« Business as usual »

« Business as usual » est une expression toute faite ; elle signifie qu’en dépit des apparences,  tout continue comme d’habitude. « Nihil novi sub sole », rien de nouveau sous le soleil, eussions-nous écrit à l’époque d’une autre « lingua franca ». « Tout change, mais rien ne change » aurait pu dire le prince Salina.

Depuis l’entrée de Donald Trump à la Maison blanche et les déclarations tonitruantes qu’il assène avec régularité, l’opinion publique occidentale se cristallise sur une idée qui semble faire consensus : un changement radical dans la marche du monde est en train de se produire sous nos yeux. Certains en trépignent de joie, la plupart se roulent par terre en pleurant. « Nouvel ordre du monde », « changement d’ère », « la révolution Trump », etc. vous n’avez pas manqué de croiser ces formules, dont le caractère hyperbolique traduit l’intensité émotionnelle de ceux qui les véhiculent.

Il me semble cependant que cette idée d’un changement majeur ne va pas de soi. J’attends des indices plus solides, au-delà de l’écume des jours,du « brouillard de la guerre » (comme disait Clausewitz) et du théâtre des sympathies et des antipathies, des idolâtries et des répulsions.

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Je suis quand même stupéfait de voir l’opinion publique occidentale se déchaîner contre Donald Trump, communier dans des séances de détestation collectives à son encontre, alors qu’il est le premier, et le seul, à annoncer vouloir la fin de l’hécatombe en Ukraine.

Un de mes précédents billets déplorait le consensus autour de la poursuite de la guerre, et qu’un tout petit nombre de personnalités seulement osent se prononcer en faveur d’une cessation des hostilités et d’un recours à la voie diplomatique (1). Avec Donald Trump,  en voici une de plus, et par surcroît, en position d’agir et de peser sur le processus. Je m’en réjouis, ce qui ne veut pas dire que je donne quitus à Donald Trump pour tout ce qu’il ou fait.

Les adeptes de la poursuite de la guerre n’ont qu’un seul argument : si l’Ukraine cède, Vladimir Poutine va se ruer sur le reste de l’Europe et y imposer une dictature odieuse. Volodymyr Zelensky l’exprime avec clarté : « L’Ukraine protège l’Europe et la démocratie ». Jo Biden faisait chorus.

Cet argument me paraît extrêmement contestable.

D’abord parce que la Russie fait d’ores et déjà partie des perdants de cette guerre ; j’ai commenté ce point de vue dans nos colonnes voici une année (2). Pertes humaines irréparables ; Suède et Finlande dans l’OTAN ; perte des gazoducs de la Baltique ; etc.

Contestable ensuite parce que Vladimir Poutine n’est pas seul responsable de cette guerre. Les Etats-Unis ont non seulement soutenu cette guerre ces trois dernières années, mais ils l’ont aussi souhaitée. Et de longue date. En 1997, dans son livre « Le  grand Echiquier »,  Zbigniew Brzezinski, l’une des figures de la géopolitique américaine, expliquait que « l’Ukraine est le ventre mou de la Russie » et que c’est par là qu’il fallait la circonvenir. En 2008, George W. Bush donne le feu vert à une perspective d’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. En 2019,  un rapport de la Rand Corporation préconise d’armer l’Ukraine pour affaiblir la Russie dans  une guerre de basse intensité. Voyez mon billet de 2022,  « L’éternel Retour » (3), pour davantage de précisions. L’extension de l’OTAN vers la Russie ne me paraît pas du tout un prétexte inventé par Vladimir Poutine pour justifier son agression. Si les responsabilités de cette guerre sont partagées, le récit de Poutine comme agresseur assoiffé de conquêtes s’étiole singulièrement.

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Les Etats-Unis sont depuis 1945 un système néo-impérial, concurrencé jusqu’en 1991 par un autre système néo-impérial, l’URSS. Fort heureusement pour ceux qui en sont les vassaux, en particulier les pays d’Europe (4), les Etats-Unis justifient leur comportement néo-impérial par la défense des libertés, de l’initiative individuelle et de la démocratie ; ils sont ainsi tenus à un minimum de respect de ces principes (ils l’étaient d’ailleurs davantage à l’époque où ils avaient un concurrent). Encore une fois nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais ce minimum n’empêche pas les Etats-Unis de profiter de leur statut de centre néo-impérial. La non-convertibilité du dollar en or, décidée par Richard Nixon en 1971,  est une entreprise de racket généralisée ; son corollaire, l’extraterritorialité du dollar, permet d’infliger quelques « amendes » complémentaires ou de faire du chantage pour s’emparer d’entreprises ou technologies (voyez l’affaire Alstom).

Un empire se fait la vie facile sur le dos de ses vassaux. Business as usual.

Une autre caractéristique du comportement néo-impérial des Etats-Unis est de contrôler les gouvernements des pays vassaux ; le critère étant bien sûr qu’ils soient favorables aux intérêts américains. Certes, cela conduit à soutenir parfois des dirigeants dont l’inspiration démocratique est assez évanescente (le Shah, Pinochet, Somoza, Saddam Hussein (5), Mohammed ben Salmane, etc.) Mais Franklin D. Roosevelt a par avance « légitimité » toutes ces écarts : « C’est peut-être un salopard, mais c’est le nôtre » aurait-il dit du dictateur péruvien Trujillo. Une autre forme de contrôle vint à la lumière lorsque fut révélée la mise sur écoute du portable d’Angela Merkel ; elle eut le tact, en ne protestant pas, de préserver Barack Obama de l’embarrassante obligation de présenter ses excuses (ironie).

En 2000, une équipe de géopoliticiens américain publie le PNAC, « Project for a New American Century » (Projet pour un nouveau siècle américain). Mis sous le boisseau à cause de certains excès, ce document prône une ligne de conduite que toutes les administrations mettront cependant en œuvre : empêcher à tout prix l’émergence de toute nouvelle puissance de taille mondiale. Au milieu des années 2000, les Etats-Unis s’avisent que le sous-traitant commode qu’est la Chine commence à afficher des prétentions excessives. Et en 2007, à la conférence annuelle de Munich sur la Sécurité, Vladimir Poutine se permet de plaider pour un ordre mondial multipolaire, c’est-à-dire la fin de l’hégémonie américaine.

Business as usual : un empire cherche toujours à casser les reins d’un rival qui se présenterait ; sans remonter à « Delenda est Carthago », contentons de l’exemple de l’Empire anglais, dont le souci au début du vingtième siècle était de contrarier l’émergence de l’Allemagne comme puissance. Nous savons tous comment cela s’est terminé en 1918.

La Russie est également un projet néo-impérial (vous serez d’accord avec moi sans que je n’argumente). Depuis 2027, elle se présente, sinon comme un rival, mais au moins comme un contestataire de l’hégémonie américaine. Les Etats-Unis s’efforcent alors de faire basculer sous son influence l’Ukraine, ce fameux « ventre mou » désigné par Zbigiew Brzezinski. Après une série de manœuvres occultes de part et d’autres, Vladimir Poutine décide de passer au stade militaire. Un empire (ou se projetant comme tel) ne peut tolérer un adversaire dans sa proximité, il lui faut des états-tampons ; business as usual.

Dans cette affaire, chacun des deux protagonistes commet une erreur d’appréciation ; il est maintenant facile de le voir. Les Etats-Unis pensent que les sanctions vont rapidement démolir l’économie russe ; cela ne se produit pas. De son côté, Vladimir Poutine pensait qu’une brève opération militaire suffirait pour ramener l’Ukraine dans son giron ; trois ans après, ce n’est pas le cas.

Cette double erreur se traduit par une impasse. Veuillez m’excuser, je retire le terme d’impasse : cela se traduit par plus d’un million de vies brisées (5).

Le jeu démocratique amène un nouveau chef de bande à la tête de l’empire (Donald Trump est élu sans ambiguïté). Il arrive avec des idées différentes de ses prédécesseurs, mais certainement pas celle que le système néo-impérial des Etats-Unis ne doive s’effacer.

Il commence par mettre au pas ses vassaux. Certains comprennent très vite : Disney, Wall Mart et de nombreuses entreprises liquident leurs services dédiés à l’inclusion des diversités et prennent leurs distances avec le wokisme ; la plupart des grandes banques américaines se retirent début janvier de la Net-Zero Banking Alliance (6) ; Larry Fink, le patron de Blackrock, le plus grand fonds d’investissement au monde, déclare en décembre dernier que « l’immigration, grâce à l’Intelligence Artificielle et aux robots, est désormais inutile ».

D’autres comprennent juste à temps, comme Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, fidèle militant démocrate : douze jours avant l’investiture de Donald Trump, il annonce supprimer ses « fact-checkers » et sa division Inclusion, tout en s’excusant d’avoir cédé aux injonctions de la précédente administration.

D’autres  vassaux cependant, comprennent moins vite. Les Européens par exemple. À quelques exceptions près, ils n’ont pas caché leur préférence pour Jo Biden. Le dimanche 9 février, ils apprennent par un tweet que Donald Trump a discuté avec Vladimir Poutine. Le samedi 14, le vice-président Vance les sermonne au sommet de Munich sur la sécurité. Le mardi 18, une rencontre entre délégations américaine et russe se tient à Ryad, sans eux. Les 24 et 27 février respectivement, Emmanuel Macron et Keir Starmer (premier ministre anglais) sont reçus à la Maison blanche ; ils n’obtempèrent que du bout des lèvres aux projets de Donald Trump. Celui-ci reçoit ensuite Volodymyr Zelensky le vendredi 28 févier ; l’entretien s’achève en pugilat verbal, le président ukrainien refusant les conditions qui lui sont faites. Deux jours plus tard, le dimanche 2 mars, seize pays de l’Union européenne se réunissent à Londres, accueillent chaleureusement le président ukrainien et lui promettent leur soutien. Le lundi 3, Donald Trump suspend l’aide américaine à l’Ukraine. Le mardi 4, Volodymyr Zelinsky écrit au président américain qu’il accepte désormais toutes ses conditions.

Il ne s’agit pas d’une séquence géopolitique ; il s’agit d’un chef de gang qui donne des claques à ses affidés pour qu’ils n’oublient pas quelle est leur place. Business as usual.

Je crois que ce serait une erreur d’attribuer ce comportement à la seule personnalité de Donald Trump, nous avons vu dans la note (4) le mépris que manifestait Barack Obama à l’égard des Européens. Jo Biden, moins ordurier que Donald Trump dans la forme, n’était pas pour autant un chevalier blanc, volant au secours d’une innocente démocratie menacée par l’ogre russe.

Les détracteurs de Donald Trump affirment qu’il s’est soumis à Moscou, qu’il en adopte toute la propagande et qu’il a tout cédé sans rien obtenir. Au stade où nous en sommes, Donald Trump n’a rien cédé du tout. Les véritables concessions se verront lorsqu’un traité sera signé. Pour l’heure, il est seulement possible d’estimer la main de chaque protagoniste. Nous avons vu ci-dessus combien la Russie est actuellement perdante. En trois ans de guerre, elle n’est pas parvenue à s’emparer de la totalité des deux oblasts qu’elle visait, Donetsk et Lougansk ; si les négociations s’ouvrent, cela lui restera à obtenir.

Les Etats-Unis n’ont certes pas atteint leur objectif de déstabiliser la Russie, mais leur main reste solide.  Elle comprend d’abord le basculement dans l’OTAN de la Suède et la Finlande ; c’est fait, cela ne figurera pas au menu des discussions : énorme revers pour la Russie qui a d’ores et déjà perdu, et pour longtemps, un voisin neutre (la Finlande) avec qui elle partage 1 200 km de frontière.

Autre élément de la main de Donald Trump, plusieurs compagnies américaines, dont Blackrock et Monsanto, ont déjà acheté une grande partie des terres cultivables d’Ukraine. Business as usual.

Enfin, élément majeur de la main américaine, les gazoducs de la Baltique (Nord Stream 1 et 2).  Leur sabotage fut un coup sévère pour la Russie. Or, le 30 janvier, le Danemark (par ailleurs sous pression de Donald Trump au sujet du Groenland) annonce donner son feu vert pour la réparation des gazoducs, c’est-à-dire une perspective de remise en service. Au même moment, un tribunal helvétique accepte de reporter au 9 mai la liquidation de la société propriétaire des gazoducs (dont le siège social est en Suisse), juste quand Stephen Lynch, un investisseur américain, se déclare prêt à les acquérir. Merveilleux alignement de planètes. Ce n’est bien sûr qu’une hypothèse, mais la remise en service de Nordstream I et II, même sous « contrôle » américain, est un puissant levier pour tempérer les exigences de Vladimir Poutine.

Les deux chefs de gang se sont confrontés et ont pu mesurer leurs puissances respectives : ils enterrent maintenant la hache de guerre et vont se « partager la ville », à proportion du rapport de forces. Business as usual.

C’est le constat, somme toute banal, mais amer, que la marche du monde reste régie par les rapports de force entre les puissances. Cela dit, ne désespérons pas. Pascal disait que la violence et la vérité se livraient une « étrange et longue guerre » et que nulle d’entre elles ne saurait venir à bout de l’autre. Tout néo-impérial que soit le comportement des États-Unis, il prône les libertés, l’initiative individuelle et la démocratie ; non seulement nous pouvons nous en réjouir, mais encore nous devons, pacifiquement, les réclamer sans cesse et dénoncer les États-Unis lorsqu’ils les enfreignent. Prendre au mot les intentions louables, quand bien même ne seraient-elles qu’un habillage hypocrite du système néo-impérial, voilà une stratégie que l’Europe aurait pu (ou devrait, s’il en est encore temps) adopter.

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En quoi ce billet est-il girardien ? Où sont les concepts de la théorie mimétique ?

Ils se trouvent dans le changement de paradigme impulsé par Donald Trump. Carl Schmidt disait que « l’essence du politique est de désigner l’ennemi ». Si l’ennemi est désigné par quelqu’un, c’est qu’il n’est pas intrinsèque : rien ne s’oppose donc à en changer. Donald Trump ne fait rien qu’exercer l’essence de sa fonction en désignant un autre ennemi. Chaque président fait de même : George W. Bush ciblait le terrorisme, l’Iran  et l’Irak ; Barak Obama passe un accord avec l’Iran et accuse le système financier (contre lequel il ne fera rien) ;  le premier Trump déchire l’accord avec l’Iran et s’en prend à la Chine ; Jo Biden se fâche avec l’Arabie Séoudite, oublie la Chine et cible la Russie. La pratique de « désigner l’ennemi » perdure : business as usual.

Bien entendu, la théorie mimétique a traduit le terme de Carl Schmidt par celui de « bouc émissaire ». C’est logique puisqu’il s’agit de choisir celui à qui l’on fait porter la responsabilité des maux qu’endure la collectivité. Mais je suis très gêné par la polysémie excessive du terme de « bouc émissaire » et je trouve que la théorie mimétique n’a pas ici suffisamment développé son lexique.

Lors des crises (mimétiques forcément), avant que ne se produise le consensus sur la victime à sacrifier, les clans s’affrontent et chacun « propose » un coupable. Girard a illustré cette phase, dans Je vois Satan tomber comme l’éclair, lorsqu’Apollonius de Tyane propose à l’angoisse de la foule, touchée par la peste, un misérable mendiant en guise d’exutoire. Mais c’est seulement la cristallisation de l’hostilité de la foule qui fait du mendiant un bouc émissaire ; auparavant, il n’est qu’un quidam accusé arbitrairement. C’est, à mon sens, un manque de la théorie mimétique que de ne pas avoir de mot pour désigner celui qui est « proposé » comme bouc émissaire, sans cependant en être encore un.

Pourquoi  serait-il intéressant d’avoir un tel mot ? Parce qu’il se pourrait que nous soyons justement embourbés dans cette phase précédant la cristallisation. Nous avons encore le réflexe archaïque de recourir au bouc émissaire, mais nous savons que son exécution est illusoire. Girard a suffisamment expliqué comment la Passion du Christ a révélé la fausseté et l’injustice du sacrifice du bouc émissaire ; y contribue sans doute aussi l’esprit scientifique et la rationalité, lointain héritage de la Grèce antique et qui s’est puissamment développé depuis la Renaissance.

Recourir au mécanisme du bouc émissaire tout en sachant (au moins pour une partie de la communauté), que son exécution ne produira rien, c’est tourner en boucle dans la phase girardienne où la cristallisation ne s’est pas produite. Et nous savons qu’elle ne se produira jamais.

Je ne sais pas si nous vivons des temps apocalyptiques, selon la thèse répandue chez les girardiens. Mais il me semble que cela fait de nombreux siècles que les empires et les systèmes néo-impériaux (« les Puissances et les Principautés », pourrions-dire pour renouveler un peu notre vocabulaire) désignent leurs « méchants » pour exciter les foules et les entraîner à d’ignobles carnages, seulement utiles aux princes.

Décidément, j’ai du mal à voir dans le trumpisme une eschatologie ; il ne m’apparaît que comme… business as usual.

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(1) Voir le billet « Ukraine, deuxième année », https://emissaire.blog/2023/03/14/ukraine-deuxieme-annee/

(2) Voir le billet « Un millions de Vies brisées », https://emissaire.blog/2024/03/19/un-million-de-vies-brisees/

(3) Voir le billet « L’éternel Retour », https://emissaire.blog/2022/04/05/leternel-retour/

(4) Zbgniew Brzezinski dans « Le grand Echiquier » : « Les pays d’Europe sont les vassaux des États-Unis » ; Barack Obama à propos des pays européens : « Ce sont nos amis, même s’il faut parfois leur tordre le bras pour qu’ils comprennent ce que nous voulons qu’ils fassent » (interview à Vox en janvier 2015)

(5) Avant d’être l’odieux dictateur qui nécessita deux guerres, Saddam Hussein était un ami des Etats-Unis, qui le soutenaient dans l’inutile et long massacre de la guerre entre Iran et Irak (1980-1988) ; il s’agissait pour l’Amérique de combattre le régime des mollahs et de laver l’affront de la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran.

(6) Association lancée en 2021 avec pour objectif que les activités de prêts et d’investissements ne causent aucune émission de gaz à effet de serre ; 140 banques de 40 pays s’y étaient ralliées.

37 réflexions sur « « Business as usual » »

  1. J’ai apprécié ce billet, qui tranche fort heureusement avec la rengaine habituelle sur notre « temps apocalyptique », car en effet, les « Puissances et les Principautés » sont toujours là, bien qu’elles aient déjà perdu (simplement, elles ne le savent pas).
    Mais je relève néanmoins ce que je considère comme une mésinterprétation de la pensée de Carl Schmitt (et non pas Carl Schmidt, bien sûr). En aucune façon on ne peut traduire le concept schmittien d’« ennemi » – fondateur du politique – par « bouc-émissaire ». La différence, c’est qu’on désigne un bouc-émissaire pour surmonter une crise interne à la communauté, quand c’est l’ennemi qui nous désigne depuis l’extérieur. Pour Schmitt, une communauté politique se fonde à partir du moment où elle se sent menacée par un ennemi extérieur, et s’organise afin de pouvoir conserver soin intégrité, son existence même : c’est précisément ce qui se produit actuellement en Ukraine (d’une certaine façon, nous assistons à la naissance, ou à la renaissance d’une nation). À ce que je sache, dans les évènements que nous traversons, il y a bien un agresseur : c’est la Russie. Nous n’avions pas désigné la Russie comme notre ennemie – et l’Ukraine non plus – mais elle nous désigne en bloc comme cet ennemi nécessaire à toutes les sociétés totalitaires, qui procèdent toujours d’une économie de guerre.
    Les « Puissances et les Principautés » existent depuis fort longtemps, et cela ne change pas. La (relative) nouveauté, c’est qu’elles se nourrissent désormais d’idéologies religieuses hégémoniques, soutenues par une eschatologie détournée vers le politique. Rome ou Athènes n’avaient pas connu cela ; c’est l’Église Catholique qui a inoculé ce virus dans le politique, en ne comprenant pas que l’eschatologie judaïque était parvenue à son terme avec la Passion et l’Apocalypse. Avec les libertariens Russes et Américains (voir mon article sur « Le cosmisme et la guerre sainte du couple Poutine Kirill » et sur « Des eschatologies mortifères »), nous assistons à un retour monstrueux de cette perversion intellectuelle, et il était prévisible que les oligarques de la Silicon Valley s’allient aux oligarques russes pour nous imposer une « parousie » technologique et religieuse, présente dès l’annonce du « Grand soir ». Ils se réclament désormais, et non sans une forme de pertinence non dénuée de partialité, du catholicisme traditionnel de René Girard, si proche de l’orthodoxie russe. C’est pour cette raison que je me permets régulièrement de parler de l’erreur de Girard, reprise ad nauseam et indifféremment par ceux qui s’opposent ou qui acclament au contraire les nouveaux maîtres du monde. Cela ne remet aucunement en question toute l’admiration et le respect que je dois à celui que je considère comme mon maître ; bien au contraire !
    « Je remarque qu’il n’y a rien d’extraordinaire à ce que, soit dans la conversation commune, soit dans les livres, par le rapprochement des pensées qu’il exprime sur son objet, on comprenne bien mieux un auteur qu’il ne s’est compris lui-même, cela parce qu’il n’avait pas suffisamment déterminé sa conception et qu’ainsi il parlait et même pensait quelquefois contrairement à ses propres vues. »
    C’est par ces mots de Kant lui-même que Clavel s’est autorisé à composer son dernier opus : « Critique de Kant ». Kant était son maître. Je me refuse à mon tour à passer sous silence ce que je juge contestable dans certaines formulations girardiennes, parce que je suis persuadé qu’il serait en désaccord avec ceux qui les reprennent sans les avoir fait passer par le crible de la pensée (c’est-à-dire une pensée « critique », dans le vrai sens du terme.)

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    1. Benoit HAMOT, vous avez des réflexions pertinentes et intéressantes, dans vos articles mais, dans vos commentaires, vous affirmez, sans citer vos sources, affaiblissant les thèses de vos articles, que nous aimerions discuter.

      Aujourd’hui, en voici deux : 1-  » Les « Puissances et les Principautés » existent depuis fort longtemps, et cela ne change pas. La (relative) nouveauté, c’est qu’elles se nourrissent désormais d’idéologies religieuses hégémoniques, soutenues par une eschatologie détournée vers le politique. Rome ou Athènes n’avaient pas connu cela ; c’est l’Église Catholique qui a inoculé ce virus dans le politique, etc.
      Pour vous demander de préciser vos sources, j’oppose votre affirmation à une citation de Simone WEIL (désarroi de notre temps et autres fragments sur la guerre), que vous appréciez : « …le danger de domination universelle n’a rien de nouveau ou d’inouï. Rome (le danger de domination universelle n’a rien de nouveau ou d’inouï. Rome, la première n’a pas seulement menacé, mais anéanti les libertés du monde, si du moins l’on veut se servir de l’expression exagérée des écrivains latins, et nommer monde une large étendue autour de la Méditerranée. Soit dit en passant, ceux qui, comme Peguy et tant d’autres, accordent une part égale de leur admiration à l’Empire romain et aux guerres pour l’indépendance des patries commettent une contradiction sans excuse…Mais depuis quatre siècles l’Occident a subi trois menaces graves de domination universelle ; la première est venue d’Espagne, sous Charles Quint et Philippe II, la seconde de France, sous Louis XIV, la troisième de France encore, sous le Directoire et Napoléon. Les trois menaces ont été écartées après un sacrifice effroyable de vies humaines.« 
      2- Votre deuxième affirmation : « Nous n’avions pas désigné la Russie comme notre ennemie – et l’Ukraine non plus – mais elle nous désigne en bloc comme cet ennemi nécessaire à toutes les sociétés totalitaires, qui procèdent toujours d’une économie de guerre » vient en totale opposition à l’article de Jean-Louis SALASC « Les Etats-Unis ont non seulement soutenu cette guerre ces trois dernières années, mais ils l’ont aussi souhaitée. Et de longue date. En 1997, dans son livre « Le grand Echiquier », Zbigniew Brzezinski, l’une des figures de la géopolitique américaine, expliquait que « l’Ukraine est le ventre mou de la Russie » et que c’est par là qu’il fallait la circonvenir. En 2008, George W. Bush donne le feu vert à une perspective d’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. En 2019, un rapport de la Rand Corporation préconise d’armer l’Ukraine pour affaiblir la Russie dans une guerre de basse intensité. Voyez mon billet de 2022, « L’éternel Retour » (3), pour davantage de précisions. » Jean-Louis SALASC cite ses sources, elles sont, de ce fait, contestables, vous avez donc raison de les contester, mais si, de votre côté, vous ne citez pas les vôtres, une discussion sur vos thèses, même intéressantes, est impossible.

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  2. Il y a des choses exactes dans le texte de Jean-Louis, mais surtout une énorme lacune qui fausse complètement la perspective : la question démocratique. On ne peut pas regarder les bouleversements géopolitiques actuels indépendamment d’un contexte d’affaiblissement de la démocratie et de l’état de droit et, peut-être encore plus gravement, de déconsidération de l’idée même de raison (climato-négationisme et attaques contre la science…). Bref: d’attaque frontale contre toutes les valeurs sur lesquelles s’est bâties l’Europe dans laquelle nous avons vécu dans la paix et la liberté depuis 1945. Cette visée anti-démocratique est le fondement évident des connivences entre Trump et Poutine. Le discours de JD Vance à Munich et le texte de Peter Thiel dans le Financial Times en sont de terrifiantes illustrations. Je renvoie à un très bon de Jean-Frédéric Schaub « Les deux cavaliers de l’apocalypse, prendre au sérieux JD Vance et Peter Thiel » dans Esprit.

    https://esprit.presse.fr/actualites/jean-frederic-schaub/les-deux-cavaliers-de-l-apocalypse-prendre-au-serieux-jd-vance-et-peter-thiel-45769

    Dont voici la conclusion:

    « C’est pourquoi l’annonce que les deux cavaliers de l’apocalypse viennent de lancer à la face du monde peut être comprise comme le défi le plus violent que la démocratie représentative, l’État régulateur et la rationalité scientifique aient essuyé depuis les années 1930. Si leur parole dit notre avenir, celui-là ne ressemblera en rien à ce que fut la conquête démocratique de l’après-Deuxième Guerre mondiale. »

    Bernard Perret

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  3. Quel plaisir de vous lire, monsieur Salasc ! Pour moi aussi, le pire est la volonté européenne de persévérer dans le massacre par centaines de milliers de jeunes conscrits (sacrifice humain perpétré pour quel Serpent à plumes ?).

    Je partage votre avis sur le mot manquant. Bouc émissaire présuppose une connaissance même partielle de l’innocence de celui qui est mis au ban de la communauté. Coupable est contrebalancé par les coupables adverses et n’implique pas la fusion des adversaires contre un tiers commun dans un acte destructeur. Épouvantail ? L’épouvantail renvoie aux peurs archaïques et enfantines des hommes, c’est aussi un simulacre agité par le vent, une illusion. On choisit d’y croire ou pas, on en change quand il est usé, on s’affole (ou on se réjouit) quand l’illusion dévoile la montée en puissance d’une guerre ou d’un lynchage réels.

    En écho à votre business as usual, je dirais qu’il y a quand même de l’inusual dans les événements en cours et que le souterrain processus de Révélation vient de faire un pas supplémentaire, sans recul possible.
    Le crime principal de Trump est d’amener au premier plan ce qui fait courir le monde depuis le 19e siècle et plus encore depuis 1945 : ni le droit ni la justice ni l’idéologie, aucun de ces discours mais l’économique. Tous les pays du monde sont désormais parties prenantes de la société de consommation, tous sont capitalistes au sens où la finance est le moteur de cette consommation. L’étonnante trinité n’est plus le peuple passionné, le politique courant derrière le militaire et le militaire en incarnation jupitérienne. La nouvelle trinité, celle dévoilée par Trump, c’est le peuple consommateur, le politique servant l’économique et le militaire renvoyé dans ses foyers car l’économique le contient entièrement. Tous les coups sont permis dans l’économique sans besoin de lancer des missiles. L’homme d’affaires Trump veut donc la paix des armes (on peut bien sûr les produire et les vendre).

    Les dirigeants européens et leurs soutiens s’accrochent à l’ancienne trinité. Ils brandissent le militaire alors qu’ils sont des politiques d’abord occupés par l’économique. Leur militaire est un fantasme. Comme vous le dites : qui a participé à un engagement parmi eux ? Aucun ? Les milliards réclamés pour étayer un mythe effondré seront mieux employés dans la grande foire ukrainienne en passe d’ouvrir ses portes. S’ils tardent, ils se verront éjecter par les nouveaux acteurs : la Chine (1er investisseur en Ukraine avant 2022), les pays du golfe, l’Inde, le Brésil et d’autres, en plus des USA et de la Russie. Le combat est égal, l’UE n’est pas une pauvre petite chose contrainte à la mobilisation générale afin de se défendre contre les menaces extérieures mais une des plus puissantes économies du monde, une puissance qui n’a cessé d’avancer vers l’est : il suffit de regarder les cartes entre 1990 et aujourd’hui. Reconnaître la réalité économique d’un monde globalisé et se demander comment y conserver sa place serait salutaire.

    Si Vance et Thiel intègrent Girard à leurs analyses, n’est-ce pas parce que sa théorie conforte l’ancien et toujours vif idéal du doux commerce, moyen de salut de l’humanité, commerce régulé toujours davantage par la technologie ? Cette nouvelle disposition aurait l’aval des grandes puissances non-occidentales qui n’ont plus confiance dans les institutions type OMC mises en place par l’Occident après 1945. Elle prouve que la globalisation est achevée et que nous sommes entrés dans un nouveau monde. Le danger a grandi car la globalisation marche avec l’indifférenciation : les entités économiques (dont les nations) brandiront haut leurs fausses différences pour se singulariser. Mais cette humanité globalisée s’unit et s’intrique à mesure de son développement et les guerres des uns impactent désormais la paisible consommation des autres. Tout est lié, de plus en plus.

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    1. Merci, Nathalie, de votre commentaire. Vous avez très bien saisi le problème du « mot manquant » et je trouve très convaincante votre proposition du mot « épouvantail », qui fait allusion à la peur, un ressort dont raffolent et usent abondamment les Apollonios de Tyane de tout acabit.

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  4. Je voudrais d’abord rendre hommage à l’approche de Jean-Louis Salasc, qui a le souci de se détacher de la psychose ambiante, de prendre le recul nécessaire pour ne pas sombrer dans la polarisation, assurément mimétique, qui gagne tous les discours. Les faits rapportés sont exacts, et je soutiens la thèse que les empires n’ont jamais cessé de se livrer à des jeux de pouvoir, pour ne pas dire des guerres larvées. Les Etats-Unis sont, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la puissance dominante du monde dit « libre », tout comme l‘Union Soviétique était la puissance dominante du monde marxiste. Deux puissances et des vassaux. Avec cette perspective, les retournements d’alliance auxquels nous assistons, si elles rebattent les cartes, ne changent pas fondamentalement le fonctionnement du système global.

    Là s’arrête la convergence de vue. Tout d’abord, on pourra constater que la domination des Etats-Unis et la vassalisation de leurs alliés s’inscrivaient dans ce qu’on appelle le « soft power ». Le plan Marshall qui a aidé à la reconstruction de l’Europe en est l’illustration ; ce modèle a été reproduit à de nombreuses reprises depuis. C’est ce principe gouverneur qui a permis d’instaurer une forme d’ordre mondial, symbolisé par des institutions internationales telles que l’ONU, l’Unicef, le G8, les tribunaux internationaux… Ce soft power s’appuyait aussi sur le credo libéral d’un grand marché libre. Ce système n’était pas sans défauts, mais il a permis la sortie de la misère d’une majorité des pays en voie de développement, entre autres bienfaits. Il a également permis d’éviter une troisième guerre mondiale.

    Aujourd’hui, tous les principes qui fondaient ce système volent en éclat avec une rapidité stupéfiante. On peut y trouver bien des raisons, pourtant, aucune explication rationnelle, technique, n’éclaire le remplacement du soft power par la brutalité des nouveaux empires, qui semblent pris d’une haine farouche de tous ces principes, simultanément. Il y a une différence entre dénoncer tel ou tel accord international (de libre-échange, militaires,…) et marquer un tel mépris pour le droit international, la démocratie, et même la parole donnée. Je n’accuse pas un homme ici, il est clair que Trump ou Poutine seraient absolument impuissants sans la base populaire qui les soutient.

    Le monde reposait sur des rapports de force, c’est vrai. Mais il y a la manière. Dans la cour de récré aussi, il y a des rapports de force, des luttes d’influence, des hiérarchies. Mais ce qui distingue une école fonctionnelle d’un établissement en crise, c’est le respect des règles, le rapport sain à l’autorité, le fonctionnement qui garantit la mission d’éduquer. Lorsque les harceleurs peuvent agir sans être inquiétés, lorsque les professeurs et la direction ne sont plus respectés ou lorsqu’une autorité malsaine brouille la compréhension de ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, alors on peut en conclure que l’école est malade et elle ne remplit plus sa mission. Le chaos s’installe, et lorsqu’on interroge les élèves et le personnel, on se rend compte que tout le monde vit dans la peur, dans le stress permanent.

    Notre planète en est rendue là, dans le chaos d’un monde sans règles, sans compas moral, sans relations stables. Comparé à la période d’après-guerre, y compris la guerre froide, nous vivons des temps de repli sur soi, de peur de l’avenir, de décadence morale, de vide idéologique, de santé mentale dégradée.

    Nous confondons systématiquement le rêve d’un monde parfait, d’où toute injustice et par conséquent toute hiérarchie et toute loi arbitraire seraient absentes, et la réalité d’un monde sain dans lequel ces règles seraient communément admises et globalement suivies, et dans lequel les transgresseurs seraient sanctionnés. Tout ordre humain est nécessairement injuste parce que sacrificiel. Le paradoxe de notre époque, unique, est que c’est précisément le rêve progressiste d’un monde juste qui, en affaiblissant l’ordre mondial et plus généralement l’ordre humain, est la cause du basculement dans une période de chaos et d’incertitude inédite, en tout cas au niveau mondial.

    Où sont les gentils, où sont les méchants ? Qu’est ce qui est permis, qu’est ce qui est interdit ? Bien ou mal ? Vrai ou faux ? Nous ne savons plus. Il y a 20 ans, nous n’arrivions même pas à imaginer cet état.

    Business as usual ? Pas vraiment.

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    1. Pourquoi dis-tu, Hervé, que « le rêve progressiste d’un monde juste » qui a affaibli l’ordre mondial ? Cette affirmation est beaucoup trop globale pour être pertinente. En tout cas elle me choque profondément. A quoi penses-tu précisément ? A la politique des droits de l’homme ? à l’égalité homme-femme ? à la dépénalisation de l’homosexualité ? à l’Etat-providence ? Au mouvement « femme-vie-liberté » en Iran ? Au fait que les langues se délient sur les abus sexuels dans l’Eglise ? Tout cela fait-il partie du « rêve progressiste » que tu fustiges ? Bien-sûr, tout n’est pas bon à prendre dans les idéologies « progressistes », mais ça n’a pas de sens d’être aussi peu précis.

      Bernard Perret

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      1. Parce que, justement, le progressisme aspire à un monde juste, autrement dit à un monde non-sacrificiel, incompatible avec l’ordre du monde tel que nous le connaissons. Le progressisme, c’est une de ses particularités invisibles, détruit l’ordre sacrificiel, c’est-à-dire tous les ordres humains. C’est d’ailleurs ce que lui reproche la nouvelle droite. Ce constat ne veut pas dire que je « fustige » le progressisme, au contraire, je reconnais ses vertus profondément chrétiennes, et tous les exemples que tu donnes vont dans la bonne direction. Je ne pense pas devoir être « précis » parce que je considère que c’est une règle générale.

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      2. Je me permets d’intervenir dans votre débat parce qu’il me semble illustrer la summa divisio que j’avais mise en évidence lorsqu’on m’avait interrogé sur ce que serait une politique girardienne : katechon/apocalypse.
        Le « progressisme » représente à mon sens la version la plus ambitieuse du katechon puisqu’il s’agit non seulement de durer (de persévérer dans l’être collectif) face à l’inéluctable émergence catastrophique des antéchrists mais aussi d’en profiter pour améliorer la condition humaine et se soucier des victimes.
        Mais les petites apocalypses des synoptiques comme celle de Jean nous disent que la Révélation qui a certes déjà eu lieu une bonne fois pour toutes, ne sera admise qu’après une période de calamités multiples. Ces textes sacrés semblent dire qu’il faudra en passer par le préalable des antéchrists et
        des catastrophes pour que l’espérance devienne une prise de conscience générale de ́nature à mettre un terme, enfin, aux aspects rivalitaires de la mimésis d’appropriation et à leurs conséquences néfastes.
        Selon ses croyances et préférences, chacun est en définitive libre de choisir l’action politique ou l’espérance en l’advenue d’une séquence conduisant enfin à l’acceptation par la communauté humaine dans son entier de la Révélation intervenue lors de la Passion et de sa diffusion par le Nouveau Testament.
        JMB

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    2. Juste pour dire, puisque je ne peux pas « liker », que je partage la réflexion d’Hervé, de bout en bout. J’admire Jean-Louis de suivre le conseil de sagesse de Spinoza : s’efforcer de comprendre plutôt que de « ressentir » (se lamenter, rire, accuser). Et comment ne pas approuver que grâce à ce billet, le blogue suive le conseil de Pascal : « A la fin de chaque vérité, il faut ajouter qu’on se souvient de la véroté opposée« .

      Ceci dit, quand un système vole en éclats, comme c’est le cas du système des alliances qui a prévalu depuis 1945 en Occident, il me semble qu’il convient non seulement de dévoiler les ressemblances cachées sous les oppositions apparentes, ce qui est très girardien, mais aussi d’accueillir l’imprévisible nouveauté qui distingue notre durée vécue du temps cosmique. Sans doute, Poutine n’est pas Hitler, le populisme contemporain n’est pas celui des années 30 etc. Cela vient sans doute qu’il n’y a pas que du business as usual dans notre histoire mais aussi des événements.

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  5. Cher Jean-Louis,

    Le titre que tu as choisi et que tu reprends comme un refrain semble induire un relativisme. Je ne suis pas certain qu’il rende compte parfaitement des événements singuliers dont nous sommes aujourd’hui les témoins et que nous essayons d’analyser.
    Par ailleurs les espoirs que tu fondes sur la diplomatie, les protagonistes semblant chacun de leur côté, y compris celui qui s’est imposé comme médiateur, être d’accord sur un seul concept, celui de la « paix par la force », me semblent de ce fait problématiques si la diplomatie doit aboutir à une paix juste et équitable.

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  6. Bonjour,

    J’ai été très étonné par la phrase : « plusieurs compagnies américaines, dont Blackrock et Monsanto, ont déjà acheté une grande partie des terres cultivables d’Ukraine. ».

    Après vérification auprès de plusieurs sources, cette affirmation semble relever de théories du complot. En réalité, les investisseurs étrangers peuvent semble-t-il financer ou exploiter des terres en Urkaine via des baux, mais pas les acheter directement.

    Cette pointe de complotisme me gène vraiment, cela jette le trouble sur l’ensemble de l’article et peut-être même sur l’ensemble des publications de ce blog.
    Peut-être serait-t-il nécessaire de préciser ?
    Merci

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    1. La source est un rapport de Oakland Institute, un cercle de réflexion californien. Il explique en particulier que le cinquième plus gros détenteur foncier de l’Ukraine est le fonds d’investissement NCH Capital basé aux Etats-Unis.

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      1. Merci pour cette source, si intéressante. Zelensky pense et déclare fréquemment que son pays n’a d’autre choix qu’être acheté par les Puissances et Dominations de l’Ouest ou occupé et détruit par celles de l’Est. Comme ses compartiotes, il a opté pour l’Ouest, avec une préférence pour le modèle européen. Je ne pense pas qu’il se fasse aucune illusion. La série télévisée dont il a été l’acteur principal, avant son élection, est suffisamment éloquente…. Tout était déjà dit, ou presque.

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  7. Je suppose néanmoins que le titre choisi par Jean-Louis était ironique… Mais son article fait effectivement preuve d’une grande naïveté: lire à ce sujet l’article de Michel Eltchaninoff: Et Poutine créa Trump. Qui nous rappelle à quel point les Russes sont de redoutables joueurs d’échec: ils ont réussi a mettre les EU échec et mat en s’intéressant dés la fin de années 70 aux hommes d’affaire américains les plus prometteurs, et en les manipulant. Sans le KGB (c’est à dire la mafia russe), Trump serait ruiné depuis longtemps (les mafieux ont acheté massivement les appartement de sa Trump Tower pour le sauver de la banqueroute). Personne ne peut se vanter de jouer à la guerre avec autant de coups d’avance sur son adversaire que les Russes… Le drame, c’est que ne jouant pas aux échecs (ni aux cartes, comme le déclarait Zelensky vendredi dernier au cours de cet « excellent morceau de télévision »: dixit Trump) nous ne comprenons pas ce qui est en train de se jouer… mais ce n’est pas un jeu, ni une apocalypse (dixit Thiel) : c’est une catastrophe.

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  8. J’ai lu à la suite l’article d’Hervé Van Baren et celui-ci, et je suis heureux de voir de nouveau des visions contradictoires s’affronter au sein des girardiens. J’ai également parcouru quelques publications de Bernard Perret dans Esprit.
    Je regrette globalement deux choses.
    Tout d’abord, l’absence de toute référence au Achever Clausewitz de Girard et au concept de montée aux extrêmes, évocation qui me semblerait pertinente pour rendre raison de certains phénomènes de l’actualité, qu’il s’agisse des oppositions entre les empires, mais aussi les oppositions, par exemple, entre woke et conservateurs trumpistes.
    Ensuite, j’entends parler « d’erreurs » de René Girard dans les commentaires. Avec surprise. Non que René Girard soit infaillible, telle n’est pas la question, mais je regrette un certain manque de nuance entre ce qui est du domaine de l’opinion, de la sensibilité, et des sciences humaines. René Girard n’a jamais caché ses opinions et sa sensibilité conservatrice. Il s’en est régulièrement et honnêtement expliqué, sans qu’il ne fasse jamais découler nécessairement ce « penchant » personnel de sa propre théorie, ni qu’il prenne ce trait de personnalité pour un dogme. Je ne voudrais simplement pas que les lumières qu’ont apportées cette théorie ne soient occultées par un nouveau scientisme qui ne ferait plus aucune distinction entre les différents degrés de certitude et de logique.

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    1. En réponse à Anonymous: l' »erreur » de René Girard ne consiste pas à afficher des opinions, qu’elles soient concervatrices ou religieuses. Le prétendre serait faire preuve de ma part de sectarisme ou d’intolérance. Mais d’avoir emboîté le pas à l’interprétation dominante dans l’opinion commune de l’apocalypse, qui consiste à placer ces évènements dans le futur (et un futur fort lointain si l’on considère que les évangiles ont plus de 2000 ans), alors que Jésus dit explicitement que « cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (Mt. 24, 34). Girard avait néanmoins tout à fait le droit de considérer les évènements actuels, et notamment la présence surplombante de « la bombe », comme pouvant être rapprochés de l’apocalypse annoncée par Jésus, mais les libertariens s’en sont emparés (notamment Thiel) pour justifier un projet qui ne me semble pas reflèter ni la pensée, ni le positionnement politique ou religieux de Girard. Je suis particulièrement attaché à l’hypothèse mimétique, que je croie vraie, évidente, et je respecte évidemment son auteur au plus haut point. J’ai suffisamment dévellopé sur ce blog, au cours de plusieurs articles, ce point critique de la pensée de Girard, qui me semble essentiel, pour avoir omis de le dévelloper dans ma réponse, ce qui vous a entrainé dans ce malentendu: veuillez m’en excuser.

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      1. Pascal, Lafuma 575.  » Qui voudra fonder des opinions extravagantes sur l’Ecriture en fondra, par exemple, sur cela : Il est dit que cette génération ne passera point, jusqu’à ce que tout cela se fasse. (Matthieu, XXIV, 34). Sur cela, je dirai qu’après cette génération, il viendra une autre génération, et toujours successivement.

        On est induit à penser que Girard pensait, ici comme ailleurs, que Pascal avait raison. Ou, si vous préférez, que l’erreur de Girard fut aussi celle de Pascal.

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  9. Business, or sacrificial as usual ?

    Double effet trumpiste, France, Grande-Bretagne et Allemagne ont l’occasion de signer leur pacte de réconciliation, devenant leaders ensemble du monde libre, fortes désormais du savoir de l’échec de toute domination, occasion de retrouver ce qui fit notre puissance avant que nous la perdions en voulant l’imposer, le silence apaisé du monastère, développement des sciences, des techniques et des arts, l’économie bien sûr, qui n’est néfaste que de l’usage qui en est fait, quand elle ne sait que reproduire le lynchage et la vieille mécanique, pourtant excellemment exposée.

    Nos barons de la tech voudrait rentabiliser Girard sans aller jusqu’au Christ, c’est une très mauvaise idée, à vouloir pardonner, oui, mais après avoir sacrifié, alors que désormais nous savons que la geste de rédemption est préliminaire si nous voulons éviter de la reproduire, double effet Thielien non encore converti.

    Don Juan s’apercevra-t-il qu’il ne choisit pas, vieil orgueil d’autonomie, la descente aux enfers, mais que c’est l’enfer qui monte ?

    La liberté n’est pas vendre, n’en déplaise aux bouffons oligarques qui entourent le désir impérial, sous kétamine ou pris de vodka, le peuple européen enfin souverain ne permettra plus qu’on vende l’État de droit aux intérêts privés. L’Allemagne bafouée retourne au giron des indépendances stratégiques, qui n’est pas se soumettre à la France mais, avec elle réconciliée, sait affirmer au plus haut la toute-puissance de la paix qu’il s’agit de défendre à tout prix, laissant les commerçants s’offrir à l’ennemi.

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  10. Joël Hillion a écrit : « L’analyse de Jean-Louis est irréfutable. Elle ne me dispense pas de hurler de rage devant ce « business » ! Si Satan conduit le bal, je me refuse à aller danser. »

    Son commentaire court est exemplaire, car en peu de mots, il exprime le séisme qu’a représenté la venue de Trump chez certains « girardiens » et, en même temps, répond aux dilemmes (la summa divisio) soulevés par Jean-Marc BOURDIN : « katechon/apocalypse, choisir l’action politique ou l’espérance ».

    Non, cette analyse n’est irréfutable, qu’en acceptant l’axiome de départ « business as usual ». Depuis sa parution, est survenu un basculement anthropologique, dont même les « girardiens » de ce blogue, écrivant sur le thème apocalypse/révélation n’en ont pas saisi le sens. Il s’agit de la confrontation ZELENSKY/TRUMP et VANCE.

    Ce « spectacle télévisuel » a été conçu comme les jeux de cirques romains : Un combat de gladiateurs, où un des combattants est offert en sacrifice à une « foule mondiale » de (télé)spectateurs.  TRUMP et VANCE ont « lancé la première pierre ». Parmi les commentateurs, l’un l’a compris (intuitivement, inconsciemment ou consciemment, peu importe), il s’agit d’Alexandre Del Valle Ukraine : Tout ça pour ça ?! – YouTube

    Dans cette vidéo, dont je n’ai vu que la partie (au début) « consacrée » à cette confrontation, il explique bien pourquoi, selon lui, ZELENSKY était agaçant (je ne suis pas sûr du terme employé, mais sa signification était claire=les reproches de Trump étaient justifiés) …. Aucun dirigeant n’avait osé lui dire son fait, seul TRUMP ne se sent culpabilisé à le faire (je ne suis pas sûr du terme employé, mais sa signification était claire = TRUMP a « lancé la première pierre »). Et ce n’est pas une image, Alexandre Del Valle précise/révèle que ZELENSKY risque la mort par des « nazis » ukrainiens (selon lui, Poutine en a exagéré l’importance, mais ils existent réellement).

    Dans Synthèse des Résultats théoriques de mes Recherches : Sacrifice, Sacré, Harcèlement, et manif pour tous – l’Association d’aides des victimes de souffrance au travail organisationnelle

    J’ai écrit « Girard, après son travail anthropologique, abouti dans La Violence et le Sacré, se lance, avec toujours une méthodologie d’intertextualité, dans la comparaison des Evangiles et des mythes, en affirmant le caractère principal des Evangiles : sa valeur anthropologique (ce fut affirmé aussi, par Simone Weil, philosophe du 20ième siècle, adepte des méthodes de terrain). » Simone Weil et René GIRARD ont tous deux commentés l’épisode de la femme adultère. Être capable lancer la première pierre, c’est  se considérer comme un « Elu », ce que Peter THIEL, « girardien des choses cachées depuis la fondation du monde » suggère dans sa Tribune :https://legrandcontinent.eu/fr/2025/01/10/lapocalypse-de-donald-trump-selon-peter-thiel/

    « Le retour de Trump à la Maison-Blanche augure l’apokálypsis des secrets de l’ancien régime. Les révélations de la nouvelle administration n’ont pas besoin de justifier la vengeance — la reconstruction peut aller de pair avec la réconciliation. Mais pour qu’il y ait réconciliation, il doit d’abord y avoir vérité… La politique identitaire rejoue sans fin l’histoire ancienne. L’étude de l’histoire récente, à laquelle l’administration Trump est maintenant appelée, est plus perfide — et plus importante. L’apokálypsis ne peut pas résoudre nos querelles sur 1619, mais elle peut résoudre nos querelles sur le Covid-19 ; elle ne jugera pas les péchés de nos premiers dirigeants, mais les péchés de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui. Internet nous permettra de ne pas oublier ces péchés — mais, avec la vérité, il ne nous empêchera pas de pardonner »

    Ce que THIEL ne voit pas, c’est que le lancement de la première pierre n’aboutit pas à une révélation de la Vérité, mais à la pierre d’angle d’une anthropologie sacrificielle, sur le monde, qui va vers la confrontation de deux empires sacrificiels (la Chine, depuis toujours et les Etats-Unis, maintenant).

    J’écrivais dans mon article cité plus haut : « Ce qu’il (René GIRARD) ne voit pas, c’est que les débats théologiques deviennent un enjeu de pouvoir dans la chrétienté. De ce fait, les querelles théologiques ne pouvaient que « sacrifier » l’anthropologie des Evangiles, qui devint cachée et oubliée. Le mécanisme victimaire pouvait se perpétuer. » 

    Que faire ? C’est le dilemme de Jean-Marc BOURDIN, qui est résolu, à mon avis, par la formule de Joël HILLION

    « Si Satan conduit le bal, je me refuse à aller danser. » Frijide BARJOT (dans ma recherche cf. article) a accepté son sacrifice. Zelensky (et la suite de la confrontation le prouve ) l’a accepté aussi: comme l’explique Alexandre Del Valle, il lui suffisait de partir avec une déclaration outragée !

    J’ai refusé de regarder et d’écouter cette controverse. Une telle action peut paraitre risible. Mais ce n’est pas un hasard, si TRUMP a choisi le spectacle télévisuel. Il a lancé, certes, la première pierre, mais il a (encore) besoin de la foule pour le sacrifice. Comme il peut tenir comptes des réactions du marché dans sa guerre des tarifs douaniers, il regardera l’impact de ses déclarations et de ses spectacles dans les médias

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  11. En termes girardiens, et à condition de prendre un peu de recul, la guerre en Ukraine est un combat de doubles typique, les deux doubles voulant la même chose, exactement, mimétiquement : avoir l’Ukraine pour vassale. 

    Aussi grande que soit leur bravoure, aussi ardent leur patriotisme, les soldats ukrainiens sont en l’affaire les jouets d’une rivalité qui les dépasse. 

    Lorsque le bourreau, obéissant à Salomon, lève son sabre pour couper en deux le bébé objet de la dispute, la vraie mère crie de toutes ses forces « non ! » , « laisse-lui la vie sauve ! ». Elle se sacrifie pour que l’enfant vive.

    C’est ce que nous aurions dû faire. l’Ukraine aurait eu la vie sauve. Nous n’avons pas voulu sacrifier notre désir d’avoir l’Ukraine pour nous. Nous n’avons pas crié « que l’Ukraine vive ! ». Nous attendions que la Russie le fasse. Mais la Russie ne l’a pas fait non plus. Faute de nous être sacrifiés, l’Ukraine a été sacrifié. Nul Salomon, rien ni personne n’a arrêté le sabre du destin, ce mécanisme diabolique, alors l’Ukraine a été coupée en deux. 

    Et, au moment de faire la paix les USA s’en prennent à l’Ukraine, coupable au fond d’être l’objet de la discorde. 

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    1. L’Ukraine n’est pas un bébé sans défense et votre analogie, Anonyme, vaut peut-être depuis l’élection de D. Trump, mais elle est mal choisie en ce qui concerne le début de la guerre. L’Europe et les USA n’ont jamais fait preuve de cette obsession de posséder l’objet de désir. Il n’y a pas non plus cette symétrie du discours des deux femmes. L’Ukraine a choisi, de manière relativement indépendante (je ne nie pas une certaine forme de pression occidentale dans les événements de Maïdan), le camp de la démocratie, et non pas un maître. La Russie est tombée dans la psychose sacrificielle, le besoin vital d’expulser le mal qui la ronge, par la désignation de coupables extérieurs (les « nazis » ukrainiens, entre autres). L’Europe et l’Otan ont fait bloc pour défendre l’ordre mondial basé sur la souveraineté nationale et contenir l’impérialisme russe.

      Mais ce qui rend votre analogie difficilement supportable, c’est lorsque vous suggérez que si nous avions laissé l’Ukraine à sa « vraie mère », nous aurions choisi la voie christique. Si nous avions fait cela, l’enfant aurait été dépecé par sa « mère » russe et l’histoire, assurément, nous aurait jugé. La réalité est à l’opposé de ce que vous suggérez : nous avons refusé de sacrifier l’Ukraine sur l’Autel d’une Russie en pleine régression. Ou plutôt, pour rendre à l’Ukraine l’hommage qu’elle mérite, elle a refusé de servir d’animal sacrificiel, et nous l’avons soutenue. C’est là un sujet de fierté.

      Sur votre dernière phrase je vous suis. Depuis que les USA ont aussi cédé à la tentation du retour aux temps sacrificiels, l’Ukraine est bien coupable, aux yeux des grands prêtres américains et russes, d’être l’objet de la discorde.

      Pour repérer le basculement d’un régime et d’un pays dans la crise sacrificielle, il n’y a pas besoin d’analyses compliquées, il suffit d’écouter. Si le discours inverse systématiquement les rôles de victime et d’agresseur, on a la preuve cherchée. C’est le cas des USA aujourd’hui, de la Russie depuis déjà longtemps, et de tous les discours pro-Poutine en France et ailleurs. C’est aussi, j’en ai peur, le cas de votre commentaire.

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      1. Mon nom est Denis Monod-Broca. 

        Dans le cas du bébé, il semble aller de soi que la vraie mère, la mère par l’amour, est aussi la mère biologique, mais est-ce si sûr ? Le récit, pour être pleinement compris, doit supposer une symétrie parfaite. 

        Dans le cas des USA et de la Russie  il n’y a pas, géographiquement parlant, symétrie parfaite vis-à-vis de l’Ukraine : eux sont à 10.000 km de là, elle y est presque chez elle. Mais, au regard de leurs désirs respectifs d’avoir l’Ukraine pour vassale, il y a symétrie parfaite. Cette symétrie se retrouvait d’ailleurs à l’intérieur de l’Ukraine où, par exemple, dans les années qui ont précédé la guerre, la vie politique ukrainienne se partageait entre oligarques pro-occidentaux et oligarques pro-russes. 

        Et c’est bien parce que le régime de Kiev devenait trop pro-occidental, trop occidental aux yeux de Moscou, que les choses ont mal tourné.

        Vous écrivez « nous avons refusé de sacrifier l’Ukraine ». Il est étrange que vous l’écriviez puisque, justement, elle a été sacrifiée. D’ailleurs n’est-ce pas ce que dit, sous les acclamations, Claude Malhuret au Sénat, le 1er Mars 2022 : «Le peuple ukrainien [est] prêt au sacrifice pour défendre sa liberté et la nôtre, sa démocratie et les valeurs européennes qu’il partage». Encourager ainsi un peuple à se sacrifier revient à participer à son sacrifice. Or, s’il y a bien une différence, sur laquelle René Girard a beaucoup écrit, et qui est peut-être La Différence, c’est la différence entre se sacrifier et sacrifier autrui.  

        Nous avons préféré une Ukraine sacrifiée à une Ukraine russe.

        Nous n’avons pas su nous lever et crier « stop ! que l’Ukraine vive ! »

        Et nous en voulons toujours plus, dans le sacrifice. 

        « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? […] Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ?»

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    2. je plussoie au commentaire d’Hervé.

      Denis, rencontré sous d’autres cieux bloguesques, est encore dans la méprise, à penser que le sacrifice auquel s’offre la bonne mère du jugement de Salomon serait la solution.

      Le roi discerne, non une culpabilité, mais le don d’une vie pour sauver un petit, son geste ne révèle pas l’inanité du sacrifice, mais la générosité de l’amour qui s’offre au rite démonétisé pour sauver la vie de l’enfant.

      L’amour de la mère précède, le roi empêche le rite du partage de l’enfant qui apaiserait, vieille ruse de la ruse, les risques du conflit, prémonition de Celui qui avant Abraham fut, pour affirmer la vraie divinité de l’amour face au mensonge du sacrifice définitivement et à tout jamais révélé, révélation qui déchaine les forces obscures de la fallacieuse divinité, pur fantasme humain d’un dieu vengeur dont il est nécessaire de se prémunir avec tous les moyens à disposition, armés puisqu’il le faut encore, mais plus au nom du sacrifice mais de sa connaissance, exposition pleine et consciente qui tend l’autre joue pour dire non à ceux qui pensent encore servir Dieu en tuant le frère ukrainien au nom de l’amour du prochain, sans toutefois être contaminés par l’illusion des amours de la divinité fallacieuse, mais au service de la vraie divinité amoureuse.

      « Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. 59Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple. »

      https://saintebible.com/john/8-58.htm

      Nous voici, selon Benoit XVI, à la fin du deuxième jour,.

      La nuit qui vient, cela est très certain, verra le petit jour de la résurrection du fils au temple de nos corps, incarnations librement consenties de la Parole révélée.

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  12. La consternation, et l’effroi qui nous saisissent devant les évolutions de la situation du monde, et notre définitive impuissance dont le billet et ses commentaires se font l’écho, m’ont ramené à une réflexion d’Aurélien Barrau, entendue il y a peu : « Trump est notre portrait de Dorian Gray ».

    Et je me dis : « Oui, nous sommes Dorian Gray ! »

    En effet, à l’image du riche esthète jouisseur, implacable et égotiste qu’était Dorian Gray, nous avons vécu, et vivons encore dans une affolante et effrénée dilapidation, affublée des oripeaux d’un progressisme aveugle à ce qu’il dissimulait et dissimule aujourd’hui de plus en plus mal : là-bas, dans une petite pièce reculée et oubliée, notre portrait pourrit doucement, hideux, difforme, couvert de sanie.

    Mais voilà qu’aujourd’hui nous nous retrouvons poussés de force dans cette petite pièce, là, devant le hideux portrait. Et nous comprenons que déjà Francis Bacon l’avait regardé en face, avant nous : la beauté, celle des choses et des idées, à laquelle l’Europe a peut-être été plus que les autres attachée, se payait aussi en réalité par la violence faite aux faibles, par le vol perpétré sur les sans défense, par la monstruosité des actes, par la destruction de notre environnement vital, par la souffrance, le sang, la mort : ils sont désormais sous nos yeux, peints sur notre visage représenté, et nous ne pouvons plus regarder ailleurs.

    Dans cette petite pièce bien dissimulée, le sacrifice sanglant se poursuit. Trump n’est que notre portrait de Dorian Gray.

    Tout le monde sait de quelle manière Dorian Gray échappe à la terreur qu’il éprouve en voyant son âme : il poignarde son image. Et tombe au pied du tableau, infecte pourriture, pendant que son portrait retrouve sa beauté.

    Cette scène sacrificielle originaire qui en permanence se joue en nous et hors de nous, Oscar Wilde n’a pas été le seul à la mettre en scène : déjà Barbe bleue, peut-être. Mais aussi l’Amfortas du Parsifal de Wagner, et l’Amfortas de Julien Gracq dans Le Roi pêcheur, dont l’inguérissable plaie au flanc ne cesse de saigner.

    Et bien sûr René Girard, en termes anthropologiques, ceux du dévoilement.

    On peut également la résumer par la formule de Jean Louis Salasc, « Business as usual », corrigée magnifiquement par Aliocha, « Business, or sacrificial as usual ».

    On peut, pour terminer, poignarder notre image, à défaut de nous poignarder nous-mêmes. Mais qui sait ?

    Alain

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  13. Tout d’abord, rappel de qq faits :

    – Première guerre mondiale. Les Etats-Unis rentrent en guerre en janvier 1917 lorsque les Allemands déclarent la guerre sous-marine à outrance et coulent des navires marchands américains. C’est aussi le moment où les grands industriels de l’acier (la US Steel Corporation) viennent murmurer à l’oreille du président Wilson que leur fourniture d’acier à crédit aux Alliés risque de ne pas être remboursée s’il arrivait que, par malheur, ils perdent la guerre…

    – Deuxième guerre mondiale. Les Etats-Unis rentrent en guerre en décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais, mais attaqués en septembre déjà par les sous-marins allemands, encore eux.

    On voit que les Américains ne sont pas intervenus dans ces deux guerres par bienveillance, par humanisme compassionnel, mais surtout, sinon uniquement, pour défendre leurs intérêts économiques et géostratégiques. Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui ? Fondamentalement, rien, la preuve par Trump !

    Depuis 1945, les peuples européens et leurs dirigeants se sont doucement endormis sous le ‘parapluie’ américain (le projet de Communauté Européenne de Défense est rejeté par la France en août 1954). Et ils peinent maintenant à sortir de leur léthargie.

    Où est l’analyse girardienne dans le billet de J.L. Salasc ? Je peine à la voir. Je suis d’accord avec B. Hamot quand il écrit que confondre l’ennemi et le bouc émissaire est un contre-sens dans la lecture de Girard.

    Cela dit, je ne vois toujours pas ce qui dans les écrits et les paroles de Girard peut être récupéré par les Thiel et autre Vance. Que Girard ait été conservateur en matière de politique, c’est bien possible, mais je ne connais pas d’écrit qui le démontre. Mais admettons. Vance déclare en février à Munich : « The threat that I worry the most about vis-a-vis Europe … is the threat from within — the retreat of Europe from some of its most fundamental values, values shared with the United States. » C’est le wokisme son épouvantail ? Wokisme qu’il croit voir dans le souci moderne des victimes qui est un résultat direct de la révélation christique, comme Girard l’affirme clairement à de multiples reprises ?

    PS Lire par exemple : https://next.ink/174842/ladministration-trump-efface-et-censure-au-moins-200-mots-dont-injustice-et-pollution/.

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    1. Voici ce qu’écrit le porte parole des républicains (américains, il est franco-américain et vote aux USA) en France

      Il raconte la conversion de JD Vance « Si (elle) procède donc d’un cheminement intellectuel…, elle est aussi un cheminement intellectuel. René GIRARD, universitaire français enseignant connu en particulier pour son analyse des mécanismes du bouc émissaire, lui a offert une compréhension renouvelée du christianisme comme une révélation des imperfections humaines et une invitation à l’introspection morale, plutôt qu’un simple récit légendaire. Dans l’offre religieuse globale, il perçoit alors l’originalité et la vérité eschatologique du christianisme… Influencé par son mentor Peter Thiel, magnat de la tech et milliardaire pro-Trump, il a découvert qu’il est possible d’être à la fois chrétien et acteur du capital-risque, en interrogeant profondément le sens et les conséquences de ses actions.»

      Il écrit aussi et c’est ici une réponse à Hervé Van BAREN et Denis Monod-Broca

      « Cette élection est apparue comme l’acmé d’une guerre culturelle qu’avait déjà prophétisée Pat Buchanan à la convention républicaine de 1992 alors qu’il sortait d’une campagne primaire contre le président sortant Georges Bush père. Le mot « cultural war » définit, depuis, l’affrontement entre deux options pour l’Amérique : souhaite elle être une nation « under god » comme l’indique la prestation de serment ou une nation entièrement sécularisée ? Cette opposition existentielle, en entrant dans le champ politique, se matérialise par des enjeux souvent très concrets…»

      La guerre des doubles, qu’évoquait Denis Monod-Broca a bien lieu mais à l’intérieur des Etats-Unis, les 200 (peu importe le nombre) mots interdits sont la réponse stupide mais transparente à l’interdiction, tout aussi stupide de mots, d’objets d’étude (ou l’obligation d’objets d’études pour avoir des fonds) dans les universités américaines, sous l’administration précédente. Cette guerre oppose des milliardaires à d’autres milliardaires.

      L’enjeu, c’est de désigner l’ennemi. En 2016, ces américains, votant en France, affirmaient (à tort ou à raison) que Hilary CLINTON voulait la guerre avec la Russie. TRUMP fut élu et la guerre économique fut engagée avec la Chine. Biden fut élu, et s’il n’a pas déclenché la guerre, Jean-Louis SALASC donne suffisamment d’éléments, pour écrire : « Les Etats-Unis ont non seulement soutenu cette guerre ces trois dernières années, mais ils l’ont aussi souhaitée.  » et je rajouterai qu’ils n’ont rien fait pour l’arrêter, et je peux reprendre les mots de Denis Monod-Broca (qui incluait tout le camp occidental, avec raison): « C’est ce que nous aurions dû faire. l’Ukraine aurait eu la vie sauve. Nous n’avons pas voulu sacrifier notre désir d’avoir l’Ukraine pour nous. Nous n’avons pas crié « que l’Ukraine vive ! »

      TRUMP est plus complexe, que ce qu' »on » affirme (j’ai cité Peter THIEL, dont la vision diffère de celle du porte parole républicain. Par le spectacle/ rite sacrificiel de la controverse avec ZELENSKY, il a permis à Poutine de jouer au chat et à la souris avec l’Ukraine et le camp occidental ne le comprend pas, et comme Nous ne voulons pas sacrifier notre désir d’avoir une petite part de l’Ukraine pour nous. Nous n’e voulons pas non plus crier « que l’Ukraine vive ! »

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      1. Nous nous sommes bien compris, je crois.

        Se croire innocent, accuser l’autre, un autre, qui que soit cet autre, c’est à coup sûr se tromper, c’est rester prisonnier de la méconnaissance. S’accuser soi-même, et « s’empêcher », est la condition de la lucidité et de la sagesse.

        Mais qui suis-je ? Au nom de qui ces mots sont-ils écrits ?

        Sur la scène du monde, individuellement, je ne suis rien. Mais je fais partie d’une collectivité nationale qui a pour nom la France et qui, avec les autres nations, est un acteur sur la scène du monde. Et, tous autant que nous sommes, Français, nous sommes responsables de ce que pense, dit et fait la France.

        Denis Monod-Broca

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      2. @ fxnic. Il me semble que nous sommes d’accord.

        Accuser l’autre, autrui, un autre, quel qu’il soit, c’est se tromper, c’est être prisonnier de l’ancestrale méconnaissance. S’accuser soi-même — « s’empêcher » — est la condition de la lucidité.

        Le reste en découle.

        Car ce qui est vrai pour un individu l’est aussi pour une nation, être politique et social, donc pour la France.

        La France, si elle était courageuse, si elle savait encore penser et parler, verrait ses propres errements, s’efforcerait de les corriger, mettrait en application les principes qu’elle a faits siens, à commencer par la fraternité. Cela dépend de nous Français, individuellement et collectivement. 

        S’extrayant de l’actuelle alternance frénétique de panique et de rodomontades, la France devrait appeler, haut et fort, à mettre un terme au sacrifice de l’Ukraine. Pour que l’Ukraine vive !

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    2. Bien sur, « confondre l’ennemi et le bouc émissaire est un contre-sens dans la lecture de Girard. » comme dans celle de Schmitt. Quand à « ce qui dans les écrits et les paroles de Girard peut être récupéré par les Thiel et autre Vance », il ne s’agit pas, à mon avis, d’une simple récupération, mais d’un prolongement sincère de la « pensée apocalyptique » du maître. Hélàs… Il induit les libertariens à prôner l’établissement de monopoles aptes à accélérer la « singularité », qui serait propulsée par la technologie: la singularité est alors confondue avec la parousie, aboutissement de l’eschatologie, conséquence de l’apocalypse. Ces gens là sont nourris de science-fiction et de « cosmisme ». Je dévellope cette hypothèse dans un long article que j’ai proposé il y a quelques temps, et qui devrait paraitre prochainement sur ce blogue: « les cryptomonnaies contre le sacrifice ». Pour aller plus loin dans la compréhension de la pensée de Thiel, finalement assez conformiste au sein du petit milieu des « start-up » californiennes, lire son opus: « De zéro à un ». Par ailleurs, il me parait important de cesser de confondre conservatisme (c’est à dire respect des formes et de notre culture commune), et libertarisme, qui est un mouvement révolutionnaire tout à fait opposé au conservatisme et à la démocratie. Trump n’est pas conservateur, bien au contraire. Je me rappelle la joie éprouvée par Girard au moment de l’élection de Barack Obama (« les américains s’intéressent enfin à la politique! » ) et son désespoir de voir Bush entrer en guerre contre « l’axe du mal » irakien-afghan: pour lui, la poursuite de Ben Laden aurait justifié une « opération de police », mais pas une guerre.

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  14. « Bravo cher Jean-Louis pour votre article stimulant sur le trumpisme triomphant ironiquement titré : « Business as usual ». 

    Vous pointez utilement le pacifisme de Trump dont la brutalité trouble la claire perception. Vous appelez opportunément au sang-froid les Européens que paniquent le tortueux Poutine. Vous rappelez lucidement l’immoralité et la logique prédatrice des Empires, néos comme archéos. Vous évoquez avec justesse le désordre que crée l’activisme agressif de l’élu populiste se prenant pour un empereur. Vous observez sévèrement le ralliement intéressé des as de la Tech à l’action politique brouillonne de celui qui se prétend le maître du « deal ». Et last but not least, vous invitez à réfléchir à « la polysémie excessive », dites-vous, du fourre-tout que serait devenue la notion de « bouc émissaire ».

    Reste que pour moi, votre titre : « Business as usual », titre dont en plus vous faites une anaphore porteuse de votre pensée, passe complètement à côté du vrai sens des événements inquiétants que nous vivons depuis l’élection de novembre. Je comprends que vous ayez cédé à la tentation du terme « business » qui va comme un gant au promoteur immobilier que les partisans MAGA et les intégristes religieux voient comme un prophète. Mais votre « as usual » casse tout : il dit le contraire de ce qui se passe et de ce que chacun éprouve en ce moment ! Si vous teniez à un titre-anaphore, vous auriez pu écrire plutôt : « Business as never », ce qui aurait disposé vos lecteurs à percevoir le caractère néronien du comportement de Trump et à comprendre le « renversement de la table géopolitique » qu’il tente sous nos yeux. 

    Pierre Manent a donné au Figaro le 4 mars une interview remarquée par Benoît Chantre dans laquelle il dévoile en quelques mots lucides le vrai sens de la tempête géopolitique que Trump déchaîne : « On peut définir le mouvement Trumpiste comme une révolte de la nation américaine contre l’empire américain. » écrit-il. Tout est dit du changement brutal de paradigme que nous vivons. Et vous auriez pu envisager « le mouvement trumpiste » comme ce qu’il me semble être : une jacquerie 2.0 des Américains, à la fois énorme et dangereuse. »

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  15. Deux articles sur Sourkov, idéologue poutinien, confirment ce que les trumpo-poutinistes opèrent :

    « Pourquoi les périodes sans tsar finissent-elles toujours, selon vous, en catastrophe pour la Russie ? Pourquoi ne pourrait-elle pas s’en passer ?

    Je pourrais donner des centaines de milliers de réponses différentes à cette question. Je ne vous donnerai que la plus courte d’entre elles : je ne sais pas. »

    https://archive.is/iaCXu

    Ils ne savent pas ce qu’ils font, et l’évolution du système libéral comme bolchevique ne saura déterminer les choix en question que par la précision que seule l’Europe est à même de formuler de par son expérience historique, comme le souligne Reid Hoffman, créateur de LinkedIn :

    « Vous suivez également l’actualité politique mondiale. Comment percevez-vous les tensions actuelles ?

    Certains dirigeants semblent déterminés à démanteler l’ordre mondial établi après la Seconde Guerre mondiale. Leur soutien aux régimes autoritaires, comme la Russie, est alarmant. J’espère que l’Europe comprendra qu’elle doit jouer un rôle de leader pour défendre la démocratie et les valeurs humanistes. »

    https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/exclusif-musk-trump-ia-la-charge-de-reid-hoffman-createur-de-linkedin-22-03-2025-2585363_47.php

    Encore faudrait-il pour cela, comme le souligne Raphaël Glücksman, que les européens ne s’endorment pas au confort de leurs meubles :

    « Pourquoi a-t-on cru jusqu’au dernier moment, nous Occidentaux, que Poutine n’oserait pas se confronter à nous ?

    Il y a une chose que nous, Européens, avons du mal à comprendre, c’est que tout le monde ne nous ressemble pas. Les dirigeants occidentaux se sont dit : la confrontation avec nous n’est pas dans l’intérêt de Poutine. Ils projetaient sur lui leur mode de pensée. Mais les dirigeants russes ne sont pas des boutiquiers ou des bourgeois. Et puis, il y a aussi le déni, le refus de voir, le rejet de tout ce qui peut ébranler notre confort. Romain Gary a écrit que si les élites françaises n’ont pas suivi le général de Gaulle à Londres, ce n’était pas par antisémitisme virulent, par admiration pour le nazisme ou l’Allemagne, mais par amour de leurs meubles. C’est cet amour de leurs meubles qui a conduit les dirigeants européens des années 2000 et 2010 à une telle faillite stratégique. L’homme qui aime trop son confort ne tient pas à voir ce qui vient le perturber. Se dire que la deuxième puissance nucléaire du monde veut à tout prix en découdre avec vous, c’est quand même dérangeant. Donc on a tout fait pour relativiser la menace poutinienne. Jusqu’à maintenant. »

    https://archive.is/BZcaF#selection-2679.0-2683.1069

    Ils ne savent pas ce qu’ils font, comme le déclarait le Christ en réclamant pour eux le pardon à son Père, et veulent réinstituer un pouvoir tyrannique plutôt que de convier chaque individu à la souveraineté sur lui-même, ce chemin long et escarpé de la démocratie qui aboutira ou pas à la survie de l’humanité, dans la mesure où les Russes sauront enfin reconnaitre qu’ils ne pourront jamais revivifier ce qui déjà les a annihilés et que celui dont ils se réclament avait prophétisé :

    « Le nihilisme est apparu chez nous, parce
    que
    nous sommes tous des nihilistes (souligné par Dos-
    toïevsky). Nous nous sommes seulement effrayés de la
    forme originale qu’il a prise. Tous, sans exception, nous
    sommes des Fedor Pavlovitch.
    « Quelles alarmes comiques chez nos sages, dans la
    recherche de l’origine de l’éclosion des nihilistes ! Mais
    ils ne viennent de nulle part : ils ont toujours été avec
    nous, en nous et auprès de nous.
    (Les Possédés.) »*

    On peut sans autre remplacer le terme nihiliste par Bolchevique à propos de système qui n’ont plus que la haine pour cimenter en fracturant une cohésion sociale vouée à la guerre civile :

    « Le rappel de ce roman nous autorise entièrement à
    soutenir qu’à la place du terme « nihiliste », l’auteur du
    carnet emploierait aujourd’hui celui de « bolchevik », les
    deux termes qualifiant le même esprit et la même mani-
    festation, on ne s’en aperçoit que trop.
    Mais voici qu’au moment où j’écris ces lignes, une so-
    cialiste bien connue décèle le même esprit bolcheviste
    chez les adversaires les plus déterminés des bolcheviks.
    Mme Kouskova, ayant vécu jusqu’ici en Sovétie, collaboré
    avec les bolcheviks en qualité de membre du Comité so-
    vétique de secours aux affamés, puis étant emprisonnée
    et bannie pour avoir dénoncé les vraies causes de la fa-
    mine, est arrivée à Paris et, devant un nombreux audi-
    toire d’émigrés russes émus, frappés de stupeur, déclara :
    « Nous avons depuis longtemps compris là-bas, à
    l’intérieur de la Russie, les véritables causes de la guerre
    civile… Ici et là, une haine aveugle entre blancs et rouges,
    haine terrible par son caractère
    également bolcheviste.
    Inconscience autant de l’un que de l’autre côté. Fièvre
    rouge, fièvre blanche. »*

    Saurons-nous tirer les enseignements d’une révolution qui fit de chaque citoyen un noble appelé à exercer les devoirs qui permettent l’exercice de la liberté ?

    Cela dépend aujourd’hui essentiellement du citoyen européen à savoir sortir du petit confort de sa souveraineté perdue, pour accéder universellement à ce qu’un Russe avait su formuler, quand l’avenir dépend plus des individus que des institutions corrompues, et que les Russes devront aussi intégrer, s’ils ne veulent pas comme actuellement, non seulement faire le malheur de leur peuple, mais aussi de l’humanité :

    « …Ce n’est point là un raisonnement scientifique,
    certes ; et pourtant : le fait immense de l’apparition sur la
    terre de Jésus et de tout ce qui s’ensuivit n’exige pas
    moins un examen scientifique, à mon sens. Car comment
    la science pourrait-elle dédaigner le rôle de la religion
    dans la marche de l’humanité, ne fût-ce qu’en raison de
    son caractère de fait historique, remarquable par sa permanence ?

    « Mon Dieu ! s’exclame Dostoïevski, le déisme nous a donné le Christ, c’est-à-dire une représentation de l’homme si haute qu’il est impossible de ne pas croire que cet idéal de l’humanité ne soit éternel… Que nous ont-ils donc donné à sa place ? Rejetant la merveilleuse beauté divine, ils demeurent si bassement égoïstes, si honteusement irrités, si étourdiment orgueilleux, que je me demande sur quels partisans ils comptent, qui voudrait les suivre ? »*

    *https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Dostoievski%20-%20La%20Confession%20de%20Stavroguine.pdf

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