Crise mondiale : il y a autre chose

par Joël Hillion

Les cyniques ont la logique pour eux. Casser l’économie mondiale pour sauver du coronavirus quelques vieillards qui, à une autre époque, seraient morts de toute façon, paraît du délire !

Objectivement, ils ont raison… Mais en pure perte. Ce serait bien la première fois que les humains suivraient ce que leur dicte leur intelligence. Qui a jamais agi pour des raisons « objectives » ?

Si tous les dirigeants du monde (à quelques délirants près) ont choisi, soutenus par leurs peuples, de se lancer dans la « guerre » contre le virus, c’est sans doute pour une autre raison – qu’ils ignorent peut-être eux-mêmes. Cette raison n’est ni sanitaire, ni économique, ni même humanitaire. Alors, quelle est-elle ?

J’avance une hypothèse. Épuisés par les crises larvées qui se sont succédé depuis cinquante ans, déjà un peu conscients de la Grosse Crise à venir, l’écologique, – celle qui va tout bouleverser et que nous ne pourrons plus stopper –, démunis comme ils le sont devant la détérioration croissante des moyens de subsistance d’une partie de la population et devant l’accumulation outrageante des richesses des riches, alertés par l’écœurement que cette injustice absurde soulève, ils attendaient le choc, le déclic qui allaient les autoriser à intervenir.

Ils ne sont pas isolés. La surprise de la pandémie, sa puissance qui submerge tout comme un tsunami, ont provoqué un saisissement. Les terriens ont tout à coup cessé de rire. Les avertissements, se disent-ils, étaient peut-être sérieux. Et le fait qu’ils soient presque unanimes à le penser est un tsunami au moins aussi fort que la pandémie elle-même.

Le prétexte est un peu gros, c’est vrai. Les cyniques ont vu le coup. Mais ont-ils compris l’aspiration incroyable qu’il y a derrière l’acceptation quasi générale des « règles communes » appliquées à la population tout entière ? À y regarder de près, l’événement est proprement singulier.

Quelle aspiration, quel désir inexprimé se révèlent derrière ce soulèvement planétaire ? Ne serait-ce pas celui de notre exaspération devant l’impuissance et les bonnes intentions : bon, on a assez joué avec le feu, après l’Amazonie, l’Australie, la Californie, va-t-on attendre de n’avoir plus rien à brûler ?

À cela s’ajoute la formidable insatisfaction engendrée par la satisfaction de nos désirs. Marre des envies artificielles, marre des besoins qui n’en sont pas : qui a jamais rêvé de la 5G, qui a jamais fantasmé sur la voiture autonome, combien d’entre nous espèrent se changer en « hommes augmentés » ?

L’horizon était bouché, nous entrevoyons autre chose, comme une petite lumière, et cela nous exalte. À part quelques rentiers, qui s’inquiète vraiment de la décroissance à venir ?

La leçon est rude, mais elle peut être salutaire.

Dommage que ce soit la peur plutôt que le désir d’un monde meilleur qui ait « motivé » les humains à se ressaisir, comme des élèves qui réagissent plus aux punitions qu’aux encouragements… Mais on ne choisit pas ses traumatismes.

Reste à savoir si le ras-le-bol collectivement ressenti pourra se transformer en désir unanime de mieux faire… René Girard explique que l’on ne sort de la méconnaissance que par une conversion. Nous assistons aux prémices de cette révolution. Malgré les ratés qui s’ensuivront, on peut imaginer que ce début de conscience partagée est le prélude à une mutation planétaire.

Les temps à venir s’avèrent gros d’espérances.

9 réflexions sur « Crise mondiale : il y a autre chose »

  1. Parmi les « puissants » (et les savants) se trouvent les cyniques tels que vous les décrivez. Mais avant leurs actions, se trouvaient les soignants, qui, sincèrement, voulaient « sauver du coronavirus quelques vieillards ». Et l’instant historique, c’est qu’ils ont agi de la sorte, et qu’ils sont soutenus majoritairement. Cette masse (de soutien) est l’enjeu de la conclusion de votre excellent article: sortir « de la méconnaissance … par une conversion. » C’est là qu’interviennent les « puissants » : Empêcher cette conversion, par les mécanismes du désir mimétique (SATAN), avec le risque analysé par René GIRARD, d’une guerre de tous contre tous et de la montée aux extrêmes ».

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  2. Il semblerait que les périodes de crise soient par nature sujettent à la recherche de complot, mais pour qu’il soit valide il faut qu’il soit rejeter par la majorité sinon ce n’est plus un complot . La thèse proposée me paraît assez partagée pour être invalide ,une version plus mimétique me paraît plus intéressante ,une élite et tout un pays qui dans les années quarante par son aveuglement à la montée de différents fachismes se sont retournés mimétiquement après guerre pour un progressisme consensuel . Ce modèle arrivant à bout de soufle ce virus est providentiel pour expliquer la faillite de nos finances ,cela marche aussi pour la Chine qui avait besoin de trouver un appui pour tenir son peuple et aussi paradoxalement pour dénigrer un Donald Trump en ruinant la possibilité de sa réélection …
    Ceci est une hypothèse que l’on vérifiera dans les mois avenir si elle est fondée ou pas!

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  3. C’est dommage que la réflexion de Joël Hillion suscite des commentaires qui en dénaturent le sens. Car il ne s’agit pas, me semble-t-il, pour l’auteur de cet article, d’opposer les « puissants » et les « soignants » comme on oppose les méchants et les gentils, ce ne serait pas digne d’un lecteur de Girard et de Shakespeare. Il s’agit encore moins de venir en renfort des thèses ou hypothèses complotistes (la chasse aux sorcières de nos jours), auquel cas nous serions intervenus auprès de l’auteur pour le ramener à la raison, c’est un ami, ou pour empêcher cette publication.
    Mais il n’y a pas de fumée sans feu, ah ah !! Déjà le titre : « il y a autre chose », ça évoque « on ne nous dit pas tout » !! Et puis cette définition des cyniques qui auraient l’objectivité et l’intelligence de leur côté, cela peut prêter à confusion quand il s’agit, pour l’auteur de l’article, d’être au contraire du côté des gouvernants « non délirants soutenus par leur peuple ». Mais surtout, je regrette que cette excellente réflexion sur notre ras-le-bol ou notre « mauvaise conscience » (on ne cherche pas un coupable, dans cet article, on l’a trouvé, c’est nous, notre hubris, on en a trop fait, on accepte la punition du confinement parce qu’on la juge méritée et ça nous dispose au changement de cap), oui, je regrette que ce point de vue s’accompagne d’un rejet d’autres points de vue qui me sembleraient a priori recevables : le sanitaire, l’humanitaire, hein, pourquoi pas ? Et puis quand même, Joël, n’y a-t-il vraiment que quelques rentiers à s’inquiéter de la décroissance à venir ? Qu’on mette l’économie en danger pour sauver le plus de vies qu’on peut est acceptable mais comment garantir des soins de qualité dans un pays pauvre ?

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    1. Je crois que j’aurais pu écrire le même commentaire que celui-ci de Christine Orsini tant il reflète ce que je pense du texte de Jöel Hillion. Les interrogations sont légitimes et l’espérance d’une « mutation planétaire » louable. Mais il n’y a pas que des rentiers à s’inquiéter de la décroissance en cours et à venir ; concrètement, la décroissance annoncée va plonger un très grand pourcentage de la population (20, 25, 30 % ?) dans la misère. Cette partie-là de la population aura-t-elle le temps, l’envie, la force de réfléchir à notre hubris ? Sera-t-elle dans les meilleures conditions pour se poser la question du dépassement de nos limites, ou pour se « convertir » ? La décroissance ! Le mot est devenu comme le totem de toute réflexion pseudo-rebelle contre « le système ». Et, parmi les plus cyniques (ou les plus bêtes idéologies), il est déjà des responsables politiques ou des mouvements « alternatifs » pour regarder cette décroissance avec les yeux de Chimène et faire l’apologie du sous-développement : le prince Charles (dans un livre intitulé Harmony) vantait il y a dix ans « l’organisation intuitivement intelligente » du plus grand bidonville d’Inde (Dharavi) ; en 2016, le journal Les Échos voyait en ces mêmes et miséreux bidonvilles le futur de l’urbanisme : « plus dense, mixte, d’emblée piétonne et économe en énergie, l’organisation spontanée des quartiers informels inspire les nouveaux modèles de développement urbain » (sic) ; des étudiants urbanistes, dans le livre Notre-Dame-des-landes ou le métier de vivre (2018), se pâmaient devant le monde du précaire, de la débrouille, du pauvre et du sale… Le plus cynique des capitalismes n’en espérait pas tant ! Il nous faut donc réfléchir à ce que pourrait être une croissance raisonnable prenant en compte l’écologie moderne (mais, pitié, qu’on nous évite les démonstrations larmoyantes et suédoises), les besoins essentiels de chacun, la possibilité de regarder de front les choix qui s’offrent à nous et de contrecarrer ceux des « progrès » qui nous jetteraient dans les bras des barbares.
      « Il faut se hâter de sauver l’homme, parce que demain il ne sera plus susceptible de l’être, pour la raison qu’il ne voudra plus être sauvé. Car si cette civilisation est folle, elle fait aussi des fous », écrivait Bernanos. Une question parmi mille autres que soulève le très bon article de Joël Hillion : n’est-il pas déjà trop tard ? Ou, posé autrement : une fois la crise sanitaire passée, une fois la crise économique surmontée, qui (ou quoi) empêchera la 5G, la voiture autonome ou le transhumanisme de rester les hochets « progressistes » avec lesquels les hommes s’amusent et s’oublient dans leur grand désespoir de ne plus savoir qui ils sont ?

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      1. Vous ne faites pas qu’approuver l’article de Joël Hillion et mon petit commentaire, cher Monsieur, vous leur ajoutez une réflexion remarquable d’intelligence et de lucidité. La pensée de René Girard est apocalyptique mais si j’ai bien compris cette histoire de conversion (Don Quichotte renonçant à tous ses mirages sur son lit de mort), le retour à soi sous la forme d’une dépossession ne peut s’accomplir que dans l’imminence de la mort. Pour nous, qui prenons en ce moment conscience de notre fragilité et de notre condition de mortels, peut-être qu’il n’est pas trop tard, peut-être même qu’il n’est pas encore assez tard ?

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  4. J’admire la concision avec laquelle vous développez votre hypothèse en gardant ce qu’il faut de force et de prudence dans son expression; car nous ne savons jamais d’avance si l’avenir sera à la hauteur de nos espérances. Je partage avec vous cette espérance, sachant que toute crise véritable contient sa résolution en elle-même (krisis: jugement, décision). Le sacrifice économique auquel nous consentons largement au niveau mondial est effectivement une surprise, qui annonce sans doute la fin d’une tragédie sans horizon : cet avenir bouché qui précédait la crise. Notre décision collective ouvre enfin l’avenir. C’est la caractéristique positive de tout sacrifice.

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  5. Si le remarquable article de Joël Hillion et le non moins remarquable commentaire de Didier Desrimais ont quelque chose à nous dire, c’est à quel point la crise actuelle met en lumière l’impasse dans laquelle nous sommes. Ni cynisme, ni hypocrisie, ni naïveté dans les courants politiques et idéologiques qui semblent émerger de la crise, mais seulement la preuve de notre incapacité à nous confronter à une réalité indicible. C’est trop tard. Il n’y a pas de solution politique, économique ou idéologique à la crise. Il n’y a pas de lumière à l’horizon parce qu’il n’y a pas d’horizon. Tous les oracles contemporains, derrière le masque d’assurance sereine de leurs auteurs, sont pathétiques et désespérés, parce que la réalité est que personne sur la planète ne peut plus dire de quoi demain sera fait.
    Christine Orsini tire les conclusions (girardiennes) qui s’imposent. Le seul horizon qui nous reste est spirituel. La crise a commencé son œuvre, qui est de nous dépouiller. De tout : de futur, pour nous obliger à vivre au présent. De l’assurance raisonnable de vivre longtemps et en bonne santé, pour nous inviter à vivre tout court. De la quête angoissée de bien-être matériel, pour nous inciter à chercher une autre nourriture. De toutes nos idoles, nos chimères, nos obsessions, pour retrouver la source de notre humanité.
    Bien plus, par l’effet de la crise, nos exorcismes habituels sont devenus impuissants à étouffer le scandale suprême : nous sommes mortels. Avec ou sans virus.

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  6. Merci pour les remarquables échanges auxquels le non moins remarquable article de Joël Hillion a donné lieu. Le caractère décidément apocalyptique de la crise actuelle, notamment souligné par Hervé, et la question cruciale du Soi, fouillée par Christine et Didier, m’ont bien sûr retenu. Je voudrais noter la convergence de fond des prises de position précitées : la révélation apocalyptique ne saurait consister en effet qu’en une révélation de Soi. Vous savez, cette prétendue vieille lune que les heideggeriens et les marxistes, pour des raisons bien sûr différentes, se sont employé depuis près d’un siècle à virer au caniveau ! Plus de sujet, donc plus de conscience, plus de conscience donc plus de personne, plus de personne donc plus de Soi… Le nazisme avait perdu militairement la guerre, mais il était en passe de gagner celle des esprits, car enfin qu’est-ce que le nazisme si ce n’est une machine de guerre contre le Soi, contre l’ipséité vivante originaire, où s’ancrent la responsabilité, la liberté, la joie de vivre et l’amour des autres ? Soit, le nazisme n’a pas eu l’exclusivité de ce projet diabolique : le communisme y prit sa part, et le capitalisme amoral et jouisseur, la sienne. Pensez-vous qu’on en ait terminé avec ces Titans ? Devons nous croire qu’un monde nouveau naitra après le grand « reset » coronaviral ? Rappelons nous qu’à peine après avoir traversé par miracle la mer Rouge, les Hébreux se sont mis à adorer le veau d’or… Si nous ne revivifions pas notre alliance avec le Ciel, et si donc nous ne changeons pas nos cœurs, je vous fiche mon billet qu’un nouveau Titan ne manquera pas de faire prochainement des siennes !

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