« J’ai rejoint les rangs pour sortir du lot »

par Jean-Marc Bourdin et Hervé van Baren avec la participation de Christine Orsini

Pour recruter, l’armée de terre française a élaboré une stratégie publicitaire intéressante. Elle est ainsi explicitée : « Avec la professionnalisation des armées, le recrutement du personnel militaire est confronté à une concurrence permanente sur le marché de l’emploi. Il s’agit désormais pour les armées d’attirer une ressource vers un métier caractérisé notamment par des sujétions que ne connaît pas le secteur civil. Pour cela, elles doivent promouvoir auprès de l’ensemble des jeunes, et particulièrement ceux issus de milieux modestes dans le cadre du plan égalité des chances, les valeurs portées par l’institution, les responsabilités rapidement confiées, les perspectives de promotion sociale qu’assurent les capacités de formation continue et la stabilité professionnelle. »

Il faut dire que depuis la fin de la conscription et la constitution d’une armée de métier, le cadre juridique qu’elle utilise à titre principal est le contrat à durée déterminée à possibilités de prolongation limitées, ce qui entraîne une rotation rapide des effectifs. Bref le recrutement est devenu une mission majeure des ressources humaines militaires.

Dans une récente campagne de l’armée de terre, une affiche montrant une jeune femme en uniforme, Lucie, est surmontée par un slogan : « J’ai rejoint les rangs pour sortir du lot. » Les publicitaires et le commanditaire assument sans détour un paradoxe.

5 réflexions sur « « J’ai rejoint les rangs pour sortir du lot » »

  1. Texte intéressant à rapprocher de la pensée de Karl Jaspers (Introduction à la philosophie) qui assigne aux comportements de l’individu dans le monde un rôle d’intermédiaire dans la relation avec Dieu.

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    1. Je voudrais compléter ma remarque concernant l’invitation paradoxale de l’armée à « distinguer » ceux qu’elle va mettre en rangs : l’expression de fierté de Lucie (on s’est bien gardé ici de faire de cette jeune personne « n’importe qui ») fait penser à ces vertus qu’on ne célèbre qu’exceptionnellement (à l’issue d’une tragédie) et qui font de celui qui les incarne un héros, un modèle, un être d’exception : le courage d’affronter la mort, le don de soi à une cause collective ou universelle, le respect inconditionnel de valeurs qui transcendent l’individu et cimentent la communauté. Au-delà de l’intégration sociale, il y a peut-être dans cette affiche la promesse d’un destin hors du commun. L’idée du sacrifice de soi comme moyen de réalisation de soi est lisible dans cette image, si l’on ne se contente pas des seuls motifs auxquels s’arrêtent forcément les publicitaires, comme le besoin d’intégration, le souci de promotion sociale ou l’ambition de « faire carrière ».

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  2. L’affiche publicitaire pour encourager les engagements dans l’institution militaire montre ce que K.Jaspers appelle la « façon d’être au monde » dans notre société. Il conviendrait, dans cette analyse relative à l’armée, rappeler ce que RG dit dans « Achever Clausewitz » de la crise des institutions, laissant présager la fin du temps des païens et l’entrée dans les temps apocalyptiques.

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  3. Bravo Jean-Marc pour cette analyse girardienne pleine de finesse, et enrichie par Hervé et Christine.
    On peut y ajouter une tendance observée dans la publicité depuis quelques années, celle de faire des jeux de mots dans les accroches. Par exemple, la SNCF veut faire connaître une application sur smartphone, et annonce : « Un voyageur azerty en vaut deux ». L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité avait fait ce constat dans son Observatoire 2018. Nos forces armées auraient-elles également succombé à cette mode ? Mimétisme toujours…

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