Le roi monte à Ramoth-de-Galaad

par Hervé van Baren

Au moment où les bruits de bottes se font à nouveau entendre dans notre vieille Europe, me revient en mémoire un épisode biblique. Il met en scène plusieurs personnages dignes d’intérêt, mais nous nous concentrerons ici sur le roi d’Israël, Akhab.

Le texte commence par nous décrire une période de paix entre les deux royaumes, Israël et Juda, et leur ennemi du moment, Aram. Mais Akhab n’a pas digéré la conquête de Ramoth-de-Galaad par son ennemi et ne rêve que de reprendre la ville. Il cherche à entraîner le roi de Juda, Josaphat, dans son aventure guerrière :

« Veux-tu venir avec moi faire la guerre à Ramoth-de-Galaad ? » (1 Rois 22, 4)

Josaphat ne veut pas se fâcher avec son voisin et accepte à mi-mot. Reste donc à consulter les oracles pour vérifier que l’aventure ne finira pas en catastrophe. Les 400 prophètes officiels garantissent le succès de l’offensive. Josaphat insiste pour entendre un dernier prophète, et Akhab, sans doute pour se concilier un allié un peu tiède, accepte. Il fait une étrange proposition :

« Il y a encore un homme par qui on peut consulter le SEIGNEUR, mais moi, je le déteste car il ne prophétise pas sur moi du bien, mais du mal : c’est Michée, fils de Yimla. » (1 Rois 22, 8)

On fait venir Michée, non sans lui faire comprendre que le chœur des prophètes de cour annonce une victoire éclatante et qu’il serait malvenu de le contredire. La première prophétie de Michée confirme ces prédictions optimistes. Michée n’est pas téméraire. Akhab lui donne alors cet étrange avertissement :

« Combien de fois devrai-je te faire jurer de ne me dire que la vérité au nom du SEIGNEUR ? » (1 Rois 22, 16)

Il reste, semble-t-il, un semblant de raison, un reste de conscience à Akhab. Michée parle : 

« J’ai vu tout Israël dispersé sur les montagnes, comme des moutons qui n’ont point de berger. le SEIGNEUR a dit : “Ces gens n’ont point de maître ; que chacun retourne chez lui en paix !”  (1 Rois 22, 17)

Akhab n’a pas envie d’entendre la voix de la raison qu’il a pourtant lui-même sollicitée, il est fâché. Mais Michée développe sa vision :

« Ecoute la parole du SEIGNEUR. J’ai vu le SEIGNEUR assis sur son trône et toute l’armée des cieux debout auprès de lui, à sa droite et à sa gauche. Le SEIGNEUR a dit : “Qui séduira Akhab pour qu’il monte et tombe à Ramoth-de-Galaad ?” L’un parlait d’une façon, et l’autre d’une autre. Alors un esprit s’est avancé, s’est présenté devant le SEIGNEUR et a dit : “C’est moi qui le séduirai.” Et le SEIGNEUR lui a dit : “De quelle manière ?” Il a répondu : “J’irai et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes.” (1 Rois 22, 19-22)

Pour prix de sa franchise, Michée se retrouve en prison avec la menace d’une mise à mort s’il s’avère que sa prophétie était erronée. Ce qui n’est pas le cas. Akhab monte contre Aram mais il est blessé durant la bataille et n’arrive pas à se dégager :

« Le combat fut si violent ce jour-là qu’on dut laisser le roi dans son char, en face d’Aram ; mais le soir, il mourut. Le sang de la blessure avait coulé au fond du char. » (1 Rois 22, 35)

En guise de rentrée triomphante, Akhab a droit à des funérailles discrètes et la Bible conclut :

« Tandis qu’on lavait à grande eau le char à l’étang de Samarie et que les chiens y léchaient le sang d’Akhab, les prostituées s’y lavèrent, selon la parole que le SEIGNEUR avait dite. » (1 Rois 22, 35)

La Bible nous donne une description systémique de la folie guerrière qui s’empare d’un royaume. Le monarque ne rêve que plaies et bosses et entraîne son entourage dans son enthousiasme conquérant ; il s’assure de la neutralité de ses alliés, personne n’ose aller contre sa rage de peur de la voir se retourner contre soi (Josaphat est écœurant de diplomatie couarde dans cet épisode). Malheureusement pour lui, sa cour servile a, par mimétisme, adopté sa folie ; quand bien même une petite voix consciente lui soufflerait qu’il court à sa perte, c’est trop tard. Le roi est prisonnier de ses propres ruses, englué dans le système violent qu’il a construit. La cour nourrit la violence du roi, le roi nourrit la violence de sa cour. Système remarquablement stable, jusqu’à l’inexorable chute.

Le peuple est absent du début de l’histoire. La narration se resserre sur une cour royale qu’on imagine sans peine obséquieuse, totalement détachée des réalités du pays. L’équilibre du système est assuré par la terreur ; terreur d’être le premier bouc émissaire de cet état miniature en situation de crise permanente, à qui on fera porter la faute des inévitables catastrophes qui découleront de ce jeu de dupes.

La surenchère des protestations de loyauté, le zèle imbécile qui entretient la folie collective sont dictés par l’instinct de survie. Une réalité alternative s’empare des esprits et se traduit par un langage surréaliste : le nécessaire ennemi extérieur est accusé de tout le mal dont on se rend soi-même coupable.

« Je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. »

Le peuple revient à la fin de l’histoire, une fois le château de cartes écroulé :

« Au coucher du soleil, ce cri passa dans le camp : « Chacun dans sa ville, chacun dans son pays ! » (1 Rois 22, 36)

La folie conquérante veut unifier les hommes sous une bannière héroïque. La résolution de la crise, qui passe par la désolation du champ de bataille et la mort du roi, ramène chacun à sa différence.

Le système tient debout grâce à la réciprocité mimétique entre le roi et la cour ; pour autant, sa stabilité ne peut se préserver que par une surenchère continue qui annonce sa fin apocalyptique. L’effondrement est inscrit dans les gènes du régime. De tous les rêves fous qui peuvent prospérer dans un tel environnement, il ne restera que des familles en deuil et ce char couvert de sang, que les chiens viennent lécher et dans lequel les prostituées viennent se laver.

18 réflexions sur « Le roi monte à Ramoth-de-Galaad »

  1. Merci Hervé de nous rappeler qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, mises à part les connaissances scientifiques et les capacités techniques.
    Et que les religions durent bien davantage que les empires. Le seul empire à avoir survécu depuis la période axiale repérée par Karl Jaspers il y a de l’ordre de 25 siècles (probablement au moment où Michée prophétisa), quoiqu’au prix d’une grande variété d’avatars, est la Chine. Les constructions impériales sont vouées à l’échec, celle de Poutine héritée de l’Union Soviétique et de la Russie tsariste en particulier. Reste que les cavaliers de l’Apocalypse de Jean n’ont pas fini de chevaucher tant que les vanités impériales mèneront pour partie le monde.
    Rappelons-nous que la tonalité apocalyptique d’ « Achever Clausewitz », ce Clausewitz qui conseilla le tsar il y a deux siècles, avait beaucoup étonné en son temps, c’est-à-dire il y a 15 ans. Son écho devient de plus en plus audible.

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    1. Oui, je me suis fait cette réflexion aussi. Concernant la Chine, il faut prendre en compte la révolution maoïste, et en particulier la Révolution Culturelle, qui est une sorte de suicide culturel dont ce grand pays n’a pas fini de payer le prix.
      Finalement, la seule culture qui aurait passé les siècles dans une remarquable continuité culturelle, ne serait-ce pas ce Peuple Élu, sans cesse opprimé, privé de territoire, dispersé, accusé du mal qu’on lui fait subir ? Et justement parce qu’ils ont choisi la fidélité à un message qui ne se compromet jamais avec nos vaniteux rêves de puissance ? Parce que leurs textes saints (qui sont aussi les nôtres) connaissent et exposent la violence des royaumes humains mieux que tous nos savoirs modernes ?
      De plus en plus, je te rejoins là-dessus, la pensée apocalyptique apparaîtra comme la seule issue aux crises qui menacent le monde. Comme le dit Dieu à St Paul, tenté d’utiliser ce savoir pour dominer :
      « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »

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  2. Merci, Hervé, d’attirer notre attention sur ce texte biblique.

    Vous aurez remarqué que ce texte n’attribut pas un rôle très glorieux au seigneur.
    Et que le prophète Michée ne semble pas respecter les volontés de son seigneur.

    Je suppose donc, soit un texte mal ficelé, ou bien plus probable mal traduit. Les textes hébreux jouent entre différents noms pour Dieu, et qu’ils n’ont pas forcement les mêmes rôles. Certains noms sont des noms marqués au pluriel (Élohim, Adonaï) et au moins un, au singulier (Yahwe, nom propre ineffable).

    J’ai bien quelques hypothèses sur cette multiplicité des noms de Dieu dans les textes hébreux (que je ne connais pas), mais il faut bien avouer que les certaines traductions ne respectent pas ce jeu sur les noms de dieu et rendent les textes absurdes.

    En tout cas, j’adhère volontiers à votre interprétation, Hervé, il n’y a aucun doute sur la vanité du Roi Akhab et de ses envies guerrières (alors que leur situation semble tranquille et paisible).

    En ce qui concerne le parallèle que vous faites avec le récit biblique et les actions de Poutine, cela est moins clair en ce qui me concerne. Il resterait à montrer la pure vanité des actions de Poutine.

    Je me permets de citer René Girard, dans la violence et le sacré, pour éventuellement aider à discerner des action de pure vanité, des actions d’un rite sacrificiel :
    « Pour comprendre le rite, il faut le rapporter à autre chose qu’à des motivation psychiques conscientes ou inconscientes. En dépit des apparences, il n’a rien à voir avec un sadisme gratuit ; il n’est pas orienté vers la violence mais vers l’ordre et la tranquillité. Le seul type de violence qu’il cherche à reproduire est celui qui chasse la violence. Rien de plus naïf, au fond, ni de plus stérile que le genre de spéculations auxquelles le psychologisme moderne se croit autorisé par le caractère atroce d’un rite comme le sparagmos. »

    En tout cas, les puissances au pouvoir cachent bien des informations (le contrôle des grand média s’est révélé plutôt efficace lors de la crise sanitaire, me semble-t-il)…
    Cependant même si le degré de vanité des grands acteurs n’est pas connu, ils ne peuvent cacher qu’ils naviguent dans des rites très peu chrétien.

    Bonne fin de nuit…

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    1. J’ai arrêté depuis quelques temps de considérer que les versets rébarbatifs ou incompréhensibles de la Bible avaient pour origine un « texte mal ficelé » ou une « mauvaise traduction ». C’est une manière commode d’expulser du texte les aspects qui nous dérangent. L’exégèse moderne ne s’en prive pas. Je pense qu’il faut au contraire faire le constat que la figure divine ou telle ou telle image de héros ne sont pas conformes à nos attentes, et partir de ce scandale pour réinterpréter le texte en le dépouillant de sa dimension sacrée. On part toujours du principe que les auteurs – les prophètes – sont les gardiens du sacré or je pense, avec Girard, que la Bible est surtout une révélation du lien étroit qui unit sacré et violence.
      Ce « retournement » de la lecture est facile en ce qui concerne Michée : sa première prophétie est tout simplement un acte de conformisme frileux (ce que Girard décrit fort bien dans le cas du reniement de Pierre), et ce malgré sa déclaration préalable (v. 14 ; Pierre aussi proteste de sa loyauté). Le plus étrange est que celui qui le rappelle à son rôle de prophète est « le roi ». Il n’est pas précisé lequel mais, d’après le contexte, il semble que ce soit Akhab.
      Bref, le prophète n’est pas un héros, il est faillible. Première désacralisation : l’image parfaite du héros biblique est détruite par le texte.
      Ensuite, comme vous l’avez bien vu, Michée semble prêter à Dieu une volonté assez peu charitable, pousser le roi vers une bataille perdue d’avance. Notons à ce stade le parallèle entre la description de la cour royale :
      « Le roi d’Israël et Josaphat, roi de Juda, en tenue d’apparat, siégeaient, chacun sur son trône, sur l’esplanade à l’entrée de la porte de Samarie, et tous les prophètes s’excitaient à prophétiser devant eux. »
      et la description de l’assemblée céleste par Michée :
       » J’ai vu le SEIGNEUR assis sur son trône et toute l’armée des cieux debout auprès de lui, à sa droite et à sa gauche. […] L’un parlait d’une façon, et l’autre d’une autre »
      Le dialogue des anges avec Dieu n’est pas une vision mystique de Michée ; c’est une pédagogie qui invite le roi à reconnaître dans la description du ciel l’image de la cour mondaine, l’indifférenciation croissante qui mène à la pensée unique, qui est toujours mensongère.
      Voilà la seconde désacralisation, et elle est encore plus choquante que la première. Michée n’hésite pas à utiliser le langage sacré, à utiliser le nom de Dieu en quelque sorte, pour faire passer une révélation qui n’a pas grand chose à voir avec le Très-Haut. Il décrit surtout la dynamique fatale qui conduit le roi à sa funeste décision.
      Il faut noter que ce procédé est surtout choquant pour nos esprits rationnels occidentaux. Dans la culture juive, l’ambiguïté du langage sacré est reconnue. Cette interprétation est beaucoup plus proche du Midrash que des interprétations traditionnelles chrétiennes, qui ne remettent jamais en cause le sacré.

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      1. Votre lecture de la cour céleste en miroir de celle de la cour terrestre me semble très pertinente.

        Cependant les incohérences du texte persistent à mes yeux, je dirais même qu’elles redoublent avec votre remarque. Et j’en ressors d’autant plus persuadé d’une traduction réductrice de sens avec ce texte.

        Ce n’est pas expulser quoi que ce soit que de soupçonner cela. C’est justement ainsi, par le biais de curiosité pointilleuse que le sens se recherche, en aller-retour avec les textes dans leur langue d’origine.

        Par contre, si les textes bibliques n’avaient d’intérêt que principalement pour leur révélation du lien étroit qui unit le sacré et la violence, qu’est-ce qui les distinguerait finalement des textes de tragédies grecques ?

        Car ce Seigneur, peu charitable dans ce récit, se retrouve finalement aussi digne d’être expulsé que le roi… Cherchant lui aussi à faire tomber un autre roi…

        Si vous arrêtez votre lecture des textes avec ce critère, violence et sacré, vous risquez de passer à côté de révélations d’un autre ordre.

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      2. J’ai été très intéressée par l’insistance curieuse du roi Akhab à faire dire au prophète Michée, dont il affirme qu’il lui est hostile, le contraire de ce que celui-ci, prudemment vient de dire et le contraire aussi de ce que lui, le roi guerrier voudrait le voir prophétiser. En fin de compte, je trouve cette bizarrerie d’une grande vérité psychologique et, en plus, en cohérence avec la théorie mimétique.
        Le tyran sait qu’il tyrannise, même si son pouvoir repose sur une épaisse couche de mensonges auxquels il s’efforce de croire. La lâcheté de son co-équipier et des prophètes convoqués ne peut tout à fait lui échapper ; le tyran connaît la peur, il en joue parce qu’il l’éprouve lui-même : on gouvernerait sans violence si l’on pouvait avoir confiance dans les gouvernés. Donc, la parole d’un prophète réputé qui lui est hostile est tout ce dont le roi a besoin pour renforcer sa résolution. Le besoin de vérité, l’assurance suprême, se fait jour dans sa demande insistante. Evidemment, la fureur du roi, mimétiquement entretenue et enflée par ses courtisans ne laisse aucune chance à une « vérité » qui ne serait pas en accord avec cette fureur collective. On voit bien, cependant, l’importance cruciale de la vérité, même dans les circonstances les moins aptes à l’accueillir. (Qu’on pense ici au texte de Pascal sur l’étrange guerre que se font la violence et la vérité, texte qui ouvre « Achever Clausewitz »)
        Il peut paraître aussi tout à fait cohérent avec la théorie mimétique que le vrai prophète joue ce rôle de bouc émissaire, il est seul contre tous et sa vérité a ce double caractère d’être bénéfique (à condition qu’on la croie) et maléfique (parce qu’elle est au mieux paralysante, au pire, responsable du désastre). Le roi Akhab a donc besoin de Michée à tous égards.
        Un grand merci Hervé d’avoir été, en quelque sorte et a posteriori, le « Michée » de Vladimir Poutine : la vérité prophétique opère ici comme une forme de résistance.

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  3. Gifre,
    Vous écrivez : « les incohérences du texte redoublent » et « C’est justement ainsi, par le biais de curiosité pointilleuse que le sens se recherche, en aller-retour avec les textes… ». J’ai seulement omis « dans leur langue d’origine ». Pour le reste, nous sommes d’accord. Découvrir le parallèle entre les cours terrestre et céleste permet de se détacher d’une lecture sacrée, mais je n’ai jamais dit que l’interprétation s’arrêtait là. Comme vous le dites, revenir au texte et constater qu’il y a de nouveaux écueils, et obstinément chercher le sens…
    Mais à force de chercher le sens dans les subtilités linguistiques, on rate souvent l’essentiel. La méthode historico-critique que vous semblez défendre, et qui est hégémonique dans l’exégèse actuelle, est une concession aux Lumières, à la pensée rationnelle, et Girard nous dit clairement que ce point de vue ne permet pas de dépasser la méconnaissance du mécanisme sacrificiel. Je constate cela dans pratiquement tous les passages que je lis. Pour moi, c’est une impasse et il est temps de s’affranchir de cette mode.
    La même réflexion s’applique à une autre mode exégétique, « replacer dans son contexte » (sous-entendu socio-culturel). Ce n’est pas sans valeur, mais à vouloir expliquer tel ou tel comportement par les mœurs de l’époque on se coupe de la possibilité d’extraire du texte les invariants anthropologiques, l’universalité du message. Or Girard nous montre que si révélation il y a, celle-ci ne peut être qu’universelle (sinon elle n’a pas beaucoup de valeur pour nous).

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    1. En fait, Hervé, je ne défends pas la méthode historico-critique, que je ne connais pas vraiment. Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? Le fait que je chercherai des explications dans des subtilités linguistiques ?

      Pour vous donnez une idée d’où je parle, disons que mon approche des textes Bibliques est issue de lectures amateurs et non exhaustives (Bibles, René Girard, Marie Balmary, Frédéric Lenoir, Jean Grosjean…).

      Pour avoir lu ‘Le sacrifice interdit’ de Marie Balmary je reconnais l’importance de la traduction. Marie Balmary n’hésite pas à regarder plusieurs traductions et à analyser les textes hébreux pour ‘sauver’ le sens originel un texte. Elle va jusqu’à décortiquer tous les sens possibles dans certains passages d’importances et si bien que le lecteur s’en trouve éclairé et peut lui même chercher d’autres sens non explicités par l’auteur.

      René Girard, dans les ouvrages que j’ai pu lire, m’apparait principalement intéressé à analyser ce qui tient du pathologique chez l’être humain : les méandres du désir par une médiation interne ou via les rites des religions archaïques. Silence presque complet sur ce qui sauve (mais peut-être qu’il me reste à lire des ouvrages que je ne connais pas encore ?).

      Marie Balmary s’intéresse dans les textes bibliques à savoir comment les grands personnages (Abraham…) évoluent et cheminent vers le sens et ce qui sauve.

      Les révélations sur les pathologies du désir sont du plus haut intérêt, certes. Mais je crois que les révélations sur ce qui est Saint ne le sont pas moins. L’important dans un texte biblique, n’est pas forcément l’expression des mécanismes de la violence, ce peut être par exemple comment la victime, qui en est l’objet, se comporte, si elle fait face ou ne fait pas face.

      Personnellement, je ne vois pas en quoi les révélations sur les pathologies du désir, permettent de sortir de ces mêmes pathologies… D’où finalement leur importance relative, vis à vis des personnes avec qui j’ai pu parler de tout cela.

      Que cette révélation soit universelle, pourquoi pas !
      Mais je crois bien que l’universelle ne tombe pas du ciel, et qu’il faille bien admettre que cette révélation commence avant tout par une recherche personnelle… accompagnés de quelques prophètes… et de quelques soutiens…

      Mais vous, comment voyez-vous ce lien qui unirait la pathologie et la rémission, et cela par le biais de cette révélation (disons pathologique) ?

      Bonne fin de nuit !

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      1. Gifre,
        Limité par le cadre d’un article, je me contenterai d’une brève (et forcément incomplète) réponse à votre dernière question.
        Pour Girard, le mécanisme sacrificiel se caractérise par la méconnaissance de leur violence par les sacrificateurs. Pour l’enrayer il suffit donc d’une révélation et – toujours d’après Girard – celle-ci culmine avec la Passion du Christ. Par le témoignage des apôtres (les Evangiles) l’innocence de la victime est proclamée et le mécanisme sacrificiel perd tout bénéfice. On peut toujours massacrer des boucs émissaires (et nous ne nous sommes pas gênés pour le faire depuis 2000 ans), mais le bénéfice attendu, le retour à la paix et à la concorde dans la communauté, n’est plus au rendez-vous. Cette perte de pouvoir du mécanisme sacrificiel nous fait entrer dans les temps apocalyptiques. La révélation nous oblige à trouver un ou des substituts au seul mécanisme anthropologique connu capable d’enrayer la montée aux extrêmes, la croissance sans retenue de la violence dans la communauté. Le substitut proposé par les Evangiles est le renoncement radical à la violence, autrement dit à toutes les idoles qui supportent notre monde : la recherche vaniteuse de la gloire, du pouvoir, l’accumulation de biens matériels, le ressentiment envieux… Je partage en tout points cette analyse tout en discernant un autre phénomène que l’épisode historique de la Croix comme moment de révélation. C’est ce que j’appelle le retournement des écritures ; le moment où nous devenons capables de dépouiller les textes de leur couche de sacré pour qu’ils nous apportent la même révélation que la Croix : la vérité sur la victime et sur ses bourreaux, la vérité sur notre violence. Cet événement, qui peut tout aussi bien être individuel (il est vécu intimement par tous les prophètes, qui en témoignent) que collectif, est synonyme de crise aigüe parce qu’il nous oblige au deuil douloureux de nos rêves de gloire et de prospérité, de nos identités, de nos croyances, de nos biens matériels… C’est la symbolique de la traversée du désert par le peuple Hébreux, étape indispensable entre l’esclavage et la Terre Promise.

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      2. J’ai laissé derrière moi beaucoup de questions, merci d’avoir répondu en partie à celles-ci. Je garde votre dernière réponse dans un coin, pour y réfléchir plus tard…

        Je crains cependant de devoir encore laisser une ou deux questions supplémentaires (avec mes propres intuitions de réponse), pour ‘finir’ de commenter le texte du Roi Akhab.
        Mais vous n’êtes pas obligé d’y répondre, bien sur, surtout si cela vous entraîne trop loin du cadre de votre article.

        Je crois que ce qui, dans ce texte, est définitivement biblique et non tragique, c’est bien le personnage de Michée. Il échappe au rituel archaïque que cherche à réaliser le Roi Akhab. Le Roi souhaite que la communauté soit unanime dans l’objectif fixé par lui-même (la fameuse unanimité de la communauté contre la victime émissaire). Si Michée a pris pour habitude de dire des vérités hors du cadre des rituels (hors du mensonge de l’unanimité rituelle), c’est donc qu’il est d’une façon ou d’une autre habituellement l’exclu du rite. Le Roi le sait, et ne s’attend pas à ce que Michée rejoigne la communauté, et il ne le souhaite sans doute pas (Michée est une victime potentielle pour demain).
        L’intuition de Michée, n’est sans doute pas une intuition basée sur autre chose que son expérience vécue.
        Après avoir tenté de se joindre à l’unanimité, pourquoi répond-il au Roi de façon aussi ‘sincère’ ? parce le Roi lui interdit de la rejoindre !! (encore un peu de prison lui pend au nez)
        Pourquoi Michée répond-t-il avec une parabole, une projection en miroir du terrestre dans les cieux ??
        Là, je crois qu’on touche un point essentiel de la culture juive des prophètes, et de l’intelligence qu’ils ont des mécanismes réactionnelles de ceux qui sont pris dans leurs rituels archaïques… Certainement aussi une contrainte des textes pour qu’ils soient audibles, et inclus dans le corpus des textes acceptables, pour tous, qu’ils soient prophètes, rabbins, rois ou hommes du peuple.

        Voila, c’était ma compréhension du prophète Michée.

        A bientôt, certainement

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  4. Ceci est la réponse au commentaire de Christine Orsini.
    Merci Christine de souligner cette épine dans le pied du texte ; c’est toujours là qu’on trouve du nouveau ! Je partage votre analyse. Mes lectures m’ont fait entrevoir une réalité étrange : les personnages des scènes bibliques sont bien plus au fait de la réalité cachée de notre violence que nous, les lecteurs. Akhab sait, comme vous le dites, avec quelles forces il joue (et qui nous sont à nous parfaitement invisibles, sauf éclairage girardien). Peut-être son insistance à entendre la vérité prophétique s’explique-t-elle par sa peur de l’unanimité sacrificielle, qui confirmerait ses craintes inexprimées. Ce qui revient à votre explication… Un autre indice de la connaissance des phénomènes mimétiques à l’œuvre : la rage qui prend Cidqiyahou à l’écoute de la prophétie interdite et l’étrange dialogue qui suit.
    « Par où l’esprit du SEIGNEUR est-il sorti de moi pour te parler ? »
    C’est tellement étonnant comme exclamation qu’on passe facilement outre. Or une simple lecture littérale nous apprend que la « vision » de Michée vient, non pas d’un mythologique ciel, mais de la perception qu’il a de la situation. Il a ressenti l’atmosphère de mensonge de la cour du roi. Par mimétisme ?
    Il y a là un « sixième sens » que nous serions bienvenus d’entraîner : non pas s’attacher aux paroles, qui sont souvent mensongères, mais à l’atmosphère générale, aux signes à peine perceptibles. Si nous avions pratiqué cette discipline (dont on dit que les femmes font un meilleur usage), peut-être n’en serions-nous pas là à l’est.

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  5. Vos échanges sont passionnants, d’autant plus qu’ils ont oublié POUTINE et son chef des renseignements, dont la pertinence du rapprochement avec l’épisode biblique ne me semble pas d’une grande pertunence; Hervé VAN BAREN, j’ai pu découvrir votre méthode d’exégèse. GIFRE, je vous recommande un petit texte du jeune GIRARD (L’HERNE, GIRARD: Titre de l’article:  » Le classicisme et l’historiographie voltairienne ». Sa référence à Voltaire doit paraitre étrange à beaucoup de « girardiens », elle ne l’est pas pour moi, qui suis autant admirateur du professeur OUGHOURLIAN que de son maitre à penser, René GIRARD. L’important pour vous, Gifre, est l’éloge qu’il fait de « l’honnête Homme ». Vos diversités de lecture, vos interrogations correspondent aux caractéristiques de cette figure idéale classique. Vos réflexions font progresser la recherche mimétique

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  6. Vos échanges ont oublié POUTINE et son chef des renseignements, dont la pertinence du rapprochement avec l’épisode biblique ne me semble pas d’une grande pertinence. Ils sont, de ce fait, passionnants. Hervé VAN BAREN, j’ai pu découvrir, ainsi, votre méthode, très intéressante, d’exégèse. GIFRE, je vous recommande un petit texte du jeune GIRARD (L’HERNE, GIRARD: Titre de l’article: » Le classicisme et l’historiographie voltairienne ». Sa référence à Voltaire doit paraitre étrange à beaucoup de « girardiens », elle ne l’est pas pour moi, qui suis autant admirateur du professeur OUGHOURLIAN que de son maitre à penser, René GIRARD. L’important pour vous, Gifre, est l’éloge qu’il fait de « l’honnête Homme ». Vos diversités de lecture, vos interrogations correspondent aux caractéristiques de cette figure idéale classique. Vos réflexions font progresser la recherche mimétique

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    1. Merci pour vos conseils de lecture, j’en prend bonne note.
      Sur Poutine, et son évocation dans l’article d’Hervé, les parallèles sont possibles…
      Les évoquer, avec le peu d’information dont on dispose, est courageux car cela soulève un sujet très polémique… Que j’ai voulu éviter, tout en poussant notre compréhension du texte (finalement la seule matière à analyse dont on dispose), avec l’aide de Hervé.
      Bonne journée

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      1. Gifre, je pense qu’évoquer POUTINE va, à l’encontre du but exprimé par Hervé VAN BAREN: « Pour Girard, le mécanisme sacrificiel se caractérise par la méconnaissance de leur violence par les sacrificateurs. Pour l’enrayer il suffit donc d’une révélation…. » Il n’y a aucune méconnaissance en ce qui concerne POUTINE donc aucune révélation. Personnaliser un conflit, en dénonçant le camp ennemi ne permet pas, bien au contraire , de faire cesser la violence. Michée est juif et s’adresse aux deux rois (dirigeants) juifs.
        Le parallèle de situation m’inciterait plus à convoquer Jérémie , qui, pensant au peuple se garde bien de prophétiser contre NABUCHODONOSOR, et au contraire conseille de ne pas le combattre (je simplifie).
        Le parallèle serait de révéler à la foule hystérique, la violence de son camp occidental et de dénoncer la célébration du culte d’un héros: Le président Ukrainien.

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  7. Merci, amis, de savoir entonner la comptine que murmure avant d’être bombardée la mère déportée à l’oreille de l’enfant – le temple de Jésus était son corps, plus besoin de martyrs désormais – qui a l’avantage éclatant du refus symétrique des mensonges de l’empire face à l’empire du mensonge, où l’enfant blond comme le moricaud, le réfugié comme le migrant, accède à l’enceinte protégée du royaume de la vérité, celle qui, en plein cœur de la destruction totale, continuera de régner, délaissée aux ciels obscurcis de l’éternel retour de la barbarie, prouvant ainsi grâce aux témoins vaillants qui ne désertent pas, la capacité de nommer la toute-puissance si fragile de ce qui est, était et sera, la liberté de proclamer jusqu’au martyr inutile, le mensonge inutile du martyr.
    Notre joie ainsi est complète, les effets de la violence conduisent au triomphe de la vérité :

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  8. Chers amis, cher Hervé,
    Certes le Livre des Rois ne consiste pas en un éloge de la monarchie ☺ Salomon construit le Temple, mais finit par s’égarer complètement, et il arrive même à David de faire preuve de bassesse, lui qui tendit un piège honteux au général hittite Uri. Merci en tout cas pour ton interprétation, à laquelle j’adhère sans réserve.
    Thierry

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