Inceste et mécanisme sacrificiel

par Hervé van Baren

Mon premier article dans ce blogue1 faisait référence à un passage du livre de la Genèse (chapitre 9, versets 18-28). Noé s’est saoulé avec le vin de sa vigne. Son fils Cham « découvre sa nudité » et va tout raconter à ses frères. Il est maudit par son père.

Dans mon interprétation de ce texte, je m’opposais aux interprétations qui majoritairement accusent Cham de viol contre son père. L’argument classique est que l’expression « dévoiler la nudité » est utilisée dans Lévitique 18 (les interdits sexuels) comme métaphore des relations sexuelles.

J’avais tort. Le passage nous parle bien d’inceste.

Autant la façon de présenter les faits est ambiguë, autant elle ne laisse aucun doute dans un autre passage de Genèse : l’inceste commis par les filles de Lot (chapitre 19, versets 30-38). Or ces deux passages partagent la même structure et les mêmes thèmes2. Dans ces récits, Dieu constate la corruption du monde (de Sodome) et décide de faire table rase de sa création (de la ville). Dans les deux cas, un seul homme est trouvé juste et se voit épargné par Dieu. Les deux récits se clôturent par un épisode familial et dans les deux cas il est question de l’ivresse du père. Les deux filles de Lot le font boire et couchent avec lui ; le parallèle avec Cham et Noé est trop évident pour nier l’allusion à l’inceste.

Il y a donc bien inceste entre Noé et son fils Cham. La seule chose, c’est que du texte nous avons déduit que Cham avait violé son père, ce qui justifiait la malédiction paternelle. Or de toute évidence c’est un mensonge.

On n’en trouvera aucune preuve dans le texte. La preuve réside dans le fossé qui sépare le mythe du réel. Cham n’a pas violé son père parce que dans la réalité ce ne sont jamais les fils qui violent leurs pères ; c’est toujours l’inverse.

Noé a violé son fils Cham un soir d’ivresse ; voilà la seule réalité.

Lot a couché avec sa fille ainée, et plus tard avec sa cadette ; voilà la seule réalité.

Pourquoi alors, sans ambiguïté aucune dans l’histoire de Lot, la Bible accuserait-t-elle des enfants innocents d’un crime commis par leurs pères ?

La réponse se trouve dans les nombreux scandales d’inceste qui éclatent dans nos médias et sur les réseaux sociaux, et dans le dévoilement inédit du phénomène ces jours-ci. Le mensonge de la Bible est l’exacte réplique du mensonge et du déni qui forment la caractéristique commune de tous les cas d’inceste.

Jusqu’à la récente libération de la parole, les victimes d’inceste étaient réduites au silence. Par tout le monde, à commencer par le parent incestueux, le plus souvent un homme. Par les mères, qui préfèrent souvent tolérer l’intolérable plutôt que de courir le risque de la mort de leur couple et de l’éclatement de la famille. Par les frères et sœurs qui, comme dans l’histoire de Cham, accusent la victime d’être responsable de ce qui lui arrive. Par l’entourage, par les autorités scolaires, médicales et judiciaires. Par tout le monde. Dans ce tabou suprême qu’est l’inceste, le déni de la réalité est d’une puissance telle qu’aucune force n’est en mesure de briser le mur du silence. Ni les faits, ni la raison, ni la justice, ni la parole des victimes.  Pas même l’amour.

La victime d’inceste était, jusqu’il y a peu, soumise à une double peine : d’abord le traumatisme du viol, physique et psychologique, infligé par un intime, une personne chargée de la protéger. Ensuite parce que, systématiquement, elle se voyait intimer le silence et, lorsqu’elle ne se pliait pas à cette injonction, accusée d’être responsable du crime. La victime d’inceste est toujours porteuse de la faute.

Voilà ce que tous les témoignages qui se font entendre aujourd’hui racontent. Voilà ce qui est rendu apparent dans l’histoire de Cham.

Bien sûr, l’hypothèse que la Bible soit complice du déni universel de la réalité de l’inceste est à prendre en considération. Seulement, elle est facile à réfuter. Genèse expose en détail tout le mécanisme de transfert de la faute sur la victime. Le père accusé n’hésite pas à maudire son fils pour éviter de se confronter à la réalité sordide de son acte. Noé est l’homme juste, béni de Dieu, admiré par tous et il n’est pas envisageable d’abîmer cette image. On n’aura pas de difficulté à faire le parallèle avec une récente affaire très médiatisée en France. Les frères de Cham, lorsque celui-ci a l’inconscience de leur parler de son calvaire, le dénoncent à leur père. L’image du manteau jeté sur la nudité de Noé est sans équivoque : nous refusons la vision du réel lorsqu’il qu’il est trop laid. Tous nos dénis du mal au prétexte de la paix civile se retrouvent dans ce symbole.

Non seulement Cham est maudit, mais le texte suggère que cette malédiction se propage à sa descendance. Cham a-t-il reproduit sur son fils Canaan ce qu’il a subi ? Cham est le fils cadet de Noé, tout comme Canaan est le fils cadet de Cham. Dans le texte, c’est Canaan qui est maudit.

Pour l’exprimer comme René Girard, la réalité de l’inceste est décrite avec une telle lucidité, une telle connaissance des mécanismes psychiques individuels et collectifs en jeu qu’il est impossible de prétendre que la Bible est complice de ce déni, coupable du même aveuglement. La Bible expose peut-être les faits en les déformants, mais elle les expose, ce que personne d’autre ne fait. En reprenant le langage mythologique, le langage du déni de la violence, elle nous révèle à quel point celui-ci est complice de cette violence, et à quel point nous en avons fait notre mode d’expression par défaut.

Toutes les interprétations à ce jour, dans les trois traditions monothéistes, se caractérisent par l’accusation de Cham, forcément coupable, forcément mauvais ; en retournant l’interprétation, il est impossible de ne pas retourner l’accusation. En acceptant sans plus de questionnement le langage mythologique de la Bible, nous avons été, tous et de tout temps, complices de la violence qui y est exposée, collectivement responsables de ces horreurs.

Notre motivation est connue. Nous préférons sacrifier un innocent plutôt que d’exposer la communauté au scandale, qui détruit les structures de la société, de la famille. Il est préférable qu’un seul (qu’une seule) meure…

Cette lecture confirme la place centrale du mécanisme sacrificiel dans, et son exposition par, la Bible. Il faut noter cependant les différences avec le phénomène tel que décrit par Girard. Dans le cas de l’inceste, nul besoin d’une accumulation de rancœurs et de désirs non assouvis. L’acte de violence individuel suffit à créer les conditions de la crise.

La victime émissaire n’a jamais mieux porté son nom : elle est victime dès le départ, elle le sera encore plus lorsqu’on lui fera porter une faute dont elle est fondamentalement innocente.

On peut constater que l’interdit de l’inceste dans Lévitique 183 est porteur du même retournement programmé. Le chapitre reprend en grand détail tous les liens de parenté soumis à cet interdit, sauf un. Le crime le plus répandu et le plus destructeur est omis dans la liste. Nulle part il n’est fait mention de rapports sexuels imposés par les parents à leurs enfants. C’est par omission que la Bible révèle la puissance du tabou et sa transgression en toute impunité.

Que ce soit pour les violences conjugales, le viol, la pédophilie ou l’inceste, la libération de la parole coïncide avec la possibilité de lire ces textes autrement. Il n’y a là nul hasard. Le retournement des textes, leur désacralisation radicale qui expose les pires relents de notre humanité faillible, tout cela était inscrit dans leurs gènes aussi bien que dans notre évolution. La libération de la parole en matière de tabous sexuels n’est en rien anecdotique, ce n’est pas un phénomène sociologique parmi d’autres. C’est une révélation, au sens religieux du terme, que nous vivons collectivement. C’est dans cette révélation de la réalité de notre violence qu’il faut trouver le sens des prophéties apocalyptiques de la Bible qui nous décrivent de manière précise comment nous réagissons lorsque nous sont dévoilées les choses cachées depuis la fondation du monde.

  1. https://emissaire.blog/2017/11/28/la-laideur-cachee-du-reel/ et une vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=3zNsculdCL4&t=1361s
  2. Le parallèle entre les deux passages de Genèse est détaillé ici (en anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=_3z1ByzwGSs
  3. Lévitique 18 commence par l’interdit général applicable aux hommes : « Aucun Israélite n’aura de relations sexuelles avec une femme de sa proche parenté. Je suis le Seigneur. ». Cependant, dans la liste assez complète qui suit, la relation directe dans le sens parent-enfant est absente, tout comme au chapitre 20 (les sanctions en cas de transgression).

63 réflexions sur « Inceste et mécanisme sacrificiel »

  1. Très impressionnant, cher Hervé. Cela me fait penser à certaines lectures des récits bibliques par James Alison. Le respect pour la Bible rend difficile la déconstruction du travail de mythe qui a opéré progressivement des inversions de responsabilités ou des atténuations des comptes rendus des violences. Bravo d’avoir osé cette interprétation.

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  2. Oui, très impressionnant. Votre point de vue inverse littéralement la vision première de ces textes, un peu à la façon de ces images en perspective qui peuvent être inversées, ou de ces anamorphoses (« les ambassadeurs » de Holbein). Ce que le texte suggère en décrivant les fils de Noé marchant à reculons pour ne pas voir, parce-que, précisément, Noé a été vu dénudé. Le texte montre clairement cette volonté de cacher ce qu’on ne veut pas voir. Soit la contradiction qui habite le mythe: raconter un fait tout en l’occultant. Ce qui, dans les deux cas (du mythe et du récit biblique) conduit à déplacer la responsabilité et la culpabilité de l’un vers l’autre. Le déplacement du point de vie du spectateur dans le phénomène de l’anamorphose conduit à déplacer la culpabilité de, ou des acteurs.

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  3. C’est très exactement cela, et vous le dites mieux que moi, Jean-Marc Bourdin et Benoît Hamot. C’est à la condition de ces retournements qu’on peut alors reconnaître que cette étonnante subversion du mythe va de pair avec la « volonté de cacher ce qu’on ne veut (peut) pas voir », comme le dit fort à propos Benoît Hamot :

    8J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait :
    « Qui enverrai-je ? Qui donc ira pour nous ? »
    et je dis : « Me voici, envoie-moi ! »
    9Il dit : « Va, tu diras à ce peuple :
    Ecoutez bien, mais sans comprendre,
    regardez bien, mais sans reconnaître.
    10Engourdis le cœur de ce peuple,
    appesantis ses oreilles,
    colle-lui les yeux !
    Que de ses yeux il ne voie pas,
    ni n’entende de ses oreilles !
    Que son cœur ne comprenne pas !
    Qu’il ne puisse se convertir et être guéri ! » (Isaïe 6, 9-10)

    Tout est écrit.

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  4. Analyse brillante avec des hypothèses hardies. La hardiesse de ces hypothèses appellent un approfondissement pour répondre aux questions qui pourraient être posées. J’en vois pour ma part, une. L’hypothèse/découverte de René GIRARD(car acceptée par les contributeurs de ce blog et par nombre de ses lecteurs) : la différence des mythes bibliques avec les autres est de révéler l’innocence des victimes et la culpabilité, se trouverait ici infirmée. Il faut donc en expliquer la raison ou chercher d’autres exemples éventuels infirmant aussi cette hypothèse.
    En tout cas, merci Hervé VAN BAREN pour cet article

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    1. Je comprend votre point de vue, fxnico, et votre question. Mais je vous pose alors une autre question: croyez-vous sérieusement que Cham ait violé son père, et que ce faisant, il aille en avertir ses frères? Croyez-vous sérieusement que les filles de Lot aient violé leur père après l’avoir saoulé? La présence soporifique du vin dans les deux situations, de même que le manteau masquant la nudité, cela ne montre il pas avec assez d’éloquence que la réalité doit être cachée? Et montrer avec autant de détails que cette réalité doit être cachée, n’est-ce pas, déjà, une façon de la révéler? Je crois que lorsque certaines choses ne peuvent pas être dites directement, on emploie des subterfuges. L’humour par exemple, ou la parabole. Si la parabole est largement employée par Jésus dans ce genre de situation, il me semble que le rédacteur de ce passage de la Genèse fait ici preuve d’humour, seul moyen possible pour dire la réalité. Pour s’en assurer, il suffit d’imaginer les scènes décrites, jouées et filmées par exemple par un Buster Keaton, ou écrites par un Kafka (mais il paraît qu’il ne fait rire que les Tchèques…).
      Donc je vous rejoins: la Bible révèle effectivement l’innocence des victimes, et plus largement, la réalité des relations humaines: il n’y a pas de héros dans la Bible. Noé, Lot, David, Salomon…. ne sont que des hommes soumis au péché, ce qui n’empêche pas de reconnaître leur contribution positive. Personne n’est condamné en raison de ses fautes.
      Mais là où je ne vous rejoins pas, c’est que vous semblez penser que la Bible serait une collection de mythes contradictoires par rapport aux autres mythes de l’humanité, c’est à dire qu’elle obéirait en quelque sorte à un programme ou une philosophie-théologie particulière. Je pense qu’elle se borne simplement à décrire, autant que possible – et ces histoires d’inceste dépassent les limites de ce qui était entendable – la réalité.

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    2. Très pertinente remarque. De fait, en adoptant le langage mythologique, la Bible semble perpétuer le mensonge sacrificiel. De la lecture traditionnelle il ressort que Cham et les filles de Lot sont coupables, alors qu’ils sont en réalité victimes. Mais la clé de cette incohérence – ou de l’incompatibilité apparente de cette lecture avec l’exégèse girardienne – se trouve dans le texte d’Isaïe que j’ai cité (entre autres). Les prophètes se voient instruits de « révéler sans révéler », et c’est ce que fait le texte. L’ordre divin est à comprendre littéralement. Seulement la suite indique que cette dissimulation connaîtra un terme :

      11Je dis alors : « Jusques à quand, Seigneur ? »
      Il dit : « Jusqu’à ce que les villes
      soient dévastées, sans habitants,
      les maisons sans personne,
      la terre dévastée et désolée. »
      12Le SEIGNEUR enverra des gens au loin,
      et il y aura beaucoup de terre abandonnée
      à l’intérieur du pays.
      13Et s’il y subsiste encore un dixième,
      à son tour il sera livré au feu,
      comme le chêne et le térébinthe abattus,
      dont il ne reste que la souche
      – la souche est une semence sainte. (Isaïe 6, 11-13)

      Le retournement du texte qui dévoile la vérité sur les victimes et notre part de responsabilité collective dans la dissimulation de cette vérité est intimement lié à la notion d’apocalypse. Girard avait d’ailleurs bien compris cela lorsqu’il assimilait la Croix à l’exposition au yeux de tous de l’innocence de la victime, avec comme conséquence la perte d’efficacité du mécanisme victimaire, autrement dit la destruction des mythes.
      Ce que Girard n’a pas vu, je crois, c’est que ce phénomène annoncé n’avait pas trouvé sa pleine expression dans l’événement historique de la Croix (il faut bien distinguer les dimensions historique et spirituelle de la Passion du Christ). Les Évangiles, tout comme les épîtres et le Coran, sont toujours régis par l’injonction divine de « révéler sans révéler ».
      Ironiquement, Girard n’a pas réalisé que c’était sa lecture des textes qui permettait ce retournement. Dans la dimension temporelle, ce n’est pas la Croix qui permet de lire ce texte de Genèse autrement, d’ailleurs pendant 2000 ans le christianisme a perpétué ce mensonge ; c’est l’exégèse girardienne, et je ne fais que l’imiter, en quelque sorte.

      Pour un exposé plus complet, je vous conseille les vidéos que j’ai postées sur YouTube (voir lien dans les annexes).

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  5. Nous ne savons pas fonctionner autrement que mimétiquement, et la victime d’inceste saura-t-elle résister à la réciprocité violente en son indispensable dénonciation ? Dans quelle mesure la justice saura intégrer l’accession aux conditions du pardon des offenses qui permettrait de se garder de la contamination violente, et de faire du souci légitime de la victime autre chose qu’un retour au paganisme ?
    Nous ne savons pas, et ce principe d’incertitude doit fonder la solidarité mutuelle qui permettrait de suivre l’effort multiséculaire des Hébreux jusqu’à la révélation du phénomène qui nous ôte toutes protections, admettant comme le souligne Alison dans ses notes sur l’Apocalypse, le nouveau mode de narration proposé par les écritures :

     » le désir humain aimant et compréhensif de pardonner à ceux qui le tuent est une analogie plus juste de la puissance de la création que tout établissement d’un ordre. Ce que nous appelons le « pardon » est avant la création, et en effet le modèle de notre être créé est tel que nous ne l’atteignons que par le pardon. »

    Nos identités culturelles ne savent se définir que les unes contre les autres, le savoir ne nous donne que la capacité à nous reconnaître ignorants, accédant à cette folie de la sagesse qui nous est proposée, la foi raisonnable selon Benoît XVI, ce lâcher prise reconnaissant que nous sommes secondaires, bien que digne de la confiance de Celui qui compte sur nous d’assez nous respecter mutuellement, nous aimer les uns les autres, soumis les uns aux autres, à savoir se reconnaître assez perdu ensemble pour enfin incarner la parole de vérité qui nous permettra en cette horizontale d’accueillir le voleur de nos illusoires dominations, la verticale de l’unique transcendance de l’Amour :

     » Et c’est un processus très frustrant d’assister à la perte de nos mythes nationaux – notre identité et notre appartenance – à la perte de notre différence raciale, de nos rôles liés au genre. Ou plutôt que de perte, c’est de lâcher prise qu’il s’agit. Car c’est ce que le mot grec que nous traduisons habituellement comme « pardon » signifie, littéralement ; lâcher prise. Alors, qu’est-ce que c’est, maintenant, que de ne pas se laisser distraire en combattant pour ou contre de telles choses ? Se soumettre, dans un monde où la cacophonie du cataclysme est plus forte que jamais et où le sens est combattu avec une violence de plus en plus visible, à un genre d’apprentissage qui nous prépare à accueillir en tant qu’invité bienvenu celui contre lequel nous pourrions sinon nous protéger comme si c’était un voleur dans la nuit ? C’est l’ascétisme d’apprendre à ne pas prendre trop au sérieux quelque identité que ce soit agrippée contre une autre, et à subir le silence, la perte de sens, la chute jusqu’à nous retrouver porté par un nom écrit dans le ciel[28]. »

    http://jamesalison.com/fr/girard-livre-de-lapocalypse/

    Merci, Hervé, de nous permettre cet effort.

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    1. Je suis impressionné, Aliocha, vous poussez cette révélation/retournement du texte loin dans ses incontournables conséquences. En effet, le manteau jeté sur la nudité de Noé est notre pathétique défense contre ce dépouillement qui nous laisse nus, sans identité, sans certitudes, sans toutes les rassurantes structures de l’ordre humain. Mais sans ce dépouillement rien de la promesse d’un Royaume de paix et d’amour ne peut advenir, et il nous faudra bien un jour « lâcher prise », ne fût-ce que parce que tous les mensonges, tous les dénis qui tiennent debout ce fragile édifice ne peuvent subsister éternellement. « Il n’y a rien de caché qui ne doive être mis au grand jour ». Il n’y a là nulle morale, nul oracle magique, simplement le réel. S’il y a des enchantements et des sortilèges, ils se trouvent dans nos esprits, dans notre monde, pas dans le Livre.
      Je vous rejoins aussi, ainsi que Jean-Marc Bourdin dans l’article qui précède, sur les dangers de la phase de reconnaissance des victimes, et sur l’unique moyen de franchir ce cap, le pardon, qui sans transcendance n’aura jamais vraiment de sens.
      Comme vous le rappelez : « le désir humain aimant et compréhensif de pardonner à ceux qui [nous] tuent est une analogie plus juste de la puissance de la création que tout établissement d’un ordre. »

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  6. Alors, ce n’était pas une nuit d’ivresse mais un abus sexuel incestueux. J’ai bêtement cru que le manteau jeté sur la nudité de Noé pouvait révéler (sans la révéler) la nécessité de la méconnaissance ! En effet, celle-ci n’est pas un mensonge mais une façon de rendre supportable l’insupportable. Ou de permettre de gérer au mieux cet hôpital de fous qu’est une communauté humaine, comme dit Pascal. Par exemple, il ne faut pas dire au peuple que le roi est nu.
    Et Cham aurait été maudit pour avoir vu et révélé cette nudité, pour avoir désacralisé le père, le roi, l’élu de Dieu.
    Même si c’est l’exégèse girardienne qui vous a permis d’aller plus loin que Girard lui-même dans la découverte du pouvoir de révélation des textes bibliques (plus ils sont violents, plus ils nous révèlent à nous-mêmes, plus le miroir qu’ils nous tendent est fidèle !), même si vous êtes plus girardien que Girard, que faites-vous de la méconnaissance ? Si elle n’est plus possible dans des temps apocalyptiques, n’a-t-elle pas eu la nécessité que lui attribuait Girard pour le maintien d’un ordre humain ? Du moins avant la Croix, qui est la vraie révélation mais sous la forme d’un scandale pour les juifs et d’une folie pour les païens ?

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    1. La Bible (et le Coran, je n’arrête pas de glisser cette précision sans jamais déclencher le moindre commentaire, ce qui ne laisse pas de me surprendre), n’arrête pas de nous avertir de la nécessité de la méconnaissance, condition à notre survie. Dans le même temps, elle pose de façon très impertinente une question que nous aurions dû nous poser depuis longtemps : est-ce bien raisonnable ? Pouvons-nous indéfiniment construire nos vies, nos communautés et notre avenir sur des mensonges ? Est-ce tenable ? La réponse, par les versets dits apocalyptiques, est sans nuance : non. D’où la notion omniprésente de terme, de « fin des temps », condensée dans un mot qui dit tout : le jugement. Le moment (ce qui ne veut pas dire une date précise, un événement particulier) où nous serons enfin capables de distinguer le bien du mal. Par exemple, de reconnaître qui est coupable et qui est innocent dans une sordide histoire d’inceste.
      Donc, ce que je fais de la MEconnaissance, c’est tout d’abord l’accueillir avec REconnaissance, parce que sans elle, sans le sacré, sans les mythes, nous ne serions pas là pour en parler. Ne pas la haïr, ne pas la condamner, et accepter humblement que ni vous ni moi ne pouvons décider du jour et de l’heure où nous serons assez forts, assez adultes pour pouvoir nous en passer. La révélation de ces choses est leçon d’humilité et surtout donne leur plein sens à des mots tels que foi et espérance. St Paul le dit, comme toujours, de manière inspirée, en parlant de ceux qui ont reçu cette révélation avant nous :
      « Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. Car ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils sont à la recherche d’une patrie ; et s’ils avaient eu dans l’esprit celle dont ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner ; en fait, c’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à une patrie céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu ; il leur a, en effet, préparé une ville. » (Hébreux 11, 13-16)
      Sur le sujet de l’interprétation girardienne de la Croix, vous avez raison d’insister. Tout d’abord, un constat : la Croix n’a pas détruit instantanément la méconnaissance, et ceux qui témoignent de la Croix continuent d’user du langage mythologique, autrement dit de l’injonction divine de « révéler sans révéler ». Cela, c’est un simple constat. Il y a donc deux dimensions de la Croix qu’il convient de distinguer : une dimension de révélation qui se situe au niveau spirituel, hors du temps, en même temps qu’elle s’incarne dans le temps et dans l’espace. C’est la puissance incomparable du témoignage de Jésus et de la notion chrétienne d’incarnation. Dans cette dimension il est parfaitement justifié de dire que sur la Croix, « tout est accompli ». Dans la dimension matérielle et temporelle (historique), il suffit d’ouvrir un journal pour constater que tout reste à faire. Je pense que c’est le sens de ce qu’on appelle la Parousie, le second retour du Christ. Il y a quelque chose de la Croix qui est inachevé dans notre monde.
      Quoi qu’il en soit, ce jugement qui nous est promis ici et maintenant et non dans un très mythologique espace-temps accessible seulement après notre mort, il implique de traverser le scandale et la folie du retournement des textes, qui constitue pour nous une épreuve redoutable. Cesser d’expulser le mal en le faisant porter par d’autres, accepter de nous regarder dans le miroir que nous tendent les prophètes, ce n’est pas une expérience agréable. Elle nous invite accessoirement, comme le dit Aliocha, à un dépouillement assez radical, à dénoncer nos idoles et à nous en libérer.
      Pas facile.

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      1. Je crois savoir pourquoi vous pouvez glisser un mot sur le Coran sans jamais susciter aucun commentaire. Vous me feriez trop d’honneur si vous croyiez que j’ai lu tous les Livres ! Et je ne suis pas la seule à ignorer ce que dit le Coran, à mon avis.
        Vous me faites sursauter avec votre jugement dernier : faut-il attendre l’Apocalypse pour juger que dans une sordide histoire d’inceste (un père ou quasi-père qui abuse un fils, par exemple) c’est le prédateur qui est coupable ? Ne le sait-il pas lui-même ?
        Pour le reste, tout ce que vous dites là, je vous accorde que ce n’est ni facile à comprendre ni facile à faire.

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  7. PS. C’est pas vrai que j’ai aimé mon commentaire ! C’est une erreur de la machine. Par contre, j’ai oublié de dire que moi aussi je suis très impressionnée par votre façon de « retourner » les textes de manière à ce que soit eux qui nous retournent .

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    1. Si, c’est vrai ! La machine, elle, ne ment jamais. Et je vous en veux de me rappeler que moi aussi je clique toujours sur le mauvais bouton, ce qui me fait passer pour un Narcisse de plus sur les réseaux sociaux (qui n’en manquent pas).
      D’un autre côté il est écrit : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
      Merci !

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  8. Pour éviter tout retournement de ce commentaire, je tiens à démentir avoir dans mon commentaire précédent:
    1 – donné un « point de vue »….
    2- « pensé que la Bible serait une collection de mythes contradictoires par rapport aux autres mythes de l’humanité, c’est à dire qu’elle obéirait en quelque sorte à un programme ou une philosophie-théologie particulière. »

    Je trouve l’hypothèse hardie, car à la suite de René GIRARD, je pense que pour une interprétation de tout mythe (biblique ou non), il faut y chercher un élément de la réalité qu’elle veut cacher ( mythe non biblique) ou non (biblique).
    Votre vidéo, ‘Hervé VAN BAREN démontre amplement que l’introduction, absente du texte, d’un viol/rapport sexuel n’est pas nécessaire.
    Votre texte la remet en cause, après la vision d’une vidéo comparant ce passage de la genèse avec le chapitre 19, versets 30-38. Vous écrivez  » Les deux récits se clôturent par un épisode familial et dans les deux cas il est question de l’ivresse du père. Les deux filles de Lot le font boire et couchent avec lui ; le parallèle avec Cham et Noé est trop évident pour nier l’allusion à l’inceste.

    Il y a donc bien inceste entre Noé et son fils Cham.  » Je ne comprends pas ce donc. Car dans un texte, il est écrit noir sur blanc et dans l’autre, il n’est même pas allusif.
    Mais cela ne veut pas dire que vous ayez tort. Je vous reconnais la qualité de Maitre dans l’exégèse de textes et si j’ai soif d’apprendre, je ne cherche pas à être votre disciple, mon thème de recherche n’étant pas celui-ci.
    Ma question n’a aucune arrière pensée. Je ne comprends tout simplement le donc, mais suis émerveillé par votre analyse, en précisant, cette fois-ci , qu’il s’agit de celle développée dans votre vidéo.

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  9. Ceci est la réponse au commentaire de Christine Orsini publié à 17H34.
    Je vois la Révélation (l’Apocalypse) comme un processus toujours à l’œuvre. On ne peut pas le ramener à un épisode précis. Il y a déjà eu des dénonciations de cas d’inceste avant les récents scandales, évidemment, et des sanctions sévères. Ce qui distingue la récente libération de la parole, c’est son échelle, et aussi que les victimes témoignent ouvertement, sans honte. Comme le disent beaucoup d’entre elles, la honte a changé de camp. Autrement dit, tous les scandales récents qui exposent la réalité violente de notre monde, qui n’hésitent pas pour ce faire à attaquer ses forteresses sacrées, témoignent plus d’une accélération du phénomène que d’une situation inédite. L’inceste n’est qu’un cas particulier. Notre époque dévoile la corruption du monde des affaires et de la finance, de la politique, du star system, etc. Pour prendre un autre exemple, les scandales d’abus d’enfants par personnes dépositaires de l’autorité ont secoué l’Église mais aussi un grand nombre de fédérations sportives.
    Il y a « apocalypse » à chaque fois que la vérité éclate, que la victime et le coupable sont reconnus comme tels ; et on peut constater l’effet destructeur de ces révélations sur les institutions touchées par le scandale, que ce soit une famille, Hollywood ou l’Église.

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  10. Oui, c’est un excellent article et aussi un scoop au sens d’une forte révélation. Dans le contexte actuel, votre article diffusé plus largement aurait sans doute une grande répercussion. Sur Wikipédia, on lit que la malédiction de Cham a été utilisée pour justifier l’esclavage des Noirs et qu’aucune interprétation de l’épisode de la nudité de Noé ne parle d’inceste.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mal%C3%A9diction_de_Canaan

    Sur la question de savoir si la Bible dévoile la vérité ou conforte le mensonge, une première observation est que vous avez vu un crime sous le voile. Il existe donc des indices.

    Pour seconde observation, il est intéressant de comparer (en dehors de tout jugement moral) avec Si le grain ne meurt dans lequel Gide décrit en toute nudité et exaltation ses ébats sexuels avec un jeune Algérien. La différence entre les deux textes est frappante. Dans la Bible, l’acte est si répréhensible que Noé nie, ment, accuse et maudit. Serait-il poussé dans ses retranchements par d’autres témoignages, il désignerait certainement Cham comme une tentation envoyée par le diable pour faire trébucher l’homme de Dieu. Le voile couvre le crime de Noé aux yeux des hommes comme à ceux de Dieu.

    Chez Gide, l’acte est entièrement positif. Si l’ivresse de Noé a causé son crime, le crime de Gide l’enivre. A première vue, il n’y a aucun voile mais étonnamment, personne aujourd’hui ne voit matière à accusation dans ce texte autobiographique. Le voile est invisible, c’est celui du sacré comme pour Noé. Gide est un homme sacralisé dans les causes qu’il a défendues comme dans ses œuvres. Tout le monde détourne pudiquement les yeux.

    Vous pouvez retourner le texte de la Genèse et révéler la vérité. Vous aurez beau tourner le texte de Gide en tout sens, rien n’en tombera.
    C’est ici l’épineux sujet de la complicité, ce mensonge qui enfle du silence, contamine tout le groupe et provoque l’expulsion du faux coupable par la malédiction ou par son total effacement. A briser la complicité, on déclenche la haine et la violence. Le pardon semble se placer dans l’interstice comme une troisième voie. Seulement, le danger ne serait-il pas d’en faire la condition de la révélation ? Le pardon comme moyen de préserver l’ordre du groupe en annulant le crime ?
    Alors plus juste serait de rappeler le dialogue (magnifiquement analysé par Girard) entre Jésus et les pharisiens grands dévoileurs des crimes de leurs pères. « Si nous avions vécu au temps de nos pères, nous n’aurions pas tué les prophètes ! » s’exclament tous les pharisiens d’hier et d’aujourd’hui. Bien sûr que si.

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    1. On trouve la même exaltation et la même apologie de la pédophilie dans « Le médianoche amoureux », de Michel Tournier. J’avais adoré ses romans, y compris le Roi des Aulnes, je suis sorti de cette lecture profondément dégoûté. Tourisme sexuel et prostitution enfantine au Maroc : le sommet de l’hédonisme, aucun problème moral, d’après Tournier.
      Un des mérites du livre de Camille Kouchner est de montrer la destruction profonde des psychés et des liens sociaux par le rejet viscéral de toutes formes d’interdits, de contraintes. Tout cela tient, comme vous le dites, par la collusion plus ou moins consciente de tous les acteurs, et confirme si besoin est l’intuition géniale de Girard. Méconnaissance et unanimité sont au centre du mécanisme sacrificiel. Et lorsque vous dites « A briser la complicité, on déclenche la haine et la violence », vous décrivez la crise apocalyptique qui suit le dévoilement, la vérité sur la victime, selon Girard.
      Ces considérations semblent justifier le retour à un ordre moral, aux interdits, aux traditions ; malheureusement cette solution ne préserve pas du sacrifice, au contraire, elle s’appuie dessus. La justice des humains a toujours une composante sacrificielle. Nous voilà donc condamnés à osciller sans fin entre périodes progressistes et traditionnalistes, entre libération et rétablissement d’un ordre humain liberticide.
      Le pardon, comme vous le dites, c’est la troisième voie, la seule qui puisse nous extraire du sacrificie, mais ce n’est pas un interstice, un compromis. C’est une sortie par le haut, par la transcendance. Le pardon n’annule pas le crime ni n’excuse les élucubrations de Gide, Matzneff et Tournier, évidemment. Quand Jésus guérit un grabataire, il lui dit : « lève-toi, prends ton grabat et marche ». Le grabat, ce matelas qu’on imagine puant et souillé, plein de vermine, il nous faut le porter, même après le pardon.
      Le retournement des textes est avant tout exposition du réel et remet en cause une grande partie de nos représentations, entre autres celles liées au pardon, trop souvent vu comme un nouveau voile jeté sur le réel, un déni de la réalité du mal. Il reste beaucoup à creuser.
      Merci de ce commentaire, que j’ai trouvé très juste et rigoureux, et qui donne à réfléchir.

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  11. Dans le Coran, il est écrit que ce ne sont pas les juifs qui ont tués le Christ, mais Dieu qui l’a élevé.
    A l’habitude, Girard permettrait d’interpréter cela hors d’un contexte d’opposition polémique qui tenterait de s’approprier la divinité, fondant à nouveau une illusoire domination d’une culture sur une autre, éludant par l’amnésie de la crise mimétique la révélation anthropologique du phénomène propitiatoire, celle qui nous ramène à revendiquer de ne pas savoir alors que nous connaissons, non pas le sens de nos vies qui reste voilé, mais la réponse violente qui permet de supporter cette incertitude face à la mort par le sacrifice et son mensonge.
    Le champ de la méconnaissance s’applique donc au sens, ce qui est vaincu définitivement par la Croix est la mise à mort prise comme signe divin, ce n’est plus le rituel d’expiation qui renouvelle la création d’un ordre culturel :

    « C’est fait, il n’y a plus rien à faire. Nous sommes laissés en tant qu’êtres humains au milieu de ce qui est : libres, responsables, privés de la faculté de rejeter le blâme pour ce qui se passe, capables de penser en dehors de la causalité victimaire et, plus important encore, conscients du fait que nous pouvons oser ouvrir la réalité en toute confiance en pardonnant et en étant pardonné : la création est une réalité future à laquelle nous participons comme nous pardonnons et sommes pardonnés, et non un ordre cruel et mensonger issu d’un passé qui nous emprisonne. »

    C’est ainsi que ce qui était pari pour Pascal est devenu depuis Girard choix raisonnable, que le sens de nos vies ne nous appartient pas, mais qu’il nous est possible à chacun de vivre au chant du coq la conversion qui permet, se reconnaissant traitre à la vérité, d’envisager d’accepter ce pouvoir mirifique qu’il nous est alors laissé, étant pardonné, de savoir incarner les conditions du don de notre pardon, celui qui permettrait d’oser, fort de cette connaissance scientifique, ouvrir notre réalité qu’il nous est offert d’inventer et qui nous reste à écrire .

    Nous ne savons pas et l’absence de sens que nous célébrons cette semaine- Père, pourquoi m’as-tu abandonné- trouve sa résolution si nous accordons en définitive, suivant l’exemple ineffable, notre confiance :
    « Tout est accompli, entre Tes mains je remets mon esprit.
    Et baissant la tête, poussant un grand cri, il rendit l’esprit. »

    Alors, confiant en ce sens inconnu mais certain de ce renseignement qu’il nous donna sur nous-même, pourrons-nous ne plus être victime de notre désir de domination, admettant cette confiance qui nous est donnée, affranchis de la peur de mourir, reconnaissant avec les juifs et les musulmans et tous les êtres sur cette terre, que nous sommes invités, par et dans le pardon des offenses, à assumer notre liberté de narrateur du Réel :

    « Mon cœur est devenu capable
    D’accueillir toute forme.
    Il est pâturage pour gazelles
    Et abbaye pour moines !
    Il est un temple pour idoles
    Et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
    Il est les Tables de la Thora
    Et aussi les feuillets du Coran !
    La religion que je professe
    Est celle de l’Amour.
    Partout où ses montures se tournent
    L’amour est ma religion et ma foi. »

    Ibn’Arabi, ‘L’Interprète des Désirs.

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    1. Merci, Aliocha, de faire le lien avec la Semaine Sainte que nous vivons.
      Le passage du Coran auquel vous faites allusion est sujet à d’interminables polémiques. C’est aussi un très bon exemple de parabole cachée, et le mécanisme de retournement est le même que dans le texte de Genèse.

      « et à cause de leur parole : « Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d’Allah »… Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié; mais ce n’était qu’un faux semblant! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué » (Sourate 4 « les femmes », verset 157

      La lecture littérale conduit à ces affrontements doctrinaux sur la mort du Christ. Profitons du Vendredi Saint pour nous extraire de cette nasse.
      La parabole est en trois temps. Premier temps : dévoilement, révélation. Nous sommes coupables, nous avons tué le Christ. Deuxième temps : c’est vraiment scandaleux cette idée-là, et elle détruit notre monde. Il est plus confortable de nier que nous avons tué le Christ. Troisième temps : tout cela ce sont des mensonges et nous n’avons pas tué le Christ, nous sommes innocents. (Tout cela ce sont des mensonges, cet homme n’a pas violé son enfant et nous ne sommes pas ses complices).

      Voilà comment on étouffe la révélation.
      Aujourd’hui est le jour de l’année où nous faisons mémoire : nous avons tué le Christ. Nous avons crucifié des enfants, victimes innocentes. Aujourd’hui, c’est le jour du deuil de notre innocence. A ce prix seulement nous pouvons renaître.

      Encore une interprétation téméraire, certainement. Pourtant, on retrouve la même dynamique quelques versets plus haut, et seul le retournement permet de faire le parallèle :

      « Les gens du Livre te demandent de leur faire descendre du ciel un Livre. Ils ont déjà demandé à Moïse quelque chose de bien plus grave quand ils dirent : « Fais-nous voir Allah à découvert!  » Alors la foudre les frappa pour leur tort. Puis ils adoptèrent le Veau (comme idole) même après que les preuves leur furent venues. Nous leur pardonnâmes cela et donnâmes à Moïse une autorité déclarée. (Sourate 4 « les femmes », verset 153)

      Les Hébreux reçoivent une révélation collective sur le chemin de la Terre Promise. Les conséquences sont dévastatrices, ce qui les conduit à adorer une idole. Mieux vaut un Veau d’or que ce Dieu de Vérité qui dévoile nos horreurs.
      C’est la même histoire, celle de notre rejet de la Parole, même (surtout ?) quand elle nous touche.
      Le retournement rend stériles toutes les polémiques et nous met face à notre violence. Il nous réconcilie autour de la victime.

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  12. ‘Hervé VAN BAREN, je trouve l’hypothèse hardie, car à la suite de René GIRARD, je pense que pour une interprétation de tout mythe (biblique ou non), il faut y chercher un élément de la réalité qu’elle veut cacher (mythe non biblique) ou non (biblique).
    Votre vidéo, démontre amplement que l’introduction, absente du texte, d’un viol/rapport sexuel n’est pas nécessaire.
    Votre texte la remet en cause, après la vision d’une vidéo comparant ce passage de la genèse avec le chapitre 19, versets 30-38. Vous écrivez  » Les deux récits se clôturent par un épisode familial et dans les deux cas il est question de l’ivresse du père. Les deux filles de Lot le font boire et couchent avec lui ; le parallèle avec Cham et Noé est trop évident pour nier l’allusion à l’inceste.

    Il y a donc bien inceste entre Noé et son fils Cham.  » Je ne comprends pas ce donc. Car dans un texte, il est écrit noir sur blanc et dans l’autre, il n’est même pas allusif.
    Cela ne veut pas dire que vous ayez tort. Je vous reconnais la qualité de Maitre dans l’exégèse de textes et si j’ai soif d’apprendre, je ne cherche pas à être votre disciple, mon thème de recherche n’étant pas celui-ci.
    Ma question n’a aucun arrière pensé. Je ne comprends tout simplement le donc, mais suis émerveillé par votre analyse, en précisant, cette fois-ci, qu’il s’agit de celle développée dans votre vidéo.

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    1. Vous avez raison, Fxnico, ce « donc » est trop court et mérite un développement. Le blogue l’Emissaire est un média sérieux et j’ai voulu, sans doute inconsciemment, donner à ma volte-face concernant l’inceste entre Noë et Cham un socle raisonnable, des arguments solides. Laissez-moi vous raconter l’autre histoire, celle qui n’appartient pas au domaine de la raison.
      Ce passage de Genèse m’a fasciné depuis la première fois où je l’ai vraiment lu. Je n’ai cessé d’y revenir. Dès cette première lecture j’étais déjà convaincu de l’innocence de Cham, mais innocent de quel crime ? Le texte est ambigu. J’ai opté pour la thèse que je défends dans mon premier article et dans la vidéo : l’image brisée du père. C’était ma manière de renâcler devant la réalité, de participer au déni.
      Deux événements m’ont convaincu d’adopter la thèse de l’inceste, très récemment. Le premier, que j’évoque dans l’article, c’est la découverte de la structure parallèle entre le déluge et la destruction de Sodome, sur la chaîne YouTube que je mets en référence. C’est un argument de raison. L’autre, c’est lorsqu’une victime d’inceste, une femme qui avait mis près d’un demi-siècle à trouver les mots pour dire sa souffrance, m’a raconté non seulement l’acte qui en était à l’origine, mais aussi toute une vie d’ostracisme, de calomnies, de rejet par sa propre famille. Ce témoignage m’a bouleversé. En revenant peu après à Genèse 9, j’ai su, sans l’ombre d’un doute, que le passage nous parlait d’inceste. Pour moi, ce n’est plus un sujet de polémique.
      James Alison voit en Jésus la victime pardonnante. Je trouve ce concept d’une puissance extraordinaire. Le retournement des textes, la mise au jour de la violence qui y est exposée, tout cela est rendu possible seulement par la parole des victimes. Vous constaterez qu’il en est de même dans le regard que nous portons sur l’inceste ces jours-ci.
      Relisez les Béatitudes avec cette idée que le salut passe avant tout par les victimes :

      « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
      Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
      Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
      Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
      Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
      Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
      Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
      Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
      Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

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      1. Hervé VAN BAREN, je suis James ALISON (j’ai assisté à la conférence dont Alliocha fait référence dans son commentaire) et voit en Jésus la victime pardonnante. Je trouve, comme vous, ce concept d’une puissance extraordinaire. Mais attention, la formule le salut passe avant tout par les victimes est ambigüe, elle peut être transformée en le salut passe avant tout par les Victimes avec une sacralisation de celles-ci.
        Je vous remercie de votre réponse et comprends votre démarche. Mais pour moi, votre affirmation reste une hypothèse , intéressante certes, mais encore une hypothèse. En fait, je pense que l’insistance sur le le fils de CHAIM, CANAAN n’est pas fortuite et constitue la pierre d’angle de ce mythe biblique. Elle n’est pas incompatible avec votre hypothèse, mais pour l’instant, en devient secondaire. Cela m’empêche d’adhérer à votre hypothèse.
        Je fais un parallèle avec une autre exclusion d’un fils, mais pour l’instant sans en tirer de conclusions explicites sur deux récits très différents. Il s’agit de celle d’ISMAËL,

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  13. Pour revenir en arrière concernant le débat sur ce qu’il convient de faire avec le récit biblique, il est aujourd’hui communément admis que la Genèse a beaucoup à voir avec de mythes mésopotamiens dont celui du déluge relaté des l’épopée de Gilgamesh de façon trop congruente pour évoquer un simple coïncidence ou des mémoires concurrentes d’un même événement. Or le texte qui nous préoccupe est dans la Bible placé au plus près de celui qui nous est donné à lire par Hervé. Ne pas prendre en compte cette généalogie des textes et prendre pour argent comptant le récit biblique, tels des fondamentalistes, nous empêcherait d’admettre ce qui est à l’oeuvre. Si on part de l’histoire de la réécriture plausible des textes passant d’une culture à l’autre, on peut raisonnablement faire l’hypothèse que la relation entre Noë et Cham est une relecture d’un mythe probablement mésopotamien qui commence à dévoiler ce que le récit antérieur éludait ou édulcorait plus encore. Les temps n’étaient pas encore venus d’un pleine révélation qui semble désormais à portée de main.

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  14. Il me semble que, mythologique ou pas, le récit de la Genèse constitue une tentative de comprendre, de la part du peuple juif, d’où il vient, et c’est aussi le fait de toute mythologie. Dire cela constitue une banalité. Cependant, l’histoire de ce peuple nomade, pris en tenaille entre deux empires, amené à frayer en permanence avec des voisins proches, mais vis-à-vis desquels il veut se démarquer, n’est justement pas banale. Il s’agit alors d’expliquer et de justifier certaines bifurcations généalogiques complexes à partir d’ancêtres communs et partageant un même territoire : c’est-à-dire Noé ou, dans une moindre mesure, Lot, seuls survivants d’une humanité décimée. Le géniteur originel est en fait pluriel (Adam, Caïn, Noé, Lot), et commun à l’ensemble des peuples connus, et dans ce cadre, il s’agit de définir ce qui différencie les Juifs, ce qui fait d’eux un peuple. Le même processus s’effectue en parallèle sur le plan religieux (Yahvé unique et exclusif).
    Dans cette tentative mythique de généalogie, l’inceste ou le viol prennent une importance qui peut nous surprendre. Elle peut s’expliquer comme conséquence de cette volonté de se séparer, d’exister indépendamment de l’influence génétique et idéologique de peuples voisins. Le fait que Jacob soit également nommé Israël, et que Cham soit associé à Canaan, mais aussi, comme le signale James, qu’Ismaël soit exclu pour être séparé d’Isaac, ou que les filles de Lot donnent naissance aux Moabites et aux Bené-Ammon… cela montre assez clairement, à mon avis, une volonté de distinguer une identité juive. Cela se produit concrètement par l’importance donnée à la pureté de la lignée juive, et par l’exclusion de lignées entières, constituant les peuples voisins. Et toute exclusion d’une lignée suppose une faute commise par son géniteur originel, qui la justifie. Le phénomène se retrouve dans tous les mythes de fondation. Dans le cas qui nous occupe, l’inceste devient ambiguë car c’est une situation qui se pose en permanence lorsqu’on ne veut pas se mélanger à ses voisins ; ce qui expliquerait, peut-être, l’évitement frappant du rapport sexuel parents-enfant dans le Lévitique, comme le souligne très justement Hervé ? Car à lire le Lévitique, il nous parait évident que « voir la nudité » désigne bien les rapports sexuels, et que par conséquent, Noé a bien violé son fils. Mais dire cela, ce n’est pas « prendre pour argent comptant le récit biblique » et risquer une forme de fondamentalisme, comme pourrait le laisser penser Jean-Marc, car il est bien évident qu’un Noé âgé de 350 ans ne désigne aucun individu particulier ayant existé.
    Dans cette logique ambiguë par rapport à l’inceste, les rapports conflictuels avec des peuples voisins doivent provenir d’une faute originelle, justifiant une exclusion, mais il s’agit de ne pas s’exclure soi-même. On peut alors remarquer deux choses ; si le Lévitique n’interdit pas spécifiquement l’inceste parents-enfant, il condamne clairement l’homosexualité masculine, et si les rapports sexuels sont bien à l’origine de lignées, expliquant génétiquement l’existence de peuples différents, le rapport sexuel entre Noé et son fils est infécond. Il marque cependant la lignée cananéenne de son opprobre. Les cananéens seraient exclus parce que le rapport homosexuel commis par leur géniteur originel est interdit. Et si la faute retombe sur le fils et non sur le père, ce serait avant tout pour expliquer la séparation effective des cananéens par rapport aux lignées juives des frères (Sem et Japhet). En accusant Cham, on évite aux Juifs d’être contaminés par la faute. Noé doit être innocent ; il l’est forcément puisqu’étant l’inventeur du vin, il n’en connaissait pas encore les effets, et les conséquences… D’ailleurs, une fois dessaoulé, il ne se souvient de rien ! C’est bien depuis le point de vue d’une séparation effective et actuelle entre les Juifs et les Cananéens que le mythe invente une origine accusatrice, qui a valeur explicative, et non l’inverse.
    Par contre, les Moabites (lignée issus de la fille aînée de Lot couchant avec son père) font pleinement et positivement partie de la communauté juive. Le Lévitique ne mentionnera là aucune faute : pour ne pas contredire la Genèse et entamer la réputation d’un père fondateur ? C’est possible. Mais il va différemment des Bené-Ammon, lignée issue de la cadette imitant son aînée, qui seront des ennemis mortels d’Israël… On voit que cette thèse n’engendre aucune conséquence automatique – à moins que le fait d’avoir imité son ainée constitue une faute en soi ? – mais aussi que l’inceste parent-enfant reste suffisamment gênant, malgré l’absence d’interdit explicite, pour qu’on éprouve le besoin de laisser l’initiative aux filles, en dehors de toute vraisemblance… C’est là une vieille histoire que les féministes ont suffisamment éclairé pour qu’on n’ait pas à y revenir : les filles ne comptent pas, c’est bien connu…
    Canaan, soit la lignée issue d’un rapport incestueux homosexuel, est une entité vague, tant d’un point de vue géographique que culturel, et le terme désigne souvent les goïms en général : les non-juifs. Jésus rejette une « cananéenne » (syro-phénicienne) lorsqu’elle lui demande de guérir sa fille : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt.15, 24), et alors qu’elle insiste, il en vient à l’insulter littéralement, si l’on considère que les chiens sont le symbole même de l’impureté dans ce milieu culturel : « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiots » (Mt.15, 26 et Mc.7, 27). Puis il se ravise devant cette réponse magistrale : « Oui, Adôn ! Mais même les chiots mangent les miettes qui tombent de la table de leurs Adôn. » (Mt.15, 27, tr. Chouraqui).
    Le christianisme met enfin un terme à toutes ces histoires d’identité nationale et culturelle, de pureté et d’impureté congénitale qui se soutenaient du Lévitique. Mais on voit que ces principes séparatistes et génétiques ont fait long feu, et que la mutation a été très progressive, y compris durant le ministère de Jésus. C’est Paul qui devra pleinement achever une mutation annoncée.
    Merci Hervé pour avoir partagé votre lecture de ce texte !

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    1. Merci Benoît Hamot de replacer le texte dans un contexte plus large ; c’est précieux. Je voudrais seulement souligner la rupture que constitue ce que j’appelle le retournement parabolique des textes avec cette manière de lire. Cette rupture ne rend pas caduques les anciennes interprétations, mais elle fait passer du particulier à l’universel. Le passage de Genèse 9 est bien une généalogie, thème très courant dans le judaïsme, et le chapitre 10 encore plus. Cependant, le retournement nous indique que la précision que toute l’humanité descend de Noé et de ses fils a aussi une valeur symbolique pour nous montrer que la scène raconte une violence universelle, anthropologique. C’est bien dans cette manière de lire que se situe la nouveauté radicale de l’exégèse girardienne ! Dans cette dimension, le texte n’appartient plus à une culture ou à une religion. D’ailleurs cette extension du culturel à l’universel est annoncé par les prophètes juifs avant de l’être par Jésus ou Mahomet (« toutes les nations » dans Isaïe, etc). Cet élargissement du cadre correspond à la lecture anthropologique et ne se trouve que dans les passages apocalyptiques (par exemple Ezéchiel 38-39, un peuple sorti d’entre les peuples, ou Gog et Magog, assemblage disparate de nations). Le propos est plus qu’ambigu entre l’obsession des prophètes juifs de préserver leur peuple de toute pollution mimétique, et l’annonce que la révélation qu’ils apportent s’adresse à toute l’humanité. Je pense qu’on a tort de ne pas insister sur cette dimension du judaïsme ; mais cet oubli a tout à voir avec notre incompréhension de la dimension anthropologique de la notion d’apocalypse. Rien à faire, quand on dit ce mot, automatiquement la pensée magique submerge tout et nous nous imaginons Dieu déclencher des phénomènes dévastateurs, genre film catastrophe hollywoodiens. Les images utilisées par les auteurs des textes sacrés ne font bien entendu rien pour nous contredire.
      Le christianisme, là-dessus je suis en désaccord avec vous, ne sort pas de ce paradoxe. Vous mentionnez St Paul. Dans les épîtres peut-être plus que dans tout autres textes on retrouve ce double langage. Relisez Hébreux et les charges parfois violentes contre le judaïsme, religion incapable d’apporter le salut ; ou encore les propos parfois condescendants de Jean envers les juifs. Même phénomène dans le Coran avec les versets anti-chrétiens ou juifs. Ces textes aussi doivent être retournés pour pleinement nous débarrasser de cet embarrassant fardeau que portent, encore aujourd’hui, toutes les religions : l’assurance de leur supériorité, la certitude de détenir la vérité contre les autres, d’être la seule voie de salut. Il y a les juifs et les non-juifs, les chrétiens et les païens, les musulmans et les mécréants, et nous ne pouvons pas nous accuser entièrement de ces relents sacrificiels, parce que, encore une fois, les textes sont ambigus, paradoxaux. Ils semblent hésiter sans cesse entre le retour à la religion sacrificielle et la promesse du Royaume. D’où la nécessité de lire ces textes autrement, seule façon de sortir du paradoxe.

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  15. Oui, j’ai été imprudent ou trop rapide en énonçant la vocation universelle du seul christianisme et je vous rejoints tout à fait. Cette vocation universelle est annoncée depuis toujours dans le judaïsme, également par le fait de mentionner un ancêtre commun à l’humanité entière (c’est évident, mais je n’y avais pas pensé). C’est le cas de Noé. Il y a bien une tension entre une vocation universelle et une volonté de se démarquer des religions liées à un lieu, à une communauté particulière, et cette tension est bien entendu perceptible chez Paul et Jean aussi. En critiquant le judaïsme sadducéen (c’est à dire nommément Jérusalem, associée à Babel ou à une « prostituée » dans l’Apocalypse de Jean) l’apôtre ne se retourne pas contre sa propre religion, mais affirme que Jésus non seulement y participe, mais qu’il accomplit ce qui était prévu, écrit. Ou pour le dire autrement, il y a la Révélation, dont la valeur est universelle, et il y a les tensions, les conflits et les guerres, auxquelles il faut réagir lorsqu’on est concerné. Et Pierre et Paul, en tant que juifs persécutés par d’autres juifs, ne pouvaient pas ne pas s’engager. Et nous en sommes encore là. Lorsqu’un terroriste agit pour imposer l’universalité de l’Islam, on ne peut pas lui répondre béatement que nous avons tous le même Dieu sous prétexte que notre père commun s’appelle Abraham. C’est un peu court. Vous ne trouvez pas?

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  16. Dimanche soir, j’ouvre au hasard « Le péché originel à la lumière de la Résurrection » de James Alison, que j’ai lu il y a trop longtemps pour que je m’en souvienne vraiment, et je lis ceci, page 210-211 :
    « Le besoin d’appuyer son identité, de se justifier, apparaît dans la tendance humaine ordinaire à chercher des causes fondamentales (ou fondationnelles). Si nous pouvons remonter jusqu’à une cause première, une réponse à la question « pourquoi ? », alors nous serons sur un terrain solide, nous pourrons nous expliquer nous-mêmes qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons. Aussi la mentalité fondationnelle cherche-elle à raconter l’histoire des origines d’une manière qui justifie le présent. Le problème est qu’une telle explication consiste toujours en un ressaisissement partiel de notre identité, et que la notion même de cause, avec son origine judiciaire, nous induit à une accusation (ad causam), à une tentative d’attribution d’un blâme. Il y a une immense différence entre cette « mentalité fondationnelle », qui est à la racine une culpabilisation envieuse de tel ou tel autre (même dans un passé très lointain), et la stupéfiante lucidité de 1 Jean 3, 2 : « Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. » Ici, l’identité est donnée comme faisant partie d’un devenir dont on ne peut se saisir, qu’on ne peut que recevoir avec patience. L’identité est eschatologique et non fondationnelle. »
    Cela correspond exactement, en allant beaucoup plus loin bien sûr, à ce que je voulais exprimer dans mon intervention précédente… Et c’est beaucoup plus clair. J’ajouterai que cette question se présente déjà lorsque Yahvé se présente ainsi à Moïse, qui lui demande son nom : « je serai qui je serai » (Ex.3, 14). La traduction de cette réponse : « èhiè asher èhiè », continue à susciter des débats, mais il semble bien que la traduction habituelle « je suis celui qui est » ne puisse être retenue, le verbe être ne pouvant pas se conjuguer au présent en hébreu, mais soit en un temps dit accompli, plus proche de notre passé, soit en un temps dit inaccompli, exprimant une action en cours, plus proche de notre futur. A rapprocher du célèbre : « je suis celui qui est, qui était et qui vient », extrait de l’Apocalypse (Ap.1, 8). Quoi qu’il en soit, Dieu n’a rien à voir avec cet ancêtre primordial, sacrifié et déifié, fondateur d’une communauté localement et génétiquement définie. Dieu n’est pas soumis au temps.

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  17. Oui, je suis bien d’accord, cette dialectique universaliste n’a aucune chance de passer, et pas seulement chez les intégristes. Girard a bien mis en lumière la nécessité pour les humains de désigner un ennemi extérieur pour pouvoir faire société. C’est un mécanisme universel que les pacifistes, entre autres, n’ont pas pris en compte. S’il est anthropologique, il ne peut être vaincu « de l’intérieur » ; ce serait comme si les tigres essayaient de se débarrasser des rayures de leur pelage. D’où l’échec de toutes les idéologies à établir la paix.
    Il faut donc une action « de l’extérieur », et c’est la raison, je pense, pour laquelle seules les religions à la fois détiennent ce savoir et prennent la pleine mesure de l’enjeu. Sans transcendance pas de salut ! Il est urgent, étant donné les risques actuels d’embrasement généralisé, d’effondrement mondial, de catastrophe écologique, de rappeler ce principe très simple, autrement dit d’abandonner l’utopie du progrès, le mythe d’une victoire de l’humanité contre le mal par ses seules forces. Mais pour rendre au religieux la place qui lui revient, il faut au préalable le débarrasser de ses relents sacrificiels, violents, sans quoi on revient au point de départ. D’où mon intérêt pour les textes violents des Ecritures ; ce sont ces versets, qui nous dérangent au point que souvent nous les escamotons (que nous les couvrons d’un manteau !), qui détiennent la clé de cette transformation majeure.

    Merci pour ce passionnant dialogue !

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  18. Pour ma part j’ai trouvé l’article extrêmement intéressant parce qu’il fait apparaître l’absence de frontière absolue entre les mythologies et la Bible. Même en faisant sien (c’est mon cas) le postulat girardien d’une spécificité biblique sous le rapport de la parole donnée à la victime de persécutions, il serait audacieux d’affirmer qu’une telle frontière existe et il me paraît au contraire peu surprenant que des traces d’accusations mythiques persistent ici et là, surtout dans des textes anciens, comme le souligne JM Bourdin.
    Bref, l’observation de fxnico me paraît fondée et je ne peux faire mienne l’argumentation du « révéler sans révéler. »

    Un des plus sérieux reproche que l’on pourrait adresser à Girard me paraît être sa propension, que je crois essentiellement rhétorique, à attribuer trop généreusement sa propre lucidité de théoricien lecteur actuel de la Bible aux auteurs du passé.

    Autrement dit, je ne crois pas que les rédacteurs de la Genèse aient pu avoir de telles lumières sur les intentions de Dieu qu’ils se soient, en toute conscience, obligés à une inversion accusatoire à visée didactique, une sorte de pédagogie populaire avant l’heure. Il me semble autrement plus plausible qu’ils aient été saisis par la force impérieuse de la représentation collective alors dominante (ce que Bourdieu appelait l’habitus) selon laquelle les enfants ont un devoir d’absolue soumission et respect à leurs pères qui ont sur eux un droit de vie et de mort.

    De sorte que la faute de Cham pourrait bien être d’avoir parlé en victime à sa fratrie et d’avoir mis en cause un père qui ne saurait être vu comme coupable, au moins par ses enfants. C’est donc une impérieuse représentation collective (socialement donc mimétiquement partagée) qui fait que tous, y compris les rédacteurs bibliques, se coalisent contre Cham, quelque soupçon que certains aient pu avoir sur la plausibilité de ses dires.

    Que cette version mythique ait pu être religieusement conservée au cours des millénaires ne saurait nous surprendre. Il en est encore qui croient à l’inversion stratégique opérée par Freud avec un complexe d’Oedipe qui met en scène un désir des filles pour leurs pères alors qu’il était parfaitement au fait des pratiques incestueuses dans la bourgeoisie viennoise.

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    1. Je pense que votre scepticisme est tout à fait justifié. Il convient de critiquer la thèse. Cependant, il y a des arguments en faveur de cette thèse d’une connaissance profonde des mécanismes mimétiques en jeu, autrement dit d’une immunisation des rédacteurs contre la contagion mimétique, qu’il faut prendre en compte. Tout d’abord la narration elle-même, tellement précise dans la description du phénomène. Comme le souligne Benoît Hamot dans un des commentaires ci-dessus, l’image du manteau jeté sur la nudité de Noé, si elle n’est pas anecdotique et à prendre à la lettre, prouve la connaissance d’un mécanisme de dissimulation, de déni de l’acte violent. La connaissance de ce mécanisme implique la connaissance de ce que l’on veut cacher. Ensuite, de nombreux versets des Écritures sont consacrés à cette surprenante pédagogie qui consiste à révéler sans révéler. Sans donner d’explication, ou rarement, à la nécessité de cette dissimulation, ils la revendiquent sans ambiguïté. Je pense notamment aux versets d’Isaïe 6 que je cite en commentaire. Ces versets d’Isaïe sont sans doute les plus repris par les écrits ultérieurs (relisez Marc 4, Luc 8 et Matthieu 13), ce qui prouve assez l’importance que les rédacteurs leur attachent. Je n’ai jamais lu ou entendu d’interprétations satisfaisante de cet étrange ordre divin avant de le lire à la lettre et de reconnaître son application stricte dans de nombreux passages.
      Jean-Marc Bourdin rappelle que la Bible reprend à son compte de nombreux mythes anciens mais il ne dit pas qu’elle adhère à leur mythologie. Il est communément admis que la plupart des textes de l’Ancien Testament, dont la Genèse, ont été écrits ou réécrits vers 800-600 avant JC, période qui correspond à l’émergence du courant prophétique. Je pense qu’il y a bien rupture radicale d’avec les mythes archaïques, autrement dit qu’il y a bien une frontière nette. Que cette thèse soit audacieuse, je veux bien l’admettre. Elle s’oppose frontalement à la tendance exégétique majoritaire, fortement influencée par la modernité, qui attribue les violences du texte à leurs auteurs et excuse cette violence par l’environnement culturel, les mœurs de l’époque.
      C’est la question de la révélation que pose ce débat. Soit les textes bibliques ne sont qu’une mythologie de plus dont on peut tirer des enseignements inconnus des rédacteurs eux-mêmes ; soit il faut inverser la proposition et accepter que nous avons encore beaucoup à apprendre de ces vieux textes. Girard défendait la seconde proposition. Je pense qu’il avait raison. Je le cite de mémoire:
      « Nous ne pouvons pas démythologiser la Bible parce que c’est la Bible qui nous démythologise ».
      Votre scepticisme a été le mien, longtemps, parce que le principe d’une révélation volontairement dissimulée me semblait absurde. Pour adhérer pleinement à la thèse il faut résoudre ce paradoxe. Mais cela sort du cadre de cet article.

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      1. Je vous remercie pour vos efforts mais vous avez sans doute raison quand vous dites que pour résoudre le paradoxe du révéler sans révéler il faudrait sortir du cadre de cet article.
        Il est clair que je ne dispose pas de suffisamment d’éléments susceptibles d’effacer mes doutes.
        Les références que vous m’avez indiquées étaient intéressantes en soi car j’ai découvert l’intérêt de lire en parallèle les différentes versions mais je n’y ai pas trouvé les éléments concluants que j’attendais.
        Tout au contraire, Jésus explique bien (en substance) qu’on allume pas une chandelle pour la mettre sous le boisseau. De la lampe on se sert en somme. Autrement dit « que celui qui le pouvoir de révéler révèle », mais en veillant à placer la lampe au bon endroit, c’est-à-dire, à proximité de ceux qui ont des yeux pour voir et pourront tirer profit de l’enseignement. Inutile de jeter les perles aux cochons, des paraboles suffiront bien pour ceux qui veulent avant tout « persévérer dans leur être » et, donc, ne rien entendre qui puisse leur ouvrir les yeux.

        Bref, je doute pour le moment que la Bible présente la méconnaissance comme une nécessité. Je n’ai pas regardé de près mais je suppose qu’elle évoque plutôt une fatalité.

        Quant à l’immunisation vis-à-vis de la contagion mimétique, je pense qu’il s’agit d’une conjecture périlleuse et je ne la ferait pas mienne. Comme je l’ai déjà indiqué, il est des moments où on ne pouvait pas ne pas penser que Girard attribuait indûment à des auteurs une lucidité qui ne pouvait qu’être la sienne. Je pense à son Shakespeare en particulier. Il me semble que nous devons être très prudent sous ce rapport.

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    2. C’est ce qu’a d’abord révélé Sándor Ferenczi, puis Jeffrey Moussaief Masson en travaillant aux archives de Freud, avec « Le Réel escamoté (Le renoncement de Freud à la théorie de la séduction) ». L’enfant devenait bouc émissaire.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeffrey_Moussaieff_Masson
      https://editions.flammarion.com/le-reel-escamote/9782700703733
      http://lucadeparis.free.fr/infosweb/psycha.htm

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      1. Merci pour les références concernant l’inversion accusatoire promue par le complexe d’Oedipe. En psychanalyse on parle de « projection » mais en tant qu’elle désigne des processus de défense individuels, cette notion manque complètement la dimension collective qui en forme le contexte naturel et nécessaire et qui fait qu’une projection peut initier un processus de bouc émissaire. Sous ce rapport, le cas de l’Oedipe freudien est emblématique.

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  19. Oui, j’ajouterai à propos de l’absence d’interdit explicite sur l’inceste parent-enfant dans le Lévitique, fort surprenant de notre point de vue moderne, qu’il n’a au fond rien de surprenant, puisque tout interdit archaïque a pour fonction d’éviter les rivalités, et non de protéger les victimes. De plus, les parents ont longtemps bénéficié d’un « droit de propriété » sur leurs enfants. Et cela débouche sur un droit implicite de tuer ses enfants désobéissants, et ce jusqu’au XIX siècle en France, si je ne me trompe pas. Comme si le fait de « donner la vie » justifiait le droit de la reprendre, de donner la mort. A rapprocher du non-sacrifice d’Isaac (où l’obéissance d’Abraham consiste à reconnaitre que c’est Dieu qui donne la vie, et qu’il serait par conséquent en droit de la reprendre, indirectement, par l’intermédiaire humain).

    Par ailleurs, je joins mon message précédent qui semble avoir été perdu:
    Dimanche soir, j’ouvre au hasard « Le péché originel à la lumière de la Résurrection » de James Alison, que j’ai lu il y a trop longtemps pour que je m’en souvienne vraiment, et je lis ceci, page 210-211 :
    « Le besoin d’appuyer son identité, de se justifier, apparaît dans la tendance humaine ordinaire à chercher des causes fondamentales (ou fondationnelles). Si nous pouvons remonter jusqu’à une cause première, une réponse à la question « pourquoi ? », alors nous serons sur un terrain solide, nous pourrons nous expliquer nous-mêmes qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons. Aussi la mentalité fondationnelle cherche-elle à raconter l’histoire des origines d’une manière qui justifie le présent. Le problème est qu’une telle explication consiste toujours en un ressaisissement partiel de notre identité, et que la notion même de cause, avec son origine judiciaire, nous induit à une accusation (ad causam), à une tentative d’attribution d’un blâme. Il y a une immense différence entre cette « mentalité fondationnelle », qui est à la racine une culpabilisation envieuse de tel ou tel autre (même dans un passé très lointain), et la stupéfiante lucidité de 1 Jean 3, 2 : « Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. » Ici, l’identité est donnée comme faisant partie d’un devenir dont on ne peut se saisir, qu’on ne peut que recevoir avec patience. L’identité est eschatologique et non fondationnelle. »
    Cela correspond exactement, en allant beaucoup plus loin bien sûr, à ce que je voulais exprimer dans mon intervention précédente… Et c’est beaucoup plus clair. J’ajouterai que cette question se présente déjà lorsque Yahvé se présente ainsi à Moïse, qui lui demande son nom : « je serai qui je serai » (Ex.3, 14). La traduction de cette réponse : « èhiè asher èhiè », continue à susciter des débats, mais il semble bien que la traduction habituelle « je suis celui qui est » ne puisse être retenue, le verbe être ne pouvant pas se conjuguer au présent en hébreu, mais soit en un temps dit accompli, plus proche de notre passé, soit en un temps dit inaccompli, exprimant une action en cours, plus proche de notre futur. A rapprocher du célèbre : « je suis celui qui est, qui était et qui vient », extrait de l’Apocalypse (Ap.1, 8). Quoi qu’il en soit, Dieu n’a rien à voir avec cet ancêtre primordial, sacrifié et déifié et fondateur d’une communauté. Dieu n’est pas soumis au temps.

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  20. Voilà une discussion passionnante, avec des commentaires remarquables, dont le dernier de Benoit HAMMOT.
    J’avoue qu’elle me fascine d’autant plus qu’elle se déroule sur l’Emissaire, blogue de l’association de recherche mimétique.
    J’ai écrit que je n’adhérais pas à l’hypothèse d’Hervé VAN BAREN, car, qu’elle soit juste ou fausse, ne me parait pas essentielle et ne participe pas à l’universalisme qu’il avait l’intention de révéler, par sa méthode de retournement parabolique.
    Je voudrais transformer cette discussion en disputatio, car je sens le débat bridé par cette hypothèse hardie, qui fonctionne, oserais je écrire, comme la première pierre. Ce serait dommage, car je suis sûr que ce n’est pas l’intention d’Hervé VAN BAREN.
    Je vais proposer une autre piste de recherche. Pour ma part, je n’entreprendrai pas des recherches dans ce domaine dans le court terme, ce n’est pas une hypothèse travaillée donc idéale pour une disputatio.
    ABRAHAM est reconnu dans les trois religions monothéistes, comme celui qui, en rupture avec son père et ses ancêtres a refusé le sacrifice de son enfant et a remplacé les sacrifices humains par des sacrifices d’animaux.
    Noé est reconnu dans les trois religions monothéistes. Il a donc initié une rupture, mais laquelle ? Il n’a sacrifié aucun de ses fils, mais en a exclu un et reporté la malédiction sur le fils de cet exclu, fondateur d’une nation pratiquant les sacrifices humains.
    La révélation sans la révélation concerne ce thème, à mon avis, dans la Bible. Les scènes de sexe n’y sont pas montrées, mais tout ce qui concerne le sexuel n’est pas tabou, et n’a pas besoin d’être ni caché ni révélé.

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    1. Si l’on pratique le renversement du renversement, l’accusation d’inceste contre Noé pourrait être la trace d’anciennes accusations lancées contre lui avant son exclusion de la communauté. Le déluge noyant toute différence serait signe d’une profonde crise interne, la réapparition des montagnes et autres reliefs suivie du rétablissement des interdits, sa résolution. Entre les deux, Noé a-t-il été sacrifié ? Devenu ancêtre bienfaiteur, pourvoyeur de stabilité notamment par l’abondance alimentaire, le récit oral accusateur aurait-il été peu à peu modifié ? Girard a insisté sur ces oublis très humains : le meurtre collectif est oblitéré, les anciennes charges pesant sur le coupable sont en partie effacées, quelques incohérences subsistent. Ici, l’accusation originelle d’inceste aurait été placée dans la bouche de la génération suivante.

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  21. Je suis d’accord pour reconnaitre avec James que le sexuel n’est pas tabou dans la Bible, et qu’il n’a donc pas besoin d’être révélé, n’étant pas caché. Et les modernes sont à mon avis un peu trop obnubilés par « la chose ». Il n’en reste pas moins que certains actes sexuels sont considérés comme des fautes méritant condamnation, et que la question de la responsabilité se pose alors avec acuité. On se la passe comme une patate chaude, pour parler trivialement, et lorsqu’il y a rapport sexuel, on sait à quel point la question de la responsabilité – qui a séduit l’autre – est difficile à trancher (la remarque de Luc-Laurent Salvador à propos de Freud, bien que je n’aie pas saisi sa pensée, soulignait ce problème).
    C’est bien la question de la culpabilité dont il s’agit dans l’histoire de Noé ; c’est ainsi en tout cas que j’ai compris la thèse d’Hervé van Baren (si je me trompe, il saura me corriger). Aussi, je me suis permis de prolonger sa thèse dans les messages précédents en mettant l’accent sur la question de l’identité juive, qui se définit précisément à partir de cette faute prétendument commise par Cham, ce qui provoque une bifurcation généalogique entre les juifs et les goïms (cananéens). C’est une rupture dont l’ampleur est tout à fait comparable à celle effectuée par Abraham, me semble-il. A cette différence près qu’elle est strictement inverse : Abraham ne sacrifie pas son fils – Noé sacrifie (exclut) son fils. Noé est encore englué dans un processus sacrificiel archaïque, Abraham s’en dégage partiellement (en initiant une substitution par un animal). La Bible est à mon avis le récit d’une longue émancipation des juifs hors du sacrifice, qui ne peut se réaliser hors du sacrifice (par l’effet de la substitution). Aussi, la question n’est pas de déterminer si la Bible est mythique ou non, mais de parvenir à saisir cette progression, qui aboutit à un retournement, comme Girard nous l’a magistralement exprimé.

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    1. Oui, il est bien question de culpabilité dans cette histoire (c’est ainsi que je la lis), et elle a le mérite de montrer comment le mécanisme d’expulsion du mal s’apparente, comme vous le dites, à une patate chaude qu’on se refile, jusqu’à ce que celui ou celle qui en hérite ne soit plus en mesure de se défendre (un enfant répond parfaitement à cette condition). Autrement dit la dimension de révélation dépasse les considérations culturelles (qui ne sont pas pour autant sans mérite).
      Pour faire le lien avec la remarque très juste de Nathalie qui précède, le langage étonnant de la Bible permet d’éviter l’effet boomerang qu’une telle révélation porte en elle. Si Cham est innocent, c’est que Noé est coupable ; si Noé est coupable c’est sur lui que doit se porter l’accusation. On n’a fait que déplacer l’accusation et la violence qui en découle. On me dira qu’il y a une différence fondamentale : Noé est coupable, criminel, alors que Cham est innocent, victime. Mais parler ainsi c’est oublier qu’avant le retournement nous disions exactement le contraire… Je suis frappé, dans tous les « retournements » auxquels la Bible nous invite, par le soin que les rédacteurs apportent à éviter ce phénomène, à nous sortir de nos réflexes sacrificiels.
      N’importe quel exemple contemporain de chute d’une idole illustre cela. On a un personnage célèbre, admiré voire adulé. Un scandale vient ternir l’image parfaite du héros médiatique (du héros mythologique dans le cas de Noé), et du jour au lendemain c’est un parfait salaud, un monstre. Tous ses actes bons sont effacés, sa part lumineuse niée.
      Dans le texte de Genèse, la reconnaissance de la faute de Noé ne dépend pas du texte puisque celui-ci ne comporte aucune preuve tangible. Elle dépend entièrement de notre capacité à reconnaître la même faute et la même dissimulation de cette faute dans notre monde, dans nos vies. Elle nous invite à NOUS reconnaître, non pas dans la violence de l’acte illicite, mais bien dans notre propension à participer à sa dissimulation, ce qui est la vraie raison de la propagation de la violence dans le temps et dans l’espace. Si le retournement du texte s’opère positivement nous cessons d’expulser le mal en accusant Noé comme nous avions accusé Cham, pour enfin reconnaître notre complicité personnelle et collective dans la persistance de ce mal. Juste après avoir reçu la Révélation divine, Isaïe s’écrie :

      « Malheur à moi ! Je suis perdu,
      car je suis un homme aux lèvres impures,
      j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures
      et mes yeux ont vu le roi, le SEIGNEUR de l’univers. » (Isaïe 6, encore !)

      La révélation n’est pas la révélation d’une violence particulière, d’un acte particulier ; c’est la révélation du mécanisme qui permet à cette violence de persister, de se répandre. C’est la dénonciation, comme l’a si bien vu Girard, du pouvoir de Satan, le dissimulateur, l’accusateur, sur nos psychés et dans notre monde.
      Le texte nous dissuade d’effectuer ce transfert de culpabilité vers Noé. Il y est dit clairement que Noé est l’homme juste. Pas un homme juste : le seul homme juste, le seul qui bénéficie de la grâce divine. Comme dit dans un commentaire, Genèse ne fait pas le portrait d’un homme particulier, Genèse est un texte fondateur et Noé un archétype, celui d’un homme qui a réussi à se détacher des rivalités mimétiques, ce qui lui permet d’échapper au déluge ; et cet homme exceptionnel, plus tard, a chuté (même si on réfute la thèse de l’inceste, son ivresse suffit à le discréditer en tant que héros infaillible). Et Noé a chuté non pas parce qu’il était mauvais, non pas parce que le portrait de lui par Genèse était un mensonge, mais parce qu’il était humain, faillible, parce que sa nature le poussait à transgresser la Loi. Comme nous. Noé c’est nous, Cham c’est nous, et Canaan c’est nous tous.
      La question que pose implicitement Genèse 9, c’est : comment arriverons-nous un jour à sortir de la malédiction de Canaan ? Parce que Genèse nous montre qu’elle est bien réelle, cette malédiction, et encore très active de nos jours.

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  22. Pour faire suite à l’intervention de Nathalie, qui évoque le déluge, que nous avions tendance à oublier (depuis le temps…) je voudrais partager la suite de ma lecture du livre de James Alison (2009), p.229 : « Tant que la perception de Dieu était jusqu’à un certain point marquée par des suggestions d’une complicité divine dans le mécanisme par lequel les humains maintiennent leur ordre social, la notion de Création restait aussi jusqu’à un certain point liée à la suppression d’un chaos préexistant ».
    J’avoue avoir été stoppé dans mon élan et avoir lue la phrase 7 fois de suite pour, si l’on peut dire, qu’elle se décante en moi… Il me semble que toute la différence entre Noé et Abraham peut s’interpréter par rapport à cet écart. Il n’y a pas trace de chaos préexistant chez Abraham, en tout cas rien de comparable au déluge.
    Je dois citer la suite de ce texte, qui se réfère à la mort et à résurrection du Christ, effaçant « les dernières traces d’une implication divine dans le maintien de l’ordre du monde » : « La perception de Dieu en tant que victime humaine spontanée au sein du violent chaos humain permet la démythification de Dieu, sa séparation d’avec l’implication dans la violence et l’automanifestation créative de Dieu en tant que gratuité originelle. »
    C’est déjà ce que le non-sacrifice d’Isaac préfigurait, et préparait. L’écart entre Noé et Abraham n’en apparait que plus grand. C’est l’écart entre un texte mythique et un texte biblique inspiré, dans le sens où Abraham annonce la bonne nouvelle, la révélation d’un Dieu d’amour universel. Noé reste un texte de fondation communautaire, qui tend à établir l’ordre du monde, tant d’un point de vue naturel (les couples d’animaux dans l’arche, bien rangés selon leur catégorie et leur utilité) que politique (domination de Japhet et Sem sur Canaan).

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    1. Hervé VAN BAREN, encore merci d’avoir initié une analyse collective d’une telle richesse. Merci aussi aux deux contributeurs, Nathalie et Benoit HAMMOT, pour leurs recherches d’autres sources révélant mieux ce texte tout en donnant envie d’approfondir. Merci à tous les contributeurs.

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  23. Monsieur Hervé van Baren

    Chaque paragraphe de votre texte demanderait, à lui seul, de nombreuses remarques aussi je m’en tiendrai à ce qui me semble essentiel.

    En premier je me référerai au Lévitique 18 :
    Le v.6 : porte sur l’interdit de l’inceste qui serait une approche générale correspondant chez René Girard à une interdiction visant les objets sexuels les plus proches afin d’éviter toutes rivalités.
    Du v.7 au v.10 est précisée la proximité « d’égo lecteur »
    Au premier degré en amont se situe ton père et ta mère avec insistance sur la mère qui devient le référent principal.
    Au niveau d’égo ta sœur référée au père, à la mère donc à la mère (premier degré en amont).
    Au deuxième degré en aval la fille de ton fils, la fille de ta fille ; si toutes deux son ton sexe à fortiori ton fils et ta fille.
    Où voyez-vous un oubli (père/fille…) qui confirmerait un retournement ?

    En second une définition en compréhension s’appuyant sur l’étymologie peut être donnée de l’interdit de l’inceste.
    L’inter-dit suppose un dire entre, et cet entre-dit implique un vide ou coupure sur un continuum qui serait, par exemple, l’origine saisie dans sa totalité.
    *Ainsi de Cham qui rabat son origine sur le sexe de son père inconscient. Du père au fils et du fils au père aucune parole. Cham sera maudit (mal-dire) à travers son quatrième fils Canaan. Terre de malédiction Canaan deviendra terre de promesse pour Abraham. Canaan sera donc une terre de réparation d’une filiation troublée en osant un parallélisme avec « le trouble dans le genre » contemporain.
    Dieu pervers révélant sans révéler ?
    * voir Marie Balmary <> chez Grasset (p. : 142 et suivantes).

    Enfin quand à votre argumentaire s’appuyant sur la libération de la parole des victimes, permettez-moi d’y voir une même erreur de retournement.
    <>. La réalité est plutôt celle d’une accusation ou vindicte médiatico-collective qui cherche un fondement vrai à un besoin de lynchage indifférenciateur en oubli de toutes nuances, entre les différents incestes (père/fille fils, mère/fille fils, frère/sœur, voir toutes les interdictions du Lévitique…), en oubli du principe différenciateur de l’interdiction qui implique pour chaque individu une histoire singulière dans son rapport à cet interdit.
    Cela signifie que pour la sortie de l’abîme* dans lequel ont sombré les victimes d’inceste il y faut un autre espace, un autre temps que celui médiatico-collectif.
    *voir les études sur la filiation de Pierre Legendre.

    Conscient de l’incomplétude de mon argumentation mais aussi de la symétrie de son retournement donc forcément polémique.

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    1. Cher Monsieur Juillerat,
      Merci de ce commentaire dont j’apprécie l’érudition. Je ne répondrai pas en détail à chacune de vos remarques pour ne pas entrer dans une polémique, ce qui rejoint votre souhait.
      Je constate que nous ne parlons pas le même langage. Je me borne à constater que, de toutes les interprétations de ce passage que j’ai pu lire, pas une ne prenait la défense de Cham et de sa descendance. Toutes reprennent à leur compte la malédiction de Canaan. Ce schéma d’accusation, je le constate là encore, est identique à celui qui accable les enfants abusés dans leur cadre familial. Jamais je ne suivrai un courant particulier de la psychanalyse qui voit une part de responsabilité chez l’enfant ; voilà en l’occurrence ce que je vois comme une perversion. Mon postulat de départ est celui de l’innocence de l’enfant.
      Vous parlez d’une absence de parole entre père et fils et là je vous suis absolument. D’ailleurs pour moi, la levée de la malédiction de Cham/Canaan est à trouver dans l’Evangile selon St Matthieu, ch. 15, v. 21-28, qui rejoue la scène à l’envers. D’une situation de blocage on arrive à une Parole qui scelle la réconciliation de la mère et de sa fille. Notez cependant que la lecture traditionnelle ne reconnaît pas plus la violence de la mère lorsqu’elle demande l’exorcisme de sa fille, qu’elle ne reconnaît celle de Noé.
      Je vous remercie de me permettre de lever une ambiguïté dans mes propos. Lorsque je parle de l’injonction divine de révéler sans révéler, je n’y associe aucune perversité. Au contraire, je pense que cet interdit est motivé par une grande sollicitude.
      Finalement, autant je vous rejoins sur les motivations troubles des médias et des réseaux sociaux lorsque ceux-ci s’emparent des témoignages des victimes, autant je ne décèle pas cette tendance dans les témoignages eux-mêmes, bien au contraire. Dans les récents livres sur le sujet et dans des témoignages qu’il m’a été permis d’entendre de la bouche même de victimes je n’entends que la souffrance, le besoin de mettre une parole sur leur expérience et, bien souvent, le désir de réparer ce que d’autres ont cassé. En ce sens, mon article est militant. Je milite pour que toute tentative de faire taire cette parole ou de la salir soit dénoncée pour ce qu’elle est : un rétablissement de la malédiction de Canaan.

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      1. Essayons de lever ce malentendu.
        L’histoire met en scène un père ivre donc inconscient (Noé vient de découvrir la puissance d’enivrement du vin ; c’est la première occurrence de la vigne) et ses trois fils qui ne sont plus des enfants (si tel était le cas pour Cham _il est dit simplement qu’il est le plus jeune_ alors oui je pourrais être en accord avec votre analyse).
        Mais comme toujours le texte est beaucoup plus simple et révélateur. Simple parce qu’il y a une différence de comportement entre un frère et les deux autres suivi pour l’un d’une malédiction sur sa descendance et révélateur parce que cette même malédiction (je me répète) sera réparée sur cette Terre de Canaan promise à Abraham pour une nouvelle alliance (et non dans Mathieu ; je m’étonne de votre raccourci mais c’est une autre discussion).
        Avec Girard je pense que Dieu n’a rien avoir avec le mal (c’est cela dont il est parlé dans cette histoire) et que la violence est celle des hommes…ceci nous réunira si cela vous va.
        Votre sollicitude pour la souffrance des victimes vous honore mais elle ne passe pas forcément par le « rétablissement » de la malédiction de Canaan.
        bien à vous

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    2. Il n’y a effectivement pas lieu d’entrer en polémique. Et, Daniel Juillerat, vous avez raison de préciser que l’interdit de l’inceste est clairement élargi d’emblée en Lévitique 18, 6: « Aucun de vous ne s’approchera de sa proche parente [de la chair de son propre corps] pour en découvrir la nudité », ce qui implique en premier lieu ses propres enfants ou parents, bien sûr. Il n’en reste pas moins que dans toutes les précisions apportées par la suite, aucune ne mentionne l’inceste pourtant le plus courant, celui des pères sur leurs enfants. Cela est frappant de notre point de vue, et peut être mis en rapport avec les scènes rapportées concernant Noé, Lot, et leurs enfants, comme a osé le faire Hervé van Baren. Mais bien entendu, il serait présomptueux de plaquer des considérations et sensibilités sociétales actuelles (ce soucis pour les victimes, qui peut effectivement aboutir à un retournement : recherche d’un « bourreau émissaire ») sur des textes aussi anciens, qui garderont toujours leur part de mystère, avec toutes les interrogations et interprétations diverses qui n’en finissent pas d’en découler. Mais n’est-ce-pas là précisément ce qui fait la force de ces textes, et l’intérêt de les lire et de les relire ? Cette capacité d’entrer en résonnance avec nous, à travers tant de siècles et de différences, il me semble que nous avons le droit de la laisser agir en nous, et de l’exprimer, au risque de se tromper, même complètement. L’imprécision de l’hébreu, langue riche de double sens et d’interprétations diverses, n’est pas un défaut qu’il faudrait corriger par une traduction définitive, et Marie Balmary, que vous citez, n’a-t-elle pas repris cette méthode de lecture interprétative, tâtonnante, habituelle dans la pensée juive (et qui, selon certains, débouchera sur la psychanalyse), en l’enrichissant des impressions profondes que cette lecture peut provoquer en nous, hommes du XIXe siècle ?

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      1. Monsieur Hamot, il se passe entre nous exactement ce que vous avez écrit sur les images en perspective, exemple d’un même cube perçu par les uns en vue de dessus les autres en vue de dessous. A travers un même texte vous lisez un inceste du père envers le fils et moi j’y perçois une faute du fils qui réduit son origine au sexe de son père supprimant ainsi l’écart que crée la parole (l’inter-dit de je à toi).

        Ensuite vous employez la métaphore de l’anamorphose qui est, elle, une déformation mais qui est aussi ce qui se passe entre nous. En effet vous écrivez <> et moi <> ; j’ai évité la répétition de « la nudité ne la découvre pas ». Si dévoiler la nudité est l’expression de l’inceste alors le grand père ne doit pas dévoiler la nudité de sa petite fille (la fille de son fils) mais le texte dit : ne dénude pas la fille de ton fils… c’est ta propre nudité ce qui pour moi inclut la nudité du fils à ne pas dévoiler par le père…

        Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager un autre malentendu relevé par René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Dans les Frères Karamazov l’un rejette un Dieu qui permet la souffrance d’un enfant et l’autre Aliocha donne son adhésion pour la même raison (je cite de mémoire).

        bien à vous

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      2. à Monsieur Hamot.
        suite de 9 avril à 23h02
        Je m’aperçois que les textes cités entre guillemets ont disparu ; pour vous il concernait le passage sur l’absence de l’inceste père enfant et pour moi la citation du verset 10 du Lévitique chapitre 18.
        En espérant que cela reste compréhensif

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  24. Merci beaucoup pour cet article qui renouvelle ma lecture de ce texte. Les conversations par commentaires interposés sont elles aussi très enrichissantes, c’est un réel plaisir de les parcourir.

    J’aimerais humblement soumettre une hypothèse que j’ai rencontrée lors d’une discussion autour de ce texte : en Lévitique 18 on lit au verset 8 « Tu ne découvriras pas la nudité d’une femme de ton père ; c’est la propre nudité de ton père. » (traduction œcuménique). Serait-il alors possible que Cham soit en réalité accusé d’avoir couché avec la femme de son père pendant que ce dernier était ivre ? Voire (mais peut-être est-ce une extrapolation un peu osée) que de cet inceste soit né Canaan (ou, tout du moins, qu’un doute plane sur l’identité du père) ? Ce qui expliquerait que ce soit sur lui que repose la malédiction. Dans ce cas de figure, les premières victimes seraient cette femme et son fils, « objets » de la rivalité entre Noé et Cham.

    Il y aurait moult développements à effectuer sur cette lecture du texte, mais pour l’heure je me contente de l’exposer à votre sagacité.

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    1. M Joseph
      Si vous suivez ce qui s’écrit ou se dit sur un passage de la Bible vous aurez toujours d’innombrables choix mais la décision finale vous appartient.
      Pour illustrer ce propos je vous cite une référence trouvée dans les Dix Commandements de Marc-Alain Ouaknin « … une discussion existe sur ce point entre les maîtres de la tradition. L’un d’eux soutient que Ham a commis la faute de sodomie avec son père, et qu’il l’a castré… »
      Avec mes salutations

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    2. M. Joseph, vous avez raison, c’est une lecture alternative du « crime de Cham » qui ne manque ni de partisans, ni d’arguments. Cependant, notez que cette lecture rejoint toutes les autres dans l’identification à l’accusation implicite du texte : s’il y a un coupable, ce ne peut être que Cham. Le crime dont il est accusé n’est, en définitive, pas le plus important. Je le répète, à destination aussi de Daniel Juillerat qui insiste pour présenter mon interprétation retournée comme une parmi tant d’autres. Ce n’est pas le cas. C’est l’interprétation qui retourne l’accusation contre nous, et c’est cela qui est significatif. C’est une interprétation girardienne en ce sens qu’elle dévoile l’unanimité de l’accusation contre la victime émissaire (non seulement par les protagonistes de l’histoire, mais aussi et surtout par nous, les lecteurs), et qu’elle reconnaît ce dévoilement dans l’intention première du rédacteur : nous montrer comment fonctionne notre violence.

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  25. Je remercie Daniel Juillerat et M. Joseph d’élargir notre lecture de ce texte. Leurs hypothèses sont pertinentes et je rejoints bien entendu Daniel rappelant la question de l’anamorphose. Elle intéresse aussi la méthode psychanalytique, et Lacan s’en est saisi à propos du célèbre tableau de Holbein (Les ambassadeurs), où, selon lui, l’apparition de l’image du crâne surgit comme l’érection d’un phallus… mais je ne continuerai pas dans cette direction lacanienne, rassurez-vous. Cependant, l’hypothèse de Daniel me rappelle irrésistiblement l’interprétation de Lacan, y compris dans sa complexité : la vue du phallus du père supprimant l’écart que crée la parole : c’est l’activité éminente des ambassadeurs, soulignée par la profusion d’objets culturels disposés autour d’eux dans le tableau. Poser une hypothèse conduit à la suivre dans ses développements, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette démarche (les lecteurs de Girard ne me contrediront pas, n’est-ce pas ?) et c’est là où je voudrais en venir.
    Si l’on considère l’ensemble des 5 hypothèses qui se présentent désormais à nous : Cham voit son père nu et le dit à ses frères, Cham viole son père, Cham est violé par son père, Cham couche avec la femme de son père, Cham réduit son origine à la sexualité (oblitère la spécificité humaine et divine de la parole), elles partent chacune du fait qu’il y a eu faute. A partir de ce constat, l’originalité de la position d’Hervé van Baren a été de reporter la culpabilité de Cham sur Noé. Mon intervention, consistant à poursuivre cette hypothèse, aboutit à comparer l’histoire de Noé à celle d’Abraham. Il y a là une symétrie que James a décelé d’emblée entre Cham et Ismaël. On peut alors convenir que la punition réservée à Canaan, c’est-à-dire à la lignée issue de Cham, condamnée à l’esclavage au profit des lignées issues des frères de Cham, n’existe plus concernant les fils de Noé. Ismaël et sa mère doivent partir et souffrir dans le désert, certes, mais Dieu les sauve et les protège. Nulle malédiction n’est accolée à cette expulsion, qui n’a plus rien de sacrificiel. Il n’y a pas de faute, pas d’accusation dans cette histoire. J’en conclus, pour ma part, que l’hypothèse d’Hervé est précieuse parce qu’elle conduit à relever une différence essentielle entre ces récit : le premier est mythique dans le sens girardien du terme (il y a expulsion d’un innocent, établissement de différences à la suite d’une situation chaotique, le déluge), le second est biblique dans le sens où il est dévoilement du réel, sortie du processus de résolution victimaire des conflits, révélation d’un Dieu d’amour, du don gratuit de la vie.
    Par contre, je ne saisis pas, dans l’hypothèse de Daniel (qui cite Balmary, mais dans quelle publication ?), en quoi l’installation des juifs sur la terre de Caanan réparerait une filiation troublée par Cham. Car dans les faits, il s’est agi d’une installation sur une terre habitée, ce qui a donné lieu à des conflits fréquents. Cela demanderait plus de précisions à mon avis.

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    1. A Benoit.
      Votre remarque concernant Marie Balmary (quelle publication ?) pointe une difficulté que j’ai avec les guillemets. Une première correction n’a pas été prise en compte ce qui ajoute à l’incompréhension. Aussi je récidive.
      1 Donc le livre est « Le Sacrifice Interdit » édité chez Grasset ; pages 142 et suivantes.

      2 J’ajoute : Le dévoilement de la nudité ou incestes prend des formes très différentes dans le temps et l’espace. Différences qui sont sources de malentendus et d’une grande complexité
      Voir « L’inestimable Objet de la Transmission » ; essai sur le principe généalogique en Occident ; par Pierre Legendre chez Fayard.

      3 enfin un sourire.
      Quelle magnifique erreur ! Elle vous permet de remplacer/réparer Noé et ses fils objets d’une première Alliance par Abraham père d’une seconde Alliance sur la terre de Canaan habitée par les descendants du fils maudit.
      Suivi pour terminer du rire de Cham dans la peinture « L’ivresse de Noé » de Giovanni Bellini exposée au musée de Besançon. Pour l’anecdote Giovanni serait le demi-frère de son père adoptif Jacopo qui est aussi son maître en peinture. Cette toile fut peinte à la fin de sa vie. Peinture testament sur l’apologie du langage pictural, la transmission réussie en exposant un sexe non peint parce que recouvert… avec des questions sans réponses définitives : Noé Jacopo ou Giovanni (un autoportrait), les regards, le rire, le geste du personnage du milieu retient accompagne les bras des autres personnages, les trois frères trois étapes de la vie de Giovanni Bellini ? …
      Bien à vous

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      1. Votre venue dans cette discussion avec votre érudition apporte beaucoup, Daniel JUILLERAT.
        Dans l épisode de CHAM et NOE je vois trois thèmes avec trois parallèles différents
        Exclusion le parallèle a déjà été discuté
        La malédiction d’un frère, comment ne pas la mettre en relation avec la bénédiction donnée à Jacob par Isaac avec l intervention de sa mère.
        La nudité les parallèles sont nombreux mais je suggère ici celle de Adam découvrant soudain sa nudité et celle de circonstance, après la résurrection : Pierre pêchant et passant un pagne pour rejoindre Jésus que Jean avait reconnu.

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  26. A Daniel,
    Je relis le passage de l’ouvrage de Balmary. Son argumentation repose sur l’identification de la lignée de Cham avec la terre promise (Canaan), mais si on suit ce postulat, on ne voit toujours pas en quoi il y aurait réconciliation… Balmary évite, comme toujours, tout l’aspect historique, anthropologique, pour se cantonner à des jeux de langage, en bonne psychanalyste. Elle atteint là certaines limites. Comparer Dieu et Noé qui tous deux « se font voir » : Dieu en Canaan par Abraham, Noé par « le fils maudit » qui se comporterait en « voyeur » de son père… c’est assez osé. Que Cham soit devenu « le père du père » en voyant le sexe de son père comme un père voit le sexe de son nouveau-né… Qu’Abraham bénissant la terre de Canaan permette rétrospectivement à Cham de retrouver « l’accès à sa filiation »… Je vois là, chez une auteure que j’apprécie par ailleurs, un léger accès de délire lacano-jungien provoqué – peut-être ? – par le vin de Noé ? Mais il est vrai qu’elle entend d’emblée dédouaner ce brave Noé de toute faute, y compris lors de son « expérience » vinicole. Et donc chantons en chœur : « vive le vin nouveau », et pourquoi pas : in vino veritas ? Pardonnez-moi, et que Marie Balmary me pardonne aussi cet accès de défoulement gratuit après une lecture difficile, qui, sans doute, me dépasse.

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    1. Comme je n’arrive pas à répondre à fxnico je profite de votre encadré pour lui répondre

      à fxnico
      Vos nouvelles propositions m’ont astreint à relire toutes les différentes interventions, c’est donc à travers vous que je m’adresse à l’ensemble des participants à la discussion. L’article d’Hervé van Baren du 2 avril à 16h33 expose les motivations à l’origine de son choix, l’une est sa fascination textuelle pour Genèse 9, l’autre est sa rencontre avec une victime d’inceste donnant crédit à sa parole.
      Présenter mes propres mobiles ( en miroir ? ) permettra peut-être d’éclaircir voir de dissiper ce qui parait comme un langage différent.
      1 ma fascination textuelle pour Bataille avec sa problématique de la violence, des interdits et de leur transgression devint intranquillité pacifiée par le filtre de l’œuvre de René Girard.
      2 ma rencontre avec le milieu carcéral dans lequel tout se vit de manière exacerbée et questionnante.
      2.1 du délinquant au criminel la majorité se vit comme innocente.
      2.2 le paradoxe de la victime qui se vit comme coupable et du violent qui s’expose comme non coupable.
      2.3 la victime dans l’abîme de l’au-delà de l’interdit et le violent dans l’en-deçà de l’interdit.
      3 La conclusion pour notre débat :
      Il s’agit de replacer victime et violent par rapport à l’interdit qui est vie.

      Benoit
      Je veux bien trinquer avec vous mais je crois que vous mésinterprétez Marie Balmary. J’eus aimé que vous partagiez votre opinion sur le tableau de Bellini du musée de Besançon (disponible sur internet). Aussi j’insiste et vous demande qu’auriez-vous fait à la place de Cham « accompagner ou freiner les mouvements des deux frères » ?

      Et comme il est question de sexe en peinture et de regard je vous propose un tableau des plus célèbres qui est l’Origine du monde de Courbet exposé à Orsay (disponible également sur internet), accompagné du résumé d’une étude écrite après son exposition à Ornans en 1991 pour convenance personnelle.
      Comme je ne peux joindre un dessin, il suffit d’imaginer les principales lignes de fuite de ce nu qui convergent en un point de fuite situé à droite et au-dessus du tableau c’est-à-dire hors de ce même tableau (cette remarque est importante.

      Dans la réalité de la mise en perspective le peintre se situe évidemment face à son modèle mais ce qui l’est moins, est que cette place, le tableau en porte la trace sous forme d’un point appelé point du sujet ou point d’infini dont découle toute la construction.
      Dans « l’origine du monde » de Gustave Courbet ce point se situe précisément hors tableau comme est hors tableau le visage du modèle. De plus on peut vérifier que point et visage se superposent exactement. De cette observation la réalité d’un face à face ou croisement de deux regards entre le peintre et son modèle se conclut logiquement.
      Dans le tableau donc ce face à face est soustrait, manquant, il ne peut être que déduit. Aussi l’invisibilité effective, volontaire ou non, de cette part réelle de la mise en scène où deux visages se font face peut-être alors vue comme métaphore de l’invisibilité de toute rencontre amoureuse marquée du sceau de l’infini.
      Avec mes salutations

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  27. A Daniel,
    Vous vous en tenez fermement à la première hypothèse : Cham voit son père nu et le dit à ses frères. Nous pensons qu’il s’agit d’autre chose (plusieurs hypothèses sont alors possibles), ce qui expliquerait pourquoi il y a eu faute, et faute assez grave pour justifier la malédiction et la réduction en esclavage de la lignée de Cham (Canaan). La thèse d’Hervé van Baren est d’un réalisme implacable. Moi aussi je pourrai citer une histoire d’inceste, subi par une amie, qui commence par une gifle reçue de sa mère alors que la petite fille tente de se plaindre à elle de la situation, et finit par une malédiction sur les générations suivantes ; l’affaire est en cours, le poison de la perversion agit longtemps…..
    Aussi, je vous suggérais, avec James, non pas de vous « ranger » à ce point de vue, mais de poursuivre au contraire votre hypothèse pour établir sa cohérence. Car il faudra bien, à un moment donné, justifier cette malédiction, qui parait disproportionnée. Balmary tente de justifier la malédiction de Canaan en maintenant la culpabilité de Cham. Mais si la méthode psychanalytique, qu’elle initie au sujet de la Bible, donne souvent des résultats intéressants, son hypothèse m’apparait ici incohérente, ou tout au moins trop psychologisante. Je me permets alors d’émettre un soupçon. Votre lecture commune ne consiste-elle pas à recouvrir, de façon générale ou avec le manteau de Noé, le fait sacrificiel ? Soit la résolution d’une situation chaotique par l’expulsion d’un innocent ? Je remarque que Balmary reprend la même méthode pour minimiser la dimension sacrificielle de la ligature d’Isaac, en évoquant encore un malentendu d’ordre linguistique (« fais-le monter » au lieu de « immole-le », in : Le sacrifice interdit, p.196).
    Sur les tableaux que vous évoquez, rien à dire sur le tableau de Bellini qui raconte une toute autre scène. Sur « l’origine du monde », de Courbet je trouve votre développement sur les points particuliers situés hors du tableau très intéressants d’un point de vue technique. Je reste sceptique cependant sur votre « métaphore de l’invisibilité de toute rencontre amoureuse marquée du sceau de l’infini ». En effet, nous savons qu’il s’agit d’un tableau de commande destiné à un collectionneur libertin. Si le peintre et son modèle se trouvent bien face-à-face, s’ils échangent certainement des regards complices, et même, comme je l’imagine, des plaisanteries destinées à se mettre à l’aise dans cette situation gênante (à l’époque, il s’agit de pornographie, et cela comporte aussi des risques, Flaubert a eu droit à un procès pour moins que ça…), je doute que la relation entre le peintre et son modèle ait été amoureuse ; le fait qu’il s’agisse d’un tableau pornographique destiné à un client exclut à mon avis le lyrisme que vous exprimez. Il se peut fort bien au contraire que la séance ait été peu enthousiasmante: un travail alimentaire, comme on dit, et sans doute très bien payé. Il n’est pas anodin que vous ayez choisi ces œuvres dans le cours de notre discussion ; ce choix révèle-il lui-aussi une tendance à préférer une interprétation exaltante (romantique) ou carrément mensongère (Bellini), à une autre plus ancrée dans le réel (romanesque) ? Où l’on revient encore, comme il se doit sur ce blog, à René Girard…

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  28. A Benoit
    Deux anecdotes amusantes :
    La première lorsque vous me suggérez avec « James », je suppose que vous parlez de James Alison sous le pseudonyme de fxnico qui dans son intervention du 3 avril 11h30 écrit « je suis James Alison » ; « suis » est-il une déclinaison du verbe « être » ou « suivre » ?
    La seconde est due à un « suivi » de la conférence d’Olivier Rey sur le site de l’ARM samedi 10 avril (une des plus belles conférences qui m’a été donné de voir/entendre sur la peinture). A la place de la vue en perspective Olivier Rey utilise l’image du canard devenant lapin et disait très justement qu’il était impossible de voir en même temps canard et lapin. Et j’ajouterai pour notre part que nous sommes encore plus handicapés puisque l’un ne voit que le canard et l’autre que le lapin. Mais enfin sous l’égide de René/Lafontaine nous arrivons à parler.
    1 Accords et problèmes :
    La divergence des deux hypothèses ne tient pas, il me semble, à leur cohérence mais plus à leur méthode d’analyse.
    Répétons avec JM Bourdin 2 avril 15h03 que le texte du déluge est une reprise/variation d’un ancien mythe et étendre cette conjecture à Genèse 1 à 11. Cette supposition n’altère pas ma pensée sur cette vue synoptique de l’histoire de l’humanité en ses débuts, Noé étant le Père de toutes les nations et Abraham le Père des trois monothéismes (sous seul impératif de les replacer dans leur contexte historique, linguistique…dans la mesure du possible).
    Tous deux possédons une référence commune en René Girard. Vous serez donc d’accord si j’écris que toute la Bible est un texte de révélation qui rend libre. Girard parle même de l’œuvre pédagogique de Dieu depuis « les choses cachées… »
    C’est cette pédagogie qui me fait préférer la révélation à la révélation sans révélation, la réparation à la punition et l’argumentation du texte dans /par le texte. Transgresser ces principes peuvent-être à mon humble avis source d’erreurs et d’anachronismes.
    Malgré un minimum de connaissance d’exégèse juive je m’autorise à vous assurer qu’un des interdits majeurs qui pénètre ses textes et la Bible en particulier est l’appropriation de l’origine, de la totalité… mis en acte à travers ses coupures formelles (blanc entre les lettres, écriture consonantique…), de sens (les quatre sens interprétatifs), dans l’histoire… Ainsi de l’ivresse de Noé qui conte un écart non respecté par l’un des fils contrairement aux deux autres.
    2 Les tableaux :
    Ecart mis en scène par Giovanni Bellini. D’implicite ma proposition devient explicite : si face au tableau, vous spectateur, imaginez Cham retirer le manteau et devenez son double, comment réagissez-vous devant la nudité de votre père inconscient ? Expérience si minime qui implique de monter dans la violence, comme le viol du fils par le père ?
    Enfin je suis étonné par votre absence d’imagination envers le tableau de Bellini et sa présence face à l’origine du monde. Mais je dois vous confesser que le choix entre chef d’œuvre et peinture pornographique a été à l’origine du résumé précédent. Aussi je veux bien supprimer le terme « amoureux » mais la présence tierce, invisible, infinie entre deux visages en face à face, voulez-vous la retrancher ?

    A fxnico
    Sans trop prolonger le débat je me permets, à vos suggestions, de pointer quelques différences avec la discussion précédente.
    Esaü méprisant son droit d’aînesse prouve à fortiori que la bénédiction est responsabilité.
    « …ils savent qu’ils sont nus Ils cousent des feuilles de figuier » désir mimétique où chaque un dans leur différence pousse à une indifférenciation ici protectrice.
    Merci de m’avoir obligé à chercher Jean 21.7 et de participer à la joie de la rencontre en contraste avec Jean 18.25-27.

    Bien à vous

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    1. A Daniel,
      Votre érudition est telle que j’ai du mal à vous suivre, et même à vous percevoir. Il me semble aussi que cette discussion a atteint ses limites et qu’il est préférable de la clore, au risque de s’égarer. Merci à vous pour m’avoir donné l’occasion de relire quelques passages de Balmary, où j’ai pu me rendre compte à quel point je m’étais éloigné de sa vision des choses, merci à fxnico de m’avoir entrainé à relire Alison, où j’ai pu me rendre compte à quel point je m’étais rapproché de sa pensée, et surtout, merci à Hervé van Baren pour ses recherches et sa franchise.

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      1. Derniers mots comme vous le désirez avec raison

        Mes remerciements sincères de votre résistance qui m’a obligé, m’oblige, à affiner, à choisir parmi mille pensées qu’éveillaient, éveillent vos contributions.

        En voici un condensé sous forme de conclusion.
        1 le concept « révéler sans révéler » qui a dicté mon entrée dans cette discussion.
        Je dois avant tout prendre une précaution en vous disant qu’aucuns de vos propos comme ceux de Hervé van Baren ne peuvent être stigmatisés par ce qui suit.
        « Révéler sans révéler » laisserait accroire qu’il peut se trouver une révélation au minimum supérieure (un Dieu pédagogue propose une révélation progressive), au maximum définitive (la seule fin de la révélation est le mystère).
        La parade : les multiples interprétations.
        2 la deuxième cause de mon intervention « les victimes d’incestes ». Avec deux risques majeurs que sont l’anachronisme et l’oubli des violents.

        Bien à vous

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  29. A Daniel
    Vous m’obligez à intervenir : J’ai employé le mot suis du verbe suivre.
    Mais ce que je suis m’a empêché de voir l’ambiguïté de cet emploi.
    Votre grand apport dans cette discussion a été de faire révéler l épistémologie d’ Hervé Van Baren. La vôtre est intéressante.
    Pour le reste je trouve la discussion entre Benoît et vous passionnante.
    L apport de Benoît sur ce blogue est immense.
    Pour ma part, comme je l’ai écrit, je n’ai pas travaillé ce texte et ne souhaite pas aller plus loin dans la discussion même après votre réponse à mes comparaisons

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