Polémique est mère de toutes choses (médiatiques)

par Jean-Marc Bourdin

Parmi les présocratiques, le fragment d’Héraclite « Polemos est père de toutes choses » avait la préférence de René Girard. Dans la période post-girardienne qui commence, peut-être faudrait-il désormais affirmer que « polémique est mère de toutes choses. » Si la guerre a quelque peu perdu de sa superbe institutionnelle, cette non-institution que constitue la multitude des polémiques relayées et enflées par les médias et les soi-disant « réseaux sociaux » tend à saturer l’espace communicationnel, là où devraient normalement se former et s’épanouir les consensus qui font une opinion publique à la suite de débats rationnels et raisonnables, pour parler comme John Rawls.

Polémiqueur, plutôt que polémiste, est devenu un métier socialement reconnu. Je me permets d’ajouter ce néologisme à celui qui n’en n’est déjà plus un d’influenceur. Le format habituel de l’émission télévisée à bas coûts de production, de la téléréalité aux débats d’experts en passant par les débats politiques et les émissions de commentaires plus ou moins humoristiques de l’actualité anecdotique, est désormais celui de l’opposition, voire du dénigrement. Les affrontements de doubles entre modèles-obstacles sont devenus des ferments essentiels à la notoriété. « Faire le buzz » et déclencher la viralité actualisent la contagion mimétique. La route antique des hommes pervers attire de plus en plus de randonneurs. Mais il semble désormais enviable de provoquer la vindicte des envieux. Qu’on parle de moi, même en mal, et je serai sûr d’exister. Si l’on m’en veut, c’est que je vaux.

Abrités derrière l’anonymat d’un pseudo, les êtres du souterrain dostoïevskien donnent libre cours à leur ressentiment. La rumeur malveillante, la diffamation et la calomnie se tentent de plus en plus volontiers : le rapport risque / bénéfice d’une initiative agressive est souvent supposé être à l’avantage de celui qui déclenche la polémique, lequel se figure en tout état de cause comme en situation de riposte. L’évolution moderne retracée par les grands romanciers atteint bien son aboutissement chez Dostoïevski, même si les personnages tourmentés du génie russe précèdent chronologiquement le snob proustien.

J’avais intitulé un de mes premiers articles publiés par le blogue « Malheur à celui qui arrive par le scandale » au moment de l’accès à la présidence étatsunienne Donald Trump. Ce dernier semble désormais avoir pour souci majeur de se maintenir par le scandale, de persévérer dans son être provocateur. Plus largement, le populisme se fonde sur l’expression collective des rancoeurs individuelles avec le but avoué de réunir le (plus) grand nombre contre les élites, pourtant régulièrement portées au pouvoir par la majorité des suffrages. Quant au cacochyme Jean-Marie Le Pen qui a jalonné son parcours des polémiques les plus abjectes, il se repaît pour se survivre d’une querelle sans fin avec son usurpatrice de fille.

Mais les scandales ne sont pas réservés aux « grands » de ce monde ni même aux cultivateurs de la notoriété et de la réputation sulfureuse. Comme si nos techniques de communication contemporaine donnaient à tout un chacun la faculté de se lâcher sans trop craindre les représailles. Il existe en effet maintenant des supports techniques à l’expression lâche des « sans-voix ». Et que révèlent-elles dans de pareilles conditions ? La résurgence des querelles de doubles, l’accumulation des ressentiments, de nouvelles tentatives de bouc-émissarisation d’un petit nombre par une foule sans cesse à relier. Les mécanismes mimétiques qu’on avait cru, un temps, réorientés vers la consommation ostentatoire et la croissance des opportunités d’action, semblant tenir ainsi les promesses du doux commerce, retrouvent leurs espaces de jeu habituels. Même les compétitions réglées s’accommodent en définitive de la véhémence, de l’accusation, des expressions vengeresses et de la recherche des expulsables. Elles n’en sont plus des substituts. Elles en deviennent des prétextes.

Le champ juridique qui avait enfermé certains affrontements dans un espace clos et réglé par des principes tels que le secret de l’instruction, la présomption d’innocence, la purgation de la peine une fois celle-ci exécutée, le jugement en droit plutôt que moral, la mise en délibéré et les reports pour éloigner les faits des décisions et les protéger des tensions engendrées par le duel juridictionnel…, tous ces outils de contention de la violence sous le couvert de la monopolisation de la violence légitime par l’autorité souveraine sont remis en cause. Le réseau social devient le lieu où siéger : avocats et procureurs prennent l’opinion à témoin et espèrent que sa conviction influencera magistrats et jurys populaires. La scène de la tragédie grecque semble de retour où le chœur oscillait au gré des interventions des personnages : qui de Tirésias, Créon ou Œdipe est à l’origine des déboires de Thèbes ? Au peuple d’en décider en fonction des interventions des parties prenantes.

Décidément rien de nouveau sous le soleil. Ou plutôt toute nouveauté ne peut rien contre les brûlures du soleil. Plus que jamais le mimétique l’emporte sur l’éthique.

25 réflexions sur « Polémique est mère de toutes choses (médiatiques) »

  1. L’emploi de « populisme » dans cet article est en novlangue.
    Il y a depuis 1931 un prix Eugène-Dabit du roman populiste.
    Il y a le populisme russe (dont se rapprochait Karl Marx à la fin de sa vie.
    Le populisme est étymologiquement la défense du peuple, et son opposé est l’élitisme, la défense de l’élite.
    En novlangue créée par l’oligarchie, c’est un mot péjoratif pour discréditer toute contestation, en l’assimilant par reductio ad hitlerum à quelque fascisme.

    Quant à la « bouc-émissarisation d’un petit nombre par une foule sans cesse à relier », ne vient-elle pas souvent d’une élite (responsable ou irresponsable…), comme lorsque l’administration George Herbert Bush invente les bébés extraits des couveuses au Koweït afin de manipuler l’opinion alors hostile à la guerre, et ainsi la déclencher en Irak en 1991 ? Ou lorsque l’administration George Walker Bush invente les armes de destruction massive, ou le lien de l’Irak avec Al Qaeda, afin de déclencher la guerre en Irak en 2003 ?

    Quant aux « interventions des personnages : qui de Tirésias, Créon ou Œdipe est à l’origine des déboires de Thèbes » : ne sont-ils pas d’abord eux-mêmes, dans leurs ambitions, à tenter de faire de leur rival un bouc émissaire ?

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      1. Ne s’agit-il pas de botter en touche, de refuser le débat comme si ses arguments étaient les seuls, en une pensée unique autocratique?
        Il me semble que lorsqu’un on avance une thèse, on doit accepter que d’autres proposent des antithèses.

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  2. Dans son acception actuelle on n’entend pas par populiste un dirigeant ou un aspirant dirigeant ( à ne pas confondre avec l’élite ce qui n’est que rarement le cas … ) qui défend les intérêts du «  peuple «  (?) mais plutôt celui qui en excite les bas instincts pour détourner l’attention sur son incapacité à le faire …Et bien sûr les boucs émissaires sont là pour ça !

    Jacques Legouy

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    1. Pourquoi avoir inventé cette « acception actuelle » ? Qui est « on » ? C’est une élite jalouse de sa souveraineté (et qui pense donc le peuple comme un rival, car il accepte de moins en moins de ne pas décider).
      On avait déjà la même définition avec le mot « démagogue », qui lui aussi avait une signification étymologique non péjorative : éducateur de la population.
      C’est de la novlangue tellement criante que les critiques fondées de Vincent Coussedière, Jean-Claude Michéa, Christopher Lasch, Christophe Guilluy, Catherine Colliot-Thélène apparaissent dans sa page Wikipédia ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Populisme_(politique)#Définitions_et_analyses ).
      « Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde. » (Albert Camus).
      L’élite n’a-t-elle pas de « bas instincts » ? Déjà celui de lutter afin d’accumuler le pouvoir. Ce sont les élites qui déclenchent les guerres, et souvent contre les peuples qui ne veulent pas de ces guerres (le « 15 février 2003 la plus importante manifestation mondiale enregistrée à ce jour a lieu » contre la décision de gouvernements de faire la guerre à l’Irak ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_mondiales_contre_la_guerre_d'Irak ).

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  3. Je ne voudrais pas en rajouter dans cette polémique sur la polémique mais j’ai envie de mettre mon grain de sel. L’auteur de l’article, en pointant un travers de notre société de communication, aborde le sujet du remplacement du débat raisonnable par la polémique ; il donne comme exemples l’affrontement brutal et irrespectueux du vis-à-vis pour « faire le buzz » à la télé, (Christine Angot avec Fillon) ; les injures anonymes sur internet ; le « scandale » comme méthode de gouvernement ; la faiblesse d’institutions soumises à la pression de la foule, (comme lors du procès de Madame Sauvage, condamnée par la justice mais relaxée en fin de compte grâce à son comité de soutien). Tout cela paraît incontestable… En fait, chacun en son âme et conscience, doit convenir qu’il a pris du plaisir à prendre parti pour ou contre « la franchise d’Angot », pour ou contre la mise en détention d’une victime de violences conjugales etc. On adore la polémique, on adore détester, bannir, exclure, critiquer, s’opposer, les « bons mots » sont toujours des mots cruels, c’est difficile d’être drôle sans être un peu malveillant, non ? Les « humoristes » interviennent partout, tout le temps. Les autres sont des « modèles-obstacles », des obstacles parce qu’ils sont des modèles et des modèles parce qu’ils sont des obstacles, c’est bien connu des lecteurs de ce blogue.
    Mon grain de sel, c’est une distinction. Le mot « populisme » peut faire débat, même si de nos jours on pense plus à Trump et à ses électeurs qu’à ce populisme russe qui faisait rêver Marx !! La distinction qu’il faut faire, surtout si on aime polémiquer et si on a des causes à défendre, c’est celle entre un DEBAT et un COMBAT. Dans le débat, il y a une entente préalable sur le fait qu’on ne s’entend pas. Dans le combat, il y a la volonté de réduire l’adversaire. Dans le combat, il n’y a pas thèse et antithèse mais attaque et riposte. Dans le débat, normalement, le vrai a une petite chance de l’emporter sur le moins vrai ou le faux. Dans un combat, on veut avoir raison de l’autre, ce qui n’est pas la même chose qu’avoir raison tout court.

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      1. Lequel déclara néanmoins, si je ne me trompe pas sur son identité : « Je suis très mimétique. Puisque je suis polémique, je suis mimétique. Je reconnais que je suis polémique et, dans mes écrits, j’ai besoin d’une espèce d’appât, d’amorce. Souvent, c’est le désir de représailles qui me pousse à écrire. Mais ce n’est pas une vengeance très efficace. » (Celui par qui le scandale arrive).

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  4. Sur le terrain, la frontière est poreuse entre les notions que je distingue, une disputatio est incarnée : il est rare d’assister à un débat vraiment civilisé et, quand c’est le cas, sur France Culture notamment, ça peut être barbant. Il me semble, quand je pense à René Girard et à sa façon mordante de traiter ses contradicteurs, que le glissement du débat au combat est quasiment inévitable quand ceux auxquels on s’adresse (les anthropologues, pour Girard, Lévi-Strauss en particulier) refusent de débattre. Ce n’est pas parce qu’on produit une analyse géniale du « ressentiment » qu’on est exempté d’en être la proie, au contraire !

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  5. On va finir par me confondre avec l’animal favori des bénitiers, mais je pense qu’on aurait tout intérêt, pour sortir du fatalisme qui semble la seule conclusion unanime de ce débat, à revenir aux Evangiles. Ces « vieux » textes sont remplis du début à la fin de polémiques déclenchées par les actes et paroles de Jésus. A-t-on le droit ou pas de faire ceci ou cela ? Ce bruit venait-il de Dieu ou n’était-ce que le tonnerre ? De quelle autorité a-t-il dit cela ? Faut-il payer l’impôt ? Qui est le plus grand ? etc.
    Lire les réponses de Jésus à autant de perches tendues pour l’entraîner dans la polémique est revigorant et édifiant. Soit il s’en va (c’est sa première réponse à cette polémique si moderne entre les disciples de Jean et les siens : qui baptise le plus ? ), soit il « passe au milieu d’eux » alors qu’ils veulent « le saisir » (c’est ce que cherche la polémique), soit il répond – en apparence – complètement à côté de la plaque. A la réflexion, c’est peut-être ce que je suis en train de faire.

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    1. Cher Hervé,

      C’est effectivement la meilleure conclusion à tirer et le conseil à suivre. La réponse directe est l’enclenchement d’une rivalité qui peut monter aux extrêmes.
      Si je n’ai pas répondu à l’interpellation de Luca, ce qu’il a déploré, c’est pour cette unique raison : 1/ il m’entraînait sur une question de définition, celle du populisme, au demeurant accessoire par rapport à mon propos général, et de telles questions sont des sources inépuisables de polémiques ; 2/ il enchaînait avec une opposition entre peuple et élite en leur associant des valeurs morales de bien et de mal tout
      en me soupçonnant de leur associer les valeurs inverses, là encore une source de discussion sans fin puisque la distinction entre peuple et élite est tout sauf claire et qu’une qualification de l’un et de l’autre en termes tranchés ne résiste pas à l’analyse historique.

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      1. Cher Jean-Marc,
        C’est pour cela que j’apprécie tant l’Emissaire. Voilà un des rares endroits sur terre (si on peut appeler un blogue un « endroit ») qui fédère des personnes ayant la connaissance de ces choses, mais dont les discussions n’échappent pas pour autant à la polémique, même si celle-ci, c’est louable, se pare du langage civilisé. La preuve de la puissance du phénomène… J’ai apprécié votre citation de Girard, qui a si bien su prendre la mesure de cette puissance. J’en conclus qu’il y a encore bien du chemin entre comprendre et pratiquer.

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      2. Lorsque Jean-Marc Bourdin écrit :
        « le populisme se fonde sur l’expression collective des rancœurs individuelles avec le but avoué de réunir le (plus) grand nombre contre les élites, pourtant régulièrement portées au pouvoir par la majorité des suffrages. Quant au cacochyme Jean-Marie Le Pen qui a jalonné son parcours des polémiques les plus abjectes, il se repaît pour se survivre d’une querelle sans fin avec son usurpatrice de fille. »,
        en tapant sur les épouvantails du Front National (le meilleur ennemi officiel en France, utile pour discréditer toute opposition) comme boucs émissaires, il ne peut se prétendre les mains propres de toute provocation polémique que s’il s’adresse en privé qu’à un cénacle choisi, un entre-soi dont il sait qu’il pense déjà comme lui. Mais cela ne peut pas être le cas, puisque cet article est référencé sur les moteurs de recherche et accessible à tous au delà du quartier latin, y compris aux 34 % d’électeurs de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017, auxquels j’imagine selon ses critères qu’il faut ajouter les électeurs d’autres « populistes » du premier tour (Jean-Luc Mélenchon en premier avec 20 %, et Philippe Poutou, Nathalie Artaud, etc.). Cela fait plus de dix millions de personnes qui pourraient être froissés par ces propos.
        Dans cet article, où est employé de façon péjorative le mot « populisme », on parle du peuple comme étant « les individus de condition modeste, par opposition aux catégories supérieures ou privilégiées par la naissance, la culture et/ou la fortune » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Peuple#Qualification_péjorative),
        l’élite étant son opposé :
        « la minorité d’individus auxquels s’attache, dans une société, un prestige et en pratique le plus de pouvoir dû à des qualités naturelles ou acquises. Le terme d’élite superpose les notions de meilleurs et d’élection. Un régime élitiste est une aristocratie. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Élite).
        Plus généralement, il y a un aspect « chien de garde » qui semble ne pas être perçu (une construction imitative d’un consensus…). Cette prétention à ne pas être polémique est comme la paix souhaitée par les nantis de l’ordre (ou du désordre) des choses. Les polémiqueurs seraient les empêcheurs de tourner ou de penser en rond dans son petit cercle, alors qu’une servitude volontaire des brimés serait tellement plus agréable.

        J’illustrerais tout cela avec Jean-Claude Michéa, un admirateur de René Girard évidemment peu cité par ce cercle de girardiens :

        « Dans le « Figaro magazine » du 6 janvier 2007, Alain-Gérard Slama écrit que « les deux valeurs cardinales sur lesquelles repose la démocratie sont la liberté et la croissance ». C’est une définition parfaite du libéralisme. À ceci près, bien sûr, que l’auteur prend soin d’appeler « démocratie » ce qui n’est, en réalité, que le système libéral, afin de se plier aux exigences définies par les « ateliers sémantiques » modernes (on sait qu’aux États-Unis, on désigne ainsi les officines chargés d’imposer au grand public, à travers le contrôle des médias, l’usage des mots le plus conforme aux besoins des classes dirigeantes). Ce tour de passe-passe, devenu habituel, autorise naturellement toute une série de décalages très utiles. Si, en effet, le mot « démocratie » doit être, à présent, affecté à la seule définition du libéralisme, il faut nécessairement un terme nouveau pour désigner ce « gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple » où chacun voyait encore, il y a peu, l’essence même de la démocratie. Ce nouveau terme, choisi par les ateliers sémantiques, sera évidemment celui de « populisme ». Il suffit, dès lors, d’assimiler le populisme (au mépris de toute connaissance historique élémentaire) à une variante perverse du fascisme classique, pour que tous les effets désirables s’enchaînent avec une facilité déconcertante. Si l’idée vous vient, par exemple, que le Peuple devrait être consulté sur tel ou tel problème qui engage son destin, ou bien si vous estimez que les revenus des grands prédateurs du monde des affaires sont réellement indécents, quelque chose en vous doit vous avertir immédiatement que vous êtes en train de basculer dans le « populisme » le plus trouble, et par conséquent, que la « Bête immonde » approche de vous à grands pas. » (L’Empire du moindre mal, Climats, 2007, p. 85-86 ; ou Flammarion, Champs Essais 2010, p. 84-85).

        « On pourrait toutefois se demander (et, si l’on en croit Rousseau, c’était même la pensée véritable de Machiavel) si une société qui repose sur la domination de classe n’a pas, en définitive, beaucoup plus de chances d’être saisie dans sa vérité ultime par ceux qui l’observent de bas en haut que par ceux qui ne peuvent la contempler que de haut en bas (quitte à s’abriter, si nécessaire, derrière le miroir déformant de la statistique d’État). Il est sans doute plus facile, en effet, de prendre conscience du fait que l’on est exploité ou opprimé que d’admettre que l’on est soi-même un exploiteur ou un oppresseur (tout comme il est plus facile de mesurer le taux d’inflation réel en faisant soi-même ses courses qu’en s’en remettant aveuglément aux chiffres officiels de l’Insee). Comme le rappelait d’ailleurs ironiquement l’écrivain italien Claudio Magris, « en cette époque dite de culture de masse, ce ne sont pas les masses qui manquent de culture mais plutôt les élites. Il est rare d’entendre dans un autobus des bourdes aussi monumentales que celles qu’on remarque à la télévision ou dans les journaux ». Telle est, en tout cas, la conviction première des populistes. » (Notre ennemi le capital, Climats, 2017 p. 206).

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  6. Il y a un épisode de l’évangile johannique, celui de la femme adultère, où Jésus l’emporte à la fois sur la foule et sur la polémique où les hommes de piété veulent le piéger. Sa victoire, il la doit au fait qu’il arrive à disperser la foule ; mais ce n’est pas la foule qui se détache de son objet, c’est chacun, en commençant par les plus vieux, qui se délivre de la foule, en revenant à lui-même. On s’aperçoit alors qu’on déteste en l’Autre ce qu’on se reproche à soi-même. Le génie de Girard est d’avoir vu que la victime est le substitut des lyncheurs. Bref, si l’on se connaissait mieux et si l’on s’aimait assez pour se pardonner à soi-même, on aurait moins besoin de détester les autres. Non ?

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    1. Si ! Mais remarquez qu’il y a un épisode, la suite du chapitre 8 de l’Évangile de Jean, dans lequel Jésus prend le rôle exactement inverse : il déclenche la polémique, l’entretient, et par ses propos provocateurs en arrive à faire enrager ses interlocuteurs au point où ceux-ci veulent le lapider.
      Ce qu’il faut faire – ce qu’il ne faut pas faire.

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  7. Le parent qui me semble le plus proche des choses médiatiques me semble plus être le spectacle que la polémique.
    Si en France, 90 de la presse appartient à 9 milliardaires, ce n’est pas avant tout pour faire des polémiques, mais pour leur égo et contrôler le spectacle en leur faveur.
    Les polémiques mises en avant sont souvent des distractions évitant d’autres polémiques les gênant.
    L’excellent et toujours d’actualité roman Bel Ami de Guy de Maupassant raconte la motivation des financiers quant à posséder des journaux pour leurs ambitions et actions politiques.

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  8. Etonnant pour un article sur la polémique. A part Lucadeparis qui la cherche activement, à bon droit et efficacement, il semble qu’ici chacun fasse de son mieux pour l’éviter…

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