La mort en direct : un sacrifice « moderne »

« Le streameur français Jean Pormanove, victime régulière de violences filmées, meurt lors d’un direct.

Le streameur français Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël Graven, est mort dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 août, a annoncé sur Instagram l’influenceur Naruto, qui apparaissait régulièrement dans ses vidéos en direct. Le modérateur de la chaîne Lokal, sur la plateforme Kick, qui diffusait les images mettant en scène Jean Pormanove et Naruto, a confirmé son décès auprès des internautes.« 

(Source France Info)

L’horreur se vend bien. Les jeux télévisés qui consistent à éliminer les candidats les uns après les autres ─ « You’re fired ! » ─ sont vraiment trop gentils. Sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers de voyeurs se délectent des humiliations et des tortures infligées à un pauvre hère (une personne réelle, pas un clone ou quelque avatar) et les plateformes se font un argent fou avec ce spectacle, à proportion de l’audience. Jean Pormanove était un ex-SDF dont les revenus lui étaient assurés grâce aux séances de tortures, de souffrances physiques et morales qu’il subissait en direct. La chaîne avait échappé à la clôture sous prétexte que le « candidat » était consentant. Les tortures dans les prisons syriennes fermées ont ému tout le monde, mais un voisin tabassé, roué de coups, passé à la gégène, sous les yeux de spectateurs passifs et eux aussi « consentants », cela passe mieux. Il a fallu attendre la première mort médiatique pour que la Ministre déléguée à l’Intelligence Artificielle et au Numérique estime qu’il est temps de prendre des mesures.

Est-on revenu aux jeux du cirque romains ? On pourrait aussi rétablir la peine de mort et les exécutions publiques (télévisées, bien sûr). Les partisans de cette belle aventure médiatique ne manquent pas. Ce « retour du sacrificiel », si c’en est un, nous interroge et doit nous inquiéter. Ce reflux civilisationnel est alarmant. La « personne humaine », qui est la plus belle invention de notre culture, est niée, comme si elle n’avait aucune importance, aucune valeur. Qu’est-ce qu’un homme ? Rien. Étonnez-vous que des régimes totalitaires comme la Chine, la Russie, l’Iran prospèrent en toute tranquillité ! Étonnez-vous que les fous capitalistes libertariens nous vantent le transhumanisme et nous le présentent comme le progrès définitif de l’humanité ! « L’idéal » aujourd’hui est la disparition de l’homme. Il a déjà fait tant de mal à la planète. C’est d’ailleurs en ruinant la planète qu’il finira par ruiner ses chances de survie. Il y a là une certaine logique…

La violence et la mort nous fascinent tellement que nous allons droit devant, comme attirés par notre propre fin. René Girard s’interrogeait sur ce qu’il restait de sacrificiel en nous. D’évidence, tout le fond primitif est toujours présent. Nous découvrons avec horreur que le goût du sacrifice est aussi puissant aujourd’hui qu’aux temps archaïques.

L’événement a été perçu par les médias, et par le public en général, dans l’incompréhension la plus totale, comme s’il s’agissait d’une violence inédite, inconnue jusque-là, alors que nous avons là la manifestation de la « banalité du mal » dans toute sa matérialité. Mais nous ne voulons pas voir le mal. Le vocabulaire des commentateurs est révélateur. Ils parlent de « harcèlement » pour décrire des tortures morales et physiques. Ils en appellent à des formes de « modération » alors qu’il faudrait implorer un rétablissement de la morale. Et bien sûr, personne ne prononce le mot « péché » ─ ce que pourtant la torture à mort d’un être humain est fondamentalement ─, parce que le mot et la notion de péché sont complètement sortis des consciences modernes. Ce déferlement de méconnaissance est le signe de notre sidération devant la violence, et de notre aveuglement volontaire devant une haine insupportable, comme aux commencements de l’humanité. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ! » déplorait Albert Camus. Où allons-nous ?

Avatar de Inconnu

Auteur : blogemissaire

Le Blog émissaire est le blog de l'Association Recherches Mimétiques www.rene-girard.fr

4 réflexions sur « La mort en direct : un sacrifice « moderne » »

  1. j’attendais la réaction de l’Emissaire! La notion de consentement est un peu vite éludée. Les vidéos de soumissions volontaires à des douleurs ou situations humiliantes sont légions et légitimées au motif du consentement, devenu le socle des rapports sociaux. Parvenir à faire une démonstration convaincante de son insuffisance n’est pas si aisé…sauf à reconnaître un principe vertical qui ne fait plus sens. Le visage de JP, soudainement apparu, deviendra t-il le signe de l’indisponibilité absolue de la personne ? En-deçà de son vouloir propre? Une « victime digitale » manifestation de la dimension intouchable de chacun….

    Aimé par 1 personne

  2. Exacte sur toute la ligne. Du sadisme feutré jusqu’au tout récent désir du président de rebaptiser notre « Départment de défense » en « Département de guerre, » hobbesienne s’entend. Cela ne s’invente pas. La mort nous envahit diablement, pour reprendre une locution française. On en est aux cirques de l’empire romain.

    Andrew McKenna

    J’aime

  3. Votre cri d’alarme, Joël, en rejoint bien d’autres mais je ne savais pas, je ne pouvais même pas me douter qu’il existait officiellement une telle saloperie !!

    C’est quelque chose qui vous rend muet. Même pas songeur, il n’y a pas matière à réflexion, c’est tout simplement incroyable.

    J’aime

  4. Jean Pormanove était un « possédé de Gérasa » moderne. Pour comprendre les ressorts de cette triste pièce de théâtre, la (re)lecture des commentaires de René Girard sur cet épisode des Évangiles dans Le Bouc Emissaire est indispensable.

    LM FRERET

    Aimé par 1 personne

Répondre à Anonyme Annuler la réponse.