Les mœurs, la mode et la morale

par Christine Orsini

Nous sommes plusieurs, sur ce blogue girardien, à nous intéresser à cette « grande première anthropologique » qu’est la prise de parole des victimes.La médiatisation de leurs souffrances et la condamnation unanime de leurs persécuteurs semblent ouvrir une nouvelle ère, pas forcément plus pacifique mais plus juste : la publicité faite à des violences privées est censée mettre fin à l’invisibilité des victimes et à l’impunité de leurs bourreaux.

Le scandale déclenché par la révélation du livre nécessaire de Camille Kouchner est double : on ne comprend pas que quelqu’un comme nous, qui n’a rien d’un monstre, ait pu commettre des actes monstrueux ; on n’admet pas le fait qu’il ait pu bénéficier de la plus parfaite impunité sociale. C’est incompréhensible, inadmissible et cela fait partie de la réalité quotidienne ! J’ai appris comme vous que l’inceste ou le viol sur mineur est pratiqué dans une famille sur dix : qui ne connaît pas ou ne pense pas connaître au moins dix familles, au sujet desquelles la question qu’on pourrait se poser tout simplement ne se pose pas, ne peut pas se poser ?

Un scandale fait des vagues. Certaines sont si fortes qu’elles peuvent emporter « le bébé avec l’eau du bain ». Dans une tribune du Figaro, Jacques Julliard relevait une contradiction entre d’une part, cette libération de la parole des victimes qui annonce selon lui un réel progrès des mœurs et d’autre part, un « retour à l’ordre moral », c’est-à-dire à la censure des idées et des conduites. Fallait-il censurer et virer un chroniqueur de bonne foi et d’un grand talent qui s’inquiétait du lynchage médiatique provoqué par le scandale de l’affaire Duhamel ? Une opinion scandalisée ne pèse pas le « pour » et le « contre » et peut-elle accepter d’entendre que dans une affaire de quasi-inceste, un vrai procès aurait pu permettre de répartir la responsabilité entre l’adulte et l’enfant ?

Un scandale, pour Girard lecteur des Evangiles, est un obstacle fascinant, et c’est pour avoir ignoré son pouvoir d’attraction et voulu éviter l’obstacle que l’académicien Finkielkraut s’est pris les pieds dedans. Avec plus de recul qu’il n’en a eu, essayons de tirer quelque enseignement de ce scandale. Prenons ceci comme point de départ : « Jésus dit à ses disciples : il est impossible qu’il n’arrive pas de scandales ; mais malheur à celui par qui ils arrivent ! Il vaudrait mieux pour lui qu’on mît à son cou une pierre de moulin et qu’on le jetât à la mer, que s’il scandalisait un de ces petits… » (Luc, 17 1, 2). Ne voyons pas dans cette malédiction une menace des foudres divines mais une prophétie. Dans l’affaire qui nous scandalise, cela laisse voir le livre de Camille Kouchner comme l’équivalent en pire, d’une pierre de moulin qu’on aurait attachée au cou du beau-père scandaleux pour le noyer.  La signification qui semble s’imposer est que le scandale et le châtiment ne font qu’un.  Cela suffit pour expliquer le silence des victimes qui vivent dans la peur d’être « celui par qui le scandale arrive ».

La théorie mimétique, dans un premier temps, ne m’a pas semblé d’un grand secours pour essayer de comprendre quelque chose à ces tragédies familiales. Tout d’abord, faut-il le rappeler, Girard ne s’occupe pas des violences privées ou accidentelles mais de la « violence essentielle » qui met en péril les communautés humaines. Ensuite, la théorie mimétique, très critique à cet égard envers la psychanalyse, tend à réduire le rôle du père dans la genèse des conflits intérieurs ou extérieurs qu’affrontent les fils : le fameux complexe d’Œdipe qui met en rivalité père et fils n’est qu’un cas particulier d’un conflit mimétique qui abolit toute hiérarchie, toute différence entre les rivaux jusqu’à en faire des « doubles ». La violence humaine est d’abord fratricide.

Cependant, il n’est pas sûr que le pouvoir patriarcal soit seul en cause dans les abus sexuels incestueux. Il se peut même que l’affaiblissement de son règne, dévoilé dès les comédies de Shakespeare, soit une cause déclenchante du passage à l’acte. Par contre, le tabou, lui, est patriarcal : le mal, selon l’utilitariste J. Bentham (1830) n’est pas l’acte incestueux lui-même mais sa révélation, qui risque de nuire à la famille, socle de la société. L’institution doit être protégée : elle s’est fragilisée en se montrant incapable de perpétuer ce que Girard nomme la médiation externe. Même quand ils sont encore des modèles, les pères ne sont plus imités : les jeunes gens du Songe d’une nuit d’été, délivrés de la tyrannie paternelle, se prétendent libres de leurs choix. En réalité, bien sûr, ils vont se prendre réciproquement comme modèles, au risque d’une indifférenciation croissante et de la perte de leur identité. La crise sans cesse aggravée de l’institution familiale ne reflète-t-elle pas la crise de la modernité telle que Girard la définit ? Une crise sans résolution sacrificielle collective, mais en privé ? Entre les deux guerres, André Gide avait inventé le cri de ralliement de l’individualisme bourgeois : « Familles, je vous hais, foyers clos, portes refermées… » Que se passe-t-il derrière ces portes refermées ?

Le témoignage de Camille Kouchner est parfait, à tous égards. Même si la génération post-soixante-huitarde de ses parents a eu d’autres maîtres à penser que le très démodé André Gide, son lieu de vie et surtout de vacances, c’était le contraire d’un « foyer clos » bardé d’habitudes et d’interdits, c’était la liberté totale, sans tabous, une liberté intellectuelle, physique et morale, d’innombrables jours et nuits d’été en communion avec la nature, adultes et enfants également dénudés, délivrés de leur rôle social : un « songe » shakespearien prolongé, avec ses sortilèges et ses enchantements. La comédie de Shakespeare, après quelques péripéties, finit en comédie. Ce songe-là a fini en tragédie.

Shakespeare et Girard ont montré le potentiel de violence que détient l’abolition des interdits, des différences et des repères sociaux. Dans le cas de ces prédateurs familiaux ultra « civilisés », on pourrait presqu’invoquer un effet de mode : la « révolution sexuelle » de la fin des années 60 a encouragé et célébré des transgressions que l’époque d’avant avait jugées tabous et que l’époque d’après pénalisera comme criminelles.

Peut-être qu’il y a un lien étroit entre la libération de la parole des victimes (à qui on a imposé en plus de la violence le silence) et le « retour à l’ordre moral ».  D’une part, cet ordre moral est une nouvelle mode, qui comme toutes les modes, fait juste le contraire de la précédente. La mode, dans les sociétés démocratiques, gouverne les mœurs et tient souvent lieu de morale, nous poussant à voir le bien dans ce qui se fait et le mal dans ce qui ne se fait pas. Il y a un temps pour tout : interdire, puis interdire d’interdire, puis interdire à nouveau. Libérer la parole des victimes, c’est interdire de facto des pratiques tacitement acceptées, voire jugées libératrices par la génération précédente.

D’autre part, la parole des victimes dérange un ordre existant. Toute « révolution » engendre une « réaction ». Le « retour à l’ordre moral » pour sa part n’est pas exempt de ressentiment et même d’esprit de vengeance. C’est surtout le bruyant retour de l’intolérance. Le témoignage de Camille Kouchner est parfait à mes yeux parce qu’il est juste une remontée du réel à la surface. Il révèle que le mal réside plus encore dans le déni de la faute que dans la faute elle-même ; or, c’est ce mal qui doit être extirpé, parce qu’il rend le pardon impossible.

Le vrai scandale est l’existence du mal moral. Et le pire mal, le pire scandale, on pense à Dostoïevski, est la souffrance infligée aux enfants. Que peut la morale ? Marcel Conche, qui se présentait comme un philosophe « grec », voulait fonder l’obligation morale sur l’absolue nécessité pour les forts de protéger les faibles : la succession des générations dépend du dévouement des parents pour leur progéniture. Mais une nécessité biologique et sociale n’est pas un impératif moral, qui est d’un autre ordre, dirait Pascal. Et si l’on préfère, pour fonder la morale, le principe plus individualiste selon lequel « il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fasse », sa pertinence peut être mise en doute concernant un abus sexuel, le prédateur se projetant sur sa victime.  Il se peut d’ailleurs que le professeur de droit (de DROIT !) se soit voulu « grec », lui aussi et qu’il se soit identifié au personnage de Pausanias dans le Banquet de Platon. Celui-ci est un juriste ami des puissants : spécialiste d’un Eros civilisé, il applique les règles en usage pour que la relation érotico-pédagogique entre un homme accompli (lui) et son disciple soit profitable aux deux parties et ne sombre pas dans la vulgarité. C’est le règne de la bienséance et du convenable. La vraie morale n’a évidemment rien à voir avec une éthique parmi d’autres possibles, elle transcende les cultures et les époques, du moins en principe.

Pour finir, l’approche la plus efficace du mal moral risque de se situer sur le terrain biblique et d’être girardienne ! Je vous la propose : le mal est incompréhensible sans le péché originel, mystère incompréhensible selon Pascal mais « sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. » Le péché originel est la doctrine de Saint Augustin, une interprétation de Genèse 3. Si Girard l’a adoptée, c’est parce qu’elle rend compte de notre expérience du mal : l’expérience à la fois individuelle et collective de notre impuissance face à un mal toujours déjà là, avant toute initiative humaine. L’homme de la chute, dit Girard, c’est l’homme. Et la chute, c’est le désir mimétique d’Adam et Eve et le meurtre d’Abel par Caïn, ces deux « histoires » résumant l’histoire de l’humanité.

Une des causes de la montée de l’intolérance se trouve peut-être dans la croyance en une originelle bonté ; le mal viendrait toujours d’ailleurs. Le péché originel nous donne l’humilité nécessaire pour nous reconnaître persécuteurs. Dans son livre sur Shakespeare, Girard souligne que la dépendance de tous à l’égard du péché, en atténuant le poids de notre culpabilité, nous rend plus indulgents à l’égard d’autrui. En conclusion, voici quelques lignes de Girard ; ce qu’il dit de l’orgueil luciférien éclaire puissamment, je trouve, « celui par qui le scandale arrive ».

« Plus encore que le sens commun chez Descartes, le péché originel est « la chose la mieux partagée » ; cette idée est sans doute la seule efficace contre la pire des tentations, celle d’une hubris qui conduit chaque homme à se vouloir unique, au sens d’abord d’un trésor inestimable à conquérir, et plus tard d’un intolérable fardeau dont nous essayons éperdument de nous décharger sur autrui. La victimisation de cet autrui est un effort pour détourner de soi le processus d’autodestruction auquel aboutit inévitablement le fiasco de l’orgueil luciférien. » Les feux de l’envie, Grasset 1990, p.397

55 réflexions sur « Les mœurs, la mode et la morale »

  1. Merci Christine pour ce beau commentaire girardien ! J’ai retenu de ton QSJ la formule intéressante sur la radicalité de de la position de Girard, pour qui « le Moi n’a pas de maison »; cela fait penser bien sûr à la parole de l’évangile qui dit que « le fils de l’homme n’a pas une pierre où poser la tête ». Jacques Leroy

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  2. Merci pour cet article qui recentre le débat sur l’essentiel, et rappelle à quel point la rencontre entre Girard et la Bible est féconde.
    Vous semblez associer la parole des victimes à ces retours de bâton qui voient une élite libertaire chuter de son piédestal. Comme la noblesse libertine balayée par la Révolution… Ne faut-il pas distinguer une dénonciation de l’extérieur, une attaque en règle, pour des motifs toujours en partie idéologiques voire politiques, qui à coup sûr entretiendra le mécanisme de balancier entre libertarisme et légalisme, et une Parole des victimes, qui expose le réel sans arrière-pensée ? La parole des victimes n’est-elle pas fondamentalement différente, une troisième voie seule susceptible de nous faire sortir du paradoxe ordre – liberté ? C’est, me semble-t-il, plus ou moins ce que nous raconte la Croix. C’est aussi, d’ailleurs, ce que vous exprimez lorsque vous dites du témoignage de Camille Kouchner qu’il est « parfait ».

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    1. Je vous remercie, Hervé, de faire cette distinction entre la parole des victimes, qui est comme le livre de Camille K. le retour du et au réel, et les accusations qui sont d’un autre ordre et peuvent en effet dépendre, comme les faits incriminés de la mode, c’est-à-dire du mimétisme.

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  3. Merci Christine pour cet article.
    Le débat posé par Jacques Julliard me fait penser au mot de Pascal : « La vraie morale se moque de la morale ». Et en effet, distinguer morale et moralisme (l’ordre moral) est peut-être le moyen de sortir de la contradiction qu’il souligne.
    Je vous suis également dans l’idée que la croyance en une bonté originelle de l’être humain alimente plutôt le moralisme. Se sentir innocent expose à devenir un persécuteur, puisque ce sont forcément les autres les méchants.
    Il ne s’agit pas non plus de passer notre vie à nous battre la coulpe de tout (à vous qui êtes cinéphile, je mentionnerai François Périer en juge d’instruction dans le « Cercle Rouge », qui passe son temps à répéter : « Tous coupables »). Nous devons effectivement à Girard d’avoir interprété et compris cette idée de péché original : nous sommes tous susceptibles de glisser vers la face sombre du mimétisme, la rivalité mimétique qui dégénère en réciprocité violente, celle qui nous fait commettre le mal.
    Précieuse leçon de René Girard.

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    1. Merci à vous, Jean-Louis pour la photo de « Jeux interdits ». Ces regards d’enfants sont bouleversants. Je suis bien d’accord avec vous sur le refus de confondre le péché originel avec une culpabilité collective. Celle-ci n’a jamais eu comme effet que de dissoudre la vraie culpabilité qui est individuelle, comme le pardon.
      Ce qui m’a frappée dans l’affaire Duhamel, c’est la part prépondérante du mimétisme non seulement dans l’anticonformisme même celui qui consiste à « braver les interdits », mais encore dans notre appréciation du bien et du mal, comme du vrai et du faux etc.
      Il est probable que le professeur de droit se soit donné le beau rôle avant de réaliser le mal qu’il avait fait. Et l’idée qu’il faut être « brave » pour agir en se moquant de la morale, disqualifiée comme « bourgeoise », idée traitée par Hitchcock dans « la corde », est une de ces idées qui soutiennent le moral des hommes violents.

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  4. Chère Christine,

    Il me semble depuis « #MeToo » (voir mes contributions au blogue en juin 2018 : https://emissaire.blog/2018/06/21/metoo/ et surtout en octobre 2018 « pourquoi n’ai-je pas porté plainte à l’époque des faits » https://emissaire.blog/2018/10/07/whyididntreport-pourquoi-nai-je-pas-porte-plainte-a-lepoque-des-faits/) et ses multiples dérivés qu’une faute morale mais aussi pénale est toujours là, quelles que soient les victimes qui réclament justice. Ce que tu nommes patriarcat dans le domaine familial, puisque tu parles ici d’inceste, est un avatar d’un fait pénalement répréhensible : l’abus de pouvoir sur des personnes vulnérables, l’abus de pouvoir qui se combine à un abus de faiblesse, dans la famille, dans l’économie, dans les églises et les sectes, en politique, phénomène probablement extensible jusqu’aux relations inter-étatiques, bref quelles que soient les institutions.
    Il faut bien que ces abus soient révélés pour que le pouvoir qui les rend possible soit davantage et mieux contrôlé. Ce qui est important, comme tu le notes, c’est que la mode est à la dénonciation de ces abus qui sont longtemps restés autorisés, tolérés ou, à tout le moins, difficilement et rarement sanctionnés. A mon avis, elle n’est pas près de passer. C’est une tendance lourde.
    Mais nous sommes loin d’être sortis de ces abus : comme disait Lord Acton, peut-être dans un autre contexte, « le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Peut-être assistons-nous actuellement dans certains domaines de la vie sociale à un recul du pouvoir absolu et espérons que sa tendance corruptrice en sera amoindrie.
    Et puis nous n’échapperons pas non plus à une autre forme d’abus que constituent les dénonciations calomnieuses, même si elles sont et seront beaucoup moins fréquentes que les abus de pouvoir et de faiblesse. Face à tous ces abus, l’établissement de la vérité reste la seule parade quand l’oubli et l’évitement deviennent insupportables et inopérants. La justice doit y travailler. Encore faudrait-il qu’elle en ait les moyens.

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    1. Le patriarcat est une institution (en voie de déconstruction comme on dit) mais ce n’est pas un délit ni un abus de pouvoir. C’est même au principe de la « médiation externe » puisque le père est un modèle placé dans une position inexpugnable et inatteignable, du moins le temps qui sépare l’enfant de sa majorité. Et toute la philosophie politique depuis Platon cherche à bien séparer celui qui gouverne par devoir et celui qui gouverne par plaisir, soit en termes chrétiens ou pascaliens, le père charitable et le père concupiscent.
      Mais de nos jours, tu as raison, ce qui tend à abolir tout à fait le patriarcat, ce ne sont pas les fils, toujours destinés à en hériter mais les femmes !

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      1. Il est vrai que mon commentaire assimilait patriarcat et abus du pouvoir accordé au père par une longue tradition… Le patriarcat, comme tu le dis, est une institution qui n’est pas en elle-même abusive, quelles que soient les critiques qu’elle encourt actuellement, souvent justifiées en pratique et le caractère désormais péjoratif qui lui est associé.

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    2. Je suis frappé, dans toutes les prises de position qui vouent le patriarcat aux gémonies, par l’escamotage des faits. Personne ne se pose la question de la raison du quasi-monopole du modèle patriarcal dans le temps et dans l’espace. Il existe des systèmes matriarcaux, mais ils sont ultra-minoritaires. Il n’y a que l’Occident contemporain pour rejeter avec horreur ce système dont le succès doit pourtant bien avoir une explication. Je risque une hypothèse.
      Le système patriarcal n’est ni juste, ni moral, ni naturel. Il est stable, voilà sa seule qualité. Comme les religions, les systèmes politiques et commerciaux qui ont survécu et évolué au cours du temps, il est le résultat du darwinisme culturel auquel Girard attribuait l’essor du rite, de la culture, de la loi. Les communautés humaines qui n’ont pas mis en place ces nécessaires contraintes ont disparu, victimes de leur propre violence.
      Notre rejet du patriarcat est une conséquence de la révélation de la nature violente de tous les artifices culturels dont le principal objectif est de contenir la violence de l’espèce. C’est notre rejet de la religion, de la politique, de la justice, pour une raison, finalement, aussi valable que celle qui soutenait les anciens systèmes. Nous ne pouvons plus faire confiance à des institutions qui prétendent vaincre la violence par la violence. Nous voilà condamnés à l’anarchie… La libération de la parole des victimes s’inscrit parfaitement dans ce phénomène.

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      1. Votre hypothèse, Hervé, est marquée au sceau du bon sens, me semble-t-il. L’affaiblissement du règne de la médiation externe et des institutions contraignantes qui la garantissaient est facteur de désordres publics et privés. Il est aussi la cause d’une prise de conscience de la violence de l’ordre existant ! Comme dans la Bible, notre violence est devenue pour nous un tel problème que cela porte à croire que nous sommes la civilisation la plus violente, alors que nous sommes la civilisation qui a créé « le souci des victimes ». D’accord aussi avec votre idée de l’anarchie : considérer par exemple que telle épouse de prince anglais est une « victime » de la monarchie, c’est n’importe quoi. Les victimes auxquelles s’intéressent les médias sont celles auxquelles leurs lecteurs prennent du plaisir à s’identifier. Rien à voir avec les victimes non identifiables, c’est-à-dire les vraies victimes de la violence humaine, ordonnée ou désordonnée.

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      2. Me voilà obligé de répondre à mon commentaire pour répondre au vôtre, Christine. Je rebondis sur votre exemple qui illustre magnifiquement le système sacrificiel pris de folie. Dans la série The Crown, voilà la monarchie anglaise jetée en pâture aux lions pour notre plus grand plaisir. Nous assistons au fascinant spectacle, renouvelé de génération en génération, de la machine à broyer un prince ou une princesse comme on les aime dans les contes de fées (purs, innocents, joyeux et munis de toutes leurs illusions) pour en faire un vassal cynique et désabusé de la monarchie (constitutionnelle ne veut visiblement pas dire libérée du sacrifice). Inévitablement la victime se fait bourreau de la victime suivante. Fascinant, indeed ! Et bien dérangeante l’idée que nous sommes, par notre demande de symboles immaculés, la cause de toutes ces vies sacrifiées.

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  5. Merci, Christine, pour toutes ces pistes de réflexion et merci pour les commentaires qu’elles suscitent et dont je fais mon miel, surtout par les temps qui courent.
    Elisabeth

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  6. Au-delà du lynchage médiatique, peut-il y avoir une Catharsis Médiatique ?
    Les Catharsis Tragique, Judiciaire et Religieuse correspondent aux trois types de Mimesis.
    https://www.hamletultimetraduction.fr/single-post/2019/09/18/TRIPTYQUE-ANTHROPOLOGIQUE
    Le récit d’une violence dans les médias, la Mimesis Médiatique, prend une autre dimension avec la multiplication des supports dont les réseaux sociaux et la multiplication des possibilités de prises de paroles en temps réel.
    Une Violence Médiatique, « en distanciel », se surajoute à des violences « en présentiel ».
    Le lynchage médiatique, plus expéditif que n’importe quelle justice, peut-il engendrer une Catharsis Médiatique, un apaisement, si ce n’est une forme de résolution de conflits ?

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  7. Merci pour cet article.

    Je retiens surtout qu’un journal peut juger un article tout-à-fait publiable quand il est soumis, puis le juger tellement inacceptable qu’il mérite un renvoi sous la pression « des autres » fussent-ils des opposants politiques.

    J’espère qu’on a gardé la photo du directeur de rédaction se lavant les mains, ça ferait joli dans nos archives.

    Bref, surtout éviter le scandale, l’époque ne le permet plus.

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  8. Je remercie infiniment rédacteurs et contributeurs de ce blogue de nous donner tant à penser, et du respect et de la retenue dont ils font preuve dans leurs interventions. Ce n’est pas si fréquent.

    La succession des trois derniers articles, que je trouve remarquable, et les articles eux-mêmes remarquables, est particulièrement riche d’enseignements pour moi. Il me semble qu’elle met en perspective la dénonciation des abus sexuels dans la longue chaîne des révélations de « scandales » – ou de « chutes » comme le traduit la TOB, avec un mot qui souligne davantage peut-être la réalité de l’histoire des êtres humains, toujours debout, toujours à terre –, qu’ils soient sociaux, historiques, économiques, politiques, religieux, écologiques, familiaux, psychologiques, sexistes, raciaux, etc., et qu’ils soient exprimés en termes religieux ou laïques, qui trouve son origine dans le message christique. Le dernier d’une liste probablement interminable, comme le rappelle Christine Orsini avec Jean : « Jésus dit à ses disciples : il est impossible qu’il n’arrive pas de scandale ». Le dernier exemple de ce qu’on peut imaginer avoir été la règle commune tout au long de l’histoire des sociétés, et dont la raréfaction dans notre monde occidental rend la révélation et le rejet possible.

    Mais la lecture croisée de ces articles, et de ceux du blogue en général m’amène à me poser deux questions. Toutes les analyses que l’on peut lire ici ne seraient-elles pas occidentalo-centrées, avec leur quasi exclusive insistance sur la tradition judéo-chrétienne ? Quid des autres traditions, aussi, sinon plus anciennes ? Et, du coup, ces analyses ne se retrouveraient-elles pas d’une certaine manière peut-être suspectes de ce qu’elles dénoncent, à savoir un abus de position supposée toujours dominante, d’un savoir qu’on dénierait aux autres dans une rivalité mimétique niée ? A cette question qu’on n’a pas manqué de lui poser, Girard, me semble-t-il, était un peu embarrassé, reconnaissant également à la tradition indienne une forme de révélation de l’innocence victimaire. Et quid de la conversion comme seule perspective de salut auprès d’une humanité majoritairement non chrétienne à qui le Christ est radicalement étranger ? Il y a là, je crois, une sorte de point aveugle que ma grave méconnaissance des cultures non greco-romano-judeo-chrétiennes ne me permet même pas d’évaluer.

    Et enfin, en deçà de ou par delà ces doutes, comment, devant une réalité violente qui ne cesse de nous submerger, comment ne pas céder au découragement et au cynisme ? Comment s’empêcher de penser que les bonnes intentions nous mènent une fois de plus en enfer, puisque aujourd’hui, une fois de plus encore, la revendication victimaire, probablement inséparable de la parole des victimes dans nos actuelles sociétés d’hyper communication, porte en puissance le risque de nouvelles exclusions et de nouvelles violences médiatiques, ainsi que le souligne Jean-Marc Bourdin ?

    Pour y échapper, je partage le sentiment de Jean-Marc (si je l’ai bien compris) selon lequel seules les Institutions, contrôlantes, et contrôlées, peuvent constituer une voie de sortie, en offrant la seule garantie et la seule protection qui vaille. Imparfaites, toujours, comme les êtres qui les mettent en place. Nécessairement frustrantes, insuffisantes et impuissantes à satisfaire notre soif de justice, et donc grosses de nouvelles violences ; peut-être aussi parce notre soif de justice sera toujours elle-même suspecte d’un désir de vengeance qui lui est consubstantiel.

    Ainsi chantait Neruda :

    Au nom de ces morts, de nos morts,
    je demande le châtiment.
    Pour ceux qui ont éclaboussé de sang notre patrie,
    je demande le châtiment.

    Pour le bourreau qui a ordonné la tuerie,
    je demande le châtiment.

    Pour le traître qui s’est élevé sur le crime,
    je demande le châtiment.

    Pour celui qui lança l’ordre de l’agonie,
    je demande le châtiment.

    Je ne veux pas serrer leur main
    ruisselante de notre sang.
    Je demande le châtiment.

    Je veux les voir jugés, ici,
    sur cette place, à cet endroit.

    Je veux pour eux le châtiment.

    Que l’on essaie seulement de remplacer « châtiment » par « pardon », et l’on comprendra alors qu’il est bien des formes de sacrifice pour l’être humain.

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    1. Oui Alain, pour le dire simplement, nous avons la conversion comme voie individuelle et les institutions de la moindre violence comme voie collective.
      Quant à la question de la vérité de la violence, je ne pense pas qu’il y ait d’arrogance occidentalo-centrée ou de prétention à l’exclusivité face aux autres traditions. René Girard estimait qu’historiquement, les sociétés ayant comme texte sacré la Bible s’étaient interrogées le plus sur leur culpabilité, tant celle de leur membres que celle de leurs communautés nationales, ainsi que sur l’innocence des victimes de la foule. Il n’a jamais refusé de contre-exemples : ils seront toujours les bienvenus.

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    2. A Alain
      Si l’on adopte un point de vue chrétien, c’est à dire si Jésus est bien Dieu incarné, il fallait bien que cette incarnation se produise en un temps et en un lieu, c’est à dire dans le temps et l’espace, conditions auxquelles Dieu n’est pas soumis: c’est un paradoxe, et de ce paradoxe naitra la notion de trinité, avec le Saint Esprit faisant lien entre Dieu et le fils de l’Homme, … (je m’arrête là). Et pour être précis, Jésus n’est pas occidental, mais moyen-oriental. Prétendre que les chrétiens sont « occidentalo-centrés » n’est donc pas exact. Personne ne peut s’approprier le christianisme, qui est universel.
      Cela va assez loin ; à la critique qui lui était adressé sur sa légitimité à enregistrer une intégrale des cantates de Bach, Mazaaki Suzuki répondit : « Qui est plus légitime ? Un allemand athée ou le chrétien japonais que je suis ? Je pense avoir plus de légitimité ». (je cite de mémoire).
      Mais c’est là une conséquence annexe, j’en conviens. Concernant la Révélation chrétienne, ceux qui croient pouvoir se l’approprier par le baptême l’appartenance citoyenne à un continent « aux racines chrétiennes » ou même par l’observance du culte (mon curé le pense, comparant la pratique religieuse à la pratique sportive) font preuve d’hérésie. Il y a des chrétiens qui ne savent pas qu’ils le sont, où qu’ils soient, quelle que soit leur culture et même quelles que soient leurs fautes (par exemple ; celui qui a été crucifié à coté de Jésus).

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    3. Oui, j’ai vraiment aimé ce commentaire. Je n’ai pas de réponse à apporter à des questions que je trouve tout à fait légitime et intelligent de se poser.
      Juste une ou deux modestes remarques : la conversion n’est pas réservée au domaine religieux. Pour Girard, qui inspire ce blogue à n’en pas douter, elle est d’abord « romanesque ». Il s’agit d’une expérience au cours de laquelle on s’aperçoit qu’on a toujours menti même quand on disait la vérité. On renverse les perspectives, on se donne une nouvelle naissance, bref, je ne vois pas ce qu’il y a là de « occidentalo-centré ».
      Ma seconde remarque, c’est la réponse que j’ai toujours donnée aux élèves qui me reprochaient de ne les instruire que de la pensée occidentale : on ne peut parler que de ce qu’on connait et en plus, il se trouve que la philosophie est une invention grecque et non chinoise ou indienne, ce qui ne l’empêche pas de prétendre à une certaine universalité. La vérité mise au jour par la théorie mimétique et par la Révélation évangélique est universelle. C’est pourquoi Girard s’est passionné pour les travaux de Sylvain Lévi sur les rites très anciens des brahmanes. Mais on ne peut pas être partout à la fois.
      Cependant, je remarque que notre ami Hervé qui s’est spécialisé dans le retournement spectaculaire des textes bibliques fait subir le même sort aux sourates du Coran.

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    4. Je traduirais plutôt le mot scandale par « occasion de chute » ou « pierre d’achoppement », selon l’interprétation de Girard, la pierre sur laquelle nous venons sans cesse buter. Je rejoins les autres commentateurs sur la question de l’universalité du message biblique et cette universalité est revendiquée par au moins deux des trois religions monothéistes. Il y a un autre aspect. La multiplication de ces « pierres d’achoppement » n’est pas l’apanage des sociétés occidentales, si on accepte d’y inclure le phénomène de libération de la parole des victimes. Celui-ci a lieu dans toutes les cultures, y compris les plus résistantes. Des ONG telles qu’Amnesty sont présentes sur les cinq continents et ont des adeptes partout. Pour prendre un exemple, l’Inde a connu récemment des retentissants scandales liés à des viols « traditionnels » et à une culture généralisée – et tabou – du viol.
      Votre deuxième question est primordiale. Je pense qu’il n’y a pas moyen, lorsque la réalité de notre violence est exposée, d’échapper au découragement, au cynisme, voire au désespoir ou à la violence extrême. C’est mon interprétation des versets apocalyptiques de la Bible et du Coran, qui nous décrivent justement la crise spirituelle, tant individuelle que collective, consécutive au dévoilement « des choses cachées depuis le commencement ». Isaïe en parle mieux que moi, notamment au chapitre 28 :

      1Malheur ! Fière couronne des ivrognes d’Ephraïm,
      et fleurs fanées qui font l’éclat de sa parure
      au-dessus de la vallée plantureuse,
      vous qui êtes assommés par le vin.
      2Voici un puissant guerrier du Seigneur,
      semblable à un orage de grêle, à une tempête dévastatrice,
      à un orage qui fait déborder les eaux impétueuses :
      violemment, il couchera tout à terre.
      3Elle sera foulée aux pieds,
      la fière couronne des ivrognes d’Ephraïm ;
      4et les fleurs fanées qui font l’éclat de sa parure
      au-dessus de la vallée plantureuse
      seront comme une figue précoce, mûrie avant l’été :
      quelqu’un l’aperçoit et, aussitôt qu’il la tient, il l’avale.
      5Ce jour-là, le SEIGNEUR de l’univers sera la couronne éclatante,
      le diadème et la parure du reste de son peuple.
      6Il sera l’esprit de justice pour celui qui siège en justice,
      la vaillance de ceux qui refoulent vers la porte la bataille.

      La Bible appelle « colère de Dieu » ce dévoilement souhaité et craint par-dessus tout et le lie clairement à la prise de conscience de la corruption du monde :

      Toutes les tables sont couvertes de vomissements infects :
      pas une place nette ! (28, 8)

      L’allusion à la pierre d’achoppement devenue pierre d’angle montre que ces scandales sont à la fois la cause et la conséquence de la crise, le phénomène est explosif et irréversible. La « chute » est à la fois passage obligé vers le salut et accablante catastrophe :

      16Cependant, ainsi parle le Seigneur DIEU :
      Voici que je pose dans Sion une pierre à toute épreuve,
      une pierre angulaire, précieuse,
      établie pour servir de fondation.
      Celui qui s’y appuie ne sera pas pris de court.
      17Je prendrai le droit comme cordeau
      et la justice comme niveau.
      Et la grêle balaiera le refuge du mensonge,
      et les eaux emporteront votre abri.
      18Elle sera effacée, votre pacte avec la Mort,
      votre accord avec le séjour des morts ne tiendra pas.
      Le fléau déchaîné, quand il passera, vous écrasera.
      19Chaque fois qu’il passera, il vous reprendra,
      car il repassera matin après matin, le jour et la nuit,
      et ce sera pure terreur d’en comprendre la révélation.

      Il serait donc présomptueux de penser qu’on peut, de quelque manière que ce soit, échapper au « fléau déchaîné » et à ses conséquences sur notre psychisme et sur nos communautés. Comme le dit St Paul :

      12Vivante est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur. 13Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue ; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c’est à elle que nous devons rendre compte.(Hébreux 4, 12-13 – les versets qui précèdent peuvent être lus comme l’expression du refus de la crise, de la peur panique qu’elle nous inspire)

      Ce sont nos stratégies d’évitement qui alimentent la crise. Elles sont de deux ordres, je pense. Le progressisme est une fuite en avant et ne veut voir que la dimension vertueuse du phénomène. Le progressisme ignore complètement son aspect destructeur d’ordre, anarchique, mortel pour nous. Le traditionalisme a le mérite d’en être conscient mais sa prétention de faire comme si de rien n’était, comme si on pouvait rétablir les mensonges d’antan, est puérile et désespérée. Pas de retour en arrière possible.
      La troisième voie commence donc par un constat de bon sens : autant accepter la crise et s’y préparer puisque de toute façon nous n’y échapperons pas.

      15Voici ce que me dit le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël : « Prends de ma main cette coupe de vin, de vin capiteux, et offre-la à toutes les nations chez lesquelles je t’envoie. 16Elles boiront, tituberont, délireront à la vue de l’épée que je plonge au milieu d’elles. » 17Je pris la coupe de la main du SEIGNEUR et je l’offris à toutes les nations chez lesquelles le SEIGNEUR m’avait envoyé […]
      27Tu leur diras : « Ainsi parle le SEIGNEUR de l’univers, le Dieu d’Israël : Buvez, enivrez-vous, vomissez, tombez sans vous relever, à la vue de l’épée que je plonge au milieu de vous. » 28Si elles refusent de prendre la coupe de ta main, pour la boire, tu leur diras : « Ainsi parle le SEIGNEUR de l’univers : Vous la boirez quand même. » (Jérémie 25)

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  9.  » Le résultat accomplit et met fin à la notion d’expiation renouvelant la création. C’est fait, il n’y a plus rien à faire.  »
    http://jamesalison.com/fr/girard-livre-de-lapocalypse/
    Merci de savoir ici témoigner de cela, et qu’importe après tout que se déchaine celui qui fut dupé par la croix et voit son mensonge hanter encore une humanité qui, passant le fil du réel, voudrait rentabiliser son propre sacrifice, revendiquant la sacralité de la victime pour mieux encore usurper ce que l’analogie du pardon a pourtant révélé, et si complètement, la route ouverte et le chemin nouveau à nos pieds tremblants où pas à pas nous prenons conscience de librement nous y engager, sans rien savoir du futur que cela, nous pouvons avec confiance nous passer de sacrifice et établir ce royaume d’équité, jusqu’au sang des martyrs, s’il le faut, mais sans rétribution sacrée, simplement avec un peu d’amour et un peu d’attention à se respecter ainsi les uns les autres, que c’est cela que Justice , État, doivent garantir, cette potentialité présente au cœur du plus simple jardinier quand la femme aimée reconnut en lui le Ressuscité, devant le tombeau vide de la crainte de la mort qui n’est plus rien si nous ressentons d’être traversés par le phénomène, devenus de facto ses témoins.
    Plus de larmes alors, et plus d’identité, mais une réponse favorable à une invitation clairement formulée à laquelle il est possible de répondre avec confiance, acceptant la mission de poursuivre, comme le signifie Dostoievski en Raskolnikov, l’écriture d’un nouveau récit, où commence une seconde histoire, l’histoire de la lente rénovation d’un humain, de sa régénération progressive, de son passage graduel d’un monde à un autre, où victimes et bourreaux sont ensemble invités à appréhender cette nouvelle perspective, n’étant plus rien de défini, ayant perdu toute identité agrippée contre une autre, accédant alors follement à ce tout qui est à nous et que pourtant nous ne connaissons pas, mais certains que, Lui, en sa sagesse, nous a reconnus :

    « 18Que nul ne s’abuse lui-même: si quelqu’un parmi vous pense être sage selon ce siècle, qu’il devienne fou, afin de devenir sage.

    19Car la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu. Aussi est-il écrit: Il prend les sages dans leur ruse. 20Et encore: Le Seigneur connaît les pensées des sages, Il sait qu’elles sont vaines. 21Que personne donc ne mette sa gloire dans des hommes; car tout est à vous, 22soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir. Tout est à vous; 23et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu. »
    https://saintebible.com/lsg/1_corinthians/3.htm

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  10. Ce matin, vers 7h45, assis à la table de la cuisine devant mon bol de café, les yeux tournés vers le ciel, bleu derrière les feuilles encore minuscules, tendres et froissées du bouleau, j’ai soudain pris conscience du chant qui venait de la radio et que j’écoutais sans le savoir depuis un long moment; et la voix bouleversante (de Dorothée Mields dans la cantate 115, comme le précisera Corinne Schneider, l’animatrice du Bach du dimanche à la fin de la pièce) s’est soudain mêlée à la profonde rêverie dans laquelle la lecture de vos réponses à mon commentaire, et les sensibilités qu’elles révélaient, m’avaient plongé. Pendant quelques instants, une sorte de constellation s’est alors créée dans mon esprit, me faisant presque venir les larmes aux yeux, qui unissait la pureté de cette matinée, l’émotion de la prière de Bach, les perspectives ouvertes en moi par vos remarques, l’immensité des questions qu’elles amenaient, et l’infinie petitesse de ma place au sein de cette transcendance verticale et bleue. Je vous dois cet instant précieux.

    Je préciserai –soyons modeste jusqu’au bout, et continuons à parler de moi – que, peut-être le seul sur ce blogue, je suis athée. J’ajoute que j’envie, réellement, la paisible assurance que peut donner la foi, en particulier face aux échéances ultimes ou à la douleur d’être au monde. Mais, pas plus que d’autres choses, cela ne se commande pas. Je n’y peux rien. ( Ceci n’est pas non plus une manière de m’excuser, on l’aura compris.)
    Mon athéisme –cela a peut-être un intérêt sur ce blogue, voilà pourquoi j’en parle, et si ce n’est pas le cas, aucun doute qu’ici j’aurai au moins droit au pardon – fut, dans ma jeunesse, aussi sectaire et intransigeant qu’il a coutume d’être. La lecture de Girard, et de Serres, l’a rendu œcuménique, si j’ose dire. C’est la raison pour laquelle je reçois avec infiniment de respect, et d’empathie, les réflexions d’Hervé, de Benoît, d’Aliocha, et que je trouve beaucoup à penser dans les remarques plus attentives à l’aspect laïque (je me trompe lourdement peut-être, pardon ( !) de Jean-Marc ou de Christine. Je crois en effet que, par-delà ma petite personne qui ne présente aucun intérêt, et pour reprendre un mot de Benoît, « cela va assez loin » : dans quelle mesure le message évangélique peut-il parler à un athée ? Dans quelle mesure un croyant peut-il accepter, ou comprendre, le refus d’une transcendance chez son semblable ? Dans quelle mesure un athée peut-il s’arranger avec le refus d’une transcendance dont il lui arrive pourtant de ressentir la possibilité, ou la nécessité, ou l’existence chez les autres ? Quand un athée écoute Bach, ou regarde un film de Terence Malick, ressent-il la même chose qu’un croyant ? Cela a-t-il la même valeur ? Et cette question a-t-elle un sens ? Et cette conversion, dont Christine dit, et cela me parle profondément, qu’elle n’est pas réservée au domaine religieux –ce que Girard n’aurait peut-être pas dit (il me semble ?), lui qui aimait tant la provocation– cette conversion « romanesque », quelle est sa valeur, ou sa possibilité, pour un croyant ? Enfin, une « conversion romanesque » peut-elle s’accomplir sans s’appuyer sur quelque chose qui la dépasse, c’est-à-dire une verticalité qui lui fasse abandonner l’horizontalité mimétique?

    Ce blog permet à chacun, je crois, de réfléchir à tout cela, de se demander s’il y a une réponse universelle, s’il est légitime de se réclamer d’un universel, de se demander aussi ce que peut être un universel devant, comme le dit Jean-Marc, « des contre-exemples qui seront toujours les bienvenus ». C’étaient je crois les questions que se posait encore Michel Serres à la veille de sa mort dans Relire le relié.
    Nul doute que tout cela ressurgira à un moment ou à un autre à l’occasion d’une prochaine publication ou d’un prochain commentaire .

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    1. Ceux qui ont entendu parler de René Girard en retiennent le plus souvent l’aspect « profane » du bouc-émissaire, du faux coupable sur lequel se défoule la foule. La place essentielle du christianisme dans sa pensée est méconnue ou effacée. Dans le même temps, Girard est peu et mal connu du grand public et des « lettrés » catholiques. C’était le cas de son vivant, cela n’a guère changé.

      Cette situation produit un paradoxe intéressant. La rivalité mimétique, son emballement dans le mécanisme sacrificiel, le sacrifice d’un bouc-émissaire etc sont des notions compréhensibles par chacun, croyant ou non. La révélation progressive et inéluctable de ce mécanisme est une clef de lecture de la modernité qui là aussi peut être tournée par tout le monde. Il suffit de regarder en soi et autour de soi sans besoin de faire intervenir la foi. La conversation romanesque se situerait dans cette optique.

      Toutefois l’hypothèse profane finira toujours par heurter l’événement révélateur du mécanisme sacrificiel : la Résurrection. Girard n’appartenant pas à la pensée catholique, l’obstacle n’est pas l’anticléricalisme mais le surnaturel. Pour autant, il reste possible de se détourner de l’événement fondateur et d’examiner rationnellement ses conséquences, notamment son rôle dans les crises actuelles.

      Mais c’est à la mise en œuvre du Salut qu’on se heurte alors. Girard n’avait pas seulement pour objectif d’étudier une hypothèse scientifique comme un botaniste étudie une variété inconnue d’orchidée, il souhaitait mettre en garde ses contemporains. Et il n’était pas très optimiste… Existe-t-il un remède profane ? Peut-on s’en sortir avec le pardon, le rejet de la haine et de toute forme de sacrifice sans passer par la verticalité que vous mentionnez, en écartant l’économie du salut qui suppose une existence divine ?

      Une réponse consisterait à faire un pas de côté et à étudier avec un regard profane le mystère de la Rédemption, la manière dont il est perçu par l’Église, en quoi il coïncide ou non avec la théorie girardienne.

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      1. Nathalie,
        Avec un large sourire, je souligne, dans votre réponse, ce qui est probablement un lapsus révélateur : « La conversation romanesque ». L’expression est révélatrice en ce sens que le roman, quelles que soient ses qualités, très justement mises en évidence par René Girard, ne suffit pas pour que se produise une conversion. Il faut aussi, et c’est précisément en cela que l’on peut parler de conversion, que le divin s’en mêle. Cela va de soi pour un croyant, mais c’est parfaitement inouï pour un athée. Pour poursuivre, toujours en souriant, on peut évoquer ce cri du cœur entendu quelque part : « Dieu merci, je suis athée ! ». J’y ajouterai cette réponse de Dieu, adressée à celui qui se croyait athée : « Si tu dis ne pas croire en moi, moi non plus je ne crois pas en l’athéisme ». Et je ne peux que lui donner raison, car René Girard nous a appris que l’humain est en quelque sorte un animal religieux, en ce sens où c’est ce qui le caractérise, depuis l’origine, par rapport aux animaux. Toute la question est de savoir en quel dieu on croit…

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    2. J’ai découvert dans mes lectures des Écritures un texte presque profane, un texte, « fléau déchaîné » qui ne laisse rien debout de nos représentations convenues. Lorsque ces livres parlent de Dieu, ils dénoncent la plupart du temps l’image fabriquée d’une fausse transcendance qui se borne à justifier nos pauvres existences. Plus le propos est obséquieux, grandiloquent ou craintif et moins le Vrai Dieu se montre. La plupart du temps la Bible, dans ses passages les plus mystiques en apparence, nous montre ce que n’est pas Dieu. Comme pour Elie au désert, Dieu qui se révèle est un souffle à peine perceptible.
      Les Pharisiens des Évangiles, c’est nous. Les mécréants du Coran, c’est nous tous.
      Il y a aussi tous ces psaumes dans lesquels le psalmiste crie vers un ciel vide, adresse ses prières à un Dieu absent. La foi ne protège pas de la crise, elle ne fait qu’aider à la traverser.
      Que dire de Qohèleth, en grande partie traité de philosophie nihiliste ?

      J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ;
      mais voici que tout est vanité et poursuite de vent. (2, 14)

      Un ami, croyant, à qui on rappelle l’un ou l’autre des fondements de la foi, répond toujours : « oui, mais qu’est-ce que cela veut dire ? », laissant ses interlocuteurs désemparés. Il professe tout haut son espoir que le christianisme puisse un jour advenir… Marion Muller-Colard, l’autrice du superbe « l’Autre Dieu », théologienne et aumônière, se définit comme agnostique, toujours en questionnement, croyante en devenir.
      La vérité ne se trouve pas dans les forteresses, mais quelque part dans ces territoires aux frontières mal définies, aux cartes inachevées, quelque part sur la route.
      Votre très belle confession prouve seulement, Alain, que vous êtes, comme nous tous, un pèlerin qui chemine.

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    3. Le Christ, selon Girard, nous a laissé devant ce terrible choix, ou croire, ou ne plus croire en la violence, et selon Serres, c’est dans le trou horizontal que se plante la verticale de la transcendance, le Dieu d’amour qui éradique la violence à tout jamais, nous invitant au saut raisonnable de la foi, définie anthropologiquement comme incroyance en la violence, et qui permet de s’en affranchir.
      La définition girardienne du christianisme comme incroyance en la violence rejoint à mon sens l’extraordinaire théologie de Benoit XVI, où l’équilibre relationnel, l’amour du prochain, c’est à dire l’horizontale de l’anthropologie religieuse, induit dans un rapport réciproque sa verticale transcendante, permettant de reconnecter médiation interne et externe, c’est moi mais ce n’est plus moi, qui est une définition de la grâce dont seul le cœur est à même de ressentir l’instant précieux, cher Alain, plaçant tel Marcel Proust l’analyse intelligente après cette expérience sensible, goûtant la joie souveraine des derniers mots de « Relire le relié », parfaite, paisible, et sauve de tout Mal, où deux inconnus en écoutant la même émission, se retrouvèrent malgré eux frappés par la même émotion, donnant à penser, s’il en était encore besoin, que l’humain est à même de ressentir la présence du divin :

      « C’est moi, mais ce n’est plus moi: voilà la formule de l’existence chrétienne fondée sur le Baptême, la formule de la résurrection à l’intérieur du temps. C’est moi, mais ce n’est plus moi: si nous vivons de cette manière, nous transformons le monde. C’est la formule qui contredit toutes les idéologies de la violence, et c’est le programme qui s’oppose à la corruption et à l’aspiration au pouvoir et à l’avoir. »

      http://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20060415_veglia-pasquale.html

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  11. Ma réflexion sur l’affaire Duhamel m’avait été inspirée par une pensée de Pascal, fragment 61 dans l’édition Lafuma : « la mode fait l’agrément aussi fait-elle la justice ». Plus « cynique » que cela, tu meurs….Et cependant, la relecture, plus approfondie que d’habitude que j’ai dû faire récemment des Pensées de Pascal, est un incomparable antidote contre le poison du cynisme, du relativisme, du nihilisme, ces dérivés très actuels du ressentiment. Toutes les questions aussi personnelles qu’universelles posées dans ce très beau commentaire d’Alain m’ont remis en mémoire la sollicitude extraordinaire que ce merveilleux génie de Pascal manifeste pour « ceux qui cherchent en gémissant ». Pour qui, en effet, écrit-il ou commence-t-il d’écrire une apologie du christianisme si ce n’est pour des athées comme Alain ou des chrétiens imparfaits comme nous autres ? Je ne sais pas si c’est le matin ou à un autre moment que l’heure y serait propice mais les fragments de cette « apologie » pas comme les autres est une nourriture intellectuelle et spirituelle que j’ai l’honneur de vous recommander, cher Alain.

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  12. J’avais 9 ans. En début d’année scolaire de CE2, la maitresse, après avoir commencé à nous expliquer la division, avait procédé à une interrogation écrite. Deux élèves ont eu tout juste : Un redoublant et moi. Ne me croyant pas capable de ce résultat, elle me fit appeler au tableau. Devant une classe et « soumis à la question » (c’était ma perception), j’étais incapable de sortir un mot. Elle posa alors quelques divisions au tableau, et je fus capable de donner, à chaque fois le bon résultat. Elle ne put aller jusqu’au bout de mon humiliation publique, mais resta visiblement sceptique.
    Ce qu’elle n’avait pas achevé, les autres élèves de la classe le réalisèrent. Ce fut un petit groupe avec parmi eux le fort en « gym » qui me provoqua pour m’obliger à me battre avec ce costaud. Mon attitude restait la même : J’étais solitaire dans la cour de récréation et quasiment muet. Cette différence facilita l’obtention rapide de l’unanimité de la classe par le petit groupe. Je devins la « tête de turc » et lors des récréations, un cercle se formait autour de moi, m’empêchant de me réfugier dans « mon » coin. Et à l’intérieur de ce cercle, se déroulait rituellement un combat loyal entre le «fort en gym » et moi, qui pouvait recommencer, car les coups portés par «fort en gym » ne portait pas sur des parties visibles…Cela ne dura qu’un an.
    Cet épisode est la pierre d’angle de ma vie, car, elle a fondé le désir de comprendre le monde absurde qui m’entourait, que je ne comprenais pas et qui m’était hostile. Ce n’est que très récemment que j’ai compris que j’étais ce que vous, les neuro typiques, nommez les autistes, mais dont la caractéristique principale est l’absence (ou la rareté des neurones miroirs). Je n’ai pas cherché à me faire diagnostiquer, puisque l’avantage unique d’un diagnostic est l’obtention d’un statut de travailleur handicapé. A 67 ans, je suis à 6 mois de la retraite, je n’en ai pas besoin, et, surtout, cette caractéristique a été un avantage, pour éviter la souffrance au travail et l’étudier. « On » m’a proposé (c’est un euphémisme cachant la violence des actions …) la (pré) retraite à 54 ans.
    Si je raconte ici cette anecdote (si l’épisode est pour moi fondateur, il n’en reste pas moins qu’il est anecdotique, en lui-même), c’est pour réagir à une phrase du début de l’article remarquable de Christine ORSINI : « grande première anthropologique » qu’est la prise de parole des victimes. ». Pour moi, « la libération de la parole des victimes» n’est pas un phénomène anthropologique, c’est le mécanisme du bouc émissaire qui l’est, puisqu’il est employé par des enfants de 9 ans.
    Comme l’écrit Nathalie, « La rivalité mimétique, son emballement dans le mécanisme sacrificiel, le sacrifice d’un bouc-émissaire etc sont des notions compréhensibles par chacun, croyant ou non. », mais, et ce n’est ni un paradoxe ni un hasard, elles ne sont pas étudiées. Pour moi, le désir mimétique est une notion, qui m’est devenu compréhensible, mais que je serai incapable d’étudier. Pour les rivalités mimétiques et les mécanismes sacrificiels, c’est l’inverse.
    En phase avec le thème de ces deux derniers articles, le phénomène d’harcèlement sexuel au travail a multiplié simplement les possibilités femmes sur femmes, femmes sur hommes, hommes sur hommes…..
    Voilà pourquoi, qu’avant la notion, certes fondamentale, de La Victime pardonnante », l’organisation évitant les rivalités mimétiques, telle que nous l’a présenté Le professeur Jean-Michel OUGHOURLIAN dans « le travail qui guérit » (livre révolutionnaire) est aussi fondamentale et accessible aux croyants ou non.

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    1. Merci pour votre témoignage. La libération de la parole, la vôtre parmi d’autres, est de l’avis général, une « grande première anthropologique ». Pourquoi ? parce qu’en révélant le mécanisme victimaire, en faisant entendre le point de vue des persécutés du quotidien (les femmes et les enfants d’abord), elle contraint l’ordre existant à révéler son « désordre ». La méconnaissance qui garantit l’efficacité des institutions et des pratiques servant à « contenir » la violence n’a dû son efficacité qu’à ce « monopole de la parole légitime » détenu par les adultes, les hommes, les maîtres, les vainqueurs, les « forts ». Et c’est donc une révolution anthropologique que de mettre fin à ce monopole. Il se peut qu’une certaine « cacophonie » soit le prix à payer pour ce progrès incontestablement moral et qu’une certaine anarchie succède à l’ordre patriarcal. Mais c’est ainsi, il y a un « avant » et un « après » les « révélations » qui sont des révolutions.

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      1. Christine ORSINI vous avez mal compris mon propos. Ce n’est pas une libération de la parole, c’est au contraire le refus de considérer celle ci comme une grande première anthropologique. Ce souci des Victimes avec un grand V est, pour moi, un autre moyen de perpétuer le mécanisme du bouc émissaire.

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    2. Cher fxnico, merci pour ce témoignage qui rejoint ma propre expérience. Hélas, le harcélement en bande était et reste monnaie courante dans les cours d’école.

      Cependant, je ne pense nullement que cela révèle un quelconque autisme chez nous ni une différence de quantité de neurones-miroirs. La foule c’est simplement accroché à un élément distinctif arbitraire qui était votre talent pour les fractions pour vous et ma haute taille pour moi, et qui était étrangement cité dans les mythes collectés par René Girard (ceux-là même que les freudiens prenaient pour des fallus déguisés). Par contre, notre expérience de victime nous a rendu plus conscients des phénomènes collectifs. A une autre époque, nous aurions peut-être rédigé des psaumes et des textes prophétiques.

      Mais je ne partage pas du tout votre optimisme et celle de Mme Orsini sur la révélation inéluctable du mimétisme et du sacrificiel. Ils ne sont connus par aucun de mes collègues pour lesquels n’existent que la volonté et le subconscient freudien. De même, quand on essaye d’expliquer que le harcélement est un phénomène collectif et que convoquer les parents du chef de bande ne peut avoir aucun effet, l’incompréhension est totale aussi bien chez les enseignants que chez les parents d’élèves.

      Je crois qu’il y a un très gros travail pour vulgariser et diffuser tout cela…

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      1. Cher La Mude
        L autisme est bien l’absence ou la rareté de neurones miroirs (cf. Le troisième cerveau du professeur OUGHOURLIAN).
        En France, sa détection ( forme ASPIE) date de 1993. L épisode que j’ai relaté m’a en fait construit (la pierre d angle) en acquérant un désir mimétique…Mais je ne vais pas raconter ma vie.
        Mon but était de montrer l anthropologie du bouc émissaire ce que n’est pas, à mon avis ni la parole libérée ni le souci des victimes

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  13. fxnico, vous voulez dire que l’expérience vécue de se trouver, en quelque sorte, au centre d’un cercle de lyncheurs, en tant que pierre d’angle, vous a permis de découvrir (chez les autres) le phénomène mimétique, qu’une déficience en neurones miroir (cause de l’autisme) vous avait fait ignorer? Et qu’en raison de votre autisme, vous ignorer vous-mêmes le désir (ou un comportement) mimétique? Je ne suis pas sur de vous avoir bien compris…excusez-moi si je me trompe.

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    1. Benoit, votre curiosité intellectuelle est un grand apport pour ce blogue. Votre intuition est vraie, mais la réalité est à la fois plus simple et plus complexe.
      Je sais que je suis autiste parce qu’une collègue me parlait de son ainé diagnostiqué autiste asperger. Je me suis reconnu lorsque j’étais jeune. J’ai consulté les 20 critères secondaires de cette particularité. Enfant je les avais tous. Parmi ces critères, l’un était particulièrement développé chez moi: l’hypo sensibilité (au froid) et à la douleur. Cette dernière quasi-insensibilité a conduit quelques-uns à me trouver courageux puis à m’apprendre quelques codes sociaux élémentaires (pour un neuro typique):
      Rendre quelques coups (aussi bizarre que cela vous paraitra, cela ne m’était pas venu à l’esprit) J’avais acquis un désir mimétique (le seul) : Ne plus subir ce genre de situation. Je l’ai employé et j’ai acquis, à défaut d’acceptation, un respect. Je pouvais me consacrer à mes bizarreries (centres d’intérêts) le reste du temps = lire (notamment des histoires de la mythologie grecque/latine et des légendes). J’ai aussi, avec l’acquisition de quelques codes sociaux (surtout ceux-là) découvert que je pouvais, dans ce monde hostile, faire confiance. Ce fut précieux pour faire cesser les très grandes angoisses. Les simples angoisses ne disparurent que fin 2013, mais c’est une autre histoire. J’ai aussi découvert les rivalités mimétiques et leurs dangers pour moi (cf. le troisième cerveau du professeur OUGHOURLIAN) : La chute vers la schizophrénie….Bien sûr, ces mots-là n’étaient pas employés, mais « une personne de confiance » m’avait affirmé que je ne devais pas me mettre en concurrence ni participer à des compétitions dans quelque domaine que ce soit. Cela suffit à intégrer cet interdit au plus profond de moi.

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  14. fxnico, ce que vous écrivez m’intéresse et m’apprend beaucoup, et je vous en remercie. Si je comprends bien; vous avez acquis une réaction de défense, que vous appelez un désir mimétique (et que je qualifierait pour ma part de comportement mimétique), qui a consisté à rendre les coups, comprenant que c’était la seule façon de vous faire respecter? Si je ne suis pas indiscret, partagez vous ce que j’appelle plus spécifiquement « désir mimétique », c’est à dire une attirance vers la possession de certains objets qui sont désirés ou possédés par un autre? Par exemple êtes vous sensible à des phénomènes de mode? Comprenez vous ce genre de phénomène?

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    1. Benoit, vous avez raison sur la distinction entre comportement mimétique et désir mimétique.
      Vous n’êtes pas indiscret. Non je ne partage pas le désir mimétique (attirance vers la possession de certains objets qui sont désirés ou possédés par un autre, ni par les phénomènes de mode). Par contre, comme tout autiste, je ne pouvais envisager naturellement de prêter un de mes « objets » correspondant à mes centres d’intérêts ».
      Je comprends, maintenant le désir mimétique et les phénomènes de mode. Je suis marié depuis 38 ans et nous avons trois fils, ce qui n’est pas courant (pour ne pas dire exceptionnel) pour un autiste. Par elle (puis eux), j’ai compris petit à petit suffisamment de ce phénomène du désir mimétique, mais aussi de l’intérieur ce que René GIRARD a nommé les rivalités mimétiques et le mécanisme du bouc émissaire. Et j’ai entamé des recherches sur le sujet dans le domaine de la gestion (management, syndicalisme, souffrance au travail). Les recherches de terrain sont terminées, et, à ma retraite, je « coucherai » les résultats dans un livre (publié ou non, je ne sais)

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  15. Il me semble que la Théorie mimétique permet de comprendre ce que la psychiatrie commence à peine à prendre en compte. Je vous soumets cette idée très brièvement formulée, et j’aimerais savoir si vous le voyez aussi de cette manière: l’espèce humaine évolue dans un bain mimétique (c’est à dire des interactions permanentes basées sur la réciprocité), ce qui règle la vie sociale. Chacun parvient peu ou prou à nager dans ce bain, mais on y rencontre deux tendances extrêmes, cause de souffrances et de marginalisation. Certains ont un comportement hypermimétique, c’est-à-dire qu’ils réagissent de façon exagérée aux stimuli mimétiques, la psychiatrie désigne cette tendance sous les termes bipolarité ou psychose. D’autres ne réagissent pas assez à ces stimulus, on parle alors d’autisme. Alors que jusqu’à présent on confondait un peu tout ça, il semble désormais évident que l’effort à entreprendre pour revenir à un équilibre indispensable à la socialisation, (on peut ici parler de thérapie) devrait aller dans un sens strictement inverse dans l’un et l’autre cas. C’est pour cette raison que les thérapies de type comportementaliste sont mieux adaptées à l’autisme, car elles consistent à imiter les codes sociaux de la réciprocité, donc à acquérir un comportement mimétique, et que les thérapies de type psychanalytique sont favorables aux comportements hypermimétiques comme, par excellence,dans le cas dans la bipolarité, car elles permettent de les éclairer, et principalement de déceler la présence de modèles-obstacles (identifications problématiques et refoulées, dans la terminologie freudienne). Il va sans dire qu’à mon avis, Girard est le seul véritable continuateur de Freud, en apportant à la psychanalyse une théorie cohérente, ce qui lui permettrait enfin d’aller de l’avant lorsque le dogmatisme des écoles aura fait long feu. Girard avait d’ailleurs déclaré que Freud était son père spirituel…Tenez-moi au courant de l’avancée de votre livre !

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    1. Benoit, Votre intuition est vraie : « l’espèce humaine évolue dans un bain mimétique (c’est à dire des interactions permanentes basées sur la réciprocité), ce qui règle la vie sociale. Chacun parvient peu ou prou à nager dans ce bain, mais on y rencontre deux tendances extrêmes,. Certains ont un comportement hypermimétique, c’est-à-dire qu’ils réagissent de façon exagérée aux stimuli mimétiques, la psychiatrie désigne cette tendance sous les termes bipolarité ou psychose. D’autres ne réagissent pas assez à ces stimulus, on parle alors d’autisme. »
      Je mets de côté « cause de souffrances et de marginalisation », la vérité est plus complexe. Pour éviter de me prendre en exemple, je vous cite deux exemples de femmes célèbres , qui ont fait l’objet, chacune d’un article sur ce blogue : Greta THUNBERG, diagnostiquée autiste et J.K. ROWLING. Celle-ci est non diagnostiquée mais, à mon avis, seule une autiste peut décrire ainsi les parties de quidditch d’Harry POTTER.

      Par contre, je ne me sens pas compétent pour discuter des efforts individuels à entreprendre pour revenir à un équilibre indispensable à la socialisation.
      Mais, et c’est mon domaine de recherche, « La psy de bazar » comme je la nomme et l’application des théories comportementales mal comprises, sont le fondement des sciences de gestion et de management. Mais le fondement caché est le désir mimétique romantique. Elles multiplient les rivalités mimétiques et la souffrance au travail vient de là.
      Le professeur OUGHOURLIAN a montré dans « le travail qui guérit » une organisation de travail (dans des établissements de travail adapté pour des « handicapés mentaux » permettant d’éviter les rivalités mimétiques. Pour prévenir les risques psycho-sociaux, j’ai décrit dans un mémoire professionnel l’implantation d’un management préventif de tels risques, qui se basent sur le bannissement des jugements de comportements et du refus de la mise en concurrence de salariés, en adaptant explicitement l’organisation décrite par Jean-Michel OUGHOURLIAN.

      Je suis en retraite dans moins de six mois, j’écrirai alors le livre que j’ai en tête et qui s’appuie sur mes expériences.

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  16. J’interviendrai à trois niveaux si vous le permettez, du plus particulier au plus général.

    Niveau 1 : est celui de l’inceste. Pour ne pas répéter ce que j’ai écrit dans « inceste et mécanisme sacrificiel je vous renvoie au lien suivant et qui donne un éclairage sur les deux articles https://akadem.org/magazine/magazine-culturel-2020-2021/incestes-l-absence-du-pere/45417.php

    Niveau 2 : la nécessité d’accentuer avec René Girard sur l’innocence de la victime qui parcourt toute la Bible. La violence uniquement humaine n’est que la conséquence de cette révélation aussi faire de cette violence un absolu est le propre du sacrificiel. Le tout de la Bible inclut la tradition d’interprétation juive de plus de deux millénaires ce qui éviterait certaines erreurs. Avec Marc Alain Ouaknin considérer l’imperfection de l’homme comme sa perfection rend plus léger les relations interdividuelles. En langage girardien insister sur le bon mimétisme plutôt que sur une violence dont il faudrait s’accuser de manière permanente éviterait conséquemment l’erreur de « révéler (la violence ?) sans révéler (une violence plus profonde ?). Je n’ignore pas le caractère polémique de ces propos mais je les justifie par le rapprochement judéo-chrétien avec ses grandes avancées sur la connaissance d’une révélation commune que semble ignorer Monsieur Hervé van Baren et ce malgré son érudition incontestable. Restant à mon niveau de connaissance, un parallèle sur l’interprétation d’un même texte me permettra d’illustrer mon allégation. Ce texte est le « Jugement de Salomon » dont on connait l’importance pour René Girard, une de références est dans les Choses cachées p260 et pour Hervé van Baren le lien suivant au paragraphe Canaan ou la violence dissimulée deuxième partie il y a ici plus que Salomon http://www.ecritures-et-violence.be/page/3/
    Je passe sur une critique analytique pour me focaliser sur une impasse m’apparaissant comme majeure qui sans elle aurait permis à Monsieur van Baren d’imaginer un Roi Salomon connaissant l’épisode de « la ligature d’Abraham » et dans le cas où les deux femmes restaient sacrificielles un bélier lui aurait été présenté et pour rester dans le style de son exégèse l’enfant serait inscrit sous X dans une maternité anonyme.
    Donc exégèse juive en compagnie de René Girard hors mode et qui libère ; aussi est-elle au-delà de la morale perçue comme contrainte.
    René Girard défendait le versant anthropologique de son œuvre, il soutenait la possibilité d’une interprétation théologique ave James Alison ; il a fait référence, avec admiration, non pas en continuité mais avec un autre point de vue, celui-là métaphysique, à l’œuvre de Claude Tresmontant. Œuvre simple et profonde comme celle de René Girard elle pourrait participer au questionnement.
    Donc un questionnement opposé à la paresse de la mode et aux mœurs présentes.
    Une dernière référence au risque de paraître encore plus pédant est le souci de l’homme victime et/ou bourreau dans l’instance judiciaire. Vaste sujet traité par Pierre Legendre et plus particulièrement dans l’étude d’un cas de parricide, envers de l’inceste, « le crime du caporal Lortie » p159. Je condense en une phrase : l’instance judiciaire comme tiers qui sépare l’assassin de son crime. J’ajoute que pour la victime il s’agit aussi de réintégrer sa place dans la filiation mais évidemment pas du même lieu que le violent.
    Donc l’œuvre du Paraclet ou défenseur contre le temps court de la mode, des mœurs et hors morale.

    Niveau 3 : une tentative avec l’œuvre de René Girard pour une approche de la réalité. Dans Œdipe de Sophocle René Girard montre qu’il suffit de joindre la peste (le caractère collectif du désastre est souligné la non-différence étant éliminée) avec le parricide et l’inceste (la violence indifférenciatrice apparaît, le collectif disparaît) pour sortir « du déguisement de la crise » Avec la pandémie planétaire, les accusations multiples multiformes également planétaires ne sortons nous pas du déguisement- pour entrer dans la révélation ? L’évidence en est encore donnée par René Girard dans « Achever Clausewitz »
    Ce pessimisme inexorable rend-t-il caduc le niveau 1 et 2 ?
    Toujours avec René Girard citant Hölderlin :
    « Et proche
    Et difficile à saisir, le dieu !
    Mais aux lieux du péril croit
    Aussi ce qui sauve »
    Et puis Bernanos « ce sont les micro-actions qui sauveront le monde »
    Pour conclure par l’une des trois vertus théologales l’espérance.
    Avec mes salutations.

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    1. Monsieur Juillerat,

      J’avoue ne pas tout comprendre à votre commentaire.
      Vous citez de nombreuses sources sans les replacer dans le contexte des articles sur les victimes. J’avoue ne pas comprendre en quoi ils pourraient prouver que notre approche est erronée. Par exemple, votre lien vers Akadem (vidéo sur la libération de la parole). Ce que dit Françoise Atlan est fort, notamment lorsqu’elle dénonce dans l’exposition médiatique de l’inceste une seconde violation de l’intimité et la confusion entre privé et public. Mais en quoi cette approche psychanalytique est-elle une preuve de l’erreur de notre lecture des textes et des événements récents ? Lorsqu’elle parle du cri inarticulé compréhensible par tout le monde, elle oublie de dire que ce cri a été poussé par toutes les victimes, et étouffé par toutes les familles et communautés, sauf exception. Genèse révèle ce phénomène d’étouffement du cri de la victime jusqu’à lui faire porter la responsabilité de la faute. La psychanalyse n’a jamais abordé cet aspect de la question, et n’a pas à s’en vanter (Françoise Dolto s’inscrivait dans cette tendance à minimiser la responsabilité des adultes). Je pense que la psychanalyse n’a pas les outils pour aborder cet aspect de l’inceste ; Girard si. Ce sont des lectures complémentaires, mais Girard va plus loin dans le dévoilement du réel.
      Je suis d’accord, mettre le cri des victimes sur la place publique n’est pas un acte innocent, je suis même le premier à reconnaître son côté destructeur d’ordre. Cependant, notez que cette anarchie est compatible avec la lecture girardienne du dévoilement du mécanisme victimaire, notamment par la Croix. C’est toute la face apocalyptique de l’exégèse girardienne. La Bible, me semble-t-il, prophétise du premier au dernier livre cette étape anarchique, cette indifférenciation dont parle Françoise Atlan. Cela s’appelle l’apocalypse, la révélation. « Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix… » La parole de Jésus est scandaleuse pour nous ! C’est nécessairement dans le scandale que la parole des victimes se fait entendre. C’est nécessairement dans le scandale qu’on lira mon interprétation « retournée » de Genèse 9. Vous vous cachez derrière votre érudition sans dévoiler vos sentiments personnels ; à travers les lignes je vous sens scandalisé.
      Vous vous opposez fortement à la possibilité que la Bible puisse mettre en œuvre une pédagogie paradoxale qui consisterait à « révéler sans révéler ». Je conçois fort bien que l’hypothèse puisse paraître absurde a priori. Vous écrivez :
      « En langage girardien insister sur le bon mimétisme plutôt que sur une violence dont il faudrait s’accuser de manière permanente éviterait conséquemment l’erreur de « révéler (la violence ?) sans révéler (une violence plus profonde ?). »
      Il ne me semble pas que Girard ait insisté sur le bon mimétisme (dont les exemples ne manquent pas dans les Ecritures), mais plutôt sur le mauvais. Sa contribution majeure consiste à montrer la connaissance profonde de la violence et son exposition par la Bible. L’apocalypse, pour Girard, commence avec le dévoilement du mécanisme victimaire.
      « Révéler la violence sans révéler une violence plus profonde », c’est ce que font les mythes. « L’erreur » que vous dénoncez est celle des mythes, pas la nôtre. Les mythes occultent la violence primordiale, dans le but somme toute louable de préserver la communauté de l’implosion. Tout cela – nos sociétés, nos cultures, nos psychés – repose sur la dissimulation, et c’est là la fonction des mythes : révéler sans révéler, déplacer la violence vers une victime émissaire pour ne pas la faire porter par tout le monde.
      La psychanalyse ne permet pas de dépasser le langage mythologique. Elle perpétue la logique sacrificielle (accusation unanime contre Cham).
      Dans son article aussi, Christine Orsini parle du « scandale déclenché par la révélation » en faisant allusion au « livre nécessaire » de C. Kouchner. Jean-Marc Bourdin montre les excès de cette parole libérée dans la « woke » et « cancel culture ». Oui, la Parole est destructrice d’ordre, destructrice de nos forteresses. Mais nos forteresses sont imprégnées de violence jusqu’au plus profond de leurs fondations, aussi cette destruction, qui nous terrorise, est-elle une étape nécessaire.
      Peut-être, à défaut d’adhérer à cette thèse, pourrez vous lui reconnaître une certaine cohérence.

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      1. Hervé,
        Vous savez que je soutiens le point de vue que vous défendez dans votre lecture de Noé, lecture qui consiste à déceler un inceste et ses conséquences sur les générations suivantes. Je comprends moins votre condamnation sans appel de ce que vous appelez « la psychanalyse » : encore faut-il préciser ce qui est entendu sous ce terme. Mais je constate avec tristesse que Françoise Dolto, cette praticienne remarquable entre tous, fait partie du peloton… Vous semblez donc tirer à la chevrotine (c’est-à-dire viser assez large ; on l’aura compris). Au risque de recevoir une balle perdue, je voudrais apporter quelques précisions sur la position ambigüe de René Girard à ce sujet, qui a provoqué, à mon avis, quelques dégâts, et notamment la reprise de ce fameux mécanisme d’exclusion à l’intérieur même du groupe constitué de ses disciples. Ce qui est un comble.
        Je suis d’autant plus peiné de cette situation que lecteur précoce de Girard (Des choses cachées… en 1979), j’avais moi-même développé une méfiance et un mépris souverains à l’encontre de ce qui était effectivement devenu, en France et dans ces années-là, une idéologie, un système. Vingt ans plus tard, j’ai accepté de me rendre à reculons dans le cabinet d’un psychanalyste, ce qui m’a permis de sortir rapidement (mais oui…), et définitivement, d’une dépression, en me dévoilant « des choses cachées depuis… » ma petite enfance. Cela parait trop beau pour être vrai, un vrai poncif : je sais. Alors j’ai voulu comprendre, avec passion, le mode d’agissement de cette technique psychanalytique aux effets surprenants. Et je ne nie pas y avoir découvert certains aspects sacrificiels. J’ai lu le séminaire de Lacan (pas jusqu’au bout ; je l’avoue…), Freud (décelant au passage les contresens scandaleux des traductions françaises, qui ont pour but de travestir la pensée mouvante de Freud pour en faire un système) et Dolto, puis je me suis formé pour pratiquer (en art-thérapie). En délivrant mon diplôme universitaire, les psychanalystes éminents qui avaient ce pouvoir, reconnaissant qu’ils ne pouvaient pas ne pas me le donner, m’ont signalé qu’ils feraient tout pour m’empêcher de poursuivre des études, que les portes de l’université m’étaient définitivement fermées. Mon approche girardienne expliquée dans mon mémoire ne leur avait sans doute pas plu.
        En abordant, pendant et à la suite de cette période de formation, la question de l’origine sacrificielle de la monnaie, j’ai commencé par aborder cette question par le biais psychanalytique, malgré les réticences sévères d’un anthropologue miméticien qui me suivait. Puis en montrant en quoi Freud et Lacan avaient posé les prémisses de la théorie mimétique ; façon de dire qu’ils en avaient l’intuition. Après avoir lu une première version de ce texte Girard m’a adressé les mots suivants (27 mars 2002) :
        «Vous comprenez le système mimétique admirablement et mieux que ça bien sûr. Vous êtes trop poli pour dire que je suis un peu injuste envers Freud mais vous le pensez et je le pense aussi mais, à l’époque où j’écrivais mon principal travail l’orthodoxie freudo-lacanienne était très étouffante, et on m’accusait beaucoup d’être entièrement freudien, tout en ratant complètement le caractère essentiel de la contribution lacanienne et structurale déconstructrice. Mon anti-freudisme excessif est un mécanisme de défense. Mais vous vous débrouillez si admirablement là-dedans que je n’ai rien à vous apprendre. »
        Peu de temps après, il déclarait publiquement que Freud était son père spirituel.
        Je ne résiste pas au plaisir de vous soumettre les lignes suivantes en vous posant la question : qui en est l’auteur ?
        « Ce qui fait que le monde humain est un monde couvert d’objets, est fondé sur ceci: c’est que l’objet d’intérêt humain, c’est l’objet du désir de l’autre. Pourquoi cela est-il possible ? C’est par ce que le moi humain comme tel, c’est l’autre, que du surgissement de sa propre tendance, que dans le rapport à cette image de l’autre il est ensemble et collection incohérente de désirs qu’il est littéralement. C’est cela le vrai sens du terme corps morcelé, et la première synthèse de l’ego est essentiellement alter, elle est alter ego, elle est aliénée. Le centre de constitution du sujet humain désirant comme tel, c’est l’autre en tant qu’il lui donne son unité, et le premier abord qu’il a avec les objets, c’est de l’objet en tant que vu comme objet du désir de l’autre »
        Allez, jouez le jeu ! Je donnerai les références exactes au premier qui osera me citer le nom de l’auteur, promis !

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      2. Quel témoignage passionnant!
        Pour corroborer votre intuition géniale sur l’hypomimetisme d’un côté et l hyper mimétisme de l’autre sachez qu’à la sortie de l’adolescence j’ai eu une dépression avec bien sûr tendances schizophréniques. Je n’ai pas suivi de thérapie comportementale mais un simple conseil d’un infirmier de l’hôpital psychiatrique Éviter toute compétition et toute concurrence.
        Je n’ai plus eu de signes de rechute. Et il m’a été facile de comprendre le danger des rivalités mimétiques…

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      3. Benoît,
        En me relisant je constate que mon commentaire peut effectivement passer pour une condamnation sans appel de la psychanalyse. Ce n’était pas mon intention. J’y précise d’ailleurs que la contribution au débat de Françoise Atlan est forte, j’aurais pu dire juste. J’ai le plus grand respect pour Freud, je connais très mal Lacan (mais au passage je parie sur lui pour votre petit quiz). La psychanalyse a fait progresser les sciences humaines à pas de géant. J’apprécie énormément la lecture de la Bible par Marie Balmary. Est-il faux pour autant de dire – et c’est là mon propos – qu’elle reste bloquée à ce stade qui ne permet pas de « découvrir la vérité sur la victime « ? Cette critique, on peut tout aussi bien l’appliquer à l’ensemble des sciences humaines avant que Girard ne vienne renverser le jeu de quilles.
        Merci de me permettre cette mise au point.

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      4. Monsieur Hervé van Baren

        Je vous ai donné une réponse en date du 27 avril au sujet de la cohérence.

        L’avez-vous lue ? Et dans ce cas si l’opposition de lectures en reste en l’état pourquoi ne me le signifiez-vous pas ?

        Une position polémique dans un espace girardien est-elle non admise au point que le silence puisse être une réponse ?
        Et si le « mal-entendu », évidemment pour chacun étant le fait de l’autre, s’avère indécidable, ne peut-il être écrit afin de clore le débat en acceptant la juxtaposition de ces deux approches ?

        Une dernière question cependant, au concept de « retournement » ne peut-on pas lui préférer celui de « révélation progressive du divin » qui appelle au mystère ?
        Avec mes salutations.

        PS : excusez-moi pour le « je vous suis gré » que vous avez corrigé en « sais gré » et « vos dire » ajouté – s -.

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      5. je suis déstabilisé par la classification des articles, ma réponse du premier mai à 10h26 était sous l’article de Monsieur Hervé van Baren du 25 avril à 5h05 et je le retrouve dans une position sans cohérence d’ordre apparent. En espérant que cela n’entraîne pas des incompréhensions.

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  17. Fxnico, je comprends et partage votre critique de « la psy de bazar », et je ne me sens pas plus compétent que vous pour « discuter des efforts individuels à entreprendre pour revenir à un équilibre indispensable à la socialisation », je voulais simplement pointer l’idée très générale d’une différence fondamentale entre psychose et autisme (longtemps rapprochés sinon confondus par la psychiatrie), différence qui s’apparente à deux tendances diamétralement opposées, si l’on applique rigoureusement ce que la Théorie mimétique nous apprend. La question de la bonne réponse thérapeutique à appliquer est somme toute secondaire dans mon propos, en particulier, l’opposition entre comportementalisme et psychanalyse ne m’intéresse pas, car je ne suis pas praticien (bien qu’ayant exercé au titre d' »art thérapeute » pendant des années en institution), et que la seule théorisation qui m’intéresse, et que je considère comme réellement scientifique (jusqu’à preuve du contraire, comme le dit la formule bien connue), est la Théorie mimétique. Cela dit, je préfère me référer au travail d’Henri Grivois, qui me parait essentiel et injustement méconnu. J.M. Oughourlian poursuit un travail théorique certes intéressant, mais j’y suis moins sensible, disons que ce qu’il écrit me parait presque trop évident. Ce n’est pas une critique à son égard, je ne me le permettrais pas. La critique est facile, mais l’art est difficile…

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  18. Mon dieu, que d’errances et de difficulté à saisir aux pauvres humains parcelles de vérité.
    La victime est sacrée, et à peine a-t-elle proférée sa parole essentielle que se referme l’onde alors et se reconstitue le mythe, le mensonge et le meurtre comme sur les eaux du lac trouées par la pierre du réel, l’impavide et lisse surface où les esquifs continueront leur joute mortifère, les pèlerins entre Pâques et Pentecôte inconscients de qui les accompagne débattront sans fin aux brouhahas qui étouffent la parole, son vertige depuis que s’ouvrit la fable ineffable, jusqu’au fragment tardif des instincts qui dictent le devoir, l’intelligence ne donnant que les prétextes pour l’éluder, et poursuivre après la virgule la proclamation de ce qui n’a jamais su que se taire, préférant pardonner plutôt que se détruire, s’abandonnant au sens qui nous est inconnu et nous retire jusqu’à notre moi profond, nous indiquant « le chemin de la croix, le chemin qui crucifie une existence renfermée seulement sur le moi, ouvrant par-là la route à la joie véritable et durable »(Benoit XVI) :

    « …L’excès d’amour
    Dans l’adoration est riche de périls et blesse
    Le plus souvent. Mais ces hommes ne voulaient point
    quitter
    Le visage du Seigneur
    Ni leur patrie. Cet amour, tel le feu dans le fer, leur était
    Chose innée, et comme une peste, l’ombre
    De Celui qu’ils aimaient marchait à leur côté.
    Alors il fit sur eux descendre
    L’Esprit, et la demeure en vérité
    Fût ébranlée, et les orages de Dieu grondèrent,
    Tournant au loin, créant des hommes, comme au temps
    Où les dents du dragon, d’un destin prestigieux, »

    Le fragment tardif du Patmos de Hölderlin s’arrête ici, merci à tous de partager cet effort éminent, accompagné par la peste de celui qu’on aime et qui sur nous fait descendre l’Esprit, de savoir ainsi, en notre place secondaire, poursuivre l’écriture de la fable vertigineuse qu’est l’aventure humaine.

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  19. Hervé: il semble que mon message se soit perdu, le voici de nouveau:
    Bravo! Vous avez la bonne réponse, c’était bien : LACAN J. (1955) séminaire du 30 novembre, Les structures freudiennes des psychoses, Paris, AFI, p.73
    Comme récompense, je vous propose ce lien vers un article que j’avais publié sur ce site (Le rêve de l’injection faite à Irma visité par la théorie mimétique) , et qui bien que difficile à trouver, s’y trouve encore:
    https://www.rene-girard.fr/57_p_3172/l-heritage-de-freud.html
    C’est assez long et difficile, cela concerne la naissance de la psychanalyse, ce qui n’intéressera pas tout le monde… j’en ai bien conscience.
    Je vous répondrai bientôt sur le terme de victime, que vous avez employé dans votre question.

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      1. Cher fxnico,

        De fait, je me suis arrêté à l’expression autisme qui me semblait trop forte, mais vous avez sans doute raison. Nous sommes tous sur une échelle allant de l’hypomimétisme à l’hypermimétisme, les différents échelons etant considéré soit normal soit pathologique suivant les époques. (Elon Musk vient de se déclarer autiste lui aussi, ce qui semble confirmer votre point de vue).

        Par contre, je me demande si cela est inné ou acquis. Il semble que dans la plupart des neurones, la probabilité qu’un signal est transmis est apprise, c’est-à-dire qu’il est plus ou moins fort suivant l’aspect positif ou negatif qu’à apporté le passage des signaux précédent. Est-ce le cas des neurones-miroirs ? Si oui, quels conditions amènent à augmenter ou réduire le mimétisme ? Peut-on les reprogrammer volontairement pour améliorer une situation qui pose problème ?

        Sans doute est-ce trop tôt pour le savoir.

        Je lirai en tout cas votre étude avec plaisir si vous nous faites le plaisir de la partager quand elle sera prête.

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      2. Oui c’est trop tôt
        J ose espérer que lorsque ce que vous nommez reprogrammation sera possible, la connaissance de l’anthropologie de René Girard ait suffisamment progressé.
        Je ne le souhaiterais pour rien au monde, en ce qui me concerne.
        Élément de réflexion pour l’inné ou l’acqis : J’ai 3 fils l’aîné est sûrement autiste, les 2 autres non.
        Ce sera avec plaisir que je mettrai à disposition mon étude

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  20. Monsieur Hervé van Baren

    Pris dans la lecture et relecture de mes diverses interventions et des vôtres en particulier je cherchais avec difficulté à énoncer clairement les objets ou concepts qui nous opposent, les systèmes d’argumentation respectifs pour opter finalement pour une série de questions initiée par Benoît et suivant l’enchaînement de votre propre réponse.

    1 Quelles conséquences inférez-vous des deux points forts relevés par Françoise Atlan ?
    **en incise et pour prolonger la réflexion de Madame Orsini sur le silence de la victime jetée dans l’abîme indifférenciateur d’un trou dans le tissu de la filiation, parler serait ajouter à la dissolution des liens restants ; le silence coupable transforme paradoxalement la victime en soutien de la généalogie familiale et le transgresseur jeté au fond des eaux est bien une mesure de l’extrême de l’intimité qui reste fondamentalement singulière pour chaque victime.
    2 Pourquoi occulter la deuxième partie de la vidéo relative aux incestes dans la Bible en particulier ceux de Loth et de ses filles qui vous ont permis d’argumenter en faveur d’un viol caché de Cham par son père Noé ?
    3 Pourquoi oublier de Marie Balmary « L’Homme aux Statues » datant de 1979 qui contredit votre assertion sur l’occultation des victimes ?
    4 Pourquoi ajouter au cri inarticulé l’étouffement par toutes les familles, éradiquant les textes parus sur l’inceste, ses témoignages depuis au moins quarante ans ?
    5 Pourquoi citer uniquement les victimes alors que j’entends dans des débats publics, en l’occurrence très audibles, des associations de défense des victimes soucieuses de donner la parole aux violeurs…sous anonymat ?
    6 Pourquoi ne pas poursuivre la citation de Mathieu « …la division par l’épée entre l’homme et son père, la fille et sa mère, la belle-fille et sa belle-mère… » plus proche de l’anarchie ou d’une séparation définitive d’identités encore trop fusionnelles ?
    7 Cette épée une suite à l’épée du roi Salomon ?
    8 Si le passage obligé est l’anarchie du tous contre tous, la catastrophe annoncée doit-elle se produire avec nous sans nous contre nous en dehors de toute liberté ?
    9 « C’est nécessairement dans le scandale que la parole des victimes se fait entendre ? »
    10 « C’est nécessairement dans le scandale qu’on lira mon interprétation retournée de Genèse 9 »
    Révéler dans un premier dévoilement le scandale qui m’habite je veux encore bien vous l’accorder et évidemment il y a le deuxième voilement sans révéler mes sentiments personnels et là vous n’allez pas si loin que dans Genèse 9 ce dont je vous suis gré.
    11 Mathieu « Soyez dans la joie et l’allégresse… » certainement sous une forme hébraïque inaccomplie mais comment l’intégrez-vous dans le mauvais mimétisme de René Girard ?

    Mais quittons ce jeu des questions d’une opposition polémique impliquant des positions rivales pour garder la finalité principale qui est d’analyser ce concept « de révéler (la violence) sans révéler (une violence plus profonde) ». Et là je suis en position instable puisque je souscris à cent pour cent sur ce que vous écrivez sur les mythes.
    Dans la logique de ce qui est dit ce concept ne peut pas s’appliquer à la Bible. Vous prenez donc les précautions inhérentes à votre démonstration « la Bible ne peut-être dans le déni…elle nous expose bien un inceste… » Ceci est la révélation biblique transparente qui dit la vérité puis vient votre retournement c’est-à-dire une révélation seconde plus profonde cachée le viol du fils par le père.
    Ce premier inceste toute la tradition s’entend pour désigner celui du père par le fils et si j’accepte votre logique la vraie victime est le fils Cham donc cachée et ce deuxième temps vous avez beau l’appeler retournement vous décrivez là une occultation mythique de tous contre un.
    Puis-je conclure que vous utilisez un concept envers la Bible qui selon vos dire n’est que pour les mythes ?

    Je vous propose donc une approche différente qui risque votre agrément mais reste entièrement girardienne.
    Si René Girard insiste sur l’innocence de la victime il avance également que dans un premier temps il y a dédivinisation de cette même victime.
    Pour faire simple et rapide dans un mythe sacrificiel la crise se conclut par l’unanimité autour d’une victime déifiée. Dans la Bible nous avons bien une crise sacrificielle le déluge qui se clôt par l’exception d’un homme, un Juste et sa famille. Avec ce retournement d’un Dieu Sauveur, énorme pour l’humanité, doit-on le prolonger par un Juste violeur ?

    Une question conclusive « comment juger de la pertinence d’un nouveau concept qui s’appuyant sur l’œuvre de René Girard est sensée soit l’appliquer soit la prolonger soit l’enrichir ? »
    Avec mes salutations.

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  21. Hervé, il me semble important de préciser deux points.
    D’abord le sens de « victime » est très large, qui découle de la vicariance, soit le long processus de substitution qui commence à partir du premier meurtre collectif hypothétique qui engendre la culture humaine (inutile de développer plus avant ici). Processus loin de s’être achevé, puisque pour ma part, j’émets l’hypothèse avec Laum (et Girard était de mon avis, contre tous les économistes qui se réclament de lui) que « la monnaie est le substitut ultime du sacrifice originel » (« Die Münze ist Stellvertreter des Originalopfers. »). La question victimaire est donc d’une ampleur immense, qui ne peut se limiter à la sensibilité actuelle pour les enfants subissant des actes pédophiles, ou pour les conséquences d’actes de violence en général.
    Secondement, la psychanalyse n’est pas une théorie, mais une pratique qui a pour but de dévoiler des processus inconscients. Bien que Freud ait écrit sur des questions anthropologiques, culturelles, il ne peut lui être reproché « qu’elle reste bloquée à ce stade qui ne permet pas de découvrir la vérité sur la victime », sinon en quoi consisterait, selon vous, ce blocage ? Où placez-vous le fameux grain de sable ?
    Bien que Girard ait effectué un immense pas en avant dans le sens d’une compréhension du processus victimaire, il n’ajoute rien à ce qui avait déjà été écrit, comme il le reconnait lui-même, mais il effectue seulement ce décalage qui lui permet de transposer un savoir contenu dans la littérature ou dans les évangiles vers le champ scientifique. C’est génial, profondément dérangeant pour les corps constitués. Sans qu’ils soient parvenus à une élaboration théorique satisfaisante, comparable à la théorie mimétique, on peut cependant avancer que plusieurs psychanalystes ont précédé Girard pour mettre à jour au moins une partie du problème.
    Je vais prendre 2 exemples précis. Dolto travaillait juste après la libération dans le service pédiatrique d’un hôpital où se trouvaient de nombreux nouveau-nés orphelins. Ces enfants mourraient sans raison médicale apparente ; ils se laissaient mourir. Elle prit l’initiative de leur parler pour leur expliquer franchement leur situation, l’état des lieux, et leur dire qu’ils n’avaient d’autre choix que de faire avec, et qu’ils pouvaient s’en sortir (je simplifie bien sur…). Les bébés écoutaient avec une très grande attention, et le résultat fut une baisse significative de la mortalité. Peut-on considérer que ces bébés sont des victimes ? Si oui, innover en les considérants capables de comprendre un adulte, n’est-ce pas agir en leur faveur, en commençant par les reconnaitre comme des personnes à part entière ?
    Autre exemple. Pendant sa formation de neurologue aux cotés de Charcot, Freud put assister à ces séances ou le maître réunissait ses élèves en cercle autour de femmes hystériques à moitié nues, prenant des poses suggestives, et le tout Paris était également invité à ces séances pour profiter du spectacle. Son initiative fondatrice de la psychanalyse fut de recevoir ces femmes en tête à tête, et de les écouter. Peut-on considérer que ces femmes étaient des victimes ? Et l’innovation freudienne n’a-t-elle pas consisté à les reconnaitre aussi, et à les respecter comme des personnes à part entière ?
    Cette pratique, qui nous parait banale désormais, c’est la révolution psychanalytique. Elle participe selon moi à une forme de reconnaissance des victimes, mais elle est non théorique, parce qu’il s’agit d’une pratique. Quoi qu’en pensent les professeurs de « psycho », Freud n’est pas un théoricien, mais un praticien. C’est pour cette raison que je regrette la permanence d’un faux débat concurrentiel qui s’est instauré entre disciples de Freud et Girard : Girard a posé les bases d’une théorie adaptée à la pratique psychanalytique. Il n’y a pas lieu de comparer ce qui n’est pas comparable.
    J’ajouterai qu’en écoutant ces pauvres femmes qualifiées d’hystériques, Freud comprit très vite qu’elles avaient toutes été abusées dans leur enfance. Cela était une cause entendue pour les psychanalystes, et même sans doute au sein des familles, mais à l’époque, cela ne choquait pas, et l’idée de dénoncer les coupables aurait sans doute eu des conséquences que nous ne pouvons pas connaître depuis notre point de vue actuel. Sans doute la dénonciation aurait-elle été jugée anachronique, déplacée, et en empêchant les premiers psychanalystes de travailler, nous aurions, en conséquence, eu plus de difficulté encore à reconnaitre qu’il y avait là un problème. Freud était un homme de son temps (le contraire serait étonnant…) « Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes » (Mt 23, 30) : cela dit à tous ceux, ils sont nombreux, qui accusent la psychanalyse de complicité. Bien sûr, je ne pense pas à vous en disant cela. Je suis seulement un peu pointilleux, et je m’en excuse, en pointant le terme tellement complexe de « victime », et que notre époque décline comme si elle nous disait : « En veux-tu ? En voilà ! »

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