La violence aujourd’hui : lecture comparée de Jacques Ellul et René Girard 

Après avoir remarqué que la comparaison entre ces deux auteurs se justifie pleinement par le respect et même l’inspiration réciproque qu’ils ont ouvertement reconnu, il s’agira de constater la définition semblable qu’ils ont de la nature de la violence ainsi que de ses caractéristiques spécifiquement contemporaines. En effet, ces deux penseurs reconnaissent que la continuité, la réciprocité, l’identité, le mensonge et la tentative de justification caractériseront toujours la violence. Ils démontrent également que la spécificité de la violence contemporaine se situe dans sa massification : elle n’est pas proportionnellement plus grande que dans les sociétés précédentes mais elle se manifeste dans des phénomènes plus globaux et moins individuels.

À partir d’un tel constat, la recherche se focalisera sur l’origine d’une telle massification à travers l’étude successive de deux pistes historiques : une évolution des conditions matérielles et une évolution de la vie spirituelle.

La piste matérielle montrera que, aux yeux de Jacques Ellul comme à ceux de René Girard, le développement de la technique joue un rôle fondamental dans la massification de la violence. Pourtant cette explication seule reste insatisfaisante, dans la mesure où elle ne permet pas de comprendre pourquoi les violences individuelles ont pu quant à elles diminuer.

La piste spirituelle nous montrera alors que les deux penseurs identifient la Révélation Chrétienne comme étant à l’origine de la diminution des violences individuelles. L’effet de cette Révélation serait même bien plus considérable puisqu’elle se trouverait aussi, par la désacralisation qu’elle produit de la Nature, à l’origine du développement du phénomène technique lui-même.

C’est à ce moment de la réflexion qu’il sera néanmoins possible d’identifier une différence majeure quant à la conception de l’histoire de la Révélation, entre Jacques Ellul le protestant et René Girard le catholique. Si le premier considère l’histoire comme un processus de trahison toujours plus important du Christianisme, le second voit dans nos évolutions une prise de conscience de plus en plus fondamentale de la Vérité.

Cette réflexion sur la réception de la Révélation sera alors l’occasion de terminer la recherche par une tentative de prospective quant aux évolutions futures de la violence. Elle se fera par l’intermédiaire de la notion d’Apocalypse, puisque pour les deux auteurs cette notion désigne avant tout le moment où les choix humains amènent l’histoire à son terme et conduisent à une Révélation totale de la Vérité. Ainsi l’article constatera que, pour Jacques Ellul comme pour René Girard, l’avenir est en balance. Il peut mener à la violence absolue si l’humanité choisit la voie de la puissance avec la technique, tout comme au renoncement complet à la violence si l’humanité choisit la voie de la Charité avec la Révélation. Une chose reste cependant certaine : l’avenir nous met face à un choix radical auquel il est impossible d’échapper !

3 réflexions sur « La violence aujourd’hui : lecture comparée de Jacques Ellul et René Girard  »

  1. Merci, Jean-Louis, pour cette « découverte », une double découverte : d’abord celle d’un jeune chercheur girardien et puis celle d’une certaine parenté entre la pensée de Jacques Ellul et la pensée de René Girard. Nous sommes certainement nombreux à avoir méconnu l’importance, en quantité de livres et en qualité de la réflexion de l’œuvre écrite de Jacques Ellul et encore plus nombreux, j’imagine, à avoir ignoré que René Girard, tout en distinguant leur domaine respectif (le moderne pour l’un et l’archaïque pour l’autre) avait un jour reconnu cette parenté ; on est heureux quand la famille s’agrandit !

    L’auteur de ce rapprochement, Julien Lyssenco, s’est concentré sur l’évolution et la prise de conscience de la violence et le rôle du christianisme dans cette évolution. Pour Girard, on sait ce qu’il en est. Pour Ellul, la technique ou plutôt le sacré transféré à la technique, est la principale cause de l’évolution des rapports de violence, de leur « massification » et de l’apparition de formes nouvelles : le « terrorisme feutré de la technologie », par exemple. J’ai trouvé très pertinente l’idée selon laquelle la technique aurait remplacé la religion en tant que « milieu » humain : l’homme ne pouvant vivre sans sacré, « il reporte son sens du sacré sur cela qui a détruit tout ce qui en était l’objet : sur la technique. » La technique révèle la même ambivalence que le sacré, elle est « le dieu qui sauve » tout en faisant peser une menace de mort sur la planète et ses habitants.

    Cependant, à lire cette analyse, il m’est apparu que sur le chapitre de la violence, les différences d’approche entre le sociologue et l’anthropologue sont plus déterminantes que leur point de vue religieux (protestant pour l’un, catholique pour l’autre). En sociologue, Jacques Ellul traite de la violence sous les différentes formes qu’elle peut prendre dans une civilisation moderne. En anthropologue, René Girard ne s’intéresse pas à des violences particulières mais à la violence essentielle, la « guerre de tous contre tous ». Dans le moment où les sciences de l’homme collaborent à un approfondissement de notre lucidité, pour parler comme Ellul, René Girard, inspiré par les poètes, de Sophocle à Shakespeare jusqu’à Proust, construit une théorie morphogénétique de la culture et a l’audace d’en attribuer la véritable paternité à la Bible et particulièrement aux Evangiles.

    L’ampleur et la profondeur de ce travail de dévoilement des « choses cachées » ne font pas de Girard un « essayiste » comparable aux autres, même aux meilleurs d’entre eux. Et à mon avis, ce n’est pas parce qu’il est catholique que Girard ne condamne pas l’Eglise comme le fait Ellul, inspiré par Kierkegaard (le christianisme serait la pire trahison du message évangélique), c’est par une lucidité supérieure empruntée aux textes fondateurs et à la grande littérature.

    Aimé par 3 personnes

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire bienveillant. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour considérer que l’appartenance au protestantisme ou au catholicisme n’est pas à l’origine des divergences intellectuelles entre J. Ellul et R. Girard. Cette différence dans le choix de leur confession religieuse paraît plutôt être une conséquence de ces divergences, mais une conséquence qui me semblait bien les refléter et les résumer.

      Aimé par 2 personnes

  2. La critique de la technique, ou plus précisément (parce que « la critique de la technique », cela ne veut strictement rien dire) de la dérive technologique : de ce pli mortifère dont chacun peut désormais reconnaitre les conséquences et les abus, est commune à de nombreux auteurs. Chacun développe un point de vue différent : Jünger, Heidegger, Bernanos, Illich, Dupuy… et bien sûr Girard. Mais il me semble que pour ce dernier, elle se limite, ou se concentre sur « la bombe ». Elle serait une résurgence des dieux de la violence, réclamant leur lot de victimes ou d’offrandes sous la menace de provoquer une catastrophe absolue. « La bombe » nous domine en quelque sorte à la façon des dieux archaïques, elle nous emprisonne bien plus surement que les smartphones, par exemple. La liaison avec l’appréhension particulière de l’apocalypse par Girard est à ce titre très différente, me semble-il de celle d’Ellul (mais je l’ai lu trop partiellement et distraitement pour l’affirmer, je trouve sa lecture trop ésotérique à mon gout, je l’avoue).

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire