Comment parler à un grand-prêtre…

… et à la foule qui l’entoure ?

Comme beaucoup de monde, je suis sorti abasourdi, sonné, du visionnage de l’altercation verbale entre les dirigeants américains et ukrainiens dans le bureau ovale de la Maison Blanche1. Je me suis ensuite précipité sur les analyses de ce moment que tout le monde qualifie d’historique, ne fût-ce que par le ton inédit de l’échange. Aucun de ces commentaires ne m’a satisfait, aucun n’atteignait, me semblait-il, le niveau nécessaire pour donner sens à un moment aussi surréaliste.

Mon indignation devant la trahison de Trump et Vance de tous les principes qui fondaient l’Occident se heurtait aux témoignages des supporters de Trump, qui avaient l’air très satisfaits de la performance théâtrale de leur champion2. Ainsi, il y a des gens, beaucoup de gens, qui estiment parfaitement légitime le sabordage de décennies d’ordre mondial basé sur des principes de respect de l’autre, la volonté délibérée de le remplacer par un monde de gangsters sans foi ni loi, la planète devenant leur terrain de jeu.

Comment en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?

Partons d’un phénomène mondial qui n’épargne pas l’Europe, la prolifération de régimes dits « illibéraux », autrement dit appuyés sur exactement les mêmes idées : la mise au rebut de la démocratie et de l’Etat de droit, le plébiscite d’un (dés)ordre mondial basé sur la rivalité, le rapport de force. Mais constater l’émergence d’un nouvel ordre ne suffit pas à l’expliquer. Personne n’a rien à gagner dans l’effondrement du système actuel. Il nous a laissé 80 ans de paix relative, un marché mondial qui a permis à une majorité de pays émergents de sortir de la misère, une prospérité inédite3. Le nouveau nous promet des guerres sans fin, une ère de terreur permanente, une paupérisation du grand nombre, un risque sensiblement augmenté de déflagration mondiale, y compris d’holocauste nucléaire4. Celles et ceux qui soutiennent la politique du nouveau gouvernement américain creusent indéniablement leur propre tombe. Ils le font néanmoins, et ils le font avec jubilation.

L’absurdité apparente de cette forme de suicide collectif nous incite à convoquer la théorie mimétique, ne fût-ce que parce que René Girard est un des rares à avoir parfaitement anticipé le phénomène. Un mot s’impose : sacrifice. Jamais les conditions du sacrifice n’ont été mieux remplies. Jamais la crise mimétique n’avait atteint une telle échelle, mondiale. On ne va plus chercher les victimes émissaires dans le village voisin ; là aussi, les « échanges » se font au niveau global. Il serait fastidieux d’établir une liste. Limitons-nous à deux pays : la Russie et les Etats-Unis d’Amérique.

Poutine et Trump ne sont pas des hommes politiques. Ils sont, avant tout, des grands-prêtres, et le Kremlin et la Maison-Blanche sont les nouveaux autels sacrificiels où l’on égorge les victimes. Les Etats-Unis et la Russie ont basculé dans la crise mimétique et leurs peuples ont choisi d’en sortir en appliquant l’éternelle solution : le sacrifice.

L’invasion par la Russie, effective ou souhaitée, de ses voisins, n’a aucune justification géopolitique. Le risque existentiel que poserait l’OTAN n’est qu’une piètre excuse au projet réel : purifier la Russie, décadente, humiliée, menacée d’effondrement, en expulsant la violence interne. La Russie, c’est l’empire Aztèques du XXIe siècle. Il faut nourrir les dieux, fournir le Temple en innombrables victimes sacrificielles5.

La guerre contre l’Ukraine n’a aucune justification raisonnable, pas plus que la guerre hybride menée contre l’Occident haï. Même si Poutine avait réussi son pari d’invasion-éclair de l’Ukraine, les bénéfices qu’il pouvait en espérer n’auraient jamais compensé les pertes, la crise économique due aux sanctions occidentales, la profonde défiance de la communauté internationale et en particulier des pays voisins et, surtout, le divorce définitif avec le pays le plus proche culturellement, l’Ukraine, le frère slave.

La guerre-éclair a tourné au fiasco, mais peu importe. Au contraire : l’horrible guerre de tranchées, la boucherie relayée par les médias, tout cela n’est un échec que pour un stratège militaire au sens raisonnable du terme. Pour un grand prêtre, c’est une aubaine inespérée. D’abord, parce qu’elle confirme le caractère monstrueux de l’ennemi et de ceux qui le soutiennent. Ensuite et surtout, parce qu’elle fournit sur un plateau les milliers de victimes que le mécanisme sacrificiel exige lorsqu’il est à bout de souffle.

Des victimes potentielles, Poutine en a à profusion. Les « nazis » ukrainiens, d’abord, à commencer par les civils, bombardés sans relâche ou soumis aux pires exactions dans les territoires occupés. A ce titre, la déportation des enfants6 ukrainiens prend une signification symbolique. Dans la régression sacrificielle, la Russie de Poutine n’est pas loin de revenir au culte de Moloch7. Il y a aussi l’utilisation de criminels comme chair à canon qui, bien plus que d’être une mesure pragmatique, témoigne de l’obsession purificatrice des russes. Il y a, enfin, les forces vives de la nation, sa propre jeunesse, envoyée se faire équarrir sur le champ de bataille sans que personne ne semble y trouver quoi que ce soit à redire.

L’objectif réel et inexprimé du peuple russe, c’est sa rédemption dans le sang. Lorsqu’on a compris cela, on est pris de terreur à l’écoute des nombreuses menaces de Poutine d’utiliser l’arsenal nucléaire russe. Interpréter ces menaces comme du bluff est une dangereuse erreur. Une communauté ayant plongé dans la folie sacrificielle n’a pas peur de sa propre destruction. D’une certaine façon, elle la souhaite, elle la voit comme une apocalypse régénératrice. La logique de la Destruction Mutuelle Assurée8 n’a que peu d’effets sur le grand-prêtre et sur la foule qui le suit. Personnellement, cette idée me terrifie.

On le voit, cet éclairage girardien rend compte de toutes les incohérences de la politique russe récente. Qu’en est-il du mouvement MAGA aux Etats-Unis ?

Je l’ai brièvement mentionné dans un article récent9, les « provocations » de Donald Trump s’apparentent systématiquement à une inversion de l’accusation, les victimes devenant les « méchants » et inversement.  Les plus pauvres et exploités parmi les habitants des Etats-Unis d’Amérique deviennent des criminels. Les alliés fidèles deviennent des profiteurs sans vergogne, l’Amérique étant l’innocente victime de leur cynisme. Le pays envahi et martyrisé par son voisin devient l’instigateur de la guerre et son dirigeant, un dictateur qui en porte l’entière responsabilité. Les lanceurs d’alerte, les amoureux de la vérité deviennent des traîtres. Les dirigeants des pays démocratiques sont fustigés alors que les déclarations d’amour aux pires despotes se multiplient. Tout cela témoigne bien plus d’une résurgence sacrificielle que d’une politique réfléchie. On dénonce les mensonges à répétition de Trump, mais en réalité il accuse constamment. Girard nous l’apprend : dans la crise sacrificielle, l’accusation n’a que faire d’honnêteté et de cohérence. Il faut arrêter de croire que Trump sait ce qu’il fait. Il a la compréhension intuitive que sa seule compétence est religieuse : il est, par ses propres blessures d’enfance et son obsession purificatrice, le parfait grand-prêtre pour le nouveau culte sacrificiel qui s’établit en Amérique. Ses suiveurs sont l’exacte réplique de la foule qui condamne Jésus à mourir sur la croix :

Pilate leur demande : « Que ferai-je donc de Jésus, qu’on appelle Messie ? » Ils répondirent tous : « Qu’il soit crucifié ! » Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais eux criaient de plus en plus fort : « Qu’il soit crucifié ! » (Matthieu 27, 22-23)

Aucun argument raisonnable ne pourra jamais atteindre une foule plongée dans cet état. Il reste donc la question cruciale, vitale : comment parle-t-on à un grand-prêtre, le couteau levé sur la victime sacrificielle ?

On peut aisément identifier les paroles qui n’ont aucune chance de sortir la foule de cette psychose collective.

Le rapport de force. C’est pourtant un langage qui ose se confronter au réel. Il part du constat qu’on ne discute pas avec un grand-prêtre assoiffé de sang. On pourra éventuellement dialoguer après la résolution sacrificielle de la crise. Mais sachant, avec Girard, qu’aucun sacrifice, aucune Shoah ne pourra plus jamais rétablir la paix, cette recette n’a pas beaucoup d’utilité. Il reste donc la confrontation violente, la neutralisation du danger, ce qui revient à la montée aux extrêmes prédite par Girard, qui nous rappelle qu’il est impossible de résister au mimétisme lors d’une telle confrontation. Si nous choisissons la lutte à mort contre les fanatiques qui nous pressent de tous côtés, y compris de l’intérieur, nous deviendrons à notre tour une foule sacrificielle, déterminée à purifier le monde par l’élimination des méchants.

L’appel à la raison. Peut-être, en continuant à réciter les mantras du modernisme progressiste et des Lumières humanistes, entendront-ils ? Cela, c’est de l’angélisme, qui ne peut connaître qu’une seule issue : nous irons rejoindre les malheureux ukrainiens sur l’autel des grands-prêtres.

La ruse. Emmanuel Macron a pu mesurer les limites d’une telle approche lors de sa récente visite à Washington pour tenter d’infléchir la politique de Trump.

On peut continuer la liste. On finira par se rendre compte de la cruelle réalité : aucun langage humain n’a le pouvoir de sortir le sacrificateur de son obsession purificatrice. Le seul langage qui puisse nous sortir du sacrifice, c’est un langage de révélation, c’est le langage des prophètes.

Les grands-prêtres et les anciens persuadèrent les foules de demander Barabbas et de faire périr Jésus. Reprenant la parole, le gouverneur leur demanda : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils répondirent : « Barabbas. » Pilate leur demande : « Que ferai-je donc de Jésus, qu’on appelle Messie ? » Ils répondirent tous : « Qu’il soit crucifié ! » Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais eux criaient de plus en plus fort : « Qu’il soit crucifié ! » Voyant que cela ne servait à rien, mais que la situation tournait à la révolte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant : « Je suis innocent de ce sang. C’est votre affaire ! » Tout le peuple répondit : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » (Matthieu 27, 20-25)

Où suis-je dans cette scène ? Suis-je Pilate, qui tente un moment d’inverser le cours tragique de l’histoire, mais qui cède rapidement aux réalités du monde ? Le grand-prêtre Caïphe, qui se réjouit du succès de sa campagne de « fake news » et de la réussite probable du sacrifice dont il est l’instigateur ? Suis-je un des soldats romains qui maintiennent l’ordre et qui se disent : « je fais mon boulot, pour le reste, cela ne me regarde pas » ?

Suis-je noyé dans cette foule, à réclamer l’aspersion par le sang de l’Agneau, qui à coup sûr me lavera de mes péchés ?

Peut-être me prends-je pour le Messie, je suis la victime de la méchanceté du monde, mais par ma toute-puissance je le sauverai du mal ? Eternelle tentation de l’hubris.

Suis-je aux côtés de Jésus, à lui tenir la main, au risque de prendre les coups avec lui ? Lorsque je suis tenté d’endosser ce beau rôle, je me souviens, le récit ne laisse aucun doute là-dessus : il n’y avait personne aux côtés de Jésus. Personne pour prendre sa défense, personne pour le plaindre, personne pour le consoler.

Il n’y avait personne près de la femme innocente, lorsqu’elle brûlait sur le bûcher en d’atroces souffrances, aux cris de « à mort la sorcière ».

Il n’y avait personne aux portes des chambres à gaz où l’on entassait les enfants, les femmes et les vieillards, pour les éliminer comme de la vermine.

Il n’y a personne à côté du lit où le père indigne rejoint sa fillette pour abuser d’elle, personne pour entendre ses appels à l’aide.

Je plane au-dessus de cette scène, rejouée tant de fois, et je prends le temps de la contempler dans ses moindres détails. Je contemple l’innocent accusé, humilié, souillé, l’unanimité qui s’est faite contre lui, le silence qui étouffe son innocence. Je me mets à sa place, je ressens ce qu’il doit ressentir, la terreur, le sentiment d’injustice, la colère, le désespoir, « Eloï, Eloï, lama sabaqthani ? »

Je reviens à la foule, je me coule dans la foule, je me laisse gagner par l’euphorie d’être un membre anonyme de cette foule, la rage qui me gagne contre celui que tout le monde accuse, la jouissance d’être en résonance parfaite avec les autres. Je ressens ce besoin irrépressible d’être couvert de son sang. Je me reconnais !

Je suis un sacrificateur.

*****

1Réunion Trump-Vance-Zelensky dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le 28 février 2025https://www.youtube.com/watch?v=VGb4tjnqpdE

2Trump termine l’échange avec Zelenski par un ahurissant « ça va faire un très bon show télévisé ».

3Et aussi, il faut le rappeler, une planète ravagée et des inégalités sociales inédites

4Notons, durant l’échange dont il est question, l’accusation de Trump : Zelenski, par son entêtement à défendre son pays, serait responsable d’un risque accru de troisième guerre mondiale.

5A ce sujet, revoir le film hypnotique de Mel Gibson, Apocalypto.

6https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9portation_d%27enfants_ukrainiens_lors_de_l%27invasion_russe_de_l%27Ukraine

7« Dans la Bible, le culte de Moloch est lié à des sacrifices d’enfants par le feu » (Wikipedia, Moloch)

8Ou MAD : Mutually Assured Destruction, la doctrine nucléaire dominante, selon laquelle la paix est garantie par l’assurance de l’anéantissement tant de l’agresseur que de l’agressé en cas d’usage des bombes atomiques.

9René Girard peut-il être récupéré ? mon précédent article :

https://emissaire.blog/2025/03/04/rene-girard-peut-il-etre-recupere/

14 réflexions sur « Comment parler à un grand-prêtre… »

  1. Alors là Hervé, vous êtes particulièrement inspiré, cela dit sans la moindre ironie. J’ai envie de me joindre au choeur des laudateurs qui ne va pas tarder à retentir, mais j’ai peur de cet unanimisme. Je préfère jouer le rôle du trickster pour l’instant.

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  2. Voilà donc les larmes que nous partageons avec la pierre des traitres, cher Hervé, et qui nous donne ce courage de témoigner de qui nous sommes, prudents comme le serpent et simples comme la colombe, abandonnés de ce dieu violent qui n’existe pas pour remettre notre esprit aux mains de celui qui désormais nous pardonne et nous conduit au pardon de l’ennemi, engagés après avoir embrassé sur leurs lèvres exsangues les inquisiteurs, pour suivre le Rabbi qui s’évanouit aux ténèbres de la cité, sûr désormais de ne plus le trahir, ayant reconnu que nous l’avons déjà trahi , à 6:48 :

    https://www.youtube.com/watch?v=bATuHdsP2Jg&list=PL244CEA0602505065&index=11

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  3. Bonjour il me semble que la situation est plus nuancée que cela… Shakespeare après avoir décortiqué toutes les violences humaines et collectives se rencontre quant en jugeant la foule il fait la même chose qu’elle ! Il fait de la foule un bouc émissaire et Girard en l’analysant montre la tendance contemporaine de dénigrer la populace en par exemple écrire des pièces absconses pour se moquer d’elle .
    N’est ce pas ce que essaie de nous dire J D Vance dans son discours à Munich ?
    Certainement Trump est dans la violence primaire mais il répond à une autre violence plus subtile et plus policée qui , il me semble est la marque de notre époque où les dirigeants sont traumatisés par leurs parents qui ont été berné par le fascisme et le colonialisme et prônent maintenant l’inverse le petit la repentance…
    Une posture mimétique où le juste milieu raisonnable est inaccessible pour les scribes et les pharisiens …

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    1. Bonjour Anonyme,

      Je n’ai pas cherché, dans cet article, à nuancer mon propos. C’est plutôt une tentative de partir d’une position inévitablement subjective pour atteindre, non un « juste milieu raisonnable » qui, à mon humble avis, n’existe pas dans la crise mimétique, mais un lieu hors du sacrifice d’où je peux, enfin, contempler mon appartenance à la foule homicide.

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  4. La litanie incessante de la conséquence de la ruine du mécanisme victimaire par la Passion du Christ , sans jamais ( ou presque ) esquisser le moindre début de solution à part la répétition aussi rituelle qu’inopérante du mantra qui veut que « là où croît le danger croît aussi la solution » à quelque chose de profondément désespérant.Alors pour changer je vous rappelle la recette de notre cher James : la dédistorsion des désirs distordus, le pardon des offenses, le don de soi !
    jacques Legouy

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    1. Cher Jacques,

      Vous me forcez à clarifier ma position une fois de plus. La voici : il n’y a pas de début de solution à la ruine des systèmes sacrificiels. Il n’y a d’ailleurs pas de solution du tout. Il n’y a que la crise. C’est en effet un constat assez désespérant, du moins jusqu’à ce qu’on comprenne que la crise n’est pas le problème à résoudre. C’est, justement, la solution. Voir mes deux dernières vidéos pour plus de précisions (et plus de nuance).

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  5. « Trump a un plan, et via Peter Thiel, fondateur de PayPal applique la théorie mimétique. Comprendre sa politique grâce à René Girard (mais aussi Simone Weil) est donc possible !
    Sa politique se heurte à une contradiction : Elle se veut la solution à la guerre culturelle, présente en Europe, mais exacerbée aux USA. » c’est ce que j’écris pour présenter mon article (lien ci-dessous) sur Linkedin

    Nous sommes donc en désaccord. Vous savez que Peter Thiel est un connaisseur de Girard. Son livre zéro à un, où vous pouvez y lire l’application à l’économie de la théorie mimétique (avec une allusion, sans le nommer à Trump).

    Il me semble contradictoire d’être l’accusateur de cette politique, sans avoir lu le livre de Thiel, et surtout sans avoir lu son article de début d’année, que j’analyse dans le mien, pour pointer la contradiction de la politique de Trump, visible avec cette confrontation avec Zelensky..

    Comprendre la politique d’action de Trump avec la théorie mimétique de René Girard et la pensée de Simone Weil – l’Association d’aides des victimes de souffrance au travail organisationnelle

    Vous verrez, alors, que le désaccord n’est pas total.

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    1. Il y aura toujours un autre, désigné comme malfaisant, pour nous détourner de notre faculté commune à exercer les malfaisances du pouvoir :

       » Du pouvoir de transformer un homme en chose en
      le faisant mourir procède un autre pouvoir, et bien
      autrement prodigieux, celui de faire une chose d’un
      homme qui reste vivant. Il est vivant, il a une âme ; il est
      pourtant une chose. Être bien étrange qu’une chose qui a
      une âme ; étrange état pour l’âme. Qui dira combien il lui
      faut à tout instant, pour s’y conformer, se tordre et se
      plier sur elle-même ? Elle n’est pas faite pour habiter une
      chose ; quand elle y est contrainte, il n’est plus rien en elle
      qui ne souffre violence. »

      https://teuwissen.ch/imlift/wp-content/uploads/2013/07/Weil-L_Iliade_ou_le_poeme_de_la_force.pdf

      À quand une institution pauvre pour les pauvres ?
      Jamais plus qu’aujourd’hui les pouvoirs de la force exposent leur faiblesse, synonymes de sa chute quand rien n’est à l’abri du sort de ceux qui l’admirent encore, haïssent leur ennemi et méprisent les malheureux.

      On ne se trompes pas quand on est fidèle à ce qui fonde la démarche gracieuse en ce monde écroulé, la souffrance est une conséquence de la lucidité, pour ceux qui ont renoncé au mensonge :

       » L’homme qui n’est pas protégé par l’armure d’un mensonge ne peut souffrir la force sans en
      être atteint jusqu’à l’âme. La grâce peut empêcher que cette atteinte le corrompe, mais elle ne peut pas empêcher la blessure. « (Ibid)

      Thiel, plutôt que d’imiter l’antéchrist qu’il dénonce, a ici l’occasion d’accéder à la vérité de son mensonge et de répondre favorablement à l’invitation christique de l’interprétation girardienne.

      Il ne s’agit ni d’une condamnation ni d’une accusation, mais du partage de la réalité commune de notre condition de mortel qu’ensemble nous avons capacité de décrire.

      « Quand il s’agit d’écrire, on est scrupuleux, on regarde de très près, on rejette tout ce qui n’est pas vérité. Mais tant qu’il ne s’agit que de la vie, on se ruine, on se rend malade, on se tue pour des mensonges. Il est vrai que c’est de la gangue de ces mensonges-là que (si l’âge est passé d’être poète) on peut seulement extraire un peu de vérité. Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort. Heureux ceux qui ont rencontré la première avant la seconde, et pour qui, si proches qu’elles doivent être l’une de l’autre, l’heure de la vérité a sonné avant l’heure de la mort. »

      https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Le_Temps_retrouv%C3%A9,_1927,_tome_2.djvu/63

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  6. Je trouve votre billet désespérant Hervé van Baren ! Je pense cependant que vous avez raison.

    Ne sommes-nous pas d’abord des produits de l’évolution ? N’obéissons-nous pas d’abord aux lois de la nature si bien décrites par Darwin dans l’Origine des espèces : « Je ne saurais dire jusqu’où descend cette loi de la guerre dans l’échelle de la nature… » (GF Flammarion, édition 2022, page 141) ? N’est-ce pas cela le péché originel, cette loi de la guerre inscrit dans l’ADN de nos cellules ? Certes, nous avons atteint un stade élevé d’évolution qui nous rend capable de recevoir l’information de l’Évangile ainsi que celle de la théorie de René Girard, le « Darwin des sciences sociales », mais la loi de la guerre nous colle à la peau !

    Désespérant certes mais pas désespéré :

    « Moi, homme misérable, qui donc me libérera du corps de cette mort ?
    Chérissement d’Elohîms par Iéshoua le messie, notre Adôn.
    Ainsi donc, je sers la Tora d’Elohîms par ma raison,
    mais par ma chair le tora de la faute.
    »
    Épître aux Romains (traduction « La Bible Chouraqui »
    )

    Serge Lochu

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  7. Les forces de la vérité, qui sont de justice, travaillent la psyché des opinions, réveillent la belle endormie européenne de son songe oublieux du désastre de la domination de ses nations, amnésie mimée par les puissances pour consolider la révélation en marche du chemin d’avenir qu’elle est seule à savoir indiquer.

    Les somnambules peuvent continuer à vouloir cautionner les mafieux kleptocrates au nom d’une légitimité définitivement perdue, ils exposent qu’à nouveau ils ne savent que s’incliner devant le mensonge et son père, dont l’instrument est le meurtre qui refuse de pardonner pour justifier ses répétitions vengeresses, préférant l’esclavage de tous les retours en Égypte, plutôt que de reconnaitre librement leur propre péché et à partir de cette lucidité rationnelle, accéder à la conscience supérieure européenne de la similitude des séparations, fondement de la réconciliation paisible des différences qui permet leur coexistence.

    Le plus extraordinaire est qu’il suffit d’y croire pour le réaliser, laissant les désirs impériaux répéter les erreurs des « Allez et enflammez le monde » qui ont démontré qu’ils ne savaient que finir à Auschwitz.

    Debout l’Europe, le banquet des noces attend les nations qui savent pardonner.

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  8. Merci à Hervé pour cet article digne de la Semaine sainte.

       Le seul langage à tenir est celui de la révélation.  C’est-à-dire que nous devons nous tenir au plus près de Jésus. En pleine Semaine sainte, peut-on faire autrement ?

       À l’imitation de Jésus, nous comprenons qu’aucune riposte n’est sensée. Aucune. Les gros bras des régimes forts, tout autant que les commentaires éplorés des médias, pas plus que la ruse des diplomates, rien ne fait dévier la machine infernale. Jamais.

       Que fait Jésus à son procès ? Rien. Il ne s’explique pas, il ne se justifie pas, il renvoie chacun à son image et à sa responsabilité. Aux questions de Pilate et de Caïphe, il ajoute seulement : « C’est toi qui le dis. »

       Nous retrouvons-nous donc du côté des victimes sans autre moyen ? Absolument. Nous ne pouvons que porter témoignage, c’est-à-dire littéralement être victimes, du côté des victimes,ou à côté des victimes. On dit aussi « être martyr ». Au moins savons-nous que notre témoignage ne sera jamais perdu, et il ne faudra sans doute pas des siècles pour qu’il soit reconnu.Comment le savons-nous ? Tout simplement parce que la révélation (par le truchement de René Girard) nous a appris que désormais le sacrifice est inutile, il n’a plus prise. Depuis la deuxième Guerre mondiale, toutes les guerres ont été perdues : Vietnam, Afghanistan, Irak, et j’en passe. Les prochaines, militaire ou économique, seront perdues pareillement. Tous les attentats terroristes depuis les années 1970 ont-ils apporté le moindre soupçon d’une « solution » ? Pas le moindre. L’évidence est éclatante, mais elle n’a pas encore percé le mur de notre méconnaissance.

       La seule question qu’il reste à poser, c’est de savoir combien de victimes les monstres sacrificiels vont emporter avec eux ! Et la seule réaction qui porte un peu d’espoir, c’est de tenter de faire que le nombre soit le plus faible possible. Une vie sauvée en Ukraine, à Gaza ou au Soudanne se voit pas, ne se sait pas. C’est pourtant le seul signe qui peut nous faire croire qu’à la fin de la semaine sanglante, la résurrection est possible. Sinon, c’est à désespérer de tout !

    Joël Hillion

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  9. Finalement, l’esprit de sérieux m’a gagné à nouveau, l’heure est trop grave comme aurait pu dire le Général.

    Je pense recueillir l’approbation de la plupart des lecteurs du blog en écrivant que France Culture est un des représentants médiatiques les plus emblématiques et écoutés de la doxa intellectuelle française dans la période que nous vivons. J’écoute donc France Culture de temps en temps et j’entends dans un Podcast du 3 mars 2025, puis je retrouve facilement sur Internet, en introduction du texte qui vient à la suite, l’affirmation suivante : René Girard « Penseur catholique réactionnaire, pourfendeur de la bienpensance » (le thème qui avait initialement attiré mon attention était la récupération des thèses de Girard par Peter Thiel, le milliardaire libertarien, soutien du vice-président américain J.D. Vance).

    Ce qui m’amène aux questions suivantes :

    René Girard est-il un penseur catholique ? La réponse est oui. Peut-il être réduit à cela ? La réponse est non. Girard s’est toujours et avant tout défini comme un anthropologue. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est présenté en premier lieu dans sa notice Wikipedia (peut-être, probablement, certainement ?) rédigée par un ou des membre(s) éminent(s) de l’ARM.

    René Girard est-il réactionnaire ? Si l’on entend ce dernier mot dans son sens le plus familier, c’est-à-dire comme prônant le retour à un état moral, social ou politique antérieur, je pense que non. L’état antérieur de l’humanité dans l’Histoire dessinée par les concepts fondamentaux de la théorie mimétique est l’état des sociétés sacrificielles, ces sociétés qui doivent leur stabilité, et même leur existence, à l’ignorance dans laquelle elles sont de l’innocence des victimes qu’elles ont sacrifiées pour se former et perdurer. Girard affirme que la révélation anthropologique christique a progressivement affaibli et finalement mis un terme à cette ignorance.

    René Girard est-il un pourfendeur de la bienpensance ? Si l’on entend par bienpensance, une des modalités, ou une de ses conséquences qui est le wokisme, ce concept aux contours aussi vagues que mouvants, peut-être que oui. Si l’on entend une des formes de l’humanisme, alors certainement non. Dans « Je vois Satan tomber comme l’éclair » (Grasset, 1999), Girard pointe p. 252 « l’origine véritable de notre souci des victimes, très évidemment chrétienne. » Néanmoins, il passe très vite du souci moderne des victimes à la concurrence victimaire et à ses effets potentiellement nocifs. Quels sont-ils concrètement ? Ce sont d’abord des querelles entre universitaires, quelques manifs étudiantes. So what ?

    Les conséquences concrètes de la guerre déclarée par Trump et son équipe au wokisme sont d’un ordre tout autre. Je ne vais pas les lister ici, elles sont toutes publiques et connues par les lecteurs de ce blog. Celle qui m’a le plus outré en tant qu’humaniste, et même en temps qu’humain, est la réduction de plus de 90% des financements de programmes d’aide à l’étranger par l’agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid).

    Girard nous a enseigné que le souci des victimes est « le masque laïque de la charité ».

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