Petite épistémologie de la théorie mimétique

Souvent dans ce blogue et ailleurs, on peut lire des articles et des commentaires qui cherchent à répondre aux principales critiques adressées à la théorie mimétique (TM). Le désir ne saurait se limiter à un phénomène mimétique, ni le mécanisme sacrificiel constituer la racine de toutes les violences. Cette démarche se double souvent d’une comparaison avec d’autres penseurs influents, qui, sur tel ou tel sujet, détiennent « plus » de vérité que la TM. Le risque qu’elle comporte est de s’éloigner des thèses girardiennes au point de leur enlever leur pertinence.

C’est la question de l’épistémologie de la théorie mimétique, soulevée un peu partout, mais rarement abordée directement. Elle a pourtant son importance, notamment préalablement à toute tentative d’extension du domaine de la TM, ou de sa réfutation.

Une question centrale dans toute réflexion épistémologique est celle du paradigme (1). Il existe différents points de vue sur un même phénomène. L’erreur courante est de critiquer une théorie à partir d’un point de vue qui lui est étranger. Par exemple, si on critique la TM à partir du paradigme psychanalytique, on n’aura aucun mal à en démontrer la fausseté si tel est l’objectif ; mais cette démonstration s’apparente à un biais de confirmation, elle est sans valeur.

Mon premier article sur le blogue partait d’une analyse psychologique d’un texte de la Bible ; Christine Orsini m’avait, à l’époque, donné une leçon de choses, en me signalant justement cette erreur paradigmatique. En substance, disait-elle, vous avez parfaitement le droit d’adopter un point de vue psychologique, mais en aucun cas de prétendre que c’est un point de vue girardien.

Pour qu’une méta-analyse puisse nous apprendre quelque chose, elle devrait se situer en surplomb de la théorie qu’elle analyse, et de toutes les théories qu’elle convoque dans son initiative. Je postule ici (évidemment, ce postulat est sujet à discussion) qu’un point de vue qui engloberait tous les autres points de vue, appelons cela « la Vérité », s’il existe, n’est pas accessible à la raison. Nous sommes condamnés à étudier un phénomène depuis différents points de vue (avec différentes théories), chacun d’eux étant par principe borné (et l’étude de ce bornage est précisément l’affaire de l’épistémologie). Nous ne pouvons espérer nous approcher de la vérité qu’en adoptant successivement ces différents paradigmes, tout en évitant de les confondre. Bien sûr, il est parfois possible de fusionner deux paradigmes, mais force est de constater que ce tour de force est plutôt rare. Je pense aux tentatives infructueuses d’unification de la physique quantique et de la relativité d’Einstein, ou à l’incompatibilité entre psychologie et sociologie.

Qu’on me permette une métaphore. Le réel est une statue située au centre d’une rotonde. Les spectateurs, confinés sur la passerelle circulaire qui entoure la statue, ne peuvent pas accéder à la vision englobante, ils ne peuvent en voir à chaque moment que tel ou tel aspect, conditionné par leur position sur la passerelle. De tel point de vue, la statue nous apparaîtra comme un être puissant, effrayant, menaçant. De tel autre, comme une mère aimante et protectrice. De tel autre encore, comme un être indifférent, tout à ses mystérieuses affaires. Etc. La seule possibilité d’accès à la vérité de la statue consiste à tourner autour et à contempler ses multiples faces.

Ce postulat a pour conséquence que la démarche classique de la méthode scientifique, qui consiste à confronter une théorie à l’expérience, a ses limites. Aucune théorie ne pourra jamais rendre compte de tout le réel (ne fût-ce que parce qu’une théorie est par définition une généralisation, une simplification, alors que le réel se caractérise par son infinie complexité). L’exercice qui consiste à dévaloriser une théorie en démontrant qu’elle ne rend pas compte de tel ou tel phénomène est aisé, mais il rate l’essentiel. Les grandes théories ne rendent pas compte de tout, mais elles ont le mérite de bouleverser en profondeur nos représentations symboliques et de rendre impossible tout retour en arrière. Elles sont des « game changers ».

Comment catégoriser la TM avec cette approche ? On l’a suffisamment dit, la TM se mêle de pratiquement toutes les disciplines « classiques » en sciences humaines, au point qu’on la soupçonne parfois d’être un fourre-tout sans réelle pertinence. Ce que les détracteurs de Girard ne semblent pas disposés à voir, c’est que la TM est tout sauf une tentative de synthèse des approches classiques. C’est avant tout un point de vue différent sur l’humain. On confond souvent ce paradigme nouveau avec la méthode, elle aussi nouvelle. Par exemple, son insistance sur les similitudes entre les grands romans, qui se démarque de la critique littéraire de l’époque, essentiellement axée sur les différences. Or le paradigme précède et définit la méthode. C’est l’intuition de la singularité du désir humain et de l’importance du mimétisme qui conduit à cette démarche ; ce n’est pas la démarche qui donne accès à l’intuition.

A bien y réfléchir, c’est ce qui distingue les grands penseurs des autres. Les savants les plus influents ont tous adopté un paradigme radicalement nouveau. Le génie de Copernic ne réside pas dans un modèle mathématique, mais dans un changement de point de vue ; il faut s’extraire de la vision nombriliste de l’univers, adopter un point de vue extérieur pour pouvoir contempler le système planétaire et comprendre que c’est le soleil qui est au centre. Newton comprend que tous les corps s’attirent mutuellement, Einstein que tout est en mouvement relatif. Une fois ce paradigme nouveau établi, le reste (observation, modèle mathématique, formulation…) n’est que cuisine.

Reste donc la question : le paradigme girardien est-il un de ces points de vue inédits sur le monde, un endroit de la passerelle où jamais personne ne s’est tenu, qui change en profondeur notre perception du réel ? La question est vaste et je l’ouvre aux commentaires. Je me contente ici de lancer le débat, avec ma petite contribution.

La preuve que le paradigme girardien est bel et bien un de ces éclairages nouveaux, je la vois, plus clairement que toute autre contribution de la TM à la connaissance, dans la découverte simultanée de l’innocence de la victime émissaire et de notre participation active ou passive à son expulsion ou à son meurtre. Il n’y a pas de phénomène plus dévastateur pour notre monde, de contribution intellectuelle qui nous oblige autant à revoir nos présupposés, nos fondations symboliques, nos identités. Copernic nous a arrachés à notre vision nombriliste de l’univers, et les réactions de panique de l’époque disent assez le bouleversement que cela représentait. Girard fait la même chose, mais, à mon avis, à une échelle supérieure encore.

(1) Je ne prétends pas à une fidélité absolue à la définition épistémologique du mot paradigme. J’aime bien la définition d’Edgar Morin : un paradigme contrôle la logique du discours. J’utilise le terme dans un sens plus géométrique : un point de vue donné sur un phénomène ou un ensemble de phénomènes donnés.

30 réflexions sur « Petite épistémologie de la théorie mimétique »

  1. Il me semble que René Girard, plus médiéviste qu’il ne le concédait, est un adepte du rasoir d’Occam. Au principe de falsifiabilité, il a dit préférer que sa pertinence théorique s’évalue en rapportant la parcimonie des hypothèses mobilisées au nombre de phénomènes qu’elles éclairent : de ce point de vue, la nature imitative du désir et ses implications multiples sont difficilement… réfutables !

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    1. Cher Jean-Marc,
      Tu as une vue plus encyclopédique de la TM que moi, tu me diras si je me trompe. Il me semble que les controverses que Girard n’hésitait pas à initier portaient rarement sur un phénomène précis. C’est plutôt sur le plan épistémologique, justement, qu’il attaquait les théories concurrentes. Pas vraiment concurrentes, d’ailleurs, puisque d’après lui Nietzsche, Freud et Lévi Strauss avaient raté de peu la matrice de l’exception humaine, la rivalité mimétique et la résolution sacrificielle des crises. Girard était tellement ancré dans sa « révélation » qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause ce qui avec le temps était plus de l’ordre du postulat que de l’hypothèse critiquable. Cela pose d’ailleurs problème du point de vue épistémologique.
      Cela dit, ses critiques sonnent juste. Dans ma prochaine conférence « Bible et violence », j’aborde le phénomène de l’inceste. Ce n’est que très récemment que la réalité anthropologique de l’inceste a commencé à percer la couche mythologique qui la recouvrait (notamment avec la libération de la parole des victimes). Cette réalité fait apparaître le caractère systémique et sacrificiel de l’inceste. Freud et Lévi Strauss n’avaient fait que débroussailler le sujet, mais c’est de loin la TM qui rend le mieux compte du phénomène. Françoise Dolto, avec le paradigme freudien, a écrit des choses remarquables sur le sujet, mais elle perpétuait aussi le mensonge mythologique en prêtant à l’enfant-victime un caractère pervers, une part de responsabilité dans ce qu’il lui arrivait. Lévi Strauss a bien perçu la dimension structurante de l’interdit de l’inceste, mais il est étrillé par les anthropologues contemporains pour n’avoir pas mentionné que l’interdit se doublait d’une transgression systématique et impunie.
      On pourra s’émouvoir du mot « révélation » que j’utilise. Il y a pourtant quelque chose de cet ordre à l’origine de la TM, la biographie de Benoît Chantre et l’article récent de Christine Orsini vont dans ce sens. La TM se balade quelque part sur la frontière entre la méthode scientifique et la vision mystique, et c’est bien dérangeant, mais aussi passionnant. La quête médiévale d’un savoir qui réconcilierait raison et foi n’est vraiment plus à l’ordre du jour, alors même que Girard semble bien placé pour la faire aboutir. Mais qui est encore capable de parler les deux langages ?
      « Nicodème lui dit : « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus lui répondit : « Tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses ! En vérité, en vérité, je te le dis : nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu, et, pourtant, vous ne recevez pas notre témoignage. » (Jean 3, 9-11)

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      1. Cher Hervé, serions-nous connectés ? J’ai proposé il y a quelques temps un billet à publier par le blogue intitulé « les livres des révélations ». Dans le vocabulaire et la pratique girardiens, c’est d’ailleurs le pendant de la méconnaissance.

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  2. Hervé VAN BAREN, votre article est essentiel pour tous ceux qui sont intéressés par la recherche mimétique. Je pense (mais vous pouvez me détrompez et précisez) qu’il suit votre lecture du dernier livre de Benoit CHANTRE et de votre article métaphore et paraboles, où vous écrivez de René GIRARD : « Lui seul « déconstruit » la parole du monde alors qu’il va à la messe dominicale. Ce qui a été perçu par ses contemporains comme une démarche inconsistante, incongrue, et qui lui a valu tant de quolibets et de rejets, était en réalité le seul positionnement permettant de dépasser le « logos de mort » du monde, de nous donner accès au « Logos de vie ». »

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  3. Merci Hervé d’aborder de front cette question fondamentale. Voici quelques remarques pour lancer la discussion. J’accepte le terme « paradigme », mais il faut garder présent à l’esprit qu’il renvoie à la fois à un ensemble de questions (que l’on décide plus ou moins arbitrairement de considérer comme les plus pertinentes et/ou prioritaires), à un système de concepts (ou de notions) et enfin à des hypothèses considérées a priori comme approximativement vraies ou vraisemblables. Autre façon de dire les choses, on regarde le réel d’un certain « point de vue », ce qui veut dire que l’on ne le considère pas dans sa totalité car, comme tu l’indiques, « un point de vue qui engloberait tous les autres points de vue, appelons cela « la Vérité », s’il existe, n’est pas accessible à la raison. »

    Reste que, et c’est là que nous divergeons, on ne peut traiter sérieusement un problème, quel qu’il soit, sans se confronter à la pluralité des paradigmes à partir desquels il peut être abordé. Le fait de se situer clairement à l’intérieur d’un certain champ de questions, de concepts et d’hypothèses ne dispense pas d’un effort minimal d’articulation avec d’autres paradigmes. C’est d’abord une exigence minimale de transparence : le lecteur a le droit de savoir où il se trouve, dans quelle région de la connaissance, et surtout : quelles questions vont être traitées et quelles sont les limites des réponses qu’il est en droit d’attendre. De plus, il est dans la nature de certaines questions de faire exploser les paradigmes et de rendre inévitable une « hybridation » des approches, ce qui suppose un minimum d’explications, de balisage du terrain et de précautions méthodologiques.

    Voyons maintenant ce qu’il en est chez René Girard. Premier exemple, la TM et la psychanalyse. Tu dis, Hervé, « si on critique la TM à partir du paradigme psychanalytique, on n’aura aucun mal à en démontrer la fausseté ». Or, c’est Girard lui-même qui engage la controverse avec la psychanalyse. Freud est mentionné nommément 500 fois (très exactement, vive l’informatique!) dans les 4 ouvrages regroupés dans De la violence à la divinité, le plus souvent de manière critique, mais parfois positivement (à propos de Totem et Tabou). Le débat entre les deux théories est donc bel et bien lancé, sans que Girard le mène suffisamment loin pour rendre justice à chacune des deux approches. Il est donc inévitable et pour le moins légitime de poursuivre la confrontation, ce qui conduit notamment, comme je le fais dans mon livre, à souligner la faiblesse des développements de Girard consacrés à la sexualité, et plus généralement « l’oubli du corps » qui caractérise sa pensée.

    Passons maintenant à autre chose : le choc des paradigmes ne concerne pas seulement les rapports de la TM avec d’autres théories. La pensée de Girard sur le sacré et la religion est elle-même traversée par une tension/ contradiction non explicitée entre deux paradigmes. Il se trouve d’ailleurs que ces deux paradigmes structurent depuis plus d’un siècle le champ de l’anthropologie/ philosophie de la religion. D’un côté, avec Durkheim, Mauss, Caillois, Hocart, etc, une approche « sociale » du sacré, des rites, etc., compris comme des effets d’une dynamique collective. De l’autre une approche phénoménologique et existentielle du sacré comme rapport personnel à la transcendance (Mircéa Eliade, Bergson, Rudolph Otto, Levinas…). Selon les sujets qu’il aborde, Girard se rattache à l’une ou l’autre de ces démarches, sans jamais vraiment chercher à les articuler. Schématiquement, il adopte le premier point de vue quand il traite du religieux archaïque, du rapport entre la violence et le sacré et de l’origine de la culture, et le second quand il commente la littérature contemporaine ou quand il parle de sa propre conversion…En cherchant bien, j’ai trouvé dans Des choses cachées…une phrase où Girard prend acte de cette césure :

    « Il faut penser le religieux archaïque non pas en termes de liberté et de morale, mais dans ceux d’un mécanisme de sélection naturelle. »

    On est alors en droit de se poser la question suivante: à partir de quel moment de l’histoire, et sur quelle base métaphysique, doit-on envisager la liberté morale et l’expérience religieuse comme des question personnelles et toujours actuelles ? Problème d’autant plus difficile que, toujours dans Des choses cachées, ce sont les bases même de la philosophie du sujet qui sont attaquées (« J’évite de dire « sujet désirant » « pour ne pas donner l’impression de retomber dans une psychologie du sujet. »)

    Voici un cas où cette tension débouche sur une contradiction évidente : l’interprétation de l’ Œdipe de Sophocle. À partir de La violence et le sacré, et dans tous ses ouvrages ultérieurs, Girard interprète la tragédie en termes anthropologiques, comme l’amorce d’une révélation anthropologique du mécanisme du bouc émissaire. Dans cette perspective, la psychologie des personnages – les différences entre Œdipe et Tirésias – importent peu. Le passage suivant, qui ouvre le chapitre consacré à Œdipe dans La violence et le sacré, est particulièrement éloquent :

    « On ne peut pas définir les héros tragiques les uns par rapport aux autres car ils sont tous appelés à jouer les mêmes rôles successivement. Si Œdipe est oppresseur dans Œdipe roi il est opprimé dans Œdipe à Colone. Si Créon est opprimé dans Œdipe roi il est oppresseur dans Antigone. Personne, en somme, n’incarne l’essence de l’oppresseur ou l’essence de l’opprimé; les interprétations idéologiques de notre temps sont la trahison suprême de l’esprit tragique, sa métamorphose pure et simple en drame romantique ou en western américain. »

    Un peu plus loin, Girard insiste longuement sur l’insignifiance des différences entre les personnages au regard du propos central de la tragédie :

    « A l’entrée en scène de Tirésias, notre symétrie tragique reçoit un démenti catégorique. Dès qu’il aperçoit ce noble personnage, le chœur s’écrie : « Voici qu’on amène l’illustre devin, le seul homme qui porte en son sein la vérité. » C’est bien au prophète infaillible et omniscient qu’on a affaire ici. Il possède une vérité toute faite, un secret longuement mijoté et thésaurisé. La différence, pour une fois, triomphe. Quelques lignes plus loin, toutefois, elle s’efface à nouveau et la réciprocité reparaît, plus explicite que jamais. Tirésias lui-même rejette l’interprétation traditionnelle de son rôle, celle-là même que le chœur vient de formuler. En réponse à Œdipe qui l’interroge dans un esprit de dérision sur l’origine de ses dons prophétiques, il se défend de posséder aucune vérité qu’il ne tienne de son adversaire lui-même : ŒDIPE. – Qui t’a appris la vérité ? C’est ton métier de prophète, sans doute ? TIRÉSIAS. – C’est toi qui me l’as apprise en me forçant à parler contre ma volonté. Si nous prenons ces lignes au sérieux la malédiction formidable que Tirésias vient de jeter à la tête d’Œdipe, l’accusation du parricide et de l’inceste, n’a rien à voir avec un message surnaturel. Une autre origine nous est suggérée. Cette accusation ne fait qu’un avec l’entraînement des représailles ; elle s’enracine dans l’échange hostile du débat tragique. »

    Cette interprétation de la tragédie à partir de l’anthropologie mimétique diffère structurellement de l’approche psychologique qu’affectionne la critique littéraire, ce que Girard ne manque pas de souligner :

    « Il n’est pas un mode de la critique moderne qui ne s’écarte de la tragédie et ne se condamne à la méconnaître…(….)…On peut montrer que le point de vue psychologique au sens littéraire et traditionnel fausse dans son principe même la lecture de la pièce. »

    Or, dans sa biographie de Girard, Benoît Chantre nous apprend, dans une conférence donnée à Royaumont en 1965, Girard avait présenté une interprétation de la pièce de Sophocle inspirée de celle de Hölderlin:

    « Girard a compris la leçon des Remarques sur Œdipe. L’irruption du prophète, « qui entre dans le cours du destin », « pèse » au commencement de la pièce, pour redresser l’équilibre du poème et sauver le roi de Thèbes. C’est l’irruption du prophète, et non le savoir oedipien, qui « redresse la cité qui penche ». Le sort d’Œdipe n’est pas d’être déchiqueté comme la victime d’un lynchage, mais d’être touché par les dieux…(…). Car Œdipe n’est pas tué comme une victime arbitraire, il devient un martyr qui témoignera de la vérité de l’oracle puisqu’il lui survivra. Alors le roi déchu qui, sur la terre, n’aura pas connu son père, retrouvera son origine en accueillant la parole du dieu l’appelant à le rejoindre » (Biographie, pp. 381-382).

    Au terme de sa communication, Girard va jusqu’à dire que « le devin grec préfigure les prophètes bibliques. » Dans un article écrit un an plus tard, Girard écrira « la vérité est du côté de Tirésias » L’affrontement mimétique des deux devins ne fait donc pas d’eux des « doubles ». On est ici dans un registre d’interprétation qui cherche à souligner la continuité du religieux et qui, dans cette optique, prend au sérieux la fonction religieuse de Tirésias, porteur légitime d’un oracle divin. Sans toutefois égaler les prophètes juifs qui, eux, se sont mis à la hauteur d’un « oracle originel », il incarne une forme de transcendance.

    À n’en pas douter, on a bien là deux paradigmes, deux grilles de lecture différentes et dont la compatibilité ne va pas de soi. Dans La violence et le sacré, René Girard adopte un point de vue anthropologique d’objectivation du sacré comme auto-transcendance de la violence sociale qu’il n’abandonnera jamais par la suite, mais auquel il superposera parfois une autre approche, plus sensible à la continuité entre le sacré archaïque et le religieux judéo-chrétien (qui sous-tendait déjà l’article de 1965 à travers le parallèle entre Tirésias et les prophètes juifs). Force est de reconnaître qu’il juxtaposé a tout au long de son œuvre une pensée de la rupture anthropologique entre la sacré archaïque et la religiosité chrétienne (fondée, elle, sur une véritable révélation), et une pensée plus sensible à leur continuité existentielle (la réalité d’un rapport individuel à la transcendance) sans jamais vraiment chercher à les articuler rigoureusement.

    Bernard Perret

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    1. « De plus, il est dans la nature de certaines questions de faire exploser les paradigmes et de rendre inévitable une « hybridation » des approches, ce qui suppose un minimum d’explications, de balisage du terrain et de précautions méthodologiques. » de votre coté; Tandis que pour Hervé VAN BAREN « Reste donc la question : le paradigme girardien est-il un de ces points de vue inédits sur le monde, un endroit de la passerelle où jamais personne ne s’est tenu, qui change en profondeur notre perception du réel ? »
      Là est effectivement le débat. Comme je (et aussi, Bernard PERRET dans le sien) le suggère dans mon commentaire précédent, ce débat est permis par la publication du livre de Benoit CHANTRE.
      Pour moi, le paradigme girardien est Le Point de Vue inédit sur le monde. Mais René GIRARD n’a jamais pu le définir, d’où les « apparentes » contradictions, citées par Bernard PERRET.
      Dans le cadre de ce commentaire, je ne peux résumer ma recherche (elle le sera dans un article à paraitre) qui aurait permis d’étayer mon affirmation, abrupte.
      Mais, tant mieux, car je peux nourrir ce débat passionnant par une question à Bernard PERRET.
      Votre position sur l’hybridation des « paradigmes » n’est-elle pas induite par celle que vous défendez pour commenter la lettre aux Hébreux, y soulignant la présence d’une perception sacrificielle, et qui, par contrecoup, entraine une telle perception à la messe (qu’elle soit dominicale ou non) ?

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    2. Cher Bernard,
      Merci pour cette brillante contribution au débat. Je ne vais pas entrer dans une controverse sur les questions que tu soulèves, qui sont légitimes.
      Je voudrais seulement souligner un point. Lorsque tu écris que nous divergeons parce qu’ « on ne peut traiter sérieusement un problème, quel qu’il soit, sans se confronter à la pluralité des paradigmes à partir desquels il peut être abordé. », je dis la même chose : « Nous sommes condamnés à étudier un phénomène depuis différents points de vue (avec différentes théories), chacun d’eux étant par principe borné (et l’étude de ce bornage est précisément l’affaire de l’épistémologie). Nous ne pouvons espérer nous approcher de la vérité qu’en adoptant successivement ces différents paradigmes, tout en évitant de les confondre. »
      On ne peut aborder la physique des particules avec la théorie de la relativité. Malheureusement, il se trouve que pour une série de phénomènes particuliers, nous avons besoin d’une théorie synthétique… qui n’existe pas. La quête d’une telle théorie est bien entendu licite, et c’est ton projet, si j’ai bien compris, en transposant mon exemple dans le domaine des sciences humaines.
      Nous ne divergeons pas, je pense, sur le fond ; je reconnais la validité de tes questions et de ta démarche. Nous divergeons plus sur le projet. Je n’ai pas l’ambition de réconcilier psychanalyse et TM, ou théologie et TM (je ne me sens absolument pas compétent !). Je reste fermement ancré à la place réservée à la TM sur la « passerelle épistémologique », tout en étant conscient que ce n’est qu’un point de vue parmi d’autres. Simplement, je constate l’extraordinaire pouvoir de dévoilement du réel par la TM, et que nous n’avons pas fini d’exploiter ce filon. Donc, je creuse. Je pense que la démarche est licite aussi, et que l’argument de « l’incomplétude » de la TM comme de toute théorie ne doit pas jeter le discrédit sur cette entreprise. Certes, elle ne permettra pas d’unifier les grandes théories anthropologiques, mais tel n’est pas l’objectif.

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  4. La TM est peu connue et, quand elle l’est, peu considérée dans les sciences humaines, encore maintenant. J’ai pu le constater après avoir lu deux ouvrages récents, très ambitieux, écrits à l’intention d’un public non spécialiste, mais un peu curieux et cultivé : « La symphonie inachevée de Darwin » de Kevin Laland et « Les structures fondamentales des sociétés humaines » de Bernard Lahire. J’ai correspondu avec ces deux auteurs. L’un (Laland) dit ignorer les thèses de RG, l’autre (Lahire) les considère anecdotiques, sans même les citer d’ailleurs. Mais en effet, comment un penseur, vu in fine comme un théologien chrétien, pourrait-il être même simplement considéré et discuté par des auteurs ayant des prétentions scientifiques ? De ce point de vue, je ne constate aucun progrès depuis 45 ans. La seconde raison de ce désintérêt est bien sûr l’étendue du champ couvert par la TM. Nous tombons ici à mon avis sur un pb de concurrence intellectuelle, un conflit de notoriété, pourrait-on dire aussi.

    Maintenant, disons que RG a été assez… parcimonieux dans les considérations épistémologiques sur sa théorie. A ma connaissance, l’essentiel est contenu dans le chapitre « Pour conclure… » de DCC : « …personne ou presque, devant mon hypothèse, ne se demande : « Est-ce que ça marche ? » On m’oppose des objections théoriques et dogmatiques. » (p. 460 chez Grasset). Il me semble qu’il ne va pas bcp plus loin dans tout ce qui suit, même s’il y revient (surtout peut-être dans ses écrits anglais traduits et rassemblés dans « La voix méconnue du réel » en 2002). Je constate cependant que Girard a consacré bcp de lignes à tenter de réfuter les deux courants qui dominaient puissamment le champ des sciences de l’homme à l’époque où il exposait sa théorie, à savoir la psychanalyse et le structuralisme. Pouvait-il faire autrement ? Sans doute pas. Depuis lors, les sciences sociales s’appuient de plus en plus sur des données tirées de l’éthologie et des neurosciences (les deux livres cités plus haut sont exemplaires de ce point de vue). Mais je ne demande qu’à être détrompé, n’étant certainement pas le meilleur connaisseur des ouvrages de RG (je n’ai pas encore lu la biographie monumentale de Benoît Chantre).

    Sur l’application du principe de parcimonie, aussi appelé rasoir d’Occam, j’ai déjà indiqué dans plusieurs commentaires qu’il me paraissait s’appliquer parfaitement à la TM. Je ne pense pas qu’il s’oppose au principe de réfutabilité empirique (ou falsifiabilité) de Karl Popper, qui est très utile dans les sciences expérimentales, mais peu voire pas du tout, dans les sciences humaines ou sociales qui ne sont pas réfutables empiriquement. Girard à nouveau, dans l’introduction de La voix méconnue… : « Les disciplines qui n’ont pas de statut scientifique, les sciences de l’homme et de la société, ne peuvent pas se passer d’hypothèse théorique. »

    Ma réponse à Hervé qui sollicite les avis : « le paradigme girardien est-il un de ces points de vue inédits sur le monde, un endroit de la passerelle où jamais personne ne s’est tenu, qui change en profondeur notre perception du réel ? » Pour moi, oui absolument. Elle est comparable à la révolution copernicienne qui cessait de mettre l’homme au centre de la création, elle est comparable à la théorie de l’évolution des espèces de Darwin, qui rompait avec le fixisme, et nous obligeait à une vision dynamique de l’humanité. Voilà le type de changements paradigmatiques dont je la rapprocherais.

    Pour conclure ce commentaire, je voudrais simplement revenir sur une perception de la TM que j’ai évoquée il y a peu et qui m’est tout-à-fait personnelle : sa beauté (peu d’hypothèses, pouvoir explicatif immense). Je la compare à l’élégance d’une démonstration mathématique, cette élégance qui la fait préférer à d’autres démonstrations plus laborieuses, même si elles aboutissent au même résultat.
    C. Julien

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  5. Hervé aborde un sujet inspirant et de mon point de vue, il l’aborde de façon inspirée. Je suis complètement d’accord avec l’idée selon laquelle la TM occupe sur sa « passerelle » une place inoccupée jusqu’alors. Le mécanisme victimaire, assurant la survie de l’humanité et ne cessant d’agir en profondeur sur notre intellect et notre sensibilité, est une découverte bouleversante. On peut la situer dans le prolongement des trois grands « démentis » que Freud attribue à Copernic, à Darwin et à la psychanalyse : démentis imposés à la mégalomanie humaine, d’après lui, puisqu’il s’agit pour le sujet humain, dans chacun de ces domaines de réalité, de renoncer à sa « vision nombriliste », comme dit Hervé. Et Girard va plus loin encore que Freud dans la déconstruction du « sujet »: sa participation active ou passive au meurtre fratricide est plus menaçante pour son « identité » qu’un désir inconscient de parricide.

    En ce qui concerne le dialogue avec Freud, il est sûrement légitime, comme le souligne Bernard de « poursuivre la confrontation » mais à mon sens, on ne saurait reprocher à une théorie anthropologique dont le nouveau « point de vue » permet d’éclairer ce qui était resté dans l’ombre, ses propres zones d’ombre : la sexualité n’occupe pas, dans la TM la place hégémonique qui est la sienne dans la psychanalyse, cela permet de voir que le désir humain est plus indécis qu’on ne le pensait et d’en tirer les conséquences.

    Je n’ai pas la place, dans les limites d’un commentaire, pour traiter la question très intéressante soulevée par Bernard : le fait que la TM juxtapose sans les articuler une pensée de la rupture et une pensée de la continuité entre le religieux archaïque, où le sacré est rituellement violent et la religion moderne qui, elle, inclut la liberté et la morale dans une relation personnelle à la transcendance. Je voudrais juste souligner que pour Girard, me semble-t-il, c’est seulement à la lumière du christianisme que nous découvrons en quoi consiste le religieux archaïque. C’est pour avoir cru que le christianisme est une religion comme les autres que les anthropologues du religieux ne sont pas arrivés à comprendre le sacré. Les athées, pense Girard lisant Frazer, ne comprennent rien au rite du bouc émissaire. « L’unité paradoxale du religieux » ne peut apparaître qu’à la lumière de la Révélation.

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    1. Entièrement en accord avec le commentaire de Christine, auquel je n’ai rien à ajouter. Oui, Hervé soulève un problème particulièrement difficile car la théorie girardienne est surplombante, ce qu’il convient de préciser. Bernard Perret, votre analyse est rigoureuse, et votre précision nous est nécessaire. Il est évident que l’influence de Freud sur Girard (son « père spirituel », reconnaitra-il assez tardivement) est immense, et que c’est précisément pour ne pas être considéré comme un « freudien » (ce qu’avait osé écrire un journaliste pour commenter « la violence et le sacré ») qu’il mettra l’accent sur ce qu’il contestait (la théorie des pulsions) tout en reconnaissant la puissance de l’intuition du Freud anthropologue (le meurtre fondateur). En opérant ainsi, mais surtout parce que n’étant pas praticien de la psychanalyse ou clinicien, il en vient à « oublier le corps », comme vous le signalez. Et c’était je crois une volonté consciente, et non une faiblesse, encore moins une incompréhension du sens que Freud donnait à la « pulsion » (Trieb), ou de la psychanalyse en général.
      Heureusement, de plus en plus de psychanalystes ont intégré la théorie mimétique, qui, de mon point de vue la prolonge et la complète naturellement, logiquement, et c’est à eux d’y « intégrer le corps », si l’on peut dire, et il me semble que Grivois y a énormément contribué en mettant à jour un mimétisme primaire, antérieur à la formation du désir.
      Évidemment, en dehors de ce grand praticien, aucun psychanalyste ne cite l’auteur de la TM, tout en sen inspirant, afin de ne pas trop faire plaisir aux miméticiens qui affichent de leur coté leur mépris à l’égard d’une théorie inachevée (et Freud en convenait en parlant de « die Hexe Metapsychologie ») et surtout, pour ne pas risquer de confusion entre le divan et le confessionnal (Dolto en fera également les frais). Hélas, ils ont tort de négliger encore l’hypothèse de Girard sur l’étiologie de l’anorexie : cela viendra, je pense.
      Girard avait fait le choix de se placer en surplomb par rapport aux querelles d’experts, que ce soit en psychanalyse, psychiatrie, mais aussi neurologie, comme une de ses interventions me le laisse penser. Lors du colloque organisé par Oughourlian à l’hôpital américain (25 oct 2007) sur « les neurones miroirs et la théorie mimétique », le site de l’ARM mentionne toujours que son intervention portait sur : « LE DÉSIR MIMÉTIQUE DANS LE MIROIR DES NEUROSCIENCES », alors qu’il n’a pas prononcé un seul mot à ce sujet ! Si je me trompe, ou si ma mémoire est défaillante, merci de me faire parvenir le texte de son intervention, s’il existe: cela m’intéresserait certainement.
      Girard n’a parlé ce jour-là que de « La divine comédie », de Dante. Pourquoi le cacher ? Étonné sur ce mépris ostensible pour cette « grande découverte » qui devait, de l’avis de tous les intervenants, apporter de l’eau à son moulin, je l’ai interrogé à ce sujet, et il m’a confirmé sa méfiance envers cette tentative de récupération de sa théorie par les neurologues, son refus d’apporter sa caution au département de recherche spécialisé qui se mettait alors en place à Stanford, afin de réunir cette découverte et sa théorie. Par ailleurs, Cyrulnik, également intervenant, fit la démonstration de son incompréhension de la TM à cette occasion…
      Si Girard prenait de la distance et de la hauteur, doit-on penser que le site de l’ARM prend résolument position du côté de la « science dure » neurologie (tellement plus prestigieuse…) contre la psychanalyse (tellement critiquable…), en laissant croire à tort que Girard entendait s’engager dans cette guerre picrocholine ? Pour ma part, en saisissant la position surplombante où il se tenait, j’ai réalisé à ce moment-là que le génie de Girard était plus grand que je ne me l’étais représenté. Cette position est aussi celle de l’art et de la littérature, et comme je le crois aussi, lui était permise par sa conversion au catholicisme. J’étais alors, comme tous les participants, assez enthousiaste de cette « découverte scientifique », et bien loin de prévoir sa réaction (consistant à dire, en substance, qu’on n’avait pas besoin de découvrir et d’étudier les neurones miroirs pour comprendre que Dante et tant d’autres savait tout cela depuis fort longtemps, et qu’il aurait suffi de les lire…).
      Ainsi, pour répondre à Hervé et sa définition géométrique du « point de vue » comme paradigme : Girard surplombe à mon avis, et de beaucoup, les controverses psychiatriques et philosophiques. Quant aux points critiques soulevés par Bernard Perret sur sa difficulté à articuler rigoureusement des contradictions internes à ses développements, elles tiennent à mon avis à la nature même de l’objet principal de son attention : le sacrifice, matrice du paradoxe humain. Et je place ici l’eucharistie au même rang que le sacrifice archaïque. Deux entrées, deux points de vue opposées sont également possibles à ce sujet, et finissent par se rejoindre (comme une lecture sacrificielle ou anti-sacrificielle de la Passion, par exemple). Benoit Chantre a parfaitement saisi la question me semble-il :
      « Archaïque », « biblique », « catholique », tels seraient donc les trois actes de l’œuvre désormais formulés, à condition de ne pas entendre le dernier dans un sens confessionnel : la catholicité girardienne est opératoire et non identitaire. Elle se mesure à sa capacité de tenir ensemble les deux modalités du religieux. (RG Biographie, p. 730).
      Les mots « tenir ensemble » sont soulignés par Chantre, et cette idée est reprise tout au long de son ouvrage, elle caractérise la vision girardienne, sa découverte du paradoxe humain. Il serait assez long de développer cette question ici, mais je propose une brève approche topologique afin de mieux la saisir dans ce qu’elle a de surprenant et de tangible à la fois.
      Un ruban de Möbius est constitué d’une bande bilatère (un recto et un verso) qui une fois rejoint par ses extrémités après avoir effectué une demi-torsion ne comporte plus qu’une seule face continue. Sur ce modèle, le sacrifice réunit le pharmakós et le roi sacré, l’agneau pascal et le dieu, le crucifié, mort, et le ressuscité, vivant. Quelle que soit la façon dont on l’envisage, c’est à dire la face sur laquelle on pose son doigt sur le ruban de Möbius, on s’apercevra que les deux faces, apparemment opposées et donc « irréconciliables » ne forment qu’une seule face et un seul bord (un ruban unilatère). On peut aussi tracer un trait sur une face : il finira par rejoindre son origine après avoir parcouru les deux faces, ou encore suivre le bord unique de la bande. Chacun peut réaliser cette expérience surprenante avec une bande de papier et un bout de ruban adhésif. Voilà ; c’est aussi simple que cela ; si l’on veut, mais il faut accepter de le mettre en pratique…

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    2. Chère Christine,
      Votre commentaire invite, comme toujours, à approfondir la réflexion.
      La TM est le prolongement, dites-vous, des trois grands démentis des anciens regards autocentrés qui nous obligent à nous extraire de nous-mêmes, à embrasser le phénomène humain depuis un point de vue extérieur. Il me semble que la TM ajoute une dimension. Le point de vue autocentré équivaut à la méconnaissance girardienne, et Girard constate que cette extraction ne se limite pas à une augmentation de la connaissance ; elle porte en elle-même une boucle de rétroaction, qui agit sur la nature même de l’humain ; elle nous condamne à un saut qualitatif majeur, à l’émergence d’une nouvelle forme d’humanité. Un peu comme le paradoxe de la physique quantique, qui juxtapose deux réalités physiques, l’une décrite par la fonction d’onde, qui s’effondre lorsqu’on la mesure pour céder la place à la matérialité des particules élémentaires (il faudrait seulement inverser la causalité dans mon analogie : le paradigme corpusculaire, l’individu doué de raison, cède la place lorsqu’on le « mesure » à un paradigme de la relation, une « fonction d’onde » unique qui décrit l’ensemble du système). Bref, Girard constate l’impossibilité d’accéder à la connaissance de nous-mêmes sans que cela déclenche une transformation majeure… de nous-mêmes. C’est, me semble-t-il, la dimension apocalyptique de sa pensée, qui distingue la TM des grandes théories que vous mentionnez.

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      1. Cher Hervé, vous dites avec plus de précision et d’éloquence scientifique (un oxymore ?) ce que je pense et n’ai fait que suggérer : la méconnaissance à laquelle nous fait échapper la TM, je pourrais dire : la méconnaissance dont nous délivre la TM, mais non, cette méconnaissance est précieuse et tout à notre avantage, comme le sont les illusions que nous n’avons jamais envie de « perdre », bref, la connaissance de nous-mêmes à laquelle nous fait accéder la « révolution copernicienne » de René Girard n’est pas de l’ordre du savoir, comme celle de la science moderne, mais de l’ordre de la « conversion », c’est-à-dire comme vous le dites, d’une radicale transformation de nous-mêmes. Se découvrir « persécuteur », meurtrier fratricide, c’est autrement secouant que de se figurer parricide, surtout dans un temps, le nôtre, où comme y a insisté Girard, il n’y a plus vraiment de « père », où ce qui reste de la paternité est cet héritage illusoire que se disputent violemment des frères ennemis, des frères qui ne savent pas qu’ils sont frères ou qui refusent de se reconnaître comme tels.

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  6. Je poste à nouveau le commentaire ci-dessous (tentative infructueuse depuis hier 16h53)

    La TM est peu connue et, quand elle l’est, peu considérée dans les sciences humaines, encore maintenant. J’ai pu le constater après avoir lu deux ouvrages récents, très ambitieux, écrits à l’intention d’un public non spécialiste, mais un peu curieux et cultivé : « La symphonie inachevée de Darwin » de Kevin Laland et « Les structures fondamentales des sociétés humaines » de Bernard Lahire. J’ai correspondu avec ces deux auteurs. L’un (Laland) dit ignorer les thèses de RG, l’autre (Lahire) les considère anecdotiques, sans même les citer d’ailleurs. Mais en effet, comment un penseur, vu in fine comme un théologien chrétien, pourrait-il être même simplement considéré et discuté par des auteurs ayant des prétentions scientifiques ? De ce point de vue, je ne constate aucun progrès depuis 45 ans. La seconde raison de ce désintérêt est bien sûr l’étendue du champ couvert par la TM. Nous tombons ici à mon avis sur un pb de concurrence intellectuelle, un conflit de notoriété, pourrait-on dire aussi.

    Maintenant, disons que RG a été assez… parcimonieux dans les considérations épistémologiques sur sa théorie. A ma connaissance, l’essentiel est contenu dans le chapitre « Pour conclure… » de DCC : « …personne ou presque, devant mon hypothèse, ne se demande : « Est-ce que ça marche ? » On m’oppose des objections théoriques et dogmatiques. » (p. 460 chez Grasset). Il me semble qu’il ne va pas bcp plus loin dans tout ce qui suit, même s’il y revient (surtout peut-être dans ses écrits anglais traduits et rassemblés dans « La voix méconnue du réel » en 2002). Je constate cependant que Girard a consacré bcp de lignes à tenter de réfuter les deux courants qui dominaient puissamment le champ des sciences de l’homme à l’époque où il exposait sa théorie, à savoir la psychanalyse et le structuralisme. Pouvait-il faire autrement ? Sans doute pas. Depuis lors, les sciences sociales s’appuient de plus en plus sur des données tirées de l’éthologie et des neurosciences (les deux livres cités plus haut sont exemplaires de ce point de vue). Mais je ne demande qu’à être détrompé, n’étant certainement pas le meilleur connaisseur des ouvrages de RG (je n’ai pas encore lu la biographie monumentale de Benoît Chantre).

    Sur l’application du principe de parcimonie, aussi appelé rasoir d’Occam, j’ai déjà indiqué dans plusieurs commentaires qu’il me paraissait s’appliquer parfaitement à la TM. Je ne pense pas qu’il s’oppose au principe de réfutabilité empirique (ou falsifiabilité) de Karl Popper, qui est très utile dans les sciences expérimentales, mais peu voire pas du tout, dans les sciences humaines ou sociales qui ne sont pas réfutables empiriquement. Girard à nouveau, dans l’introduction de La voix méconnue… : « Les disciplines qui n’ont pas de statut scientifique, les sciences de l’homme et de la société, ne peuvent pas se passer d’hypothèse théorique. »

    Ma réponse à Hervé qui sollicite les avis : « le paradigme girardien est-il un de ces points de vue inédits sur le monde, un endroit de la passerelle où jamais personne ne s’est tenu, qui change en profondeur notre perception du réel ? » Pour moi, oui absolument. Elle est comparable à la révolution copernicienne qui cessait de mettre l’homme au centre de la création, elle est comparable à la théorie de l’évolution des espèces de Darwin, qui rompait avec le fixisme, et nous obligeait à une vision dynamique de l’humanité. Voilà le type de changements paradigmatiques dont je la rapprocherais.

    Pour conclure ce commentaire, je voudrais simplement revenir sur une perception de la TM que j’ai évoquée il y a peu et qui m’est tout-à-fait personnelle : sa beauté (peu d’hypothèses, pouvoir explicatif immense). Je la compare à l’élégance d’une démonstration mathématique, cette élégance qui la fait préférer à d’autres démonstrations plus laborieuses, même si elles aboutissent au même résultat.
    C. Julien

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  7. Décidément, Hervé, vous raffolez des métaphores ! La dualité onde-corpuscule et la dualité individu-relation, c’est très poétique ! Vous dites « impossibilité d’accéder à la connaissance de nous-mêmes sans que cela déclenche une transformation majeure… de nous-mêmes. » Girard balaie l’argument d’un revers de main (DCC, p. 460) : « C’est le vieil argument de l’œil qui ne peut se regarder lui-même, etc. ». A moins de pratiquer une énucléation, bien sûr…
    J’espère que je ne vous offense pas en prenant ce ton badin, c’est mon humeur du moment…
    Mais, et je redeviens grave et sérieux, j’exhorte tous les girardiens du blog à relire cette pg. 460 de DCC où RG aborde très directement la question méthodologique, cad le statut épistémologique, de son œuvre. J’ai constaté en lisant les commentaires sur votre beau papier qu’ils portent tous bcp plus sur le contenu que sur la méthode de la TM, ce qui n’est pas l’objet de votre billet, n’est-ce pas ?

    Bonne Année à vous et aux girardiens

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    1. Je ne veux pas vous répondre, Claude Julien, à la place d’Hervé mais il me semble que ce billet traite du « paradigme » de la TM. Et c’est le paradigme, dans le sens ici d’une intuition puissante ou d’un point de vue radicalement nouveau, qui détermine l’emploi de telle ou telle méthode.
      Si je puis me permettre, ce n’est d’ailleurs pas sa méthode ( comparative, hypothétique etc. ) qui constitue le « scandale Girard », l’obstacle insurmontable à sa réception universitaire, c’est son caractère « apocalyptique »; le fait que l’intuition girardienne soit tributaire de la Révélation ou, si l’on préfère de quelque chose comme une révélation, qu’elle soit romanesque ou biblique. De toutes façons, cela revient au même : la structure des grands romans est chrétienne. Cette découverte d’un jeune professeur de littérature qui se croyait sartrien nous est racontée par Benoît Chantre, c’est passionnant mais on comprend aussi qu’avec un tel point de départ, ce sera un tour de force de la part de Girard d’obtenir le label « scientifique » pour l’anthropologie qu’il va construire.

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      1. Je ne peux pas vous répondre puisque j’essaie tant bien que mal de respecter la règle que je me suis fixée : ne pas répondre ou commenter les messages anonymes. Je me bornerai donc à vous inviter à lire la réponse que j’ai faite au dernier commentaire de Christine Orsini.

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  8. Hervé a « liké » votre commentaire, Monsieur Julien, au moment où je faisais partir le mien, qui s’est perdu en route. Je résume quand même ma position : il m’a semblé que votre insistance sur des questions de méthode, à quoi vous voudriez réduire l’épistémologie, allait à l’encontre de la réflexion d’Hervé sur le « paradigme girardien ». Celui-ci, défini avec votre accord comme « un point de vue inédit sur le monde humain », assimilé par vous à une « révolution copernicienne », dépend plus d’une intuition que d’une méthode. Hervé le dit explicitement dans son billet, c’est l’intuition ou l’hypothèse qui commande le choix de la méthode et Girard lui-même en a adopté plusieurs selon l’objet étudié ; y compris la démarche de l’enquêteur de police qui doit interpréter les traces laissées sur une scène de crime !
    A la page 461 des « Choses cachées », il écrit : « Il y a des gens qui ne comprennent pas qu’on soit amené à violer certains tabous de la pensée actuelle; ils ne voient pas que dans la recherche, tout doit être subordonné aux résultats. » Ce sont bien les résultats de la recherche girardienne qui ont été l’objet de ce billet et des commentaires qu’il a suscités. Mais, vous avez raison, le scandale suscité par les thèses girardiennes peut concerner aussi la démarche ; en particulier celle qui consiste à présenter l’hypothèse de la victime émissaire à la fois comme une hypothèse scientifique et comme une révélation biblique. Pour Girard, il n’y a là aucune contradiction puisque « le surgissement de cette hypothèse est le fait d’une histoire gouvernée par ce texte. » Mais il est là et bien là, à mon avis ou plutôt de l’avis des universitaires allergiques à Girard, le scandale épistémologique !

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    1. Entendu pour ne pas réduire l’épistémologie à la méthodologie. Pas de querelle sémantique inutile.
      Mais ne voyez-vous pas que nous sommes entièrement d’accord lorsque vous citez Girard : «…le surgissement de cette hypothèse est le fait d’une histoire gouvernée par le texte où figure l’hypothèse elle-même dans sa formulation originelle… ». C’est ce point de vue que j’ai défendu dans mon précédent billet : pas de science sans révélation christique. Manifestement, mon exposé était maladroit et peu convaincant.
      Pourquoi alors cette résistance extraordinaire des spécialistes contemporains des sciences sociales à accepter cette idée finalement très simple ? Girard répond (DCC p. 248) : « Par un paradoxe inouï […], la lecture sacrificielle refait du mécanisme révélé – et donc nécessairement anéanti, si cette révélation était vraiment assumée – une espèce de fondement sacrificiel et culturel. C’est sur ce fondement qu’ont reposé jusqu’ici la « chrétienté », et le monde moderne. »
      En somme, le christianisme historique est une religion sacrificielle PRESQUE comme les autres. La révélation est dans le PRESQUE. C’est cette révélation toujours méconnue qui a rendu et rend encore le christianisme et son église haïssables, au mieux méprisables.
      Vous me pardonnerez j’espère, de citer à nouveau Ellul et Kierkegaard (je l’avais déjà fait à propos d’un de vos billets, je crois) :
      Kierkegaard : « Jamais, pas plus aujourd’hui qu’en l’an 30, la révélation chrétienne ne peut plaire à l’homme : le christianisme a toujours été pour lui au fond de son cœur un ennemi mortel. Aussi l’histoire témoigne-t-elle que de génération en génération existe une classe sociale hautement respectée (les prêtres) dont le métier consiste à faire du christianisme exactement le contraire de ce qu’il est. »
      Ellul : « Le christianisme est la pire trahison du Christ. »
      Mais je préfère conclure avec cette phrase qui touche mon esprit et mon coeur : « Il me semble toujours que si j’arrivais à communiquer l’évidence de certaines lectures, les conclusions qui s’imposent à moi s’imposeraient aussi autour de moi. » (DCC p. 468).

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      1. Vous me pardonnerez, j’espère, de revenir encore sur mon langage parabolique, et de reprendre à mon compte la dernière citation de Girard que vous mentionnez. Si le christianisme est encore ce que Kierkegaard et Ellul en disaient, c’est parce que les fondateurs du christianisme, St Paul en tête, Pierre, Luc, Jean et consorts, l’ont voulu ainsi. Parce qu’entre les versets qui exposent la violence sacrificielle, les passages abondent qui semblent renier cette révélation et revenir aux anciennes recettes. C’est, entre autres, Hébreux et sa dérangeante interprétation sacerdotale de la croix. Il n’y a là, contrairement à ce qu’en dit l’exégèse moderne, aucune hésitation névrotique entre l’ancienne et la nouvelle Alliance, mais un double langage voulu et assumé. Nous n’avons trahi personne. Tout doit venir en son temps, et le temps du déblocage final du texte porte des noms effrayants, fin du monde, Armageddon, apocalypse.
        J’aurai l’occasion d’approfondir ce sujet lors des deux conférences que j’y consacre, en mars et en avril prochains.

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      2. « Ce qui détourne de nombreux philosophes de ma théorie réside précisément en ce point : la dépendance de la culture à l’égard du religieux, du mécanisme émissaire, qui est à la fois contingent et nécessaire. Les scien-tifiques, de leur côté, critiquent le caractère philosophique de ce saut, trop complexe pour être prouvé. C’est là tout le paradoxe des discussions dans lesquelles je me trouve impliqué : les philosophes ont du mal à croire aux « faits », et les scientifiques, le plus souvent, ne voient pas l’intérêt de passer du physique au symbolique » . (Girard, Les origines de la culture 2004) p.146

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      3. Cher Claude Julien, je vous lis attentivement et avec plaisir, même quand je ne suis pas d’accord avec vous. Et je sais bien que nous sommes d’accord sur l’essentiel et que vous pensez comme René Girard, que la Révélation a rendu possibles les différentes révolutions scientifiques des temps modernes. Par contre, je ne partage pas vraiment votre idée que le christianisme historique serait haïssable ou méprisable. Je suis plus profondément d’accord avec Kierkegaard, pour qui c’est la Révélation elle-même qui passe pour haïssable et méprisable aux yeux et au cœur de l’humanité telle qu’elle est, en termes girardiens, telle qu’elle a été forgée par le mécanisme victimaire. Et les « vrais chrétiens », des personnes aspirant à la sainteté, évidemment, c’est plutôt rare.
        Je me suis amusée de la coïncidence de ma réaction à votre commentaire avec celle d’un « Anonyme » : nous disons exactement la même chose; et puis je me suis souvenue ; ce commentaire « anonyme » est le mien, celui que j’ai cru perdu un soir avant d’en refaire un autre le lendemain, qui sera finalement plus long que le premier.
        Et, à ce sujet, pour ce qui est de l’anonymat, il peut arriver sur ce blogue qu’il soit moins choisi que subi : quand j’envoie un commentaire à partir de mon téléphone, par exemple, je ne suis pas « reconnue », il part comme « anonyme ». Et aussi, je ne peux plus « liker » aucun commentaire, ça ne marche pas, sauf si c’est un « billet », là ça marche. Voilà, tout ça relève plus de l’ordre d’un petit dysfonctionnement que de l’ordre du malentendu.

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  9. @Hervé. Je sais que vous croyez que les apôtres (par la grâce de l’Esprit Saint ?) ont tout prévu du devenir de la Révélation. Pas plus que la fois précédente, je n’essaierai de vous convaincre que vous vous trompez. Simplement, je n’y crois pas. Et n’essayez pas de me convaincre que j’ai tort. Pas plus qu’on ne peut convaincre un croyant, on ne peut convaincre un athée ! Mais je suis agnostique de raison et je n’interprète pas la dernière citation de Girard comme vous. Pour moi, elle s’adresse à ma raison, mais comme je l’ai écrit, elle m’émeut, car j’y vois aussi un mouvement d’amitié, comme une main tendue vers le lecteur pour l’aider dans sa compréhension…
    @Benoît. « La théorie mimétique est, entre autres choses, une genèse des grandes institutions culturelles à partir des sacrifices rituels, cohérente dans un cadre darwinien. » (RG, Les origines… p. 145). J’ai tenté d’actualiser cet aspect fondamental de la TM dans mon papier sur l’hominisation. Pardon si ça vous paraît prétentieux, mais 45 ans après sa présentation, il y avait peut-être des choses à dire.

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    1. Claude,
      J’aimerais lever un malentendu, si toutefois il y en a un. Ma foi chrétienne n’a pas grand chose à voir avec ce que j’affirme : la pleine connaissance de notre nature humaine par les auteurs de la Bible, en particulier de la violence. J’invoque seulement la raison pour défendre ce point de vue marginal (pour dire le moins). Les apôtres et plus généralement les prophètes bibliques témoignent de cette connaissance, voilà le fait devant lequel Girard nous met. C’est cette connaissance qui leur permet, en effet, de prévoir un moment particulier de notre évolution (culturelle) : le moment où la méconnaissance girardienne s’effondre et les conséquences cataclysmiques de cette mise au jour des structures violentes du monde. Cet exercice ne leur est pas si difficile, puisque tous, sans exception, témoignent de ce moment dans leur vie personnelle. Les prophètes ne parlent que de ce qu’ils connaissent, parce qu’ils l’ont vécu. Vous voyez à quel point toute pensée magique est absente de cette thèse.
      Vous placez le débat au niveau de la foi, auquel cas on croit et c’est vrai, ou on ne croit pas et c’est faux ; aucun débat possible ! J’essaye de le placer au niveau de la raison, auquel cas la réfutation de la thèse demande un minimum d’argumentation. Viendrez-vous me rejoindre en ce lieu ?

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  10. Hervé,
    Je ne sais que dire de plus que ce que j’ai déjà dit plusieurs fois. Vous protestez de votre « innocence » au regard de la raison en prêtant aux apôtres un savoir complet et parfait du processus victimaire, connaissance dont ils savent que la transmission aux autres hommes sera différée. Vous dites même qu’ils veulent qu’il en soit ainsi (votre première réponse) ! Reconnaissez que pour un mécréant comme moi, c’est dur à avaler (pardon pour la trivialité de l’expression). Les pèlerins d’Emmaüs eux aussi ont vécu le procès et la mise à mort de Jésus (Lc, 24, 13-27). Ils quittent Jérusalem « comme les autres disciples, découragés et démoralisés » (DCC, p. 302). En principe, ils ne témoigneront de rien, mais Jésus ressuscité leur apparaît. A contrario, Paul qui n’a pas vécu les évènements, et donc ne peut témoigner de rien déclare (Ga, 1, 11-12) : « Je vous le déclare, frères et sœurs : l’Évangile que j’ai annoncé ne vient pas de l’homme ; En effet, je ne l’ai moi-même ni reçu ni appris d’un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ. » Si ce ne sont pas des actes de foi, alors…

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  11. Je complète la réponse (en attente de modération) que j’ai faite à la vôtre ci-dessus.
    La Raison et la Foi. J’ai risqué la métaphore des deux droites parallèles, qui se croisent à l’infini avez-vous ajouté (dans une géométrie non euclidienne, d’ailleurs). Pour élargir le propos : la science d’une part et d’autre part, les croyances, les opinions, les convictions irraisonnées, les biais cognitifs, etc. Le seul point commun à tout ça finalement, ce sont les neurones ! Les personnes en déficit cognitif grave (maladies neurodégénératives, démences vasculaires) ne croient plus à rien. J’ai pu le constater dans mon entourage proche et moins proche, comme bcp de contributeurs du blog j’imagine, compte tenu de notre moyenne d’âge (pour ce que j’en sais)…

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    1. Claude,

      Je n’ai aucun mal à reconnaître que cette hypothèse d’une « révélation différée » est dure à avaler. Mais ce n’est pas un argument ! Vous opposez à ma lecture des textes toutes les idées reçues sur la Bible, tant du côté croyant qu’athée d’ailleurs, comme si ces dogmes (pour ou contre, ce sont des dogmes) étaient incritiquables. D’autre part, vous faites l’amalgame entre croyances, biais cognitifs, etc, soit encore pensée irrationnelle, et la foi, dont l’église a assez proclamé la compatibilité avec la raison. Le fait que cette tendance à l’irrationnel existe dans les religions n’est pas un argument non plus ! J’ai suffisamment exposé mes arguments dans les nombreuses interprétations de textes que j’ai postées, entre autres, sur ce blog. A ceux-ci, vous ne répondez pas. C’est sur ce terrain-là que je vous invitais !
      Vous confondez aussi le témoignage sur la vie de Jésus et le phénomène dont je parle. La conversion de Paul en est exemplaire. C’est en se reconnaissant persécuteur qu’il accède à cette connaissance ; cette épiphanie n’a pas besoin d’une proximité physique avec le Christ. Heureusement d’ailleurs, parce que pour nous cela serait difficile.

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      1. Mais Hervé, je me fonde uniquement sur les textes, pas sur des idées reçues sur les textes. Lesquelles d’ailleurs ? Je ne les connais pas. Je ne suis pas un exégète, encore moins un théologien.
        Je retire l’amalgame, je comprends que ça vous heurte. J’ai rappelé la métaphore des droites qui exprime que la science et la foi ne sont pas incompatibles puisqu’elles cheminent en parallèle.
        J’ai parlé de Paul simplement pour répondre à votre argument : « Cet exercice ne leur est pas si difficile [aux apôtres], puisque tous, sans exception, témoignent de ce moment dans leur vie personnelle. Les prophètes ne parlent que de ce qu’ils connaissent, parce qu’ils l’ont vécu. » Paul n’a pas connu Jésus et il n’a pas assisté à la Passion, donc il ne peut témoigner de rien. Voilà pourquoi je le mentionne, en dehors de son rôle essentiel dans « l’invention du christianisme ».
        Sur la tendance à l’irrationnel dans les religions, y compris le christianisme sacrificiel, cad le christianisme tel qu’il s’est manifesté dans l’histoire, je suis bien d’accord avec vous. Seule compte pour moi l’innocence de Jésus, ou la certitude qu’ont ses disciples de son innocence, ce qui au fond revient au même. C’est cette certitude qu’ils vont annoncer au monde et qui va le changer.
        En fait, ce qui nous sépare, c’est que vous pouvez sans peine vous mettre sur le terrain scientifique, alors que je ne peux pas me mettre sur le terrain de la foi, n’ayant pas l’intuition de la transcendance. Mais, je vous en prie, ne vous mettez pas en colère. Nous ne sommes pas dans un affrontement (nécessairement mimétique !).
        Pour finir, j’aimerais profiter de notre petite polémique pour dire ici que j’apprécie bcp d’être mieux que toléré, encouragé, sur ce blog, bien qu’ayant déclaré assez tôt mon incroyance. Les croyants qui ont créé et font vivre le blog sont des gens plus qu’estimables et dont, si je les connaissais personnellement, je rechercherais sans doute l’amitié.

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      2. Claude,
        Nous voilà d’accord sur presque tout, et je m’en réjouis. Je me permets d’insister seulement sur votre argument : St Paul n’a pas connu Jésus, donc il ne peut témoigner de rien. C’est là que se situe le cliché. Rencontrer le Christ n’a rien à voir avec lui serrer la main. Paul témoigne bien de ce qu’il a vécu : une prise de conscience soudaine de sa nature persécutrice, par la Parole qu’il combattait avec tant de zèle. Bien sûr que Paul peut témoigner ! Et chacun de nous, athée ou croyant, chrétien ou pas, peut témoigner de la même façon à la condition unique d’avoir vécu ce « retournement », d’avoir reconnu la victime.

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  12. Oui en effet, nous sommes presque d’accord sur tout. J’entendais le verbe « témoigner » quasiment au sens juridique du terme… Qaunt à moi, je témoigne comme je peux, mais moins que vous bien sûr qui êtes engagé dans une cause importante (la visite des prisonniers). Amicalement, donc. Claude

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