St Paul, influenceur avant l’heure ?

par Hervé van Baren

Le texte qui suit est une réflexion inspirée par le récent article publié sur notre blogue, La dépossession de soi1, et plus particulièrement par la vidéo Influenceuse2 qui l’accompagne.

Tout au long de ses épîtres St Paul nous exhorte à la dépossession, à abandonner tout individualisme pour nous fondre en Christ, à imiter Jésus-Christ, à dépasser les différences, à troquer la loi pour l’Esprit. Voici quelques exemples de tels versets :

Avec le Christ, je suis un crucifié ; 20je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. (Galates 2, 19-20)

19Car moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu. (Galates 2, 19)

16Nous savons cependant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ.

28Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.(Galates 3, 16 ; 28)

6Et vous, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, accueillant la Parole en pleine détresse, avec la joie de l’Esprit Saint : 7ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et d’Achaïe. (1 Thessaloniciens 1)

Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; 3ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. (Philippiens 2, 2-3)

Si j’insiste sur ces thèmes ramenant tous, d’après St Paul, à un objectif unique, le salut, c’est qu’ils présentent des similitudes troublantes avec le film Influenceuse. Après tout, Lola, le personnage principal de l’histoire, s’est oubliée elle-même dans l’imitation de son modèle, l’influenceuse. Elle n’accepte plus l’autorité paternelle. Elle semble avoir suivi à la lettre les recommandations de St Paul, avec le résultat tragique qu’on a vu.

Bien sûr, les différences sont significatives. Sa liberté n’est pas conquise mais plutôt subie, sa mère disparue et son père laxiste ne lui offrant plus le cadre dont elle a besoin. Son modèle n’a rien d’une figure christique. On pourrait en conclure qu’il n’y a rien de commun entre les recommandations de St Paul et l’histoire qui nous est racontée dans le film.

Pourtant, on peut se demander si St Paul ne nous montre pas les deux faces de l’imitation, s’il n’écrit pas en connaissance de cause des dangers inhérents à l’imitation d’un modèle, aussi saint soit-il. Ce risque, n’est-il pas amplement prouvé par les mauvais usages qu’on a pu faire de ses conseils ? Au nom de ces versets, combien de dérives sectaires, combien de névroses ? Nietzsche n’avait-il pas quelques raisons de dénoncer la morale d’esclave et le ressentiment qui en découle ?

Supposons que St Paul soit parfaitement conscient de ce risque de dérive. Cela ne donnerait-il pas un sens nouveau à certains versets, dans lesquels St Paul se décrit comme opprimé, victime de la méchanceté de ses ennemis, injustement traité ?

Notons en premier lieu que les versets que j’ai cités sont, à cet égard, ambigus. Nous supposons que Paul ne nous parle que de la bonne imitation, que ses conseils ne peuvent être que des incitations positives. Cependant, il est tout aussi possible de les lire comme des avertissements.

Cette hypothèse revient à reconnaître dans les épîtres un langage inconnu, une narration qui emprunte les codes de la comédie humaine pour nous faire sortir de l’illusion, nous permettre le recul nécessaire pour accéder à une vue objective, consciente. Autrement dit, raconter une histoire, comme le fait le film Influenceuse.

Un chapitre de la première épître aux Corinthiens pousse la tension entre la lecture traditionnelle et cette lecture « retournée » à son paroxysme. Le chapitre 93 peut en effet être lu comme l’expression des motifs poussant Paul à prêcher la Parole du Christ mais aussi comme le plaidoyer anxieux d’un imitateur au sens du film Influenceuse. Avec cette clé de lecture, le narrateur ressemble à ces ados en recherche désespérée de reconnaissance sur les réseaux sociaux :

1Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur ? N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur ? 2Si pour d’autres, je ne suis pas apôtre, pour vous au moins je le suis ; car le sceau de mon apostolat, c’est vous qui l’êtes, dans le Seigneur.

Au verset 3, il confirme cette attitude défensive :

3Ma défense contre mes accusateurs, la voici : […]

La suite semble motivée par la jalousie, le narrateur s’indignant longuement des privilèges dont ses « rivaux » apôtres semblent bénéficier, alors que lui et son compagnon en sont privés :

4N’aurions-nous pas le droit de manger et de boire ? 5N’aurions-nous pas le droit d’emmener avec nous une femme chrétienne comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas ? 6Moi seul et Barnabas n’aurions-nous pas le droit d’être dispensés de travailler ?

Le langage du narrateur traduit la névrose lorsqu’il commence par justifier laborieusement ces droits qu’il revendique et dont la privation semble être pour lui source de souffrance :

9En effet, il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain. Dieu s’inquiète-t-il des bœufs ? 10N’est-ce pas pour nous seuls qu’il parle ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit ; car il faut de l’espoir chez celui qui laboure, et celui qui foule le grain doit avoir l’espoir d’en recevoir sa part.

Mais immédiatement après cette complainte vient la prétention orgueilleuse d’y renoncer volontairement :

12Si d’autres exercent ce droit sur vous, pourquoi pas nous à plus forte raison ? Cependant, nous n’avons pas usé de ce droit. Nous supportons tout, au contraire, pour ne créer aucun obstacle à l’Evangile du Christ.

 On pense au renard de La Fontaine :

Le galand en eut fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait point atteindre :
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre?

Du pain bénit pour Nietzsche et son ressentiment !

On peut se demander si ses motifs apostoliques sont aussi désintéressés qu’il le prétend :

…malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! (v. 16)

Le verset 19 fait un étrange éloge de la liberté, surtout lorsqu’apparaît la ressemblance entre l’état d’esprit du narrateur et l’obsession du nombre de « like » dans la compétition pour la gloire sur les réseaux sociaux :

19[…] libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre.

Dans la suite, le narrateur se décrit comme un caméléon imitant tout le monde pour « gagner » le plus possible de gens à sa cause (v. 20-22). Le labeur n’est pas gratuit, il vise une rémunération précise :

23Et tout cela, je le fais à cause de l’Evangile, afin d’y avoir part.

Tout cela se déroule dans une atmosphère de compétition impitoyable :

24Ne savez-vous pas que les coureurs, dans le stade, courent tous, mais qu’un seul gagne le prix ? Courez donc de manière à le remporter.

Le dernier verset dévoile le moteur profond de ces comportements névrotiques, la peur d’être déclassé :

27Mais je traite durement mon corps et le tiens assujetti, de peur qu’après avoir proclamé le message aux autres, je ne sois moi-même éliminé.

Lire ces versets comme des conseils avisés, l’invitation à une imitation positive, reste possible et même souhaitable. Cependant, pouvons-nous ne pas relever l’ambiguïté du propos, la présence simultanée d’une mise en garde contre les dangers de la mauvaise imitation ? Je laisse la réponse à la liberté du lecteur ou de la lectrice. Je me contenterai de noter, pour ma part, que ces versets pourraient servir de vade-mecum à toute personne désireuse de devenir une star sur YouTube, Instagram ou TikTok. Vous avez dit prophète ?

1https://emissaire.blog/2021/05/13/la-depossession-de-soi/

2https://www.youtube.com/watch?v=utkuLf8mE6k&t=1353s

3https://lire.la-bible.net/79/lecture/chapitres/traductions/1%20corinthiens/chapitre9/verset1/TOB

Toutes les traductions proviennent de la TOB.

19 réflexions sur « St Paul, influenceur avant l’heure ? »

  1. Peter Thiel fût élève de Girard et de Jean-Pierre Dupuy, et a parfaitement compris quel bénéfice il pourrait tirer de l’intuition mimétique :
    « Jean-Pierre Dupuy aurait beaucoup à raconter, il a lui-même eu Peter Thiel dans ses cours tout comme Elon Musk et d’autres acteurs de la Silicon Valley… Le mimétisme, pilier de la pensée de René Girard, correspond-il vraiment à un levier de croissance des réseaux sociaux ? A regarder Instagram et les likes de Facebook de plus près, on ne peut que souligner l’évidence de la dynamique qui repose sur des caractéristiques mimétiques terriblement humaines. Il sourit : « Je ne rends pas René Girard responsable de Facebook par ses idées. Il n’a fait que proposer une théorie de ce qui existe depuis le début de l’humanité, mais il est intéressant de voir le lien, le chaînon, entre la théorie girardienne et ce que sont les réseaux sociaux aujourd’hui. » Quoi de plus signifiants que ces likes qui ressemblent aux désirs exacerbés d’une foule. »

    L’ambivalence réside donc dans la dissimulation, inconsciente ou voulue, de l’origine du phénomène de la révélation, risquant de prendre la conséquence pour l’origine, si nous omettons de la reconnaître pour ce qu’elle est, se reconnaitre au premier chef comme persécuteur, entendant avec Saül la voix qui le fit chuter au baptême qui le nomma Paul.
    Sinon, et les nouveaux Molochs des GAFAM en témoignent, un nouveau cycle mimétique de reconstruction mythologique se reconstitue sur une pierre menteuse et tueuse, faisant de son identité un nouveau mythe qui ne pourra se constituer qu’en expulsant, avec des tombereaux de victimes, la vérité révélée.
    Nous avons donc avec Girard la possibilité de définir la foi non plus comme un pari, mais comme un choix, où notre identité ne se définit plus par l’expulsion de notre vice sur l’autre désigné coupable, mais sur notre capacité mutuelle à se reconnaître persécuteurs les uns des autres, faisant de cette prise de conscience, sachant désormais ce que nous faisons, le fondement d’un avenir viable qui échapperait au pouvoir et à l’avoir, le vrai sens de la résurrection, ce ne sont pas nos petites personnes qui sont éternelles, bien qu’elles soient indispensables à la transmission de la parole de vie, nous associant alors à son éternité :

    « Mais alors qu’advient-il pour nous ? Paul répond: «Vous ne faites plus qu’un dans le Christ» (Ga 3, 28). Non pas une seule chose, mais un, un unique, un unique sujet nouveau. Cette libération de notre moi de son isolement, le fait de se trouver dans un nouveau sujet, revient à se trouver dans l’immensité de Dieu et à être entraînés dans une vie qui est dès maintenant sortie du contexte du «meurs et deviens». La grande explosion de la résurrection nous a saisis dans le Baptême pour nous attirer. Ainsi nous sommes associés à une nouvelle dimension de la vie dans laquelle nous sommes déjà en quelque sorte introduits, au milieu des tribulations de notre temps. Vivre sa vie comme une entrée continuelle dans cet espace ouvert : telle est la signification essentielle de l’être baptisé, de l’être chrétien. Telle est la joie de la Veillée pascale. La résurrection n’est pas passée, la résurrection nous a rejoints et saisis. Nous nous accrochons à elle, c’est-à-dire au Christ ressuscité, et nous savons que Lui nous tient solidement, même quand nos mains faiblissent. Nous nous accrochons à sa main, et ainsi nous nous tenons la main les uns des autres, nous devenons un unique sujet, et pas seulement une seule chose. C’est moi, mais ce n’est plus moi: voilà la formule de l’existence chrétienne fondée sur le Baptême, la formule de la résurrection à l’intérieur du temps. C’est moi, mais ce n’est plus moi: si nous vivons de cette manière, nous transformons le monde. C’est la formule qui contredit toutes les idéologies de la violence, et c’est le programme qui s’oppose à la corruption et à l’aspiration au pouvoir et à l’avoir.  »

    http://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20060415_veglia-pasquale.html

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  2. Je ne suis pas très convaincue par cette nouvelle proposition d’Hervé de « retourner » les propos de Saint-Paul qui fleurent le ressentiment. Saul a reçu la grâce, qui est comme le souligne James Alison juste le contraire du ressentiment. Girard dit quelque part que Paul a refusé la rivalité et s’est toujours incliné devant Pierre, choisi pour fonder l’Eglise. Et donc, si l’on peut déceler dans quelques unes de ses lettres des relents de ressentiment, il me semble plus probable qu’il cède à son humanité plutôt qu’il ne vise à mettre en garde ses fidèles contre la leur. Et si ses paroles devaient être interprétées comme des paroles de ressentiment, pourquoi les aurait-il sciemment proférées ??

    Les influenceurs sont les nouvelles divinités païennes, les idoles que Girard a repérées sous le « mensonge romantique ». Le message évangélique, dont Aliocha rappelle que « nous faisant un dans le Christ », il nous invite à délaisser le champ de misères et de ruines de notre ancien « moi » pour nous ouvrir à une fraternité nouvelle, sans rivalité, ce message n’a pas été entendu ni compris, ni accepté. Et voilà le résultat : le récit lamentable de cette adolescente déboussolée, qui me frappe surtout du fait qu’il aurait, aujourd’hui, une valeur exemplaire.

    Les analogies entre cette histoire et les recommandations de Saint Paul sont moins évidentes, à mes yeux, que les différences. La première de toutes les différences est que les ados sous influence, comme leurs idoles, ne veulent pas « ne faire qu’un » mais être l’exception qui confirme la règle. La règle, c’est qu’on n’est « personne » si l’on a le sentiment de n’être pas aimé(e). L’exception, c’est continuer à n’être personne mais environné(e) d’une telle foule d’admirateurs que la soif d’être aimé(e) s’est estompée. Elle a été faussement comblée, en réalité refoulée par le mimétisme qui rend la coquette aimable à ses propres yeux. Le retour du refoulé est inévitable et tragique.

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  3. Je suis en phase avec ce que vous dites jusqu’à un certain point. J’ai souligné les différences dans l’article, mais brièvement. Aliocha et vous complétez donc mon propos en rappelant la face lumineuse du texte. Merci !
    Cependant, cette lumière est si brillante qu’elle semble nous aveugler quant à une autre face du texte, une dérive subtile par rapport à l’Évangile dont St Paul se réclame. La peur de la sanction divine, la jalousie, le cheminement vers le Christ assimilé à une compétition féroce, tout cela est dévoiement de l’Évangile. C’est écrit pourtant !
    Je ne cherche pas à affaiblir ces textes mais au contraire à leur donner un supplément de sens. Dans toutes les épîtres de St Paul la tension est palpable entre l’appel à nous élever jusqu’à la sainteté en suivant l’exemple de Jésus et la tentation d’une régression vers une religion sacrificielle de plus (voir par exemple le langage parfois lourdement sacrificiel de Hébreux – tellement dérangeant qu’il est plus commode d’expulser cette épître du corpus biblique plutôt que d’admettre que nous sommes scandalisés, et que ce scandale a peut-être un sens que nous n’entrevoyons pas). Une des raisons de notre incapacité à reconnaître cette dualité du texte, c’est que nous n’envisageons pas un instant que Paul puisse écrire de la sorte volontairement. Comme l’exprime Christine Orsini, si ces paroles peuvent être interprétées comme l’expression d’un ressentiment, pourquoi les aurait-il sciemment proférées ? La réponse la plus immédiate est que Paul, tout saint soit-il, ne s’est lui-même pas encore entièrement libéré du ressentiment et cette hypothèse jette un tel discrédit sur sa personne et sur ses textes qu’elle conduit au verrouillage de notre esprit critique. Or ce n’est pas l’explication de cet étrange langage.

    Dans bien des versets, Paul nous confirme sa volonté de nous montrer à la fois le beau et le laid, ce qui nous émerveille et ce qui nous horripile et il sait en écrivant que nous retiendrons l’un mais que nous nierons l’autre.

     » Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable, feu qui s’est consumé, obscurité, ténèbres, ouragan, son de trompette et bruit de voix ; ceux qui l’entendirent refusèrent d’écouter une parole de plus. Car ils ne pouvaient supporter cette injonction : Qui touchera la montagne – fût-ce une bête – sera lapidé ! Et si terrifiant était ce spectacle que Moïse dit : Je suis terrifié et tremblant.
    Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges en réunion de fête, et de l’assemblée des premiers-nés, dont les noms sont inscrits dans les cieux, et de Dieu, le juge de tous, et des esprits des justes parvenus à l’accomplissement, et de Jésus, médiateur d’une alliance neuve, et du sang de l’aspersion qui parle mieux encore que celui d’Abel.  » (Hébreux 12, 18-24)

    Est-ce si absurde que cela, de penser que ces textes portent à la fois le message de l’Evangile et le tableau de notre humanité défaillante ? Comment pourrions-nous espérer comprendre l’amour divin si nous sommes incapables de nous confronter à nos obscurités ? Ces dernières, l’auteur d’Hébreux (peu importe en réalité que ce soit Paul ou un autre) ne les assimile pas à un mal mythologique, transcendant, dont nous pourrions nous dédouaner, mais bien à « une réalité palpable ». Nous écoutons, mais entendons-nous, ou « refusons-nous d’écouter une parole de plus » tellement cette vision du mal est insoutenable ?

    Nous ne sortirons pas du mal sans l’avoir regardé en face, voilà ce que St Paul nous dit en marge des interprétations « officielles » de ses textes. Alors il nous montre notre violence.
    Le film « influenceuse » nous ouvre les yeux sur une violence peu visible des réseaux sociaux en mettant intelligemment en scène une histoire fictive. La narration nous permet de nous élever à un niveau de conscience supérieur ; c’est ce que font les grands auteurs. Paul, je pense, est un grand auteur et, en prime, il bénéficie d’une source d’inspiration peu commune.

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  4. Saint-Paul recherchait des « like » pour emmener les gens vers le Christ, la malheureuse Lola recherche les « like » pour elle-même.

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    1. Absolument, la différence est majeure. Mais chercher des « like » pour emmener les gens vers Christ, cela porte un nom : prosélytisme. On peut se demander (et je crois que c’est la question que Paul nous pose implicitement) si c’est la bonne manière. Accessoirement il nous montre quelques-uns des ressorts profonds du prosélyte.

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      1. Du prosélytisme à la propagande et de la propagande à la conversion forcée… la chrétienté a quelquefois cédé à la dérive totalitaire. René Girard cite Simone Weil dans un entretien au journal « Le Monde » en 1979 :  » Se déraciner soi-même, c’est la plus grande des choses, c’est la vie spirituelle. Déraciner les autres, c’est un crime, surtout par la violence. »

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  5. Cher Hervé, je trouve sous la plume de James Alison, dont je lis le dernier livre paru, « La foi au-delà du ressentiment » le même constat que vous faites : « Dans les Actes des Apôtres, on trouve de nombreux passages où l’apôtre Paul semble victime de ce cercle vicieux du ressentiment. Je ne pense pas que cela correspondait à sa nature profonde et ses propres écrits portent témoignage d’un travail personnel contre des formes de rancune vis-à-vis de Dieu et vers une compréhension de la nouvelle création qui ne connaît pas ce dualisme rancunier. » Mais le théologien interprète ces passages, qu’il ne faut pas prendre isolément, dit-il, de façon à la fois différente et proche de la vôtre.

    A Antioche, Paul et Barnabé, mal accueillis par les chefs de la synagogue locale, se mettent en colère :  » C’est à vous d’abord qu’il fallait annoncer la parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les païens. » Paul récidive à Rome : « Sachez-le donc, c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux du moins, ils écouteront. » Ces propos n’ont pu qu’alimenter l’antisémitisme chrétien et pourtant, la mise à mort de Paul à Rome ne sera pas le résultat d’un complot des Juifs mais celui d’une persécution des païens.

    A vrai dire, ce qui importe, c’est ce « eux » et « nous », qui structure toutes les communautés et rend inaudible la Révélation. Lisant les Evangiles, nous prenons parti pour Jésus contre les Pharisiens et ici, pour Paul contre « les Juifs ». « Nous refusons de voir les indices récurrents de la dislocation de ces oppositions par la naissance de quelque chose de complètement nouveau.  » Alison interprète « ces bouffées de ressentiment mal digéré » de Paul comme « des jalons sur la voie d’une catholicité qui, par sa définition même, ne peut admettre aucun ressentiment, aucun « autre » exclu face auquel nous pouvons nous considérer comme bons. »

    Il me semble que vous visez, avec votre méthode radicale de « retourner les textes », le même but que le théologien, faire entendre le message inouï de la fraternité chrétienne, mais la démarche est différente. Vous nous mettez en face de nos turpitudes (en fait, ce sont les réactions normales d’une nature corrompue par le péché originel et donc bien acceptées en général) en supposant que les porteurs de la « Bonne Nouvelle », ayant reçu la grâce, s’ils ont des « bouffées de ressentiment » c’est juste pour nous prévenir contre elles. Alison, me semble-t-il, voit plutôt la conversion comme un processus et même comme une histoire douloureuse au cours de laquelle il faut apprendre à mourir à soi-même pour renaître comme membre du Christ. L’épanouissement du véritable amour est difficilement gagné : il a commencé à émerger sous le ressentiment d’un amour trahi. Ainsi, la colère de Paul contre les Juifs n’est ni sainte ni feinte : elle fait partie du processus d’arrachement à soi (et au sacré) qu’est une conversion.

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    1. Chère Christine,

      Paul parle de cette dispute dans l’épître aux Galates : « Mais, lorsque Céphas vint à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort. » (Ga 2,11). C’est tout de même troublant, cette dispute doctrinale entre les deux piliers de la nouvelle religion ! On pourrait citer aussi la pique assassine de Jean à Paul dans l’Apocalypse, l’allusion à Balaam dans la lettre à Pergame : « Mais j’ai quelque reproche à te faire : il en est chez toi qui s’attachent à la doctrine de ce Balaam qui conseillait à Balaq de tendre un piège aux fils d’Israël pour les pousser à manger des viandes sacrifiées aux idoles et à se prostituer. » (Ap. 2,14). Or Balaam n’a rien à voir avec une controverse au sujet des viandes sacrifiées ; c’est clairement Paul qui est visé. Une fois ce schéma mis au jour dans ces passages explicites, on le retrouve partout : dans les controverses entre Jésus et les Pharisiens, dans les accusations des prophètes juifs envers telle personne, tel royaume voisin, mais aussi dans le ton souvent condescendant de Mahomet envers les religions juives et chrétiennes. Le plus surprenant est notre tolérance envers ce langage violent ; jamais nous ne l’avons critiqué à l’aune du message évangélique. Vous en donnez la seule explication crédible. C’est parce que nous sommes nous-mêmes profondément enfermés dans cette réciprocité violente que sa radicale incompatibilité avec la « Bonne Nouvelle » nous reste invisible.
      James Alison est un des rares ayant franchi cet obstacle, reconnu et nommé ce scandale. Je n’ai pas encore lu son livre, mais ce que vous en citez résume bien le problème. Seulement, je trouve qu’il ne va pas assez loin. Il reconnaît dans l’expression de ce ressentiment une vérité biographique, en quelque sorte, des auteurs des Écritures ; par moment, le vieux monde en eux ressurgit avant de céder définitivement au nouveau.
      Je ne trouve pas cette explication satisfaisante pour la simple raison qu’il s’agit d’écrits et non de dialogues pris sur le vif. Les auteurs de l’Ancien et du Nouveau Testament ont eu tout loisir de digérer l’enseignement reçu et de peaufiner leur témoignage. Si j’écrivais un livre sur la gestion de la colère, j’éviterais de conserver les passages qui trahissent la mienne, sauf à en témoigner en forme d’exemple à ne pas suivre. Dans ces passages, ni Paul ni Jean ni Luc ne nous indiquent qu’il s’agit là de vieux réflexes regrettables. Il n’y a aucune autocritique de ces comportements violents ; tout se passe comme si les auteurs voulaient nous entraîner dans leur sainte colère.
      Il faut donc penser une nouvelle herméneutique pour résoudre ce paradoxe : ceux qui nous invitent à abandonner la violence restent eux-mêmes violents, ce qui, vous en conviendrez, jette un certain discrédit sur le message. C’est d’ailleurs, je pense, la principale raison de leur perte de crédit et de la sécularisation de l’Occident, une fois que les Lumières ont commencé à mettre au jour et à critiquer la violence sacrificielle des anciens régimes (et de la religion).
      Je défends l’hypothèse que les auteurs des Écritures ont placé ces passages « antiévangéliques » en toute connaissance de cause, délibérément. Je vais même plus loin : je pense qu’ils étaient, au moment de commettre ce forfait, parfaitement conscients que nous avalerions cette violence sans même lever un sourcil, que nous lui prêterions des vertus toutes chrétiennes (et que nous l’imiterions, à l’occasion, en toute bonne conscience). D’ailleurs, la preuve de l’intentionnalité se trouve dans la transformation de certains versets violents des épîtres en doctrines : le célibat des prêtres, la vision culpabilisante de la sexualité et la relégation des femmes en seconde division, par exemple, découlent d’une lecture littérale de certains passages de St Paul assez éloignés des préoccupations évangéliques et des versets lumineux qui chantent la liberté et l’amour. Paul, en pleine conscience de ce qu’il fait, réintroduit une dimension sacrificielle dans la religion qu’il fonde. De quoi cherche-t-il à nous préserver en agissant ainsi ?
      Cette hypothèse a pour mérite de lever le scandale de la « sainte violence » de Pierre, Paul, Luc et Jean, qui décidément ressemble trop à la nôtre pour être vraiment sainte. Le Nouveau Testament n’est pas un témoignage, un ouvrage historique, une suite de biographies. C’est une collection de paraboles, de récits fictionnels qui mettent en scène des personnages fictionnels (en disant cela je ne mets pas en doute leur existence réelle).
      Malheureusement, cette résolution du premier scandale en fait apparaître un autre, pire encore. Pour quelle raison les prophètes et les apôtres nous enfermeraient-ils ainsi dans notre violence ? A priori, la perversité apparente de cette démarche discrédite l’hypothèse de départ.
      Je pense que nous sortons là du cadre d’un commentaire à un article de blogue. Ce second scandale nous fait descendre plus profondément encore dans notre nature violente et il n’est pas souhaitable d’aborder cette question avec légèreté. Contentons-nous de dire que cela a tout à voir avec ce que vous nommez si bien : « le processus d’arrachement à soi et au sacré qu’est une conversion ».
      Pour terminer, je voudrais insister sur l’importance de toujours se baser sur la Bible lorsqu’on aborde ces sujets. La Bible nous fait accéder à un territoire inconnu et qui ne peut être exploré par la seule raison. A dire vrai, on pourrait se passer de cette guidance, mais dans ce cas ce serait aux risques et périls de l’aventurier. Je pense à Nietzsche, encore lui, qui s’est aventuré en esprit – mais sans l’Esprit, sans l’humilité de se reconnaître trop faible pour aborder le mal en conquérant solitaire – sur ce dangereux chemin de la confrontation avec nos abîmes. Il a payé cher sa témérité.

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      1. Hervé VAN BAREN, vos hypothèses sont hardies, comme toujours et intéressantes parce qu’elles nous poussent à des recherches futures.
        « La Bible nous fait accéder à un territoire inconnu et qui ne peut être exploré par la seule raison. » écrivez-vous. J’ai cependant des difficultés à distinguer dans vos hypothèses, une autre source que la raison (ou l’intuition, qui est compris dans la raison). Pourriez-vous m’éclairer sur ce point?

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  6. Et si quand une vérité apparaît furtivement quel que part ,immédiatement une force trop humaine vient la contrer pour en brouiller son message.
    Jacques Cazeaux dans une des conférences de Carêmes nous la expliqué. Les Hébreux dans leur exil n’ont pas pu résister à la force de la puissance ,ils ont emmené avec eux cheval et char symbole odieux de la royauté avec comme bouc émissaire Moïse résultats tous sont morts au désert sauf deux Josué et Caleb.
    Pareillement dans la passion la vérité est tellement intense que tout le monde va trahir renier ou fuir avec comme bouc émissaire un certain Judas …

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  7. Cher Hervé,
    J’apprécie votre radicalité, même si elle n’évite pas la provocation (est-elle volontaire? je vous en laisse juge). Il me semble, avec la Bible, que nous avons toujours affaire à des hommes. La déclaration « parole du Seigneur » que l’on est tenu de déclamer à la messe, m’a toujours profondément dérangée (pourquoi ce mensonge?). Ni Dieu ni Jésus n’ont écrit quoi que ce soit il me semble, et surtout, cette déclaration suit des textes de l’ancien testament souvent plus politiques qu’inspirés par un Dieu d’amour. Paul est donc un homme, et un homme de son temps. A ce titre, vous soulevez la question de son rapport à la sexualité et de son influence critiquable sur ses successeurs. A une époque où il était de bon ton de jouir du spectacle d’hommes et de femmes dévorés par des fauves, de gladiateurs s’entretuant et autres horreurs, la sexualité n’était pas ce qu’elle est devenue (mais il semble qu’avec la pornographie en ligne, nous soyons en train de revenir à des jouissances « romaines »…) Le petit livre de Chesterton: « Saint François d’Assise » est tout à fait éclairant à ce sujet, et d’une profondeur, d’une honnêteté rare (je ne peux que conseiller cette lecture). Chesterton pense qu’il nous a fallu des siècles de rigorisme à l’encontre d’une sexualité assimilée au mal pour parvenir à se dégager de l’horreur ordinaire de ce passé. Rappelons que la règle exigeait que lorsqu’un esclave s’évadait, l’ensemble des esclaves appartenant au latifundium devaient être crucifiés, les croix étant disposées le long des routes, car ces malheureux risquaient d’être atteints par cette dangereuse épidémie de désobéissance. Le summum a été atteint lorsque 400 personnes, hommes femmes et enfants ont été ainsi assassinés. Imaginez un instant ce spectacle… Nous avons beau jeu, du haut de notre époque de paix et de tolérance de critiquer l’intransigeance vertueuse de Paul et de quelques autres. Vous n’êtes pas le premier à lui chercher des poux dans la tête, à le rendre personnellement responsable d’une tendance qui concerne l’Eglise jusqu’à nos jours, et dont il n’est, à mon avis, qu’un représentant parmi d’autres. Il est de son temps, bien naturellement. Paul est né à Tarse, on le sait, mais ce n’est pas une raison pour lui accoler une tête de turc…

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  8. Cher Benoît,

    Pour la provocation, je veux bien plaider coupable. Mais pour la radicalité, je pense qu’elle transcrit surtout celle de la Bible (scandale et folie, ce n’est pas moi qui le dit).
    Pour ce qui est de la dimension humaine des auteurs de la Bible, c’est une évidence. Pourtant, quelque chose les distingue du commun des mortels (dont vous et moi), c’est la révélation qu’ils ont reçue. J’étais, comme vous, perturbé par cette « parole du Seigneur », je ne le suis plus. Cela fait pleinement sens avec ce que je découvre des prophètes dans mes interprétations.
    St Paul est, à mon humble avis, le véritable provocateur. Il prend souvent comme sujet de ses lettres des thèmes scandaleux : relation incestueuse (1Co5), abstinence sexuelle, cheveux des femmes comme arme de séduction massive… Il traite toujours ses sujets à deux voix. Prenez par exemple son exhortation à ne pas chercher à sortir de l’esclavage (1Co 7, 17-24). « Restez esclave » cohabite avec « ne devenez pas esclave des hommes ». Ou encore en 1Co 8 (et cela répond aussi à la question sur Balaam) ne vous souciez pas des interdits concernant la consommation des animaux sacrifiés, qui devient à la fin renoncement à manger de la viande tout court. Il y a là à la fois les interdits les plus stricts et la plus extraordinaire proclamation de liberté, un véritable dédoublement de personnalité entre le Paul puritain et traditionnaliste jusqu’à la caricature (les femmes se taisent dans les assemblées !), et le prototype (avec 2000 ans d’avance !) de nos progressistes contemporains (Tout est permis).
    Quand Jean mentionne Balaam il fait allusion à un passage de Nombres dans lequel on nous raconte l’étrange conversion de ce truculent personnage. Or Balaam est accusé de certaines choses dans la Bible mais sans rapport avec des viandes sacrifiées. Un certain nombre d’exégètes en ont déduit que Balaam est utilisé comme cryptonyme de Paul, et que Jean dans ce verset attaque le progressisme de ce dernier. Franchement, je trouve que c’est la seule interprétation qui fasse sens.
    Pour répondre aussi à fxnico, bien sûr la raison aide à comprendre le texte ; mais l’obstacle à cette lecture n’est pas d’ordre intellectuel, c’est notre incapacité à sortir du sacré et du sacrifice, autrement dit à reconnaître la violence dans sa réalité humaine. Plutôt que de critiquer Paul lorsqu’il réduit les femmes au silence, par exemple, et d’essayer de comprendre la raison de cette provocation, nous appliquons à la lettre l’instruction du saint apôtre, forcément infaillible. Or s’il est une institution qui devrait donner la parole aux femmes, c’est bien l’Église, du moins si j’ai bien lu les Évangiles (là je fais un peu de militantisme en passant).
    Cette dualité permanente du message est beaucoup trop poussée et ostensiblement provocatrice pour n’être que le résultat d’un conflit interne, névrotique. Ou alors il faut en conclure que Paul était mûr pour l’internement. Si vous pensez cela, alors relisez 1Co 1 : qui est scandaleux ? Qui est fou ?

    Je propose d’en rester là avec les commentaires pour le moment (nous aurons, j’espère, d’autres occasions de poursuivre), pour laisser de l’espace à l’article qui vient de paraître. Merci de vos commentaires.

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  9. J’ai une hypothèse qui me vient à la lecture de l’article et des commentaires, notamment celui d’Aliocha:

    Saint Paul et la théologie avec lui nous parlent « Ce n’est pas moi qui vit, mais c’est le Christ qui vit en moi ». En pratique, ce n’a pas réellement de réalité concrète : on rentre doucement dans l’intimité de Dieu par la prière.

    De même, on nous parle de : » Ne faire plus qu’un dans le Christ ». En fait la charité n’implique nullement la fusion et d’ailleurs elle s’exerce autant à l’intérieur de l’Eglise qu’à l’extérieur.

    Je rapproche cela des récits de conversion subites que nous raconte les Actes des apôtres. Cela n’arrive plus chez nous, les conversions sont des processus très longs, durants plusieurs années, mėme chez les charismatiques. Même les récit de conversions subites comme celles de Péguy et de Pascal ne sont que des étapes d’un cheminement très long.

    Alors, qu’est-ce-que tout cela veut dire ? Et si les personnes de l’antiquité étaient réellement plus mimétiques que nous le sommes ? Cela pourrait expliquer ce sentiment de fusion dans un groupe chez les convertis ainsi que la rapidité de ces conversions. Cela expliquerait aussi pourquoi on trouve des rraces de rivalités dans le nouveau testament : ceux qui l’ont écrit étaient exceptionnellement libérés du mimétisme pour leur époque, mais cela semble encore beaucoup pour nous.

    L’évangile nous aurait donc changé très profondément en changeant la culture.

    Voilà, je confie cela à votre jugement. Peut-être que M. Alison traitera le sujet mercredi.

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  10. Rimbaud aurait préféré se taire, ne pouvant s’exprimer sans paroles païennes.
    L’apprentissage de l’amour pousse son arrachement jusqu’à devoir renouveler notre alphabet, notre grammaire, l’imitation de la victime pardonnante couchant la transcendance, comme le dit Alison, il n’y a aucun deus ex machina, il n’y a plus que la responsabilité énorme et mirifique qui nous est laissée de savoir apprendre à nous aimer, à écrire de nous-même et par nous-même la fiction, le roman de notre futur hors de toute rivalité, inventant un mode de fonctionnement qui intègre l’autre plutôt que de l’exclure, ce qui entraine, là est l’espérance infinie, de soi-même ne plus être exclu par lui, donc de soi-même s’exclure de la divinité menteuse du sacré.
    Là est le deuxième cercle de la spirale, et les mouvements du Woke actuel, ceux qui dénoncent à raison les manipulations moralistes des textes que décrit Hervé, sont victimes(!) de cela, ne repérant pas qu’en ce tiroir à double fond, leur persécution même leur est nécessaire pour s’imaginer accéder au divin statut, usurpant la place, et s’additionnant alors au mensonge.
    C’est en ce sens que, même s’il est indispensable de s’en référer à la Bible, il ne l’est pas moins d’en appeler à ces justes que sont les grands poètes, la trajectoire de Girard en témoigne, et la phrase de Proust que j’ai déjà citée ici, prend en cette perspective une dimension vertigineuse :

    « …mais on a voulu provisoirement prévenir l’erreur funeste qui consisterait, de même qu’on a encouragé un mouvement sioniste, à créer un mouvement sodomiste et à rebâtir Sodome. Or, à peine arrivés, les sodomistes quitteraient la ville pour ne pas avoir l’air d’en être, prendraient femme, entretiendraient des maîtresses dans d’autres cités, où ils trouveraient d’ailleurs toutes les distractions convenables. Ils n’iraient à Sodome que les jours de suprême nécessité, quand leur ville serait vide, par ces temps où la faim fait sortir le loup du bois, c’est-à-dire que tout se passerait en somme comme à Londres, à Berlin, à Rome, à Pétrograd ou à Paris.  »
    https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_%C3%80_la_recherche_du_temps_perdu_%C3%A9dition_1919_tome_9.djvu/48

    Qui ne pardonne l’offense faite aux hommes, dit le Talmud, offense son Dieu.
    Lévinas reconnaissait qu’après la Shoah, il en était incapable, et il est absolument non dicible de dire maintenant ce que Proust pourtant a formulé, le sionisme n’existerait pas sans l’antisémitisme, autant dire que celui-ci est nécessaire à celui-là, et que nous continuons à vouloir usurper la place victimaire par désir de pouvoir, perversion de la perversion, double erreur emmêlée qu’il devient pratiquement impossible de savoir démêler, si on ne retrouve pas la toute simplicité des pèlerins sur la route où, perdus et terriblement contaminés par la violence, ils ont alors accès à l’herméneutique radicalement nouvelle du pardon, seule voie pour se libérer des désirs de vengeance déguisés en justice, s’affranchir de la réciprocité violente, admettant d’être défaits de leurs oripeaux menteurs, parfaitement démunis mais néanmoins en cette perte de puissance enfin capables de n’avoir plus d’autre solution que de s’aimer les uns les autres, absolument certains, en cette nouvelle définition, d’être pardonnés.
    Nous pouvons alors imiter avec confiance celui qui nous a précédé sur cette voie du salut, nous permettant de ne plus confondre le moyen avec la fin, joyeux, confiant et fier d’accéder à ce que les musulmans appellent le Réel et qui désormais est à notre main, ne plus être victime du pouvoir et de l’avoir, usant de cette capacité laissée à l’humain, ce à quoi le Créateur nous invite avec confiance, composer la sonate de la vie éternelle sans la confondre avec la fabrication d’un piano, et nous permettre alors d’accéder pleinement à l’Être :

    « On ne regarde presque jamais la politique comme un art d’espèce tellement élevée. Mais c’est qu’on est accoutumé depuis des siècles à la regarder seulement, ou en tout cas principalement, comme la technique de l’acquisition et de la conservation du pouvoir.
    Or le pouvoir n’est pas une fin. Par nature, par essence, par définition, il constitue essentiellement un moyen. Il est à la politique ce qu’est un piano à la composition musicale. Un compositeur qui a besoin d’un piano pour l’invention des mélodies se trouvera embarrassé s’il est dans un village où il n’y en a pas. Mais si on lui en procure un, il s’agit alors qu’il compose.
    Malheureux que nous sommes, nous avions confondu la fabrication d’un piano avec la composition d’une sonate. »
    L’enracinement, Simone Weil.

    Ainsi, apprenant à nous aimer en suivant, comme le dit si bien ce juste que fût l’immense poète soufi Ibn’Arabi, le fleuve de Jésus, nous accédons aux tentes blanches du rite marial, autant dire du pardon, cet endroit où toutes les montures de la violence s’arrêtent près de l’embouchure, nous invitant à conquérir les océans de tous les possibles, où même le désir, en cette juste orientation, est instrument ardent de la sainteté, les deux intimes étant la raison et la foi qui ont su, détournant leur chemin, accéder à la source de l’Amour :

    Amoureuse salutation.

    Ô mes deux intimes, détournez votre chemin
    En passant par la dune !
    Chevauchez votre monture jusqu’à la halte de La’la
    Et aspirez aux eaux de Yalamlam.

    Près d’elle, ceux que tu as connus ;
    Et ceux à qui appartiennent
    Mon jeûne, mon pèlerinage, ma visite
    Et ma fête solennelle aux lieux saints.

    Que jamais je n’oublie le jour où, à Minâ,
    Les cailloux sont lancés, ni les choses d’importance,
    Près du suprême autel sacrificiel,
    Ni près de la source de Zamzam.

    Là où ils lancent les pierres
    Demeure mon cœur, lancé contre les stèles,
    Mon âme, là ou ils sacrifient
    Mon sang, là ou ils s’abreuvent.

    Ô chantre conducteur de chameaux !
    Si tu viens à Hâjir,
    Arrête un moment les montures
    Et transmets le salut !

    Adresse aux tentes pourpres,
    Aux abords de l’enceinte sacrée,
    La salutation de l’amant
    Qui soupire vers vous, esclave du désir.

    S’ils adressent le salut
    Rends-le avec le zéphyr oriental.
    Et s’ils se taisent,
    Bâte les montures et avance

    Jusqu’au fleuve de Jésus
    Là où leurs montures font halte,
    Et là où les tentes blanches,
    Prés de l’embouchure, sont plantées.

    Invoque Da’d,
    Ar-Rabâb, Zaynab,
    Hind, Salmâ et lubnâ
    Et fredonne telle une source !

    Demande-leur : al-Halba est-elle la demeure
    De cette jeune fille au corps souple ?
    Elle qui te laisse voir l’éclat du soleil
    Au moment même où elle sourit.

    Ibn’Arabi, L’interprète des désirs .

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