Prévention de la consanguinité au Paléolithique

par Jean-Marc Bourdin

Le site de vulgarisation scientifique Sciencepost a récemment publié un article intitulé : “Comment homo sapiens a-t-il évité la consanguinité ?”

La génétique des fossiles permet désormais d’envisager une réponse à cette importante question : d’après ses analyses, qui portent toutefois sur des données trop limitées pour que la conclusion soit certaine, les femmes quittaient le groupe au moment où elles arrivaient  à l’âge de procréer. La communauté était donc patrilocale, le couple s’installant dans le groupe de l’homme, et patrilinéaire, chaque membre de la famille ainsi constituée relevant du lignage paternel. Avant que les règles ne se diversifient presque à l’infini, comme l’ont montré les études ethnologiques consacrées à la parenté dans les cultures qui ont survécu jusqu’à l’époque moderne, la pratique originelle aurait donc été uniforme ou, à tout le moins, fortement prédominante.

Si ces premiers résultats se confirment, ils viennent à l’appui d’une des thèses de René Girard. En opposition à Claude Lévi-Strauss, qui mettait en avant l’obligation d’échange plutôt qu’une prohibition pour justifier l’universalité de l’inceste, René Girard indiquait, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde : “L’échange positif n’est que l’envers de la prohibition, le résultat d’une série de manœuvres, d’avoidance taboos, destinés à éviter, entre les mâles, les occasions de rivalité. Terrifiés par la mauvaise réciprocité endogamique, les hommes s’enfoncent à reculons dans la bonne réciprocité de l’échange exogamique.”

Pour René Girard, et conformément aux résultats de la paléogénétique, l’interdit vient de la nécessité d’éviter que les femmes d’un groupe ne deviennent des objets de rivalité pour les hommes de ce même groupe et que ces rivalités ne le conduisent à une crise mimétique et à sa destruction. Une fois que cet interdit a, en quelque sorte, montré son efficacité, seuls les groupes s’y étant soumis ayant survécu, l’échange peut être institué en règle positive.

Mais l’interdit de l’appropriation des femmes du groupe par un de leurs parents mâles au détriment des autres est probablement premier si les analyses génétiques démontrent la prééminence de la patrilocalité et la patrilinéarité au Paléolithique : la solution la plus logique est en effet que les femmes du groupe susceptibles d’être l’objet de leur convoitise le quittent et que les mâles du groupe fassent venir leurs femmes de l’extérieur au moment de les épouser pour les installer au sein de leur lignage.

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Retrouvez Jean-Marc Bourdin en visioconférence le samedi 12 juin prochain, pour une intervention dans le cadre du cycle « Violence et représentation » de l’Association Recherches mimétiques (ARM) :

MARCEL DUCHAMP, OU COMMENT SACRIFIER (À) LA MODE DU REFUS

https://www.rene-girard.fr/57_p_55363/evenements.html

8 réflexions sur « Prévention de la consanguinité au Paléolithique »

    1. Le signalement de cette étude vient en quelque sorte compléter les publications récentes sur le blogue relatives à l’inceste en fournissant une profondeur paléoanthropologique.

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  1. Je remarque avec satisfaction que le vocabulaire a changé avec la révolution anthropologique en cours. On ne dit plus que les hommes « s’échangent » les femmes ; on ne les imagine plus en train de refiler aux autres les femmes dont ils auraient tellement envie qu’ils s’entretueraient pour elles pour accueillir à la place des femmes inoffensives. Bref, les femmes en âge de procréer « quittent » leur groupe d’appartenance : des aventurières en somme et en plus, intelligentes !

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    1. Eh oui, si l’écriture avait été inventée au paléolithique, aurait-elle été inclusive ? Des chercheurs ont en tout cas établi que certaines mains négatives étaient celles de femmes !

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    2. Toutes ces réflexions m’amènent à me demander si votre expression « femmes inoffensives » ne constitue pas un bel oxymore…

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      1. Voici une blague macho, plus cultivée que la moyenne mais quand même bien dans la tradition. Girard dit quelque part qu’il est plus facile de vivre avec les femmes des autres qu’avec les siennes. C’est même pas une blague, c’est dans un livre d’entretien. Jean-Marc, même en s’appuyant prudemment sur des recherches paléontologiques pointues, s’est attaqué à un sujet brûlant.

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  2. En introduction au déluge, Genèse décrit l’humanité :

    « Alors que les hommes avaient commencé à se multiplier sur la surface du sol et que des filles leur étaient nées, les fils de Dieu virent que les filles d’homme étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix. Le SEIGNEUR dit : « Mon Esprit ne dirigera pas toujours l’homme, étant donné ses erreurs : il n’est que chair et ses jours seront de cent vingt ans. » » (Genèse 6, 1-3)

    Girard assimilait le déluge à la crise mimétique sans résolution sacrificielle. On ne peut certes pas tirer de ce passage des conclusions aussi précises que l’article, mais il semble indiquer que l’absence d’interdits concernant les femmes serait un facteur prépondérant de la crise. Ne sont tolérés dans l’arche que des couples déjà constitués (pas de célibataires pour éviter les désordres amoureux ?).
    L’élimination de tout ce qui n’appartient pas à cet ordre conjugal et patriarcal semble aller dans le sens d’une sélection darwinienne favorisant les communautés qui ont compris les dangers de la mimésis d’appropriation et mis en place un système d’interdits.

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    1. Cher Hervé,

      On peut coupler la citation de la Genèse que tu nous rappelles avec le dixième commandement. Un « a fortiori » ou un « bien entendu » pourrait être ajouté à « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain » : et a fortiori tu ne convoiteras pas une femme de ta famille proche.

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