire dangereusement une notion qui devrait échapper à l’histoire, et j’aurais beau jeu de répondre : et les croyants d’hier ? Et ceux de demain ?

      En fait, ce qui m’intéresse là, c’est le terme employé par Diderot de  » incompréhensible « . C’est à cette réalité-là que Michel Serres a consacré son livre testament Relire le relié. Et cette réalité c’est celle de la formidable, dangereuse et immaîtrisable énergie qui jaillit lorsque le spirituel descend dans le temporel. Il reprenait, pour en faire l’historique, la théorie de l’âge axial de Jaspers qui avait vu l’apparition autour du huitième siècle avant JC des religions du salut autour d’une incarnation et d’une compassion.
      Et parmi ces religions du salut, il constatait que la colossale énergie issue de l’Incarnation chrétienne continuait jusqu’à aujourd’hui, accumulant atrocités et bienfaits.

      Il m’a semblé que cette vision du spirituel descendant dans le temporel correspondait assez bien au sujet du billet, qui tentait de savoir comment Girard articulait manichéisme et réalisme, ou, en termes weberiens, éthique de conviction et éthique de responsabilité. Et que cela expliquait un peu le risque, inévitable, qu’il y a à mêler les deux.

      Serres concluait son livre sur le constat de l’effondrement des valeurs issues des Lumières, qui sont la variante laïque de l’Épiphanie, et se demandait comment détourner la violence, cette énergie à la source de tout. Il ne voyait de solution que dans un axe vertical, le seul qui permet d’échapper à la violence circulaire à l’œuvre dans l’axe horizontal des relations humaines, en honorant ce qui lui échappe.

      Aimé par 1 personne

  9. Mon deuxième commentaire s’est-il perdu, ou a-t-il été modéré ?
    L’embêtant étant que je n’en ai pas gardé copie, peut-être la référence maurassienne aura-t-elle choqué, ce qui ne ferait que confirmer ce que j’essayais d’y développer, peut-être maladroitement.
    Mais comme déjà advenu plusieurs fois, va-t-il tout à coup apparaitre, après un voyage dans l’espace temps des boucles virtuelles.

    « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. 59Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple. »

    https://saintebible.com/john/8-58.htm

    Sortons avec Lui, disais-je…

    J’aime

    1. Bonjour Aliocha,

      Si vous ne le trouvez pas, c’est que le commentaire s’est perdu. J’ai une politique de modération… particulièrement modérée !

      J’aime

      1. Ben mince alors, il m’avait pourtant été signifié qu’il avait été bien envoyé.
        Ce n’est pas si grave, et comme déjà indiqué, peut-être tout à coup va-t-il réapparaitre.
        L’australopithèque à clavier que je suis saura rire alors de lui-même, en vous remerciant de l’accueil que vous témoignez à son endroit !
        Amitié.

        J’aime

  10. Merci à Jean-Marc de nous faire réfléchir et éventuellement relire Girard : nous aimons ces deux exercices, inséparables dans notre esprit. Je n’ai pas sous la main en ce moment les références qui viendraient soutenir ma réflexion mais il m’a semblé, d’emblée, que le terme de « manichéen » ne convient pas à un point de vue girardien. D’abord, comme le suggère Jean-Marc, à la fin de son billet, c’est un terme péjoratif. On entend généralement par là une vision du monde dualiste, le Mal et le Bien étant considérés comme des principes opposés, comme des absolus l’un et l’autre et s’excluant absolument. Le manichéen n’a pas le sens des nuances, il préfère la simplicité à la complexité. En gros, c’est bien ou c’est mal, Le Mal existe, le Bien aussi.
    Nous devrions tomber d’accord que Girard, comme Spinoza, n’est pas manichéen : il n’y a que des choses bonnes ou mauvaises, selon le point de vue qu’on adopte sur elles. (« Ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons, c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne » écrit Spinoza) Si donc Satan pour Girard, désigne le processus mimétique en son entier, cela ne signifie pas que ce processus est tout entier mauvais. Il est à la fois bon et mauvais, bénéfique et maléfique, il garantit l’ordre du monde, social, politique, économique, cet ordre violent que vient ébranler et détruire la Révélation dont l’autre nom est l’Apocalypse.
    En effet, la théorie mimétique donne à penser le mouvement de l’histoire (de la médiation externe à la médiation interne et double) de façon paradoxale : en même temps que les individus s’enfoncent dans une servitude croissante à l’égard de leurs désirs, à mesure que progressent le mal ontologique et le nihilisme, que s’annonce la catastrophe, l’effondrement de tous les ordres symboliques, « croît aussi ce qui sauve » : c’est au plus fort de la crise mimétique qu’ont lieu les conversions chez Dostoïevski. Cette dynamique où la possibilité du meilleur croît avec le pire, c’est tout Girard et c’est tout sauf manichéen, non ?

    Aimé par 3 personnes

    1. Chère Christine,

      La mise à jour intempestive d’un médiocre logiciel t’étiquetant « anonyme » ne pourrait m’empêcher de te reconnaître, à ton style et tes propos.
      J’ai longtemps comme toi résisté mais mon vénéré et défunt maître Jean-Louis Martres avait remarqué que lorsque le changement reposait sur une rupture radicale (et non progressive), il était associé à une pensée manichéenne dont l’apocalypse comme la révolution, l’hérésie ou l’utopie sont des avatars. Or que nous dit René Girard : convertissez-vous à la vérité si vous espérez le salut pour chacun comme l’humanité entière. Entre apocalypse et katechon, il me semble avoir explicitement choisi : qu’importe la catastrophe si elle est porteuse de salut. Avec son catastrophisme éclairé, Jean-Pierre Dupuy semble avoir fait le choix opposé, ce qui est logique pour un penseur que se dit chrétien athée.
      Donc tout réaliste qu’il soit et se veuille, RG est aussi manichéen.
      Au terme de ce billet, je me suis convaincu qu’un optimum était à rechercher dans une combinaison de réalisme et de manichéisme et que, ma foi, la position de RG s’en approchait. En faire un pur réaliste ne serait pas lui rendre service ni justice. En faire un strict manichéen serait plus discutable encore. D’où le titre de mon billet à première vue paradoxal.

      Aimé par 2 personnes

  11. @Alain le Véritable (je n’utilise pas le mode ‘Réponse’ car les commentaires n’apparaissent pas) :
    Oui, j’historicise totalement. C’est même tout le fond de ma réflexion : il y a un sens de l’Histoire. C’est celui que donne la révélation christique qui se débarrasse très progressivement de sa gangue sacrificielle (l’abandon des rituels, des sacrements, etc.). J’avais vu dans l’invention du purgatoire une première étape, justement un premier coup porté au manichéisme. Je vois aussi dans la Réforme un progrès avec l’abandon du culte marial (souvenir de la déesse mère), de la vénération des saints (reliquats du polythéisme) et de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Tout cela nous amène finalement à ce que Jean-Marc appelle le christianisme athée (ou l’athéisme chrétien), dont je pourrais finalement me réclamer (il faut que j’y pense, mon Père…).
    Merci Alain de ne pas avoir mal pris ma petite taquinerie avec la ref à Raymond Souplex à qui je voue un culte très laïc, disons plutôt à qui je dois des souvenirs enfantins très heureux !

    J’aime

  12. Il est à mon sens ici essentiel de prendre conscience du pragmatisme terre à terre que propose la révélation évangélique à la créature qui ne connait pas le sens de sa vie alors qu’elle en a besoin pour exister.
    Victor Frankl, dont l’addictologue spécialiste de la psychiatrie des religions, désormais retraité, rappelle dans la vidéo ci-dessous qu’il a su, dans les camps d’extermination nazis, découvrir que de même qu’il y a un inconscient sexuel, il existe un inconscient spirituel qui, s’il est refoulé, produit des névroses de civilisation, dépression, addiction, agression, qui menacent nos démocraties du retour barbare qu’on observe.

    Tout cela est parfaitement compatible avec une spiritualité profane, rejoint à mon sens ce que Alison décrit comme « presque athée », que l’athéisme a raison de refuser ce dieu archaïque qui mettrait une majuscule au mal, au simple titre qu’il n’existe pas, qu’il est celui qui a abandonné le Fils de l’homme au moment crucial de la Croix en cet instant où est révélé son inexistence pourtant si réelle en l’esprit dévié, pour alors réorienter la déviance sur l’Esprit de vérité à même de nous voir en son miroir tels que nous sommes, auquel alors il est possible de remettre notre esprit, tel le petit enfant pascalien qui, plutôt que se sentir abandonné, s’abandonne au Père comme nouveau modèle du Bien seul à même d’apaiser notre angoisse, enlèverait toute majuscule même en la dernière phrase de Michel Serres, au M(m)al, qui rend le manichéisme possible uniquement pour nous offrir la capacité d’avoir la possibilité de refuser le chemin escarpé bien que parfaitement joyeux de la liberté, jusqu’à nous laisser latitude de la refuser :

    « Mieux encore, dans l’extase mystique, présente, active dans toutes les religions, donc universelle, la présence de Dieu ou du divin comble ceux qui la vivent d’une joie souveraine, parfaite, paisible, sauve de tout Mal, gracieuse. »

    Relire le relié, M.Serres.

    Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire