Hélas, la fin du droit, une prophétie qui s’avère…

Parmi les assertions prophétiques d’Achever Clausewitz, l’une d’entre elles m’avait particulièrement troublé en 2007 et avait nourri chez moi un scepticisme, sans doute provoqué par un résidu d’idéal progressiste : l’annonce de la fin du droit. René Girard en fait un sous-chapitre de son chapitre III intitulé “Le duel et la réciprocité”. Près d’une vingtaine d’années après son dialogue si fructueux avec Benoît Chantre, où en sommes-nous ? Le prophète a-t-il réussi, en annonçant le malheur, à conjurer le sort ou sa prophétie s’est-elle avérée en prospective probable voire en prévision réaliste ?

Si Girard part d’un propos suggéré par les difficultés du droit international et même plus étroitement du droit de la guerre, dont les violations sont toujours restées impunies lorsqu’elles émanent des vainqueurs, malgré ou en accord avec les procès de Nüremberg, il faut aujourd’hui ne pas hésiter à l’élargir aux droits nationaux. 

Alors que l’Etat de droit et l’émergence d’un droit international plus ambitieux que le jus gentium, le droit des gens des modernes, semblaient tracer un progrès universel et indéfini jalonné par les déclarations des droits humains, leur sanction devant des cours de justice et l’institutionnalisation d’un droit pénal international, ultime clé de voûte d’un droit opposable aux Etats, voilà que cet échafaudage prometteur est remis en cause par des secousses à répétition. Souvent l’allégeance au droit varie et bien fol qui s’y fie.

Rappelons quelques opinions délivrées par Girard : “La perte du droit de la guerre nous laisse face à l’alternative terrible de l’attaque et de la défense, de l’agression et de la réponse à cette agression, qui sont une seule et même chose. […] Le primat de la victoire que [Clausewitz] érige en règle, s’exaspère sur fond de mépris de l’adversaire, qu’on doit finir par abattre. Cette attitude autorise tous les manquements aux règles de l’honneur.” Quelques lignes plus loin : “Mais les guerres idéologiques, où la politique court derrière la guerre, fonctionneront comme des croisades en organisant le massacre de populations entières. Carl Schmitt a bien vu cela quand il parle de “théologisation” de la guerre où l’ennemi devient un Mal à éradiquer”. Après un détour par sa théorie du partisan et le développement du terrorisme, Girard affirme que Schmitt “n’a pas compris ce qui était en jeu dans la dissuasion nucléaire, par exemple. Tout ce qui a fonctionné sur ce principe, après 1945, a fonctionné au niveau d’une espèce d’accord entre mafias plutôt qu’au niveau du droit. […] rien n’est passé par les Nations Unies.”  Il souligne que le “fait même qu’on parle d’”États voyous” prouve à quel point nous sommes sortis de la codification des guerres interétatiques”. Pour lui “l’imprévisibilité de la violence est nouvelle : la rationalité politique, dernière forme de vieux rituels, a échoué.” Il constate peu après que “la puissance de l’armement a pris la place de la politique” dans une perspective heideggerienne de “l’arraisonnement du monde à la technique”.

Plus tôt dans son essai, Girard avait affirmé en généralisant : “Mais est-on encore dans un monde où la force peut céder au droit ? C’est précisément ce dont je doute. Le droit lui-même est fini, il échoue dans tous les coins ; même d’excellents juristes, que je connais bien[1], n’y croient plus. Ils voient que cela s’effondre, s’effrite. Pascal déjà n’y croyait plus. […] Le droit, je l’ai vu sortir du sacrifice […].”

René Girard a probablement proposé ici une matrice réaliste des perspectives actuelles. Nous vivons sinon un effondrement, expression sans doute malheureuse des collapsologues en ce qu’elle semble pronostiquer une catastrophe quasi instantanée et immédiate, du moins un affaissement durable des fondations de l’ordre juridique patiemment consolidé avec l’émergence d’États de droit en interne et de l’ordre westphalien à l’international.

Il n’est sans doute pas utile d’insister outre mesure sur la fin du droit international : le droit de la guerre est bafoué par la multiplication des crimes de guerre et contre l’humanité lors des conflits actuels. La question du génocide est posée par les Ukrainiens et les Palestiniens. Le deux poids deux mesures (double standard) inauguré par les procès de Nüremberg s’est confirmé depuis, ne serait-ce qu’à travers l’immunité constante des États-Unis, des atrocités de la guerre du Vietnam aux prisons de Guantanamo et d’Abou Ghraib, entre autres. Les juridictions internationales (Cour Internationale de Justice et Cour Pénale Internationale) peinent à asseoir leur légitimité. L’Organisation des Nations Unies voit le conseil de sécurité, son instance exécutive principale, paralysé par le droit de veto accordé à ses membres permanents. Les nominations à la présidence de commissions ou de COP de représentants de pays ouvertement opposés à leurs finalités, tournent à la farce. Dans un monde qui croyait encore, il y a peu, aux vertus du « doux commerce » sous l’égide de l’OMC, le retour des droits de douane et les difficultés à entériner les traités de libre échange manifestent là encore un recul de la coopération internationale. Le droit international ne parvient pas davantage à faire face aux migrations, la distinction entre légalité et illégalité qui repose sur le droit d’asile produisant plus de drames que d’apaisement là où la réalité trouve sa source dans les déséquilibres démographiques, économiques et de perspectives offertes aux générations futures. D’autres exemples pourraient sans doute être donnés.  

En droit interne, des difficultés sont notables dans la pérennisation des progrès indéniables effectués au vingtième siècle vers un universalisme réel en direction des femmes, ainsi que face au racisme par exemple. L’incapacité à juguler les trafics des produits stupéfiants mais aussi des êtres humains, a produit un terreau fécond pour la délinquance. La fonction dissuasive du droit pénal voit ses limites manifestées par la hausse des taux d’homicides, faisant suite à une longue décrue amorcée il y a quatre siècles. Plus généralement, la combinaison de l’inflation normative et de la juridictionnalisation proliférante des rapports humains engendre une complexité que notre système n’a plus les moyens de maîtriser, sauf à substituer l’intelligence artificielle aux juridictions et avocats pour trancher les litiges dans des délais acceptables et selon une application uniforme des règles.

Face à l’accumulation de telles difficultés, les libertés publiques sont rognées après une longue période d’expansion et l’état d’exception, qu’il dise son nom ou le taise, est une tentation de plus en plus forte pour les gouvernants.

Les institutions politiques ne sont pas mieux loties : l’élection démocratique des représentants des peuples tourne de plus en plus fréquemment à une loterie incertaine, où les tricheurs savent de mieux en mieux maximiser leurs chances de l’emporter par le mensonge et la manipulation. Des situations de blocage en raison de la constitution de majorités négatives ou de l’opposition entre des légitimités incompatibles, paralysent tant l’élaboration que la mise en œuvre des normes juridiques. La puissance des réseaux sociaux rend de plus en plus illusoire l’apparition d’un débat politique serein et d’une opinion publique raisonnable autorisés par ce que John Rawls appelait le “consensus par recoupement”[2] à la fin du siècle dernier.

Quand René Girard prophétisait il y a une vingtaine d’années la fin du droit, il voyait juste. Les libertariens sont tentés d’en tirer des conséquences radicales : puisque le droit est en déclin, pourquoi ne pas s’en passer ? Cette nouvelle modalité de l’anarchisme repose sur l’illusion qu’une économie débridée engendrera un “ordre spontané”, selon l’expression de Hayek, capable de résoudre avantageusement les problèmes qui s’accumulent. 

Rappelons-nous pour finir comment René Girard concluait sa vision prophétique : ”La violence a produit du droit qui est toujours, comme le sacrifice, une moindre violence. Qui est peut-être la seule chose dont la société humaine soit capable.”


[1] Fait-il allusion à un de ses fils, avocat de profession, ou à certains de ses collègues universitaires ?

[2] Accord entre les citoyens sur des principes de justice, malgré leurs différentes doctrines englobantes (religieuses, morales ou philosophiques).

35 réflexions sur « Hélas, la fin du droit, une prophétie qui s’avère… »

  1. Si le droit disparait – et ta démonstrations est assez convaincante – ne reste que la tentation de l’ordre. Celui-ci étant celui du plus fort, du plus brutal, du moins nuancé.

    Une démonstration de plus pourrait être la grâce accordée par Biden à son fils au moment où arrive un Trump se présentant comme plus fort que le droit.

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    1. L’Etat de droit fait la promesse de l’égalité des droits pour tous les justiciables. L’abus du droit de grâce en faveur de sa famille ou de ses proches est désormais assez fréquente aux Etats-Unis. Elle ne fait que refléter l’inégalité de fait selon la capacité financière à recourir aux avocats les plus performants et les modes de désignation des chefs des différentes polices, des juges et des procureurs. De ce point de vue, la société américaine est une caricature ou un précurseur.

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      1. Merci Jean-Marc, ton diagnostic est impeccable mais il reste à voir quelle conséquence on en tire. Pour être fragile, le rempart du droit n’en est pas moins indispensable. On commence à voir ce que coûte et ce que va coûter son affaiblissement en terme de violences et de souffrance. Plus que jamais, il ne fait pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » et prendre le risque de faire de la mise en garde de Girard une prophétie auto-réalisatrice. Pour parler plus clairement : la défense du droit (notamment à l’international) est plus que jamais un impératif moral et il ne faut pas partir battu. Girard donnait parfois l’impression de penser que seule la religion pouvait nous sortir de là, mais ce qu’on voit de certaines évolutions contemporaines du catholicisme ne rend pas optimiste sur sa capacité en faire barrage à la violence – cf. le converti JD Vance colistier de Trump et ses accointances libertariennes. J’ajoute que le droit est indissociable de la Justice, qui est une notion centrale aussi bien dans les évangiles que dans la Bible hébraïque (« le Dieu saint a révélé sa sainteté dans la justice. » (Is 5, 16)). Girard n’en parle pas assez quand il parle du droit. Or, c’est une notion à la fois religieuse et politique. On ne peut donc séparer les deux.

        Bernard Perret

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  2. C’est la fin des illusions modernes, que nos systèmes politiques voudront néanmoins défendre face à l’intolérable résurgence du réel, « battling to the end » (pour prendre le titre anglais d’Achever Clausewitz). Parmi ces illusions, celle que les valeurs « occidentales » sont dues à un progrès historique irréversible (et pas du tout liées à l’enseignement chrétien, bien au contraire, il faut lutter contre celui-ci…), celle du progrès inévitable qu’il faudrait reconnaître dans toute nouvelle « bonne idée », celle que par le langage l’homme peut créer le réel (cassant le lien perçu jusqu’alors comme naturel entre la pensée et le réel – Dieu crée le monde par la parole, l’homme nomme les choses sous son regard). Nous nous trouvons déjà depuis longtemps dans une sorte de Guerre de Trente ans à l’échelle planétaire, avec une situation de départ encore plus mauvaise qu’à l’époque, tant le langage lui-même a perdu toute portée et tout sens. Et c’est d’ailleurs la crise du langage qui conduit le plus directement à la crise du droit. Nous nous trouvons lancés dans une confrontation contre des Etats autoritaires, au nom de principes comme la démocratie, ou l’Etat de droit, principes que nous ne sommes plus capables d’appliquer dans nos propres pays. En France, la Vème République finissante n’aura trouvé de consensus (à une majorité quasi-poutinienne) que pour inscrire l’IVG dans sa constitution – signant ainsi la nature sacrificielle et girardienne de cet acte si souvent vu comme un progrès (nous sommes en litige et en rivalité sur absolument tout, mais contre la victime la plus innocente qui se puisse imaginer, alors là, oui, on arrive à se mettre d’accord).

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  3. Au constat implacable et désespérant de l’ami Jean Marc je n’ai à opposer que ces quelques mots ( tirés d’une série américaine )d’un curé s’adressant à ses paroissiens fortement secoués par une série de meurtres commis dans leur communauté et les priant de ne rejeter ni les meurtriers , ni les victimes : « our job is only to love »

    Jacques Legouy

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  4. Rigoureux et donc accablant. Reste à savoir si le droit est la réponse appropriée à cette régression sacrificielle qu’on constate un peu partout. L’inculpation par la cour pénale internationale d’un chef d’état responsable d’une guerre meurtrière, est-ce la bonne façon de le convaincre, et avec lui le peuple qui le soutient, de renoncer à ce qui, le plus souvent, est une tentative de résolution sacrificielle d’une crise interne ? Le droit a-t-il le pouvoir de rendre les violents conscients de leur violence ? Peut-être cette crise du droit a-t-elle une vertu, celle de libérer la place pour d’autres façons – encore à inventer ? – de résoudre les conflits.

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    1. Cher Hervé, il me semble à moi que la seule façon de répondre à l’injustice d’une guerre d’invasion qui viole tous les traités et tous les droits, que ce soit ceux de l’état de guerre, ceux des nations civilisées, ne parlons pas de la « loi morale » fondée sur le respect de la personne humaine : il s’agit d’une guerre déshumanisante à tous égards, il me semble à moi que la bonne réponse est cette inculpation par la cour pénale internationale, même si elle n’est suivie dans l’immédiat d’aucun effet. Vous semblez, vous, contester le droit à cause de son inefficacité, il serait incapable de « rendre les violents conscients de leur violence« . Si les disciples de Jésus, tous endormis ou absents ou fondus dans la foule lyncheuse, avaient pensé, en se réveillant, que leur témoignage ne changerait pas la face du monde, eh bien, la face du monde n’aurait pas été changée. Oui, mais l’Esprit saint était à la manœuvre, évidemment.

      Alors, pour vous convaincre que le droit est non seulement une « moindre violence » mais « la seule chose dont les hommes soient capables » (pour répondre à la violence sans le secours du Saint Esprit), je citerai la conclusion du beau livre de Paul Dumouchel « Le sacrifice inutile » . Il s’agit des protestations vaines des amis d’un homme lynché par une foule : « Leur entêtement à défendre la victime et à clamer son innocence contre tout espoir, même lorsque tout était perdu, a désamorcé la conspiration du silence qui s’établit naturellement entre les bourreaux et ceux qui laissent faire (…). Leur présence impuissante a déconstruit les deux mensonges, de la violence et de l’indifférence. Il faut reconnaître et accepter cette faiblesse. »

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      1. Chère Christine,

        Je ne conteste nullement le droit, et je reconnais son efficacité en temps normal, c’est à dire quand la majorité accepte de jouer le jeu, ainsi que la validité des poursuites judiciaires dont vous parlez. Mais l’article de Jean-Marc et la prophétie de Girard éclairent bien la situation actuelle, et vous connaissez mon analyse, qui se trouve confortée, je pense : nous avons dépassé le temps des solutions sacrificielles, et le droit dont il est question en fait partie. Le droit tel que nous l’entendons restera toujours sacrificiel, parce que sa logique est rétributive. Il s’agit d’évaluer le mal commis par un « méchant » et d’appliquer une peine proportionnelle ; de répondre à la violence par une autre, « bonne », violence. C’est cette intemporelle formule que la « montée aux extrêmes » rend caduque. Il ne s’agit pas de renoncer au droit en se lamentant ; il s’agit de trouver mieux. Quelque chose dont, pour reprendre vos propos, les hommes ne sont pas capables, en tout cas pas par leurs propres forces. Avant de changer le droit, il faut donc changer l’humain.

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  5. Girard a parfaitement raison lorsqu’il voit le droit « sortir du sacrifice ». Et la conséquence de la fin du sacrifice est qu’elle entraine à sa suite la fin du droit. Je pense que c’est ainsi que l’on peut résumer, certes outrageusement, le fond de sa pensée. Elle aura donc subi un retournement radical, puisque dccdfm appelait à la fin d’une lecture sacrificielle des évangiles et donc, pour résumer encore une fois : à la fin de l’institution du sacrifice. En effet, nous avons besoin du droit, et donc, nous avons besoin du sacrifice. Evidemment, le sacrifice chrétien renouvelle profondément le genre….
    Girard avait encore raison en attribuant à Schmitt un premier constat d’une « théologisation de la guerre ». Le problème, et c’est là où cela devient intéressant, c’est que cette critique d’un monde qui était encore à venir, intervint pendant le procès de Nuremberg : c’est cet évènement qui annonce, pour Schmitt, la catastrophe. C’est au moment même où se mettaient en place les tribunaux internationaux, l’ONU… que le ver entrait dans le fruit, et force est de constater que le fruit est parvenu maintenant à un état de décomposition avancée.
    Pour ma part, je ne vois pas seulement le droit sortir du sacrifice, mais également la monnaie, et nous assistons également à la fin de la « monnaie souveraine » au profit de multiples monnaies privées. Or le droit s’incarne avant tout dans la monnaie. Tout cela est lié. Je ne vais pas développer plus avant ce sujet qui m’occupe depuis longtemps, mais passer directement à ma vision du présent : le monde est divisé entre des démocraties, c’est-à-dire des états de droit, et des états mafieux, qui ont résolu de détruire ceux qui ne collaborent pas avec eux. Les diverses théologies servent de cache-sexe aux puissants, de justification à la guerre, et cela devrait couper court à toute discussion : qui peut encore croire les discours de l’Iran, de la Chine, de la Russie ? Il nous faut donc admettre la nécessité du sacrifice, c’est-à-dire du droit et de la monnaie souveraine qui en découlent. Nous avions cru pouvoir y échapper, c’est une erreur funeste.

    Benoit Hamot

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    1. Merci Benoît de nous rappeler la souveraineté de la monnaie qui est aussi essentielle que méconnue malgré Orléan et Aglietta avec « La violence de la monnaie » ainsi que ton propre travail à ce sujet.
      Je me demande comme tu le suggères si les Etats-Unis ne vont pas scier la branche du dollar sur laquelle ils ont assis leur souveraineté sur une bonne partie du monde en favorisant les crypto-monnaies comme cela semble le projet des libertariens qui entourent Donald Trump, Musk et Sacks en tête. Faire de la monnaie un support de spéculation, c’est ouvrir le poulailler au renard. Et mettre en évidence le poids des dettes publiques et privées de même que celle qui résulte d’un déficit chronique de la balance commerciale étatsunienne, c’est dévoiler que le roi est nu…

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      1. Jean-Marc, c’est exactement ce que je pense aussi. Les USA sont peut-être en train de quitter le groupe des états démocratiques en soutenant les cryptomonnaies, qui servent de toute évidence non seulement aux spéculateurs, mais aux états sous embargo pour acheter les armes dont ils ont besoin (Poutine vient de les promouvoir officiellement, alors qu’elles étaient jusque là « interdites » en Russie, ce qui ne les empêchait pas d’être parmi les premiers « mineurs » de bitcoins…), et surtout aux mafias, en particulier de la drogue. Savoir que la guerre actuelle n’utilise pas seulement des armes et de la désinformation, mais aussi des drogues mortelles, comme le fentanyl produit par la Chine, exporté en Colombie, Venezuela à destination finale des EU et de l’Europe, ou le captagon, produit par la Syrie (jusqu’à présent…), et l’Iran n’est pas en reste. Nous sommes vraiment entrés dans une guerre hybride, où tous les moyens sont bons, et la base idéologique des agresseurs est d’ordre théologique, c’est à dire non démocratique (puisque par définition, la démocratie ne repose sur aucune idéologie, sur aucune finalité de type eschatologique).

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  6. Il ne faut pas oublier, sur le début de la guerre en général, de relire les très belles pages que Girard consacre au début de la Première Guerre mondiale dans Mensonge romantique et vérité romanesque (avec des commentaires sur Proust). Il reprend ce thème dans Achever Clausewitz en mentionnant notamment l’expérience vécue et relatée par Bergson – cette présence qui soudain s’installe dans le quotidien, avec cette prodigieuse facilité pour laquelle Bergson s’étonne d’éprouver de l’admiration. Ce sont des pages qui sont restées étonnamment peu commentées.

    La société humaine aveuglée par son mensonge romantique (« la vision mythique de nous-mêmes, la croyance en notre propre innocence » (Je Vois Satan tomber comme l’éclair)) cherche, à un certain moment, à effacer les traces de ses égarements par la violence. C’est la raison pour laquelle nos démocraties, qui n’en sont pas vraiment (sauf dans les livres), et dont les institutions lâchent de toute part (et je ne parle même pas spécialement de la France), vont très vraisemblablement « rechercher » l’hyper violence, s’orienter pas à pas vers le chemin qui mène à la guerre. Rechercher, entre guillemets, car le cycle mimétique échappe en grande partie à la volonté de ceux qui lui sont soumis (nous tous) – il ne suffit pas de croire que nous sommes bons et non-violents pour que cela soit vrai… car tous nos rivaux ont cette même illusion à leur propre sujet. Personne ne fait la guerre parce qu’il recherche le mal. La guerre, c’est toujours pour un plus grand bien.

    La violence – et c’est l’un des apports fondamentaux des thèses de Girard – est une solution; elle sait séduire les gentils qui se sont toujours crus au-dessus de sa fondamentale bassesse, et qui se croient non violents uniquement parce qu’ils refusent de voir le réel, de se voir en face. Le salon de Mme Verdurin comme figure, à l’échelle réduite, de la nation qui entre en guerre.

    En 2007, à la parution d’Achever Clausewitz, le prophète Girard ne disait pas ce qu’il imaginait du futur, mais ce qu’il voyait dans le présent, et il avait raison, le droit était déjà mort à ce moment-là. À ma petite échelle, j’avais déjà réorienté ma carrière professionnelle loin des illusions judiciaires, sur la base d’observations très concrètes dans mon quotidien professionnel de jeune avocat – l’objet de mon métier, le droit, n’existait pas. Les institutions permettent de maintenir l’illusion. C’est, dans une certaine mesure, leur principale vertu. Mais il faut que la vitalité sociale réinsuffle occasionnellement de la substance pour que les institutions restent vivantes, qu’elles ne se fossilisent pas. Car l’illusion ne tient pas indéfiniment – un jour, on voit trop bien que le fossile est devenu caillou, qu’il n’a plus que la forme de la vie, dont il est la négation. Aujourd’hui, l’illusion a presque disparu – il n’y aura plus grand monde de sérieux pour vous dire que les institutions vont bien… même parmi ceux qui ne doivent leur position sociale qu’à des institutions. Car il y a un moment où le corset ne maintient plus les chairs en décomposition, où le fossile tombe en poussière. Et alors, la foule s’en rend compte: “ Ὁ μέγας Πάν τέθνηκεν” (« Le grand Pan est mort! ») Et c’est la panique dont nous parle Plutarque. La chute de l’idole régnante, qui coïncide avec la chute de la Tour de Babel (quand le langage lui-même est mort).

    Je recommande à tous la lecture d’un excellent livre de Baptiste Rapin: Anachronismes, éléments pour une philosophie de l’intempestivité. Et, sinon, Le Pacte des Idoles, qui devrait être réédité bientôt, avec un quatrième essai girardien: L’Amnésie de l’ogre. Ou quelques articles sur mon blog: http://www.revelateur.ch.

    Raphaël Baeriswyl

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  7.    « Le droit pour l’homme est-il de ce qu’il a ou de ce qu’il n’a pas ?

       Vous avez entendu cette doctrine avec horreur,

       Que tout chacun tient le même droit pareillement de propre nature,

       En sorte que celui des autres est un tort qui lui est fait.

       Ainsi il n’y a plus rien à donner. Voici qu’il n’y a plus rien de gratuit entre les hommes.

       […]

       Où est le droit il n’y a plus d’affection. »

    Paul Claudel, L’Otage (1911).

    Cité ici par Joël HILION

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  8. Je donne mon nihil obstat au commentaire de Mme Orsini. Blague à part, la citation de Dumouchel est remarquable. Elle me fait proposer que la naissance du droit en France, au sens moderne du terme, remonte en fait à l’affaire Dreyfus. C’est l’entêtement à défendre la victime (condamnation en 1894) qui a finalement conduit à sa réhabilitation (en 1906).

    Aux Etats-Unis, c’est une autre affaire. Les odieuses lois ségrégationnistes dites Jim Crow, ne seront complètement abolies que par le Civil Rights Act de 1968 (il faut voir le très beau film « Greenbook » de Peter Farrelly en 2018, dont l’action se déroule en 1962).

    En 1939, Billie Holiday enregistre ‘Strange fruit’ (chanson composée en 1937 par un juif new-yorkais), dont voici le premier couplet :

    Southern trees bear a strange fruit

    Blood on the leaves and blood at the root

    Black bodies swinging in the Southern breeze

    Strange fruit hanging from the poplar trees

    L’obstination de Billie à inclure ce morceau dans son tour de chant presque jusqu’à la fin de ses jours (1959) nuira à sa carrière, même dans les états du Nord.

    Cher Jean-Marc, les « …difficultés à entériner les traités de libre échange manifestent là encore un recul de la coopération internationale. », dites-vous. Mais ce qui était sans doute vrai du « doux commerce » à l’époque de Montesquieu ne l’est certainement plus aujourd’hui. Parlez donc avec des paysans français du traité d’accord entre l’UE et le Mercosur…

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    1. Un « nihil obstat » pour moi, en blaguant, mais « blague à part » une approbation sans fioritures de Paul, qui montre en conclusion de son « Sacrifice inutile » que la justice humaine, malgré son origine sacrificielle et malgré sa faiblesse, n’est pas si inutile que ça.

      Il y a déjà quelque temps que je me pose la question, Monsieur Julien, vous ne seriez pas quelque peu misogyne, comme votre copain Georges ?

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      1. Mme Orsini, c’est vrai que j’ai pris goût à vous taquiner un peu, de temps en temps. C’est je crois d’une part mon naturel et d’autre part, la vénération unanime que les contributeurs réguliers du blog ont pour vous, qui m’ont incité à cela. Il faut se méfier de l’unanimité, nous a appris Girard, même quand cette unanimité est positive (pensez aux monarchies sacrées). Donc, vous devriez me féliciter de rompre cet unanimisme !

        Cela dit, mes petits traits d’humour ne sont jamais bien méchants, mais vous ne les aimez pas ! Voilà pour la forme, mais reconnaissez que sur le fond, quand je réponds à l’un de vos commentaires, je m’applique, je suis sérieux et j’essaie d’apporter au débat… En l’occurrence, j’ai apprécié l’excellent choix que vous avez fait de cette citation particulière de Dumouchel.

        Sur ma supposée misogynie, vous auriez eu un peu raison il y a une quarantaine d’années, mais mon activité dans un laboratoire de recherche biomédicale m’a vite fait renoncer à ce coupable penchant. Quant à mon copain Georges ? Je pense que vous parlez de Brassens, il a lui-même fait justice de cette accusation de misogynie longtemps avant sa mort prématurée.

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  9. LA FIN DU DROIT, UNE PANIQUE DE LA PENSÉE…

    Pas plus que d’autres n’ont « tout lu Freud », je n’ai, moi, « tout lu Girard ni Chantre ». Mais quand je lis dans le blogue le titre provocant : 

    « Hélas, la fin du droit, une prophétie qui s’avère… »

    je cherche dans le texte en quoi et pourquoi nous vivrions la « fin du droit ». 

    Or, je ne trouve rien dans cet article honnête qui permette cette affirmation désespérante. 

    J’y lis certes que Girard a écrit en toutes lettres : 

    “Mais est-on encore dans un monde où la force peut céder au droit ? C’est précisément ce dont je doute. Le droit lui-même est fini, il échoue dans tous les coins… »

    Mais parce qu’il l’écrit lui-même, je comprends que Girard « doute », et d’une ! Et je relève en plus et surtout que Girard parle là précisément du « droit de la guerre » et non du droit tout court, et de deux ! 

    Aussi, je trouve parfaitement abusive la liberté que l’auteur de l’article prend d’affirmer, sur le fondement du « doute » qu’exprime Girard à propos du « droit de la guerre », qu’il faudrait « aujourd’hui ne pas hésiter à l’élargir aux droits nationaux » ! 

    Car c’est là précisément que se cache l’erreur dangereuse : confondre le dedans et le dehors, et voir ou croire voir au plafond de chaque nation les terrifiants nuages d’orage dont nous savons trop qu’ils s’amoncellent dans le ciel qui s’étend au dessus des pauvres toits des nations ! Cela reviendrait à renoncer, devant l’approche d’un orage apocalyptique, à l’abri, dérisoire peut-être mais abri tout de même, que des concitoyens peuvent être les uns pour les autres. 

    Je comprends bien que tout actuellement pousse à cette panique de la pensée, à commencer par internet, les réseaux sociaux et les foules d’émigrés en route de toutes parts. Mais c’est précisément pourquoi il importe avant tout de n’y pas céder : il est capital, en ce moment précisément, de ne pas confondre le dehors des nations et leur dedans. Et il serait dommage que ce blogue de sages se voulant réfléchis contribue à cette confusion ! 

    Autrement dit ou imagé : quand même le royaume de France serait en guerre avec le Saint-Empire et tous les Sarrasins du monde, il n’y aurait aucune raison de décommander, toutes affaires cessantes, les jours de la justice que le roi Louis IX doit rendre sous son chêne ! 

    Et j’observe que Girard lui-même n’appelle pas cela lorsqu’il écrit, comme l’auteur le rapporte très opportunément à la fin de son article : 

    La violence a produit du droit qui est toujours, comme le sacrifice, une moindre violence. Qui est peut-être la seule chose dont la société humaine soit capable.

    Mais pourquoi, grands dieux (!), renoncer, dans la panique de la guerre qui monte, au Droit qui serait, dit Girard, « la moindre violence, peut-être la seule chose dont la société humaine soit capable » !

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    1. Cher Anonymous, vous avez raison de préciser que les réflexions de Girard s’appliquent avant tout au droit de la guerre. Il regrette, avec Schmitt, de voir réapparaitre ce qui ressemble à la période précédent ce moment où les États européens ont réussi à mettre fin aux guerres de religion, par le droit. Mais il n’est pas anodin que les États belliqueux qui mettent actuellement à mal le droit de la guerre méprisent également le droit dans son ensemble, et en particulier les droits élémentaires des citoyens qui les composent. Dès lors, il ne me parait par pertinent de vouloir isoler le droit de la guerre. Ce qui me parait plus intéressant, c’est de distinguer l’État de droit (la démocratie) de l’État soumis à une idéologie (théocraties, et le communisme en fait partie, s’agissant d’une religion séculière). La distinction est également agissante sur le plan du sacrifice, source du droit, en partant du principe que le sacrifice est ce qui nous distingue en tant qu’hommes, mais qu’il existe une différence évidente entre le sacrifice de l’autre et le sacrifice de soi. Cette seconde option s’applique aux démocraties, et nous aurons, je pense, le loisir de l’expérimenter. Cela commence déjà, à travers les quelques efforts – moindre confort, « pouvoir d’achat » déclinant, accueil des réfugiés… – que nous avons tant de mal à consentir. Vous conviendrez je pense que nous ne cédons pas à la panique, et surtout, que nous ne renonçons pas au droit, bien au contraire.

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    2. Non pas de panique et de ma part ainsi que de celle de Girard, plutôt l’espoir que le droit exerce mieux qu’il ne peut le faire actuellement sa fonction de moindre violence. Le premier mot de mon titre est « Hélas ».

      Si Achever Clausewitz part de la guerre et de son droit, le passage où Girard dit « le droit est lui-même fini » traite du droit dans son ensemble. C’est au même endroit qu’il indique que « la violence a produit du droit… qui est peut-être la seule chose dont la société humaine soit capable ». Il engloble dans cet ensemble le droit pénal interne (voir La violence et le sacré) mais aussi toutes les autres modalités du droit qui visent à prévenir ou amoindrir la violence. Car là est toujours sa préoccupation. Je ne pense pas avoir été un lecteur abusif en l’espèce.

      Quand à l’emploi du terme « prophétie qui s’avère » qui m’est reproché, il pose à mon avis une question de concordance des temps. Quand Girard dit que le droit est fini, il ne dit pas qu’il a disparu définitivement mais qu’il est en train de perdre sa faculté à apaiser les rapports humains, faculté qui avait longuement crû jusqu’alors. Il conclut le passage que je cite par : « Jusqu’au jour où cette digue cède à son tour ». Il me semble qu’il parle alors d’un moment qui n’est pas encore advenu, en prophète, mais dont l’advenue s’approche dangereusement. Les arguments que je donne visent à démontrer que ce qui était une tendance déjà amorcée et clairement perçue par Girard en 2007 s’est confirmée par de nouvelles évolutions depuis 17 ans qui vont dans le sens d’un affaiblissement de la capacité du droit à prévenir et amoindrir les conflits dans les rapports sociaux et humains.

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      1. Cher Jean-Marc, félicitations pour un billet qui suscite beaucoup d’intérêt et des réactions contrastées. En le découvrant, j’ai pensé à mon premier article paru sur ce blogue, au début de 2017. Mon sujet, c’était « l’ère de la post-vérité », juste après le Brexit et la première élection de Trump. Bien évidemment, ce n’est pas alors que le mensonge en politique est apparu, même s’il en fut beaucoup question ; au contraire, me semble-t-il, c’est alors qu’on a tenté de le faire disparaître. En effet, s’il n’y a pas de faits mais seulement des interprétations ou des « faits alternatifs », il n’y a plus moyen de mentir puisqu’il n’y a plus de vérité ! L’ère de la post-vérité serait l’ère de la fin des mensonges. Eh bien, n’en est-il pas de même pour le droit, qui ne peut disparaître qu’en faisant disparaître les « abus » et tous les actes délictueux ou criminels dont l’existence dépend du droit qui les a nommés. Le paradoxe du menteur ou « le droit du plus fort » nous disent ironiquement l’impossibilité d’accorder la disparition du vrai et du droit avec l’exercice du langage et la vie en commun.

        C’est pourquoi « la fin du droit » dans Achever Clausewitz concerne en effet l’institution de la guerre, remplacée par des manifestations de violence incontrôlables, on l’a vu avec le 7 septembre et la réaction israélienne, et par « l’arraisonnement du monde à la technique« , formule de Heidegger reprise par Girard pour signaler que la puissance de l’armement est devenue décisive. Et, bien sûr, le fait de dénoncer l’affaiblissement du droit dans sa capacité à régler ou à tempérer les conflits nationaux et internationaux ne signifie nullement qu’on pourrait s’en passer mais au contraire, qu’il est notre seul rempart contre « la montée aux extrêmes ». La prophétie selon laquelle cette digue devrait finir par céder ne peut être qualifiée, me semble-t-il, autrement que d’apocalyptique.

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      2. Surprenant Monsieur Bourdin ! 

        Je comprends plusieurs choses en lisant votre réponse au commentaire que je me suis permis  d’apporter à votre article, « Hélas, la fin du droit, une prophétie qui s’avère… »

        La première, c’est que l’interjection de regret « Hélas » que vous invoquez ne retire rien à l’affirmation de « la fin du droit » que votre titre formule et qu’il appuie d’ailleurs en ajoutant « une prophétie qui s’avère ». 

        La deuxième, c’est que je veux bien croire à votre « espoir que le droit exerce mieux qu’il ne peut le faire actuellement sa fonction de moindre violence », mais vous conviendrez que « la fin du droit » que votre titre proclame ne sert pas l’espoir que vous dites conserver. 

        La troisième, c’est que je suis prêt à croire que Girard n’a pas distingué « droit de la guerre » et « droit privé » dans ses ouvrages que vous connaissez mieux que moi, et que par conséquent la « prophétie » que vous lui prêtez de « la fin du droit » vaut également pour le droit de la guerre, le droit pénal privé et, qui sait, le droit de la famille peut-être (?) Mais convenez alors qu’il serait utile de livrer aux lecteurs que nous sommes des citations précises de Girard de nature à les convaincre d’une évidence qui ne va pas de soi. 

        Enfin, sans vouloir entrer dans l’intimité de pensée où vous êtes avec Girard, j’aimerais bien savoir si c’est avec lui ou sans lui que vous avez écrit à propos de la fin du droit de la guerre dont il traite qu’il faudrait « aujourd’hui ne pas hésiter à l’élargir aux droits nationaux » !

        D’avance merci ! 

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      3. Je ne sais que vous répondre. Je sens bien que je ne vous convaincrai pas ! Mes interventions dans ce blogue visent au demeurant plus à faire des propositions à ses lecteurs qu’à chercher à les convaincre. J’ai à vrai dire peu de goût pour la disputatio. Plutôt donc des bouteilles à la mer…
        Mes citations sont entre guillemets. Je ne les modifie pas si ce n’est avec des crochets selon l’usage. Je travaille avec un e-book. Les numéros de page ne sont donc en général pas des plus précis, raison pour laquelle je ne les note pas en bas de page (en l’occurrence à la p. 266 de la réédition par Benoît Chantre d’Achever Clausewitz aux éditions Grasset en 2022 se trouve le passage où les considérations sont les plus générales autour du « Le droit lui-même est fini »). Pour vous repérer quelle que soit la pagination de votre édition, c’est le dernier paragraphe du chapitre IV intitulé « Le duel et le sacré » qui a inspiré mon interprétation. Comme je l’ai écrit dans d’autres commentaires, mon interprétation naît d’un faisceau d’indices. Par exemple, dans le paragraphe qui précède et auquel réplique celui dont je m’inspire, vous verrez que Benoît Chantre a bien élargi le propos en se référant à Marc Bloch et suggérant « la justice n’est pas une vengeance…. ». Il s’agit à mon sens de la justice pénale en droit interne bien plus que de la balbutiante justice internationale qui n’en est qu’une minuscule déclinaison.
        Il est clair que le scepticisme de René Girard vis-à-vis de cet échafaudage très humain qu’est le système juridico-politique n’est pas sans rapport avec sa conviction que les origines de la culture sont passées d’abord et avant tout par le religieux, la vérité qu’il a trouvée dans la Bible et qu’il aperçoit à son horizon apocalyptique. Quant à moi, j’ai personnellement plus de mal à me projeter dans une espérance d’une résolution des difficultés contemporaines de l’humanité, pour ne pas parler de malaise persistant dans la civilisation, par le succès in fine de la Révélation qui me semble pour le moins aléatoire.
        PS : Word Press persistant à vous désigner comme anonyme, auriez-vous l’obligeance de nous dire qui vous êtes. Merci d’avance.

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  10. https://www.youtube.com/watch?v=qqHueZNEzig

    https://www.youtube.com/watch?v=wTNI_lCvWZQ

    Y-a-t-il une cohérence entre les propos de Peter Thiel et le fait qu’il ait soutenu Vance et Trump ?

    On remarquera que personne ne parle ni de pardon, ni de réconciliation, que cela soit à propos de la justice ou de la loi.

    Il est tout à fait illusoire de penser qu’un quelconque Katéchon pourra retenir la révélation en cours, qui détruit toutes les institutions sacrificielles, quand la démocratie ne tient qu’à la prise de conscience individuelle de la propre structure de persécuteur de chaque citoyen éduqué à cette réalité.

    La seule question qu’il nous est donc posé est celle de notre foi.

    « 19Or, nous savons que tout ce que dit la loi, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu. 20Car nul ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché.

    21Mais maintenant, sans la loi est manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la loi et les prophètes, 22justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. Il n’y a point de distinction. 23Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; 24et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. 25C’est lui que Dieu a destiné, par son sang, à être, pour ceux qui croiraient victime propitiatoire, afin de montrer sa justice, parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, au temps de sa patience, afin, dis-je, 26de montrer sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus.

    27Où donc est le sujet de se glorifier? Il est exclu. Par quelle loi? Par la loi des œuvres? Non, mais par la loi de la foi. 28Car nous pensons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. 29Ou bien Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs? Ne l’est-il pas aussi des païens? Oui, il l’est aussi des païens, 30puisqu’il y a un seul Dieu, qui justifiera par la foi les circoncis, et par la foi les incirconcis.

    31Anéantissons-nous donc la loi par la foi? Loin de là! Au contraire, nous confirmons la loi. »

    https://saintebible.com/lsg/romans/3.htm

    Le peuple européen a l’occasion de se lever, fort de sa connaissance historique du cycle complet des échecs de la domination au nom du pardon à l’ennemi qui permit sa puissance, comme l’amnésie de ce qui la fondait provoqua sa chute et, plutôt que de retourner aux sombres obscurités du temple restauré en vain, en sortir pour affirmer qu’il n’est pas impossible d’arriver à imaginer que nous pourrions néanmoins au minimum envisager de faire la paix, quand chacun à son niveau micro-local s’occupe des siens, protégé par un État fort qui garantit cet effort et permettra alors d’envisager sereinement les choix offerts à notre entendement, partageant l’aventure mirifique de la vie commune qu’il nous est proposé d’ensemble envisager, quand est libre celui qui use de sa liberté, néanmoins pleinement conscient que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, sur la route tracée qui se dévoile pas à pas sous nos pieds et dont il ne dépend que de nous de savoir l’emprunter.

    Cela ne dépend que de nous car il suffit d’y croire pour voir la procession sortir des ruines du temple dévasté et, sous les arches de fleurs et de fruits affirmer au plus haut que le temple de Jésus était son corps sacrifié pour notre édification, seul édifice offert à notre entendement pour, tout mystère levé, nous offrir d’en imiter la toute-puissance incarnée.

    « En suivant une route française entre les champs de sainfoin et les clos de pommiers qui se rangent de chaque côté pour la laisser passer « si belle », c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher qui s’élève contre l’horizon orageux ou clair, traversant, les jours de pluie ensoleillée, un arc-en-ciel qui, comme une mystique auréole reflétée sur le ciel prochain de l’intérieur même de l’église entr’ouverte, juxtapose sur le ciel ses couleurs riches et distinctes de vitrail ; c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher s’élevant au-dessus des maisons qui regardent à terre, comme un idéal, s’élançant dans la voix des cloches, à laquelle se mêle, si vous approchez, le cri des oiseaux. Et bien souvent vous pouvez affirmer que l’église au-dessus de laquelle il s’élève ainsi contient de belles et graves pensées sculptées et peintes, et d’autres pensées qui n’ayant pas été appelées à une vie aussi distincte et sont restées plus vagues, à l’état de belles lignes d’architecture, mais aussi puissantes ainsi, quoique plus obscures, et capables d’entraîner notre imagination dans le jaillissement de leur essor ou de l’enfermer toute entière dans la courbe de leur chute. Là, des balustres charmants d’un balcon roman ou du seuil mystérieux d’un porche gothique entr’ouvert qui unit à l’obscurité illuminée de l’église le soleil dormant à l’ombre des grands arbres qui l’entourent, il faut que nous continuions à voir la procession sortir de l’ombre multicolore qui tombe des arbres de pierre de la nef et suivre, dans la campagne, entre les piliers trapus que surmontent des chapiteaux de fleurs et de fruits, ces chemins dont on peut dire, comme le Prophète disait du Seigneur : « Tous ses sentiers sont la paix ».« 

    https://interligne.over-blog.com/2019/02/la-mort-des-cathedrales-texte-de-marcel-proust.html

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  11. @Christine Orsini

    Chère Chriistine,

    J’en reste à mon interprétation sur à propos du souci de René Girard portant sur l’ensemble des droits et obligations juridiques qui ont pris le relais des interdits et obligations rituelles produit par l’ordre sacrificiel comme moindre violence. Ordre sacrificiel lui-même principalement lié au maintien ou rétablissement de la concorde au sein de la communauté. J’en veux pour preuve supplémentaire (car j’essaie encore d’appuyer mes interprétations sur des faits…) son affirmation parallèle de l’impuissance de la science politique et la nécessité de lui substituer une anthropologie. Or en quoi consiste l’action politique qu’est censée étudier ladite science politique sinon à éditer et faire respecter des normes par une population ?

    Donc, à tort ou à raison, chacun en jugera à son aune, il exprime dans Achever Clausewitz la déception que lui cause le système juridico-politique dans son ensemble et pas seulement la fin du droit de la guerre pour s’inquiéter de ce que la digue ainsi constituée puisse céder.

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    1. Mais oui, Jean-Marc, ta lecture d’Achever Clausewitz est la bonne : « Achever Clausewitz », c’est lever un tabou, celui qui nous empêche de voir que l’apocalypse a commencé. Car la violence des hommes, échappant à tout contrôle, menace aujourd’hui la planète entière » Ces mots inscrits sur la quatrième de couverture d’un livre publié en 2007 frappent par leur actualité et donnent raison à tous les lecteurs de Girard qui ont vu dans ce livre testament l’expression d’un profond pessimisme. Sans rien regretter des « béquilles sacrificielles » dont nous a privé la Révélation, Girard fait le constat que plus rien aujourd’hui ne protège l’humanité, dotée d’armes de destruction massive, de sa propre violence. Il écrit même : « Cette confiance dans la nécessaire réconciliation des hommes est ce qui me sidère le plus aujourd’hui » (p.95). Mais si la réconciliation n’a rien de nécessaire, elle reste cependant une option : « il faut réveiller les consciences endormies », telle est la conclusion du livre. Et il me semble que dénoncer l’affaiblissement du droit, comme tu le fais après Girard et d’après lui, c’est un effort en ce sens. S’inquiéter de ce que la digue du système juridico-politique puisse céder, ce n’est pas la même chose que prophétiser cette chute.

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  12. Comme dans l’article récent sur l’éducation, Mme Orsini sait remettre, on me pardonnera(!) l’expression, l’église au milieu du village.

    Le triptyque mythes, rituels et interdits n’est pas remis en question par la révélation du mensonge mythique mais par son remplacement progressif et évolutif du mythe par la notion de vérité, forcément imparfaite et perfectible.

    2+2 n’a jamais fait 5, la note sanctionne l’état des connaissances et non la qualité des individus.

    Les évaluations, si elles se fondent sur une constante amélioration des mesures de la vérité, ne sont relatives qu’en leur définition sacrificielle d’exclusion et de hiérarchisation sociale, corrigée par le soin nécessaire accordé aux plus faibles et à leur accès à l’éducation comme aux conditions minimales d’existence, égalité nécessaire à la responsabilisation des individus, quelle que soit leur condition, en l’exercice de leur liberté et des devoirs qui permettent d’y accéder.

    Il en est de la même pour la justice et le droit, la foi en Jésus-Christ ne remet pas en question les dix commandements mais les confirme par la connaissance du phénomène propitiatoire et en permet, merci Girard, la constante amélioration en leur mode d’application, dans la mesure où les êtres qui les exercent ne s’en servent pas à des fins de domination ou d’élection, retombant sans cesse au paradoxe pascalien qui justifie la force gratuite par incapacité à fortifier la justice au service du souverain bien, qui est la paix.

    Là est à mon sens le vrai nœud qui contient en lui-même son juste dénouement, nous savons, grâce à notre Seigneur et il n’est point besoin ici de se perdre en circonvolutions théologiques, discerner le bien du mal, nous avons reçu sa définition qui ne nous appartient pas mais que nous connaissons désormais, nous donnant capacité de comprendre que la monture sacrificielle porte la gemme de sa révélation anthropologique au fil de la lente prise de conscience offerte à la liberté de l’humain, alors invité à l’accueillir, véritable esprit saint qui ne nécessite même plus de crucifier la crucifixion car il n’a plus besoin du mal pour proférer son enseignement véritable, permettant à ceux qui l’ont entendu de vivre en paix, incarnation de la présence qui offre à notre mimétisme fondamental son chemin rédempteur.

    Encore une fois, James le bien aimé a su témoigner en sa dernière intervention de la présence réelle, effective du Seigneur quand il prie avec ses copains gays, donnant à voir que la parousie est déjà advenue, que tout est déjà accompli sauf en notre conscience collective, que les libertariens américains témoignent à contrario qu’ils ne savent pas ce qu’ils font en leur justification infernale de leur infernale puissance, quand Thiel traite Sanders d’Antéchrist ou les woke de machine, alors qu’avec ses potes de la mafia paypal, ils ont eux-mêmes engendré cette machine de diffusion extraordinaire et qu’au minimum ils partagent cette confusion létale du moyen et de la fin, qu’ils ne pourront en leur fantasme d’Armageddon et s’ils sont honnêtes et sincères et rien ne permet de les juger insincères, car il est évident qu’ils n’ont pas encore accédé au fait indiscutable qui en Europe, au vu de l’effondrement total des deux guerres et de la Shoah, en souligne historiquement la réalité, la bête est définitivement vaincue, Jésus est là au cœur de ceux qui l’ont reconnu comme messie véritable, accomplissant l’extraordinaire parole de Lévinas citée par Benoit Chantre en sa biographie du grand René : Chaque être est messie, investi de cette immense responsabilité d’être en soi-même et par soi-même l’incarnation de la Parole divine.

    Il est donc permis d’espérer en notre foi en la charité, quand chacun d’entre nous laissera la pierre de toutes les lapidations tomber de nos mains face à celui qui dessine au sol les traces de notre réalité, discernable en cet effort personnel qui est demandé à chacun et qui permet de discerner l’image intérieure de la vérité comme le plongeur proustien, fondant sur la pierre véritable l’instinct fondamental qui alors n’est plus rejeté :

    « Le livre intérieur de ces signes inconnus (de signes en relief, semblait-il, que mon attention explorant mon inconscient allait chercher, heurtait, contournait, comme un plongeur qui sonde), pour sa lecture personne ne pouvait m’aider d’aucune règle, cette lecture consistant en un acte de création où nul ne peut nous suppléer, ni même collaborer avec nous. Aussi combien se détournent de l’écrire, que de tâches n’assume-t-on pas pour éviter celle-là. Chaque événement, que ce fût l’affaire Dreyfus, que ce fût la guerre, avait fourni d’autres excuses aux écrivains pour ne pas déchiffrer ce livre-là ; ils voulaient assurer le triomphe du droit, refaire l’unité morale de la nation, n’avaient pas le temps de penser à la littérature. Mais ce n’étaient que des excuses parce qu’ils n’avaient pas ou plus de génie, c’est-à-dire d’instinct. Car l’instinct dicte le devoir et l’intelligence fournit les prétextes pour l’éluder. Seulement les excuses ne figurent point dans l’art, les intentions n’y sont pas comptées, à tout moment l’artiste doit écouter son instinct, ce qui fait que l’art est ce qu’il y a de plus réel, la plus austère école de la vie, et le vrai Jugement dernier. Ce livre, le plus pénible de tous à déchiffrer, est aussi le seul que nous ait dicté la réalité, le seul dont « l’impression ait été faite en nous par la réalité même. De quelque idée laissée en nous par la vie qu’il s’agisse, sa figure matérielle, trace de l’impression qu’elle nous a faite, est encore le gage de sa vérité nécessaire. Les idées formées par l’intelligence pure n’ont qu’une vérité logique, une vérité possible, leur élection est arbitraire. Le livre aux caractères figurés, non tracés par nous, est notre seul livre. Non que les idées que nous formons ne puissent être justes logiquement, mais nous ne savons pas si elles sont vraies. Seule l’impression, si chétive qu’en semble la matière, si invraisemblable la trace, est un critérium de vérité et à cause de cela mérite seule d’être appréhendée par l’esprit, car elle est seule capable, s’il sait en dégager cette vérité, de l’amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. L’impression est pour l’écrivain ce qu’est l’expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l’intelligence précède et chez l’écrivain vient après. Ce que nous n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous, n’est pas à nous. Ne vient de nous-même que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres. Et comme l’art recompose exactement la vie, autour de ces vérités qu’on a atteintes en soi-même flotte une atmosphère de poésie, la douceur d’un mystère qui n’est que la pénombre que nous avons traversée. »

    https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Le_Temps_retrouv%C3%A9,_1927,_tome_2.djvu/25

    En ce contexte, il est désormais possible d’entendre que c’est la foi qui confirme la loi, qu’il appartient à chacun, fort de la connaissance que nous avons des montures sacrificielles qui nous véhiculent, d’accéder à l’apprentissage de la connaissance qui nous permet de les mener aux abords de l’enceinte protégée où, toutes, elles s’arrêtent, de les laisser pour entrer à l’endroit où les tentes du rite marial sont plantées et d’enfin appareiller alors aux mers infinies de tout les possibles offertes aux nouveaux vaisseaux de notre entendement, nos deux intimes que sont foi et raison enfin réconciliées.

    Amoureuse salutation.

    O mes deux intimes, détournez votre chemin

    En passant par la dune !

    Chevauchez votre monture jusqu’à la halte de La’la

    Et aspirez au eaux de Yalamlam.

    Près d’elle, ceux que tu as connus ;

    Et ceux à qui appartiennent

    Mon jeûne, mon pèlerinage, ma visite

    Et ma fête solennelle aux lieux saints.

    Que jamais je n’oublie le jour où, à Minâ,

    Les cailloux sont lancés, ni les choses d’importance,

    Près du suprême autel sacrificiel,

    Ni près de la source de Zamzam.

    Là où ils lancent les pierres

    Demeure mon cœur, lancé contre les stèles,

    Mon âme, là ou ils sacrifient

    Mon sang, là ou ils s’abreuvent.

    O chantre conducteur de chameaux !

    Si tu viens à Hâjir,

    Arrête un moment les montures

    Et transmets le salut !

    Adresse aux tentes pourpres,

    Aux abords de l’enceinte sacrée,

    La salutation de l’amant

    Qui soupire vers vous, esclave du désir.

    S’ils adressent le salut

    Rends le avec le zéphyr oriental.

    Et s’ils se taisent,

    Bâte les montures et avance

    Jusqu’au fleuve de Jésus

    Là ou leurs montures font halte,

    Et là ou les tentes blanches,

    Prés de l’embouchure, sont plantées.

    Invoque Da’d,

    Ar-Rabâb, Zaynab,

    Hind, Salmâ et lubnâ

    Et fredonne telle une source !

    Demande-leur : al-Halba est-elle la demeure

    De cette jeune fille au corps souple ?

    Elle qui te laisse voir l’éclat du soleil

    Au moment même où elle sourit.

    (L’Interprète de Désirs, Ibn’Arabi)

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  13. Effectivement, Monsieur Bourdin, vous ne me convainquez pas, ni d’ailleurs ne cherchez à le faire, ce que de votre part, je trouve aimable et méprisant à la fois. Vous me noyez, juste. Quant à m’identifier, à quoi bon ? On m’appelle souvent Lalouze, mais je signe Michel Barnier, par coquetterie…

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  14. Pour mémoire, Girard nous a livré une réflexion importante sur la justice et le droit dans « La Violence et le Sacré » (pp. 38-43 de l’édition Grasset). J’invite tous les girardiens à relire ce développement. Je ne citerai que deux phrases : « Le système judiciaire et le sacrifice ont en fin de compte la même fonction mais le système judiciaire est infiniment plus efficace. » et, « Le point de rupture se situe au moment où l’intervention d’une autorité judiciaire devient contraignante. Alors seulement les hommes sont libérés du devoir terrible de la vengeance. » L’impuissance du droit international tient peut-être à ce qu’il n’a pas les moyens d’être contraignant (voyez en ce moment ce que font Poutine et Netanyahou des mandats d’arrêt de la CPI).

    Pour finir, un mot Jean-Marc, sur cette phrase de votre billet avec laquelle je ne suis pas d’accord : « La fonction dissuasive du droit pénal voit ses limites manifestées par la hausse des taux d’homicides… ». Je pense plutôt que la hausse du taux d’homicides, en France en tout cas, est plus imputable à l’augmentation de la violence interne à notre société qu’à un affaiblissement de l’institution (qui par ailleurs, souffre d’un manque cruel de moyens).

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    1. Merci Claude de ce retour à La violence et le sacré.
      Pour ce qui concerne votre dernière remarque, je faisais allusion à l’exemplarité de la peine qui a certainement eu sa part dans la réduction pluri-séculaire des taux d’homicide. Aujourd’hui, malgré un durcissement moyen des peines et l’extension de leur champ, l’augmentation de la violence interne que vous pointez justement se traduit en résultante des deux tendances par une augmentation des taux d’homicide. L’embrigadement d’adolescents par le crime organisé en est une manifestation parmi d’autres.

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    2. Je ne peux pas liker mais je suis tout à fait d’accord avec cette suggestion de notre fidèle lecteur et occasionnel contributeur : la juridiction d’un tribunal international qui n’est pas reconnu par les États « du sud » ne peut être contraignante, et du coup, le point de rupture n’existe pas entre justice et vengeance.

      Je constate que dans les moindres détails, au détour d’un constat, la pensée de Girard est percutante.  » Le terrible devoir de vengeance » ( je repense au 7 Octobre) ne s’imposerait pas ou plus si le droit international était contraignant. Mais pour cela, il lui faudrait une reconnaissance quasiment unanime. On retombe sur une lapalissade : on ne peut vivre en paix les uns avec les autres que si l’on s’entend sur le droit, et réciproquement. A la limite, le droit international ne serait contraignant que si la paix était la règle et la guerre l’exception.

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      1. Contraignant ?

        la réponse dostoïevskienne est terrible :

        « — Et le Prisonnier ne dit rien ? Il se contente de le regarder ?

        — En effet. Il ne peut que se taire. Le vieillard lui-même lui fait observer qu’il n’a pas le droit d’ajouter un mot à ses anciennes paroles. C’est peut-être le trait fondamental du catholicisme romain, à mon humble avis : « Tout a été transmis par toi au pape, tout dépend donc maintenant du pape ; ne viens pas nous déranger, avant le temps du moins. » Telle est leur doctrine, celle des jésuites, en tout cas. Je l’ai trouvée chez leurs théologiens. « As-tu le droit de nous révéler un seul des secrets du monde d’où tu viens ? » demande le vieillard, qui répond à sa place : « Non, tu n’en as pas le droit, car cette révélation s’ajouterait à celle d’autrefois, et ce serait retirer aux hommes la liberté que tu défendais tant sur la terre. Toutes tes révélations nouvelles porteraient atteinte à la liberté de la foi, car elles paraîtraient miraculeuses ; or, tu mettais au-dessus de tout, il y a quinze siècles, cette liberté de la foi. N’as-tu pas dit bien souvent : « Je veux vous rendre libres. » Eh bien ! Tu les a vus, les hommes « libres », ajoute le vieillard d’un air sarcastique. Oui, cela nous a coûté cher, poursuit-il en le regardant avec sévérité, mais nous avons enfin achevé cette œuvre en ton nom. Il nous a fallu quinze siècles de rude labeur pour instaurer la liberté ; mais c’est fait, et bien fait. Tu ne le crois pas ? Tu me regardes avec douceur, sans même me faire l’honneur de t’indigner ? Mais sache que jamais les hommes ne se sont crus aussi libres qu’à présent, et pourtant, leur liberté, ils l’ont humblement déposée à nos pieds. Cela est notre œuvre, à vrai dire ; est-ce la liberté que tu rêvais ? » »*

        Il suffit de lire pour comprendre ce temps de la liberté où nous sommes.

        « As-tu donc oublié que l’homme préfère la paix et même la mort à la liberté de discerner le bien et le mal ? »*

        https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fr%C3%A8res_Karamazov_(trad._Henri_Mongault)/V/05

        Nous avons le choix.

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