Le wokisme, l’indifférenciation et la logique inversée de la victime expiatoire

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La pensée de René Girard éclaire de façon pénétrante les dérives idéologiques du wokisme, ainsi que les dangers profonds qu’elles induisent. Le wokisme, entendu non comme simple vigilance éthique mais comme système idéologique visant à effacer toutes les différences perçues, peut être lu comme un épisode avancé de la dynamique mimétique. Ce que ce courant prétend combattre – la violence d’exclusion –, il la réactive, en l’inversant. Et ce faisant, il maintient une logique sacrificielle qui a jalonné l’histoire de l’humanité.

La théorie mimétique repose sur une découverte fondamentale : le désir de chaque humain n’est jamais autonome, quitte de tous les autres. Il ne préexiste pas au processus de socialisation de l’individu. Nous ne sommes pas nés en effet dotés de nos désirs, ni munis de nos courbes de préférence, comme le postulent certaines anthropologies individualistes ou écoles économiques. Nous désirons ce que l’autre désire, précisément parce qu’il le désire. Cet autre est envié et imité car l’on pense qu’il est, quant à lui, un être complet, sans manque. Alors que l’on ressent en soi-même un vide. Ce qui nous pousse à désirer ce que désire cet autre. Pour se définir soi-même. Pour être. Pour, en voulant ressembler à cet autre, en mimant ses désirs, tenter de combler son propre sentiment de vide. Ce caractère mimétique structurel du désir engendre des rivalités, puisque l’on désire ce que l’autre désire. Ce qui peut déclencher une violence qui est elle-même contagieuse. Elle peut se déchaîner au sein de l’ensemble du groupe humain et, dans sa phase paroxystique, provoquer l’auto-destruction de la communauté. 

Cette rivalité d’appropriation est d’autant plus forte lorsque les différences entre les membres du groupe s’estompent, car la logique mimétique s’emballe alors encore plus facilement et plus dangereusement. Chacun développe ainsi une volonté d’appropriation des objets convoités par l’autre ; l’autre, les autres, se comportant de même. Lorsque deux êtres se ressemblent trop, chacun devient en effet pour l’autre un modèle à imiter, un rival, d’autant plus redoutable que l’autre est presque identique. C’est la figure girardienne (et récurrente dans les mythes) du double mimétique, contenant intrinsèquement un fort potentiel de violence. L’indifférenciation accélère le processus mimétique et son issue violente.

Les différences – sexuelles, symboliques, culturelles – ne sont ainsi pas des obstacles à la paix. Elles n’entravent pas la prévention de la violence. Tout au contraire, les différences sont les conditions de cette prévention. C’est précisément là le nœud du paradoxe : l’égalisation forcée des conditions des humains, loin d’abolir les conflits, les attise.

Comment la « crise mimétique » qui se répand entre tous les membres de la communauté peut-elle, le cas échéant, ne pas conduire à l’auto-destruction du groupe ? Ce dénouement catastrophique peut être évité si la crise se résout par la désignation d’une victime expiatoire. Cette dernière, canalise alors la violence de tous contre tous en une violence unifiée de tous contre un. Le bouc émissaire fait l’objet d’un processus, lui-même mimétique, de désignation quasi-aléatoire et résulte d’un consensus soudain quant à sa culpabilité, alors même qu’elle n’a aucun fondement réel. La victime expiatoire emporte avec elle, par son sacrifice, la violence contagieuse qui s’était déchaînée entre tous et qui s’est polarisée sur elle. Dans les sociétés primitives, une fois la communauté ressoudée, la victime est sacralisée en tant que figure qui a permis de sauver le groupe. Le mythe naît de ce processus, dissimulant le mécanisme réel, tout en en permettant la lecture si l’on se donne les moyens de le déchiffrer. 

Le groupe humain, la société, met en place des stratagèmes afin d’éviter autant que possible la répétition de la logique destructrice de la crise mimétique. Dans La Violence et le sacré, Girard montre que les sociétés archaïques ont su contenir cette violence en instituant des différences, des rites, des interdits, qui contraignent le désir mimétique et limitent les possibilités de son développement catastrophique. À l’opposé de l’invention contemporaine du désir « libéré », supposé désaliéner les individus en les autorisant à échapper aux contraintes de la société. À l’opposé de la volonté de déconstruction des interdits. Ce « désir libre », autonome et sans entrave, est une illusion : il nie la structure mimétique de nos désirs. Donc le potentiel destructeur de ces désirs sans contrainte. C’est au contraire la civilisation, par ses médiations, ses règles et ses normes, qui peut entraver cette violence endémique.

Les différences – sexuelles, hiérarchiques, rituelles, symboliques – ne sont donc pas des vestiges archaïques. Elles sont, selon Girard, des instruments culturels de paix. Dans les sociétés modernes, ce rôle est repris par la loi, l’État -qui s’est arrogé le monopole de la violence- et les normes sociales. Les différences demeurent, notamment économiques ou statutaires. Mais, plutôt que causes d’oppression, ces différences, dans le monde contemporain qui est le nôtre, sont heureusement mobiles, évolutives, non figées, et deviennent ainsi moteurs du dynamisme économique, moteurs de croissance. Tout en jouant, dans une logique subtile, leur rôle de rétention de la violence mimétique. En outre, les rites et les interdits moraux dans la société moderne, bien qu’affaiblis, jouent encore un rôle utile et complémentaire dans la rétention de la violence.

C’est ici que se situe, en toute clarté dès lors, le paradoxe du wokisme. En visant l’effacement de toutes les différences quelles qu’elles soient, perçues comme discriminatoires, le wokisme cherche à déconstruire l’ordre existant pour refonder la société sur un égalitarisme absolu. Mais ce constructionnisme, fondé sur la recherche de l’indifférenciation, ne pacifie pas : elle intensifie le mimétisme. Elle attise l’envie, la jalousie et finalement la haine. Et chacun cherche à défendre, voire à incarner, la victime la plus pure et à la sacraliser. C’est la logique contemporaine de la concurrence victimaire, analysée par René Girard dans son livre Je vois Satan tomber comme l’éclair : « La victime est devenue le fondement absolu du jugement moral ». 

Mais si tous sont victimes, dans ce monde de l’indifférenciation artificielle, construite, les barrières qui permettaient d’endiguer la violence sont détruites. Il faut alors trouver des boucs émissaires pour canaliser sur eux la violence ainsi induite. L’oppresseur – figure floue mais nécessaire à la construction désirée – devient alors le nouveau bouc émissaire. L’homme, le blanc, l’Occidental, voire l’ancienne et séculaire victime expiatoire qui devient, par un renversement de l’histoire, une figure de proue de l’oppresseur, sont ainsi montrés du doigt. Le dominant symbolique est désigné à la vindicte. La logique du sacrifice revient ainsi en force, mais inversée. 

Le wokisme, dans cette perspective, devient un compassionnalisme mimétique ignorant de ses propres ressorts. Il désigne en nombre les victimes, les sacralise et les fige dans leur statut en les assignant à résidence. Il construit des hiérarchies inversées où la culpabilité écrase la responsabilité. Où l’identité remplace l’acte. Où le déterminisme absolu refuse la capacité d’évoluer et de changer de statut. Ayant mis à bas les barrières civilisationnelles à la violence mimétique, la nécessité de la victime expiatoire revient donc. Mais on ne sacrifie plus la victime pour sauver la communauté : on veut sacrifier le prétendu dominant, désigné par les nouveaux inquisiteurs, pour racheter une faute collective supposée. Les barrières s’affaissent et la logique sacrificielle perdure. Dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, Girard écrit que « le monde moderne est de plus en plus mimétique ». Le wokisme en est une illustration. Sous couvert d’une posture de pureté morale, il reproduit ce qu’il dénonce : jugement, exclusion, violence, sacrifice. La victime n’est pas abolie, elle est remplacée. Et plus cela se fait au nom du Bien, plus le mécanisme est dangereux. Le Mal – le principe de la victime expiatoire – prend ainsi l’apparence de la vertu.

Faut-il pour autant revenir aux anciennes hiérarchies ? Pas plus que Girard, nous ne le pensons. Nous devons reconnaître la dynamique du désir mimétique, contribuer à désarmer le scandale, à sortir du cycle de la vengeance. Cela exige de réhabiliter les médiations symboliques, les différences structurantes et légitimes, les institutions qui empêchent la généralisation de la rivalité. Sans jamais pour autant légitimer les injustices. C’est ce qui distingue notamment l’égalité des chances de l’égalitarisme. 

Sans différences, il n’y a que des rivaux. Et une société de rivaux, sans médiation et sans barrières culturelles, est une société prête à s’enflammer et à risquer l’explosion [1]. L’égalitarisme intégral, amenant l’indifférenciation généralisée, devient un ferment de défiance, d’envie mimétique décuplée et in fine de violence destructrice.

[1] Notons, toujours dans une lecture girardienne, le combat rivalitaire qui pousse à un impressionnant mimétisme des comportements, aux États Unis, entre les tenants du wokisme et ceux de l’ultra-conservatisme religieux. Les deux se jettent des anathèmes et expliquent qu’ils sont la victime de l’autre camp. La violence mimétique les fait interdire les livres de la partie adverse et définir les programmes d’enseignement en en supprimant ce qui contrarie leur vison du monde, avec une approche a-scientifique. Et les deux camps s’opposent ainsi avec une polarisation mimétique qui refuse tout échange, tout dialogue.

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Auteur : blogemissaire

Le Blog émissaire est le blog de l'Association Recherches Mimétiques www.rene-girard.fr

16 réflexions sur « Le wokisme, l’indifférenciation et la logique inversée de la victime expiatoire »

  1. Bonjour,

    le wokisme abolit-il réellement toutes les différences ou bien abolit-il seulement les anciennes pour en constituer de nouvelles en désignant de nouveaux boucs émissaires ?

    Si l’absence de différences est certes un danger comme le note Girard, cela veut-il dire qu’il faut pour autant maintenir les différences ? Que penser de Galates 3:28 ?

    « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ ».

    Julien Lysenko

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    1. La question est intéressante : la pensée de Saint-Paul est « indifférenciatrice » de façon plus radicale que l’égalitarisme le plus rigoureux. Achever Clausewitz, p. 36 : « L’indifférenciation est le terme employé, dans La Violence et le Sacré, pour décrire l’état d’un groupe social menacé par une crise mimétique : la violence s’est tellement répandue dans le groupe que toutes les différences (sociales, familiales, individuelles) ont disparu. » René Girard ne dit-il pas à la fois que l’imitation est ce qui cimente un groupe social et en menace la survie, selon que la mimesis porte sur des représentations ou sur des appropriations ? Ne peut-on lui faire dire aussi que la perte des différences est catastrophique et au contraire bénéfique selon qu’il s’agit de vraies ou de fausses différences ? Certes, mais la différence entre un Juif et un Grec, entre un homme libre et un esclave, entre un homme et une femme n’est-elle pas une vraie différence, une différence de plus en plus vraie à mesure qu’on se rapproche d’une donnée de la nature ? Certes. Mais, justement, l’unité dont parle Paul n’est ni un fait culturel, ni un fait social ni un fait naturel, c’est un fait surnaturel. Non ?

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      1. Un fait surnaturel mais qui, me semble-t-il, doit avoir des effets dans tous les domaines que vous nommez : culturel, social et même naturel (dans la mesure où la délimitation de ce qui est naturel est aussi en grande partie le résultat de la logique différentielle du sacrifice ; dans la même mesure sans doute où il est dit que le péché originel a aussi affecté l’ordre naturel).

        Il doit avoir des effets d’abord car il me semble que c’est une grâce offerte au chrétien que de pouvoir participer au projet du Seigneur et ainsi de mettre ce fait en oeuvre dans le monde. Mais il doit aussi avoir des effets au sens où cela est inévitable. On peut se lamenter de la disparition des différences mais ce processus est lancé et aucun retour en arrière n’est possible. Il me semble que en un sens Girard le constate à la suite de Tocqueville : l’égalité est en marche. Il faut néanmoins tout faire pour que le dessein de la Providence ne soit pas détourné par le Malin comme une nouvelle occasion de faire des boucs émissaires, il faut se méfier de l’Antéchrist.

        Cordialement,

        Julien Lysenko

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      2. Vous démontrez remarquablement l’utopie de cette unité paulinienne, Julien et Christine. Il faut une « intervention surnaturelle » pour mettre en place cet ordre non-sacrificiel. Vous aurez donc l’adhésion des « croyants » à ce projet, et le rejet viscéral des autres.

        Il faut dépasser les croyances. Peut-être en commençant par reconnaître qu’il n’y a rien de « naturel » dans les différences de l’état sacrificiel : elles sont au contraire parfaitement artificielles. Nous sommes les êtres dénaturés par excellence. Par conséquent, il faudrait abandonner aussi le vocabulaire « surnaturel » qui porte tellement de clichés.

        Le monde est régi par un ordre (sacrificiel) qui ne saurait survivre à l’effacement des différences, un monde condamné à être violent et injuste.

        Paul annonce un ordre où ces différences seront abolies, qui sera nécessairement non-sacrificiel, mais qui sera néanmoins un ordre (il faut bien gérer la cité).

        Or on constate actuellement l’effondrement de l’ordre sacrificiel sous les coups du progressisme (plus profondément : de la croix), et le phénomène, malgré la violence des réactions, est irréversible (tout le monde semble d’accord là-dessus). On entend dès lors l’apocalypse comme l’inéluctable chaos qui résulte du processus de décomposition du monde sacrificiel.

        La « théorie » la plus complète sur ce phénomène, la Bible (avec l’écho contemporain de la théorie mimétique), confirme tout cela et y donne sens. Oui, le monde actuel est sacrificiel et condamné. Oui, il résultera de cet effondrement le « tohu-bohu » des origines, la crise ultime. Et c’est de cette crise que surgira l’ordre nouveau, parce que « le monde ancien a disparu ». C’est bien d’un saut anthropologique qu’il est question, du dépassement du mimétisme rivalitaire, de la violence :

        « Comprenons bien ceci : notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. 7Car celui qui est mort est libéré du péché. 8Mais si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. » (Romains 6)

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      3. Merci Hervé pour ce bel approfondissement. Je dirais peut-être seulement qu’un tel programme ne peut pas être réalisé par un dépassement des croyances, ou plus précisément de la foi (si on distingue la croyance en tant que dogme de la foi en tant qu’acte libre comme le fait Ellul).

        D’abord parce que la foi chrétienne ne doit pas être considérée comme exclusive, elle parle à tous et pour tous. Si le Christ sauve tout être humain, seul le Christ sauve.

        De plus, il me semble que le renoncement à la puissance est un véritable saut de la foi. C’est un acte absolument insensé pour qui ne reconnaît pas en Jésus le fils de Dieu et ne vit pas dans l’Espérance qu’il nous offre. Renoncer à user de la puissance semble dans le logos d’Héraclite impliquer de livrer définitivement le monde à ceux qui en usent pour faire le Mal.

        Amicalement,

        Julien Lysenko

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  2. Cet article appelle un commentaire de la part du girardien (athée) wokiste (modéré) que je suis.

    « Faut-il revenir aux anciennes hiérarchies ? » Quelle étrange question. Peut-on seulement imaginer une seconde revenir à une société d’ordres ? Évidemment non. Dans les sociétés sacrificielles, la pérennité des hiérarchies sociales issues du droit divin repose avant tout sur le consentement des producteurs (tiers-état) aux privilèges dont jouissent la noblesse et le clergé (consentement toujours plus ou moins opérant dans l’Inde des castes). Dans l’Occident chrétien, ce consentement s’est érodé progressivement tout au long de l’histoire, probablement du fait du travail souterrain de la révélation christique, comme nous le rappelle Julien Lysenko.

    Dès lors, quelles sont ces « différences structurantes et légitimes » qu’il faudrait réhabiliter ? Tout d’abord, il faut renverser les termes : les différences deviennent structurantes lorsqu’elles sont légitimes. Qu’est-ce donc qui fonde la légitimité des différences ?

    A mon avis, les hiérarchies sociales sont fondées sur un mythe essentiel qui est la méritocratie. Ce mythe repose sur le principe que les inégalités sociales fondées sur le mérite sont légitimes (même s’il arrive parfois qu’on leur fixe certaines limites). Par mérite, il faut entendre les talents et le travail. Bien sûr, l’adhésion à ce système repose entièrement sur la croyance en l’égalité des chances (l’équité selon Rawls), et donc exclut en théorie tout avantage fondé sur les inégalités de naissance et d’éducation. Or, l’égalité des chances n’est réalisée nulle part. Dans nos démocraties occidentales, les inégalités existantes se reproduisent de génération en génération via la transmission des biens matériels d’une part, et la transmission d’un capital culturel d’autre part (par la famille et l’école). En France, elles n’ont jamais été aussi marquées qu’aujourd’hui et continuent de s’accroître. Les catégories sociales intermédiaires et populaires ont plus ou moins conscience de l’imposture méritocratique. Cependant, elles persistent globalement à adhérer au mythe. Pour comprendre pourquoi, il faut en appeler à la figure moderne du héros, notamment dans les domaines du sport, des arts, des médias, mais aussi dans celui des affaires, avec en particulier la figure de l’entrepreneur visionnaire parti de rien et devenu extrêmement riche et célèbre. La diffusion du récit mythique est acquise grâce aux divers médias, tout comme les récits chevaleresques enflammaient l’imagination de Don Quichotte.

    Tout ça, c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau. Mais c’est surtout la faute à Jésus.

    NB J’oubliais : comment peut-on poser une égalité entre les tenants du wokisme et ceux de l’ultra-conservatisme religieux ? Qui a le pouvoir actuellement aux US de faire « interdire les livres de la partie adverse et définir les programmes d’enseignement » ?

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    1. Remarquable analyse, cher Julien.

      Un bémol toutefois : l’ultra-conservatisme est bien dominant aujourd’hui, mais il y a 20 ans c’était le contraire, avec une censure qui ne disait pas son nom : le politiquement correct. Il n’y a pas, dans la polarisation actuelle, aux Etats-Unis et ailleurs, de gentils et de méchants.

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      1. En réponse à Claude Julien et Hervé van Baren : si je puis ajouter mon grain de sel, je dirais deux petites choses. 1) l’égalité des chances n’existe pas mais cette injustice, dans les sociétés où l’inégalité est considérée comme une injustice (une injustice du sort ou une injustice sociale), la méritocratie n’est pas tout à fait un mythe et une imposture. En tant que professeur, je peux témoigner qu’il y a des garçons et des filles plus méritants que d’autres, et ceci dans tous les milieux, même si le mérite des étudiants venus de milieux défavorisés peut apparaître plus éclatant et est en tous cas mieux reconnu. 2) mon second argument est au fond le même que le 1er mais adressé à Claude Julien plus particulièrement : croire absolument au libre-arbitre, comme vous en avez fait l’aveu sur ce blogue, n’est-ce pas admettre que les causes extérieures ne sont pas absolument déterminantes ? Qu’il y a des trous dans la raquette des déterminismes sociaux et autres ?

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  3. La liberté, vue comme une émancipation de toute violence, bien sûr !

    L’égalité des droits, certes !

    À quand la fraternité, qui permet la coexistence des différences ?

    L’amour du prochain est la capacité surnaturelle des humains, puisque désormais nous sommes connus de Dieu, nous permettant de le connaître, donc d’imiter son Fils offert à nos iniquités.

    Comme le disait Girard en testament, il nous reste à devenir chrétiens, nous gardant de l’indifférenciation de la haine, car c’est la haine qui indifférencie, alors que l’amour accueille la différence en l’unité reconnue supérieure du Saint esprit.

    Le choix proposé n’a jamais été plus clairement formulé qu’aujourd’hui.

    https://saintebible.com/lsg/1_john/4.htm

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  4. @Hervé VB. J’ai vécu l’avènement du politiquement correct (le wokisme d’hier en effet) dès les années 80. J’ai trouvé ça stupide et j’ai continué à être incorrect (avec un plus de prudence toutefois !). Mais ne doit-on pas penser et dire que l’interdiction de tenir des propos sexistes, racistes, homophobes, etc. n’est rien par rapport à ce qu’ils désignent et dénoncent, cad le sexisme, le racisme, l’homophobie, etc. ?

    @Christine O. J’ai été enseignant moi aussi (essentiellement en 3ème cycle). Les étudiants issus de milieux défavorisés qui réussissent brillamment leurs études et trouvent des jobs intéressants et bien rémunérés sont les exceptions qui confirment la règle. Ils font partie de ces « héros » modernes dont je parle, ces héros qui expliquent la croyance persistante au mythe méritocratique. Ils se disent « pourquoi pas moi ? » et leurs parents se disent « pourquoi pas lui, pourquoi pas elle ? »

    A propos du libre arbitre. Celui auquel je crois pour mon compte s’exerce dans ces circonstances particulières où il y a un vrai choix moral à faire. Mais vous voulez m’attirer dans vos rets philosophiques ! Voyons plutôt un cas concret, une sorte de TP qui doit être réussi par toute société étatique : définir la responsabilité pénale dans les affaires judiciaires. Sans idée de la possibilité du libre arbitre, tout comportement humain est totalement déterminé, donc pas de responsabilité, partant pas de culpabilité, tout est permis… Les rédacteurs du code pénal, dans leur grande sagesse et leur embarras, ont d’ailleurs distingué deux niveaux de défaillance de la responsabilité : l’abolition et l’altération du discernement.

    Mais je digresse comme souvent. Il me semble que votre question était plutôt : peut-on librement choisir d’échapper aux déterminismes sociaux ? Peut-être, sans doute, mais tout le monde n’est pas Camus ! En fait, je n’en sais rien.

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  5. Un mot pour répondre à Julien Lysenko sur un terrain historique, et non pas théologique.

    Il existe des exemples de renoncement, parfois douloureux, à la puissance. La partition de l’Inde a finalement été acceptée par le Mahatma Gandhi, fervent nationaliste cependant, pour éviter une épouvantable guerre civile sans doute. Nelson Mandela et Frederik de Klerk ont mis fin pacifiquement à l’apartheid. Les sudafricains noirs, victimes de l’oppression coloniale, ont renoncé à la vengeance (il faut pardonner, mais ne pas oublier, disait Mandela).

    Nous verrons quelle sera l’issue des guerres en cours, en Ukraine et en Palestine en particulier, mais il y a des raisons d’espérer.

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    1. Bonjour et merci pour votre réponse.

      Je ne suis pas suffisamment expert dans le domaine historique pour répondre avec certitude (mon domaine d’expertise étant la philosophie), mais ne pourrait-on pas distinguer le pacifisme (qui s’illustre dans vos exemples, qui repose sur le compromis et qui reste dans une logique de rapports de force) du choix de la non-puissance offert par le Christ ?

      Si oui, le problème est que le pacifisme connaît ses limites et ne peut s’extriquer de certaines situations. Voir à ce propos le dilemme absolu qu’ont connu bien des pacifistes historiques face au nazisme. Dilemme qui risque malheureusement de se poser plus fortement encore face à une puissance malveillante disposant cette fois de l’arme atomique.

      Cordialement,

      Julien Lysenko

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      1. La question du pacifisme est complexe pour moi. Je me suis longtemps pensé benoîtement pacifiste, et c’est une discussion (d’abord privée puis sur un forum Internet) autour de la chanson de Brassens « Les deux oncles » qui m’a amené à être plus nuancé. Dans cette chanson, Brassens renvoie dos à dos un résistant et un collabo de la 2ème guerre… Il y a une autre chanson qui convoque le libre arbitre pour aborder cette question du pacifisme : « Né en 17 à Leidenstadt » de JJ Goldman :

        Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt

        Sur les ruines d’un champ de bataille

        Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens

        Si j’avais été allemand?

        Bercé d’humiliation, de haine et d’ignorance

        Nourri de rêves de revanche

        Aurais-je été de ces improbables consciences

        Larmes au milieu d’un torrent ?

        J’espère ne pas vous avoir détourné trop longtemps de votre réflexion philosophique et théologique avec ma culture populaire !

        Pour revenir à l’histoire, je pense simplement qu’il y a eu des humains puissants qui ont fait le choix de la non violence. Leurs doubles monstrueux sont malheureusement bien plus nombreux. Nous en avons deux « beaux » exemples en ce moment.

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  6. Pour Hervé (en réponse à son commentaire matinal du 26 septembre) : Si vous bannissez le mot (et donc la chose) « surnaturel« , vous allez rester en rade quand vous ouvrirez bien des livres et pas seulement les livres de piété. Par exemple Simone Weil utilise ce mot de façon fréquente et tout à fait nécessaire. Sans référence au surnaturel, on peut être de plain-pied avec elle quand elle parle de « pesanteur » mais on sera largué dès qu’il s’agit de « grâce« , et que peut-on dire de pertinent de l’une ou de l’autre si on ne les accouple pas ?

    Et, aussi, je ne comprends pas votre réticence à voir dans la différence sexuelle (homme/femme) une différence naturelle. Je n’ignore pas que sur cette différence naturelle se sont greffées toutes sortes de différences arbitraires, comme par exemple la notion d‘instinct maternel accordé au sexe faible (on en a déjà parlé à propos du jugement de Salomon) ou l’intuition féminine, histoire de réserver le concept au sexe fort, mais enfin, on ne naît pas seulement « humain » quand on naît. Il semble que quelques filles ou quelques garçons ne naissent pas dans le bon corps, raison de plus pour considérer la différence sexuelle comme une insurmontable différence naturelle, qu’on puisse s’en désoler ou s’en réjouir, au contraire.

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    1. Bonjour,

      Le commentaire de ce jour de Christine Orsini, qui a mon adhésion, m’a amené à relire le commentaire du 26 septembre d’Hervé van Baren. Je souhaiterais lui demander, s’il le veut bien, d’expliciter la phrase « Or on constate actuellement l’effondrement de l’ordre sacrificiel sous les coups du progressisme (plus profondément : de la croix) ». Plus précisément : qu’entendez-vous par « progressisme » ? en quoi est-il vecteur d’effondrement de l’ordre sacrificiel ? Quel rapport avec la mort de Jésus-Christ sur une croix ?

      Je vous remercie par avance,

      Serge Lochu

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  7. « L’unité dont parle Paul n’est ni un fait culturel, ni un fait social ni un fait
    naturel, c’est un fait surnaturel. Non ? » La question de Christine Orsini est
    capitale. Je vais esquisser une réponse.
    Paul insiste pour dire que nous sommes égaux « dans le Christ », mais il me
    semble que c’est une échappatoire de s’en remettre au surnaturel pour « régler
    nos problèmes ». Nous ne sommes pas censés nous aimer dans l’au-delà mais
    tout de suite, ici-bas. Notre unité, comme espèce, n’est pas surnaturelle. Nous
    naissons universels. Nous ne naissons pas « divers », mais avec dans notre
    cerveau inachevé la capacité d’apprendre toutes les langues. Nous possédons,
    avant même d’avoir respiré, tous les caractères linguistiques communs à toutes
    les langues du monde ─ ce qu’on appelle justement les « universaux ». Le
    nourrisson est capable de discriminer la quasi-totalité des phonèmes humains,
    c’est-à-dire les 600 consonnes et 200 voyelles environ qu’on trouve dans tous
    les idiomes de la planète. Un nouveau-né chinois peut apprendre le zoulou sans
    la moindre difficulté. Un petit Lapon, placé dans l’environnement convenable,
    parlera la langue aborigène d’Australie sans effort. Un Indien du Mato Grosso
    peut parler l’anglais sans le moindre accent…
    Entre un homme et une femme, il n’y a rien de moins qu’entre XX et XY, le
    reste de l’alphabet est le même. Entre un Soudanais et un Suédois, rien qu’une
    dose de mélanine. Entre un Juif et un Arabe, je cherche encore… Il y a dans le
    phénomène humain une « constante fondamentale » tout à fait surprenante.
    Même vues sous l’angle culturel, nos différences sont minimes : les dieux sous
    tous les cieux ont de tels airs de parenté ! Cela peut déplaire aux
    « différentialistes ». Tant pis. Comme aimait à le répéter Albert Jacquard, « Je
    sais de toi l’essentiel : tu es de mon espèce. » Le racisme est sans fondement
    aucun, c’est une hypothèse absurde soutenue par des esprits imbéciles. Je peux
    recevoir le sang d’un Inuit ou d’un Philippin aussi facilement que de ma sœur.
    Comment, dans l’Évolution (avec une majuscule), la Nature a-t-elle « choisi »
    de conserver ce qu’elle a conservé ? Et en premier lieu, son unité ! La nôtre, en
    l’occurrence. Tel est le mystère de la Création.
    Nos ressemblances ne sont donc pas fortuites. Nos différences, elles, sont
    artificielles… on dit aussi : culturelles.
    Cette unité initiale de l’espèce, nous nous obstinons à la perdre, à la gaspiller.
    Défaire ce que Dieu a créé est proprement un péché. Et ce péché est « non point
    originel, [mais] terminal, prochain, final. » L’expression est de Michel Serres
    (Le Tiers-Instruit). Que cela déplaise aux réactionnaires, aux libertariens, il
    n’empêche que nous avançons inexorablement vers l’universel : versus unum.
    L’expression « versus unum » a été reprise par le pape Léon XIV à sa messe
    d’inauguration. C’est plutôt un bon présage.

    Joël Hillion

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