La logique sacrificielle de l’école

Les institutions

La pensée apocalyptique de Girard nous fait prendre conscience du fait que se dresse face à nous une crise d’une radicalité telle que nos solutions traditionnelles fondées sur le sacrifice, nos institutions sensées assurer un cadre à notre vie collective, sont rendues obsolètes. Trouver de nouvelles solutions à nos conflits, une nouvelle manière de vivre ensemble, devient une nécessité vitale. Nécessité d’autant plus urgente que nos pratiques sacrificielles ont aujourd’hui pour effet d’aggraver la crise qu’elles pouvaient hier apaiser ; il est devenu aujourd’hui de plus en plus impossible de distinguer une bonne et une mauvaise violence, toute violence est nue dans la mesure où les justifications se sont usées.

Faut-il alors considérer que toute institution humaine doit disparaître pour laisser place à un monde fait uniquement de relations personnelles ? Cela ne semble pas concevable, l’homme déchu est dans l’incapacité de vivre en parfaite communion avec Dieu. Bien qu’étant à jamais violentes, nos institutions nous sont néanmoins indispensables 1.

Il s’agit donc désormais de transformer nos institutions en profondeur, mais comment ? Sur le modèle de la subversion du sacrifice (origine première de toutes nos institutions) par l’Eucharistie, nous devons chercher à subvertir les institutions humaines pour les réorienter vers nos véritables besoins et réduire autant que possible leur dimension sacrificielle. Il nous faut retrancher d’elles toute justification moralisatrice et faire qu’elles ne s’imposent pas comme l’unique chemin possible dans nos vies. Nous devons pour cela adopter à leur égard l’attitude du Christ : en faire la critique spirituelle tout en nous y soumettant matériellement. Toute lutte matérielle contre les institutions devenant pour elles une nouvelle occasion de justification, et ayant donc pour effet de les renforcer.

Le cas de l’éducation et de l’école

Pour illustrer cette problématique nous pouvons méditer sur le cas de l’éducation qui est à la fois un besoin et, avec l’école, une institution. À quels besoins répond aujourd’hui l’école ? Elle répond pour partie à des besoins purement sacrificiels comme celui de légitimer l’ordre social, c’est-à-dire de légitimer l’abandon plus ou moins important par la société de ceux qui n’auraient pas « bien travaillé » quand ils étaient enfants : elle est un moyen de reproduction sociale comme l’a parfaitement montré Pierre Bourdieu dans son ouvrage La reproduction. Mais elle répond aussi à des besoins véritables comme transmettre nos savoirs de générations en générations, apprendre à vivre ensemble ou encore délivrer des diplômes qui permettent d’avoir confiance en ceux à qui nous confions nécessairement notre existence au quotidien dans un monde technique de plus en plus complexe et dangereux.

Pourtant, même lorsqu’il s’agit de prendre en charge de vrais besoins, l’école possède toujours une dimension sacrificielle, en particulier à travers le processus d’évaluation. L’évaluation a certes pour but de s’assurer de l’efficacité des enseignements, de l’acquisition des savoirs et compétences par les élèves, mais aussi d’exclure les « mauvais » élèves. Un tel constat n’a certes rien de précurseur, la conscience des violences est déjà avancée dans notre société et nombre de forces sont à l’œuvre pour tenter d’extirper la dimension sacrificielle de l’évaluation. Malheureusement, il semble bien que tout ce qui a été tenté jusqu’à présent ne soit pas à la hauteur des enjeux et, pire que tout, que ces tentatives ne s’attaquent qu’à la partie la plus visible des discriminations pour finalement, de manière très hypocrite, re-légitimer l’ordre sacrificiel. Sans prétendre à l’exhaustivité, regardons ainsi de plus près quelques unes des perspectives qui irriguent les innovations actuelles au sein de l’éducation nationale.

Dans un premier temps, il est souvent proposé de revoir la forme de l’évaluation, la manière dont elle est présentée aux élèves pour la rendre moins violente. Par exemple, il est parfois proposé de ne plus utiliser la couleur rouge pour corriger, couleur qui nous rappelle en effet de manière symbolique le sang versé lors du sacrifice. Ou encore de substituer au système d’évaluation numérique un système d’évaluation par couleurs ou par lettres (pourtant déjà présent dans les pays anglo-saxons, dont on peine à percevoir la nature moins sacrificielle). De tels changements ne sont pas nécessairement dénués d’intérêt, mais il est bien évident qu’ils sont d’ordre purement cosmétique, qu’ils seraient à eux seuls parfaitement hypocrites.

Sur un plan plus fondamental, il existe aujourd’hui une volonté de prendre en considération, lors de l’évaluation, les difficultés spécifiques de certains élèves, des élèves porteurs de signes victimaires, par exemple les fameux « dys ». Pourtant, les mesures aujourd’hui envisagées en ce sens comportent une nouvelle fois le risque d’être purement hypocrites. Tout d’abord dans la mesure où elles restent relativement inefficaces (le tiers-temps supplémentaire accordé lors de l’examen n’étant pas adapté à certains de ces troubles) et surtout, parce qu’elles nous font oublier que toutes les mauvaises évaluations sont le résultat de déterminismes biologiques, psychologiques ou sociaux. Mettre fin aux discriminations les plus visibles pour entériner les autres est un service rendu à l’ordre sacrificiel.

La seule mesure a priori conséquente ayant été mise en place est en réalité la révision à la hausse de toutes les évaluations, de manière à mener tous les élèves ou presque à l’obtention du baccalauréat. Ce qui est effectivement bien plus conséquent que de produire une diversité de diplômes spécifiques à chaque catégorie d’élève, délivrer des diplômes sans valeur étant un moyen de masquer les exclusions. Pourtant, le maintien artificiel en classe d’élèves parfaitement inaptes à acquérir le savoir qu’on prétend leur transmettre, ne peut produire sur eux qu’une violence psychologique phénoménale et se trouve par conséquent à l’origine de violences insupportables que ces élèves inaptes exercent à leur tour sur d’autres élèves ou sur des personnels d’éducation (enseignants et autres). De plus, le fait de distribuer le baccalauréat à plus ou moins tous les élèves n’a pu que dévaluer ce diplôme, le résultat de l’opération étant donc concrètement le même que de distribuer des diplômes spécifiques. Autrement dit, cela n’a pas fait disparaître la sélection, mais n’a fait que la retarder et la déléguer pour mieux s’en laver les mains. La sélection doit maintenant être assumée par l’enseignement supérieur, y compris dans les filières en théorie non-sélectives (et cela de manière impersonnelle par l’intermédiaire de la plate-forme Parcoursup pour que personne n’ait trop à se salir les mains) ou par la société civile au moment du recrutement professionnel.

Face à ce constat d’échec, nous pouvons alors envisager trois voies pour réformer l’évaluation en profondeur et rendre le fonctionnement de l’école moins sacrificiel : attendre de la société une prise en charge totale des discriminations pré et extra-scolaires de manière à rendre possible la réussite de tous les élèves, ce qui arrivera sûrement lorsque les poules auront des dents ; refuser toute évaluation au sein du système éducatif, ce qui nécessiterait de repenser en même temps de fond en comble le fonctionnement de notre société et en particulier le marché du travail (chantier qui est donc titanesque mais peut-être néanmoins indispensable) ; assumer l’évaluation et les discriminations qui en découlent, tout en nous assurant que celles-ci ne portent jamais sur la personne de l’élève et sa valeur intrinsèque ; c’est-à-dire assurer la reconnaissance collective d’une égale dignité à tous les savoirs et compétences, à toutes les voies d’apprentissage et à tous les métiers (ce qui nécessiterait concrètement, pour ne pas être hypocrite, de reconsidérer les écarts de rémunérations).

1 Le cas du langage paraît à ce titre particulièrement éclairant. Nul doute que le langage humain comporte une origine et des dimensions à jamais sacrificielles, et pourtant il nous est parfaitement inconcevable de nous en passer. Nous ne sommes même pas en capacité d’imaginer ce que pourrait être une existence humaine sans langage. D’ailleurs, comme le note Jacques Ellul dans Sans feu ni lieu, nos institutions ont certes pour origine la volonté des hommes de s’émanciper de Dieu, mais elles ne sont pas définitivement condamnées. En tant que créations humaines, elles sont aimées de Dieu qui se propose de les récapituler dans la Jérusalem Céleste.

5 réflexions sur « La logique sacrificielle de l’école »

  1. « nos solutions traditionnelles fondées sur le sacrifice, nos institutions sensées assurer un cadre à notre vie collective, sont rendues obsolètes ». Voilà le constat qui devrait présider à toutes nos réflexions sur notre avenir, or il est généralement ignoré. Cet article de Julien Lysenko en est d’autant plus précieux, il montre à quel point la crise actuelle nous oblige à de profondes remises en question, et la nécessité d’étendre cet exercice à toutes les institutions.

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  2. On n’épiloguera pas sur l’échec total de l’école à savoir enseigner ce qui est irrémédiablement discriminé, la vérité, quand le professeur rentre chez lui désespéré, pour confier à son conjoint ce qu’une adorable adolescente a affirmé :

    « Mais, madame, la deuxième guerre mondiale, c’est bien la faute aux Juifs ! »

    On ne s’étonne pas alors que les masses démocratiques votent pour les doubles des oligarques russes, sponsorisés par les élèves de Girard cooptés en mafias complotistes à tronçonneuse intégrée, maniée par les bataillons d’avocats spécialistes des contournements de la loi aux fins d’inviter les foules à user de leur liberté pour décider en toute inconscience matérialiste d’y renoncer, quand le choix démocratique se réduirait à choisir entre le Hamas ou Netanyahou.

    Satan abattu n’a pas fini de se déchaîner et il s’agit ici de ne pas se tromper pour continuer à exercer le discernement salutaire qui accompli la loi par la foi, quand le mensonge du mythe n’empêche en rien l’exercice des rites et des interdits s’ils sont fondés sur la vérité, aptes alors à exercer l’autorité nécessaire au maintien de l’ordre indispensable au souverain bien, qui est la paix.

    « 17Les soixante-dix revinrent avec joie, disant: Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en ton nom. 18Jésus leur dit: Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. 19Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi; et rien ne pourra vous nuire. 20Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. »

    https://saintebible.com/lsg/luke/10.htm

    Car enfin, si le langage en est encore à mentir, il sert aussi aux âmes éclairées à dire la vérité, même et surtout si la régression sacrificielle en cours terrorise les adeptes de la liberté au point qu’ils seraient prêts à y renoncer, ils n’empêcheront jamais la vérité d’être ce qu’elle est, en la toute puissance de sa réalité qui n’est faiblesse qu’au regard du malin abattu et met à l’épreuve la foi de ceux qui, prudents comme les serpents et simples comme les colombes, sont envoyés comme les brebis aux milieux des loups pour apporter l’excellente nouvelle que Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, que la foi en notre Seigneur n’anéantit pas la loi mais qu’elle la confirme et qu’il appartient aux êtres assez renseignés sur eux-mêmes de l’exercer avec la détermination nécessaire au maintien de la paix, devraient-ils employer la force pour en appliquer la justice.

    Quand la liberté cède à la démagogie pour vendre sa sauce soi-disant au service du peuple, alors qu’elle ne fait que rentabiliser à des fins de commerce personnel l’illusion d’une souveraineté qui n’est, toujours, que la reconstitution amnésique d’une caste et l’exercice d’une domination, elle ne sait que désigner arbitrairement les responsables du chaos libertaire qui ne saura en son accélération aujourd’hui numérique, que fatalement se retourner contre elle.

    En ce contexte mondialisé, l’épisode de l’oreille de Trump rappelle l’arrestation de notre Seigneur, quand il répare l’oreille du serviteur du souverain sacrificateur en arrêtant la main de l’apôtre :

    « Jésus dit à Pierre: Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire? »

    Personne n’échappe à cette tentation et chacun s’imagine sauveur à désigner chez autrui ce qu’il est incapable de maîtriser chez lui, quand la connaissance révélée au bois de la Croix a définitivement ôté toute protection contre la violence, permet pourtant de réaliser qu’elle atomise nos sociétés et nous conduit en Europe à prendre la mesure du phénomène, en ce territoire qui a vécu, sans encore avoir su en tirer l’enseignement, l’échec complet de sa domination perdue.

    À l’endroit du péril apparaît fatalement la pierre qui sauve au regard de celle qui lapide et tombe de nos mains.

    Elle permet d’imaginer l’invention indispensable à la survie de l’humanité, quand les institutions sauront fonder la cohésion sociale non plus sur le rejet mais l’adhésion, quand le cœur converti de chaque individu, c’est à dire renseigné sur son propre fonctionnement relationnel qui devient la base salutaire de tout enseignement, ne cèdera plus à la tentation accusatoire et saura ainsi résister efficacement à son propre désir d’hégémonie, devenu parfaitement incroyant en la violence indifférenciatrice, par accession à l’empire du réel, qui ne sait s’exercer librement que sur soi-même.

    À l’heure où la poupée télé-réelle a conquis le pays de la soi-disant liberté, usant de cette connaissance à des fins d’hégémonie, vanité déjà éprouvée par l’histoire, l’Europe réconciliée a le devoir absolu de se lever pour en défendre la réalité et témoigner par sa geste de pardon l’unique et sainte vérité, nous ne saurons survivre qu’à savoir formuler ce que Michel Serres a parfaitement su nommer en son résumé girardien :

    « Le sacré unit violence et mensonge, meurtre et fausseté ; ses dieux, modelés par le collectif en furie, suent le fabriqué. Inversement, le saint accorde amour et vérité. Surnaturelle généalogie du vrai dont la modernité ne se doutait pas : nous ne disons vrai que d’innocemment aimer ; nous ne découvrirons, nous ne produirons rien qu’à devenir des saints. »

    https://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-m-rene-girard

    Debout les doux, il est l’heure de défendre la liberté et quel qu’en soit le prix, jusqu’à la mort s’il le fallait et qui n’est plus le sacrifice au sens où l’humanité l’entendait, mais l’expression véritable de sa réalité :

    « Le processus qui conduit à la naissance de la religion est inversé par rapport à l’explication qu’en avait donnée Freud. Dans le Christ, c’est Dieu qui se fait victime, et non pas la victime (chez Freud, le père primordial) qui, une fois sacrifiée, va être ensuite élevée à la dignité divine (le Père des cieux). Ce n’est plus l’homme qui offre des sacrifices à Dieu, mais Dieu qui se « sacrifie » pour l’homme, en livrant pour lui à la mort son Fils unique (cf. Jn 3, 16). Le sacrifice n’a plus pour fonction d’« apaiser » la divinité, mais plutôt d’apaiser l’homme et de le faire renoncer à son hostilité envers Dieu et envers son prochain.

    Peut-on encore continuer à parler de sacrifice, à propos de la mort du Christ et donc de la messe ? Pendant longtemps, Girard a refusé ce concept, le jugeant trop marqué par l’idée de violence, mais a fini ensuite par en admettre la possibilité, à condition de voir, dans celui du Christ, un genre nouveau de sacrifice, et de voir dans ce changement de sens « le fait central dans l’histoire religieuse de l’humanité ».

    Vendredi Saint : Homélie du P. Raniero Cantalamessa | ZENIT – Français

    Nous en sommes encore là, à la défaite honteuse face aux forces du mal qu’est toute guerre et même si le constat en est amer, la route pourtant est tracée qui confirme le choix proposé à notre entendement, d’accéder ou non au grand don de la liberté qui conduit à la vraie vie, ce temps de la patience de Dieu qui nous paraît souvent démesurée – le temps des victoires, mais aussi des échecs de l’amour et de la vérité, selon Benoit XVI, et qui permettra et cela est certain pour ceux qui croient au point d’accomplir en eux-mêmes la force de la loi, de savoir par leur exemple enseigner aux petits quel est le modèle en qui il est salutaire de croire, à notre place qui est seconde et cependant vouée à l’expression si faible de la toute puissance de la vérité :

    « 12Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, à Jésus-Christ notre Seigneur, de ce qu’il m’a jugé fidèle, en m’établissant dans le ministère, 13moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un homme violent. Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’agissais par ignorance, dans l’incrédulité; 14et la grâce de notre Seigneur a surabondé, avec la foi et la charité qui est en Jésus-Christ. 15C’est une parole certaine et entièrement digne d’être reçue, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. 16Mais j’ai obtenu miséricorde, afin que Jésus-Christ fît voir en moi le premier toute sa longanimité, pour que je servisse d’exemple à ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle. 17Au roi des siècles, immortel, invisible, seul Dieu, soient honneur et gloire, aux siècles des siècles! Amen! »

    https://saintebible.com/lsg/1_timothy/1.htm

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  3. Pourquoi l’école est-elle si sacrificielle ?

       L’opinion prévaut que seul l’effort paie, la réussite a son prix, la connaissance passe par l’oubli de soi, il faut mourir à la vulgaire réalité et à ses plaisirs pour pouvoir atteindre les vérités pures, le savoir noble et les places d’honneur. Le sacrifice attendu n’est pas rien quand il est imposé à des enfants et des adolescents, affolés de désirs tout neufs, de passions toutes fraîches et d’illusions vibrantes ! Mais le mérite s’achète, et plus il est grand, plus le sacrifice doit être douloureux. Traduisez : la sélection fait le tri non pas entre les plus ou moins doués, mais entre les plus ou moins sacrifiés.

       Il sera tout donné à celui qui aura d’abord tout perdu. Les « classes prépa » feront les cadres et les dirigeants bien rémunérés de demain. Aujourd’hui ils doivent suer sous le harnais.

        Depuis quand la douleur est-elle la garantie du résultat ? Quel triomphe la peine subie justifie-t-elle ? Le travail est-il toujours un châtiment ? Mais alors, pour quelle faute commise ? La réussite n’est-elle que la compensation d’un long tourment ? Par quelle perversion imagine-t-on qu’un bien peut sortir d’une telle détresse ? Que le mérite n’est que la consolation d’une grande misère ? Que le travail est synonyme de malheur ? Le travail reste tributaire de sa définition : le mot « travail » proviendrait du latin tripalium, un instrument de torture à trois pieds. On ne sort pas de la malédiction biblique d’Adam et Ève. On en revient toujours à la « banalité du mal ». Mais Hannah Arendt fait merveilleusement la différence entre « travail » et « œuvre ». Un travail attend toujours une rétribution (binaire, sacrificielle). Une « œuvre » espère une reconnaissance, ou une marque d’amour. Cela n’a rien à voir avec une « évaluation ».

       Les vrais artistes et les grands esprits ont avoué combien ils se passionnaient pour ce qu’ils faisaient. C’est ce qui rendait leur effort si léger. Les souffrances ne sont pas toujours « récompensées ». En approchant de la connaissance, il y a plus à recevoir qu’à perdre. Un bon enseigneur devrait comprendre cela et le partager avec ses élèves.

    Joël HILLION

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  4. Ayant consacré les meilleures années de ma vie à l’enseignement, je me sens obligée de réfléchir au sujet de la « logique sacrificielle de l’école ». Le dernier § de l’article me semble proposer la solution la plus raisonnable : tout apprentissage a besoin d’être évalué mais l’apprenti, lui, a besoin d’être encouragé. Il ne peut donc se voir attribuer à lui-même le jugement ou la note que le professeur attribue au résultat (provisoire) de son travail. Le bon sens doit l’emporter sur l’attrait des grandes « remises en question ». Et donc un bon enseigneur (ce néologisme est ennoblissant !) devrait pouvoir récompenser l’effort et la réussite, pénaliser le manque de travail et l’échec, ce qui est de son devoir, sans pour autant flatter ou blesser la personne de l’élève, ce qui demande de l’empathie. Tout le monde peut « mieux faire ». Trop souvent, le prof est un ancien « bon élève » qui ne sait rien des affres des « nuls ». C’est pourquoi, me semble-t-il, les romans de Daniel Pennac ont connu un si grand succès.

    Je crois aussi, en lectrice de Girard, que les hommes ont autant besoin de leurs institutions que les animaux de leurs instincts, pour survivre tout simplement. Le monologue de l’Ulysse de Shakespeare, dans « Troilus et Cressida », dit le chaos qui résulte de l’effacement du « degree » car celui-ci n’affecte pas que les lieux de savoir. Nos institutions portent des traces de la violence du « mécanisme » qui a présidé à leur naissance mais elles protègent d’une violence « essentielle ». L’amour devrait suffire mais il ne suffit pas, l’offre du Royaume ayant été refusée. Et il me semble à moi que donner en exemple, en « modèles », à nos apprentis, les vrais artistes et les grands esprits, c’est risqué. Sauf si l’exception confirme la règle : il faut travailler, même sans passion.

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  5. « Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi. »

    Quand l’obscurité refuserait la lumière, elle ne l’empêchera jamais d’être éclairée par elle, polysémie du même son « Elle ».

    Nous ne nous tromperons jamais de toujours nous aimer.

    Salutations ardentes aux bien-aimés.

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